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Angoissé·e·s de tous pays, unissons-nous !

Numéro 5 – 2021 - Covid-19 pandémie peur par Derek Moss

juillet 2021

« Moins il y a d’angoisse, moins il y a d’esprit », Kier­ke­gaard Nous sommes nom­breux. La pan­dé­mie aidant, nous sommes de plus en plus nom­breux. À vrai dire, nous sommes légion. Que d’années pas­sées, dans le plus grand secret, à pal­pi­ter, hyper­ven­ti­ler, rumi­ner, trem­bler, se ron­ger les ongles, sur­sau­ter, trans­pi­rer, suf­fo­quer ! Camouflé·e·s et silencieux·ses, comme si nos émo­tions étaient honteuses, […]

Billet d’humeur

« Moins il y a d’angoisse, moins il y a d’esprit », Kierkegaard

Nous sommes nom­breux. La pan­dé­mie aidant, nous sommes de plus en plus nom­breux. À vrai dire, nous sommes légion.

Que d’années pas­sées, dans le plus grand secret, à pal­pi­ter, hyper­ven­ti­ler, rumi­ner, trem­bler, se ron­ger les ongles, sur­sau­ter, trans­pi­rer, suf­fo­quer ! Camouflé·e·s et silencieux·ses, comme si nos émo­tions étaient hon­teuses, de notre seule faute et uni­que­ment le pro­duit d’histoires fami­liales. Quel che­min de croix thé­ra­peu­tique ! Que de dépres­sions diag­nos­ti­quées ! Que de pilules ingur­gi­tées ! Que d’alcool ver­sé sur les braises de l’angoisse !

Mais l’angoisse est aus­si un affect poli­tique. Elle dit quelque chose du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Un monde d’individus où le bon­heur s’évalue en chiffres et en choses. Où l’estime de soi est réduite à des nombres et le bie­nêtre à une adé­qua­tion entre un pro­jet et des moyens. Où le sujet s’épuise pour des abs­trac­tions, la socié­té, une com­pa­gnie, une ins­ti­tu­tion. Un monde car­nas­sier et inéga­li­taire où dominent la viri­li­té toxique et ses pri­vi­lèges. Un monde du court terme dont la tem­po­ra­li­té ne convient pas au rythme des êtres humains et non humains. Longue est la liste des griefs à adres­ser au sys­tème patriar­co-capi­ta­liste qui irrigue nos existences.

Cela suf­fit.

Angoissé·e·s de tous pays, unissons-nous !

Il y a dans l’angoisse un réel poten­tiel trans­for­ma­teur. Nos cer­veaux sont tels des cen­trales nucléaires. Met­tons le com­bus­tible anxieux au ser­vice de l’empathie, de la sen­si­bi­li­té, de la cha­leur, de l’altruisme, de l’humanité. Sor­tons de l’isolement cou­pable de la crise d’angoisse pour par­ta­ger nos attaques de paniques col­lec­tives et reven­di­ca­trices. Être « ang­st-emble » pour, ensuite, pro­li­fé­rer en un réseau soli­daire de gens tra­cas­sés. For­mons une com­mu­nau­té d’anxieux.ses en colère. Il y a quelque chose d’amical et de créa­tif dans la vio­lence de l’angoisse. Mis en com­mun, les four­mille­ments, pal­pi­ta­tions et autres dou­leurs tho­ra­ciques consti­tuent la glaise de puis­santes pas­sions sociales et politiques.

Car le monde a besoin de nous. Cer­tai­ne­ment en cette période de pan­dé­mie, mais pas seule­ment. Nous, les anti­ci­pa­teurs. Nous, les rumi­nants. Il a besoin que nous lui don­nions les ingré­dients de la sur­vie. Nous, les vaches à angoisses, sommes l’avenir lai­tier de cette pla­nète en train de deve­nir ruines. Peut-être pour­rons-nous pré­ve­nir l’horreur humaine qui vient. Non pas par la force. L’orgueil. L’opiniâtreté. La volon­té. Dépasse-toi. Dépasse tes peurs. Non. Juste par de la bien­veillance. De la poro­si­té à la souf­france d’autrui. De la dou­ceur. Du lait sucré. Des angles arron­dis. Un monde dans lequel nos angoisses pour­ront déli­ca­te­ment rebon­dir les unes contre les autres jusqu’à s’oublier. Un monde où les loyau­tés sys­té­miques qui nous habitent et entre­tiennent l’inertie auront été détri­co­tées pour que nous puis­sions enfin dire calmement :

Non. Ça suffit.

Derek Moss


Auteur

anthropologue