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André Molitor. « En dehors des heures de service »

Numéro 9 Septembre 2005 par Théo Hachez

septembre 2005

Avec l’hom­mage dû à l’homme et à sa tra­jec­toire, le décès d’An­dré Moli­tor doit être aus­si pour nous l’oc­ca­sion d’un retour sur le pré­sent. Car, au-delà du deuil, et une fois écar­tée la vani­té de la révé­rence, la ques­tion qui mérite d’être posée ici, et qui soit digne de la mémoire de la géné­ra­tion des fon­da­teurs et, […]

Avec l’hom­mage dû à l’homme et à sa tra­jec­toire, le décès d’An­dré Moli­tor doit être aus­si pour nous l’oc­ca­sion d’un retour sur le pré­sent. Car, au-delà du deuil, et une fois écar­tée la vani­té de la révé­rence, la ques­tion qui mérite d’être posée ici, et qui soit digne de la mémoire de la géné­ra­tion des fon­da­teurs et, en par­ti­cu­lier, de celle de son pre­mier et mar­quant direc­teur, est celle-ci : quelles images fortes tra­versent le temps, ou plus exac­te­ment, quels traits res­tent aujourd’­hui mobi­li­sables comme des repères ? De ce point de vue, reve­nir sur le par­cours emblé­ma­tique d’An­dré Moli­tor, comme nous le pro­po­sons dans ce dos­sier, n’est qu’une étape. Reste à cha­cun à en tirer ce qui entre en réso­nance avec l’é­poque : rap­pe­ler le per­son­nage et son rôle n’est donc pas trop, mais ce n’est pas assez.

Une car­rière que l’on revi­site, un récit des débuts de La Revue nou­velle, l’a­na­lyse du même épi­sode… sont autant d’élé­ments qui campent un homme, situent son rôle dans un groupe et plus lar­ge­ment dans une géné­ra­tion et l’ins­crivent dans une his­toire avec laquelle il a eu affaire. Un tel « zoom arrière » a des allures de pro­me­nade exo­tique dans une époque qui a pris ses dis­tances avec la nôtre et dont André Moli­tor était l’un des der­niers témoins, rôle qu’il a du reste assu­mé jus­qu’au bout dans ses Sou­ve­nirs

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Ain­si la sta­tuaire ras­semble des attri­buts et arrête dans l’im­mo­bi­li­té d’une figure un voyage dans le temps. Pour­tant, on le sait, les monu­ments ne tirent pas toute leur valeur d’un tra­vail de com­pi­la­tion, fût-il scru­pu­leu­se­ment res­pec­tueux et esthé­ti­que­ment réus­si. Le sou­ve­nir qui se décante com­pose avec le regard qu’il appelle et l’es­prit qu’il éveille. Reve­nir sur le pas­sé et ceux qui l’ont fait, c’est évi­dem­ment d’a­bord, pour les pré­ser­ver de l’ou­bli, en éta­blir une ins­crip­tion pré­cise. Et dans le deuil, cette ins­crip­tion prend la forme d’une dette, qui vaut hom­mage quand elle est recon­nue, mais dont on ne peut vrai­ment s’ac­quit­ter qu’a­vec des valeurs com­munes que nous tenons pour nôtres et fon­da­trices aujourd’­hui. Une dette qui enri­chit : on parle donc alors d’héritage.

Aus­si bien, le por­trait lacu­naire que donne à lire ce numé­ro ne fait pas seule­ment voir une part de pas­sé, mais porte natu­rel­le­ment des reflets de l’es­pace et du temps pré­sents qui le convoquent aujourd’­hui pour sur­mon­ter la rup­ture du temps et de mort. Tel est le regard oblique qui se pose sur lui. On ne s’é­ton­ne­ra donc pas du pri­vi­lège que nous avons réser­vé à La Revue nou­velle dans le par­cours d’An­dré Moli­tor, même s’il dit, avec un accent de défi, avoir mené cette acti­vi­té « en dehors des heures de ser­vice ». De cette conquête sur soi de l’exer­cice d’une liber­té de pen­sée et d’ex­pres­sion, nous nous sen­tons évi­dem­ment léga­taires aujourd’hui.

Mais dans une telle affir­ma­tion se glissent une série de pièges. Ce n’est pas seule­ment qu’il faut évi­ter le reproche de détour­ner une recon­nais­sance et une noto­rié­té jus­ti­fiées et acquises dans des fonc­tions de pre­mier plan. Il faut encore et sur­tout cou­per court à un nom­bri­lisme mythi­fiant et bavard. L’hom­mage ren­du ici par une revue à son pre­mier direc­teur, eu égard à ses qua­li­tés, ne peut valoir comme un qui­tus de ce que cette revue est deve­nue ou, pire, comme une occa­sion d’au­to­con­gra­tu­la­tion. Il est vrai que cette marque indé­niable lais­sée par André Moli­tor à la revue, même dans la fer­me­té de ses contours, ne prête aucun relief à ce genre d’indiscrétion.

Mais qu’est-ce qu’une revue si ce n’est la mise en risque, dans le temps, de la conti­nui­té d’un regard à construire et à par­ta­ger ? Qu’est-ce d’autre que d’op­po­ser la sta­bi­li­té d’un lieu et d’un nom à la diver­si­té et au deve­nir du monde ? Dès lors, com­ment repro­cher à tous ceux qui lec­teurs, contri­bu­teurs, orga­ni­sa­teurs la « font » de cher­cher à lire dans l’é­vo­ca­tion de ses ori­gines quelque chose d’elle-même ? Et com­ment ne pas céder à la ten­ta­tion de faire le point après soixante ans d’existence ? 

Sans qu’elle pré­tende se sub­sti­tuer aux réflexions des uns et des autres, c’est à l’a­morce de cette seconde étape qu’est consa­crée cette intro­duc­tion, dont la consti­tu­tion et la lec­ture du dos­sier-por­trait sont la première.
La démo­cra­tie, comme une évidence

Sui­vant une sorte de règle, l’his­toire de La Revue nou­velle com­mence par une pro­fes­sion de foi. Ce mani­feste, à voca­tion col­lec­tive mais dont André Moli­tor est plus que le porte-plume, consti­tue un socle qui la situe à la fois en conti­nui­té et en rup­ture avec d’autres efforts de réflexion doc­tri­nale autour de la confron­ta­tion du chris­tia­nisme avec la moder­ni­té. Comme d’autres alors, mais à rebours d’une pen­sée du repli du reli­gieux sur la sphère pri­vée, les fon­da­teurs ont pen­sé devoir enga­ger leur foi dans une ren­contre avec le monde. Affer­mie par une volon­té et une exi­gence intel­lec­tuelle com­munes, l’a­ven­ture prend place de fait dans une rela­tion bali­sée par l’his­toire entre l’É­glise catho­lique et l’or­ga­ni­sa­tion poli­tique du pays. Habi­ter cet espace com­mun au reli­gieux et au poli­tique sans s’au­to­ri­ser d’une posi­tion ins­ti­tu­tion­nelle, mais seule­ment de ses convic­tions, de sa culture et de sa capa­ci­té de réflexion, c’é­tait de toute façon déran­ger des fron­tières. Ce que le chris­tia­nisme, ce que la foi pou­vait appor­ter alors d’in­ter­ro­ga­tions, de réflexions et d’en­ga­ge­ment pou­vait-il se satis­faire de cette espèce de Yal­ta entre l’É­glise et l’É­tat héri­té des pre­miers temps de la Bel­gique ? Il y avait là plus qu’une lacune à com­bler et une urgence d’au­tant plus cru­ciale qu’elle n’é­tait pas tou­jours sen­tie comme telle.

On pour­rait s’ar­rê­ter sur les filia­tions et les nuances de cet acte ini­tial, en détec­ter les paren­tés et les dif­fé­rences avec la pen­sée d’Em­ma­nuel Mou­nier ou celle de Jacques Leclercq. Mais l’a­na­lyse de ces posi­tions, pour inté­res­sante qu’elle soit, ne doit pas occul­ter ce que met en évi­dence la pra­tique de la revue comme mise à l’é­preuve d’un effort doc­tri­nal ou idéo­lo­gique à par­ta­ger. Ouver­ture et décen­tre­ment font ici une sorte de rup­ture avec le pas­sé d’a­vant-guerre. Ce n’est pas que le sou­ci d’un juge­ment éclai­ré, ferme et ancré dans la foi ait dis­pa­ru. Mais, comme le sug­gère Xavier Mabille, la pro­mo­tion des valeurs qui en découlent parait exi­ger désor­mais la recon­nais­sance d’une com­plexi­té du monde et sur­tout une rela­tion plus ouverte et plus prag­ma­tique aux tenants d’autres cou­rants de pen­sée. Pour les pro­mou­voir, pour qu’elles contri­buent à fon­der une socié­té plus proche de ces valeurs, il ne suf­fit pas de tour­ner un dos déso­lé à la moder­ni­té, il faut en cher­cher les expres­sions mul­tiples, entrer en com­po­si­tion, trou­ver des alliés plu­tôt que de se conten­ter de postures.
Du coup, on cesse de pié­ti­ner sur la concep­tion idéale d’une socié­té moderne qui soit aus­si chré­tienne, et de peau­fi­ner un modèle, ce qui avait mobi­li­sé les efforts d’a­vant-guerre. Les chi­mères révo­lu­tion­naires ne sont plus de sai­son. Il s’a­git désor­mais d’a­bord pour André Moli­tor et ses com­pa­gnons fon­da­teurs, de mettre en valeur un point de vue chré­tien et de sou­te­nir via l’ap­port du chris­tia­nisme une socié­té telle qu’elle est : tra­ver­sée par les inéga­li­tés sociales et par­ta­gée le plu­ra­lisme. La vie de la revue telle qu’on la voit se déployer dès ses débuts, plus encore que son mani­feste, sup­pose une sorte de vita­li­té démo­cra­tique dans laquelle elle peut seule s’ins­crire, sans le sen­ti­ment de déchéance ou la nos­tal­gie qui accom­pagne tra­di­tion­nel­le­ment ce genre de constat dans le monde catho­lique. Pour ten­du qu’il soit encore dans son expres­sion pre­mière, le pro­jet de la revue s’é­mer­veille de son ouver­ture, cap­ti­vé par le point de vue qu’offre ce chris­tia­nisme vécu à rebours de la retraite mona­cale. Et si la revue trouve son public, c’est en effet que pas mal de croyants se trouvent désem­pa­rés, sans expé­rience ni lec­ture com­mune, sans monde par­ta­gé, sans repère de pen­sée et d’ac­tion per­ti­nent pour leur foi.

À par­tir de là, ce qui se lit en plein dans la revue, mais plus sou­vent en creux, c’est un atta­che­ment à la démo­cra­tie comme à une évi­dence sti­mu­lante. Plu­tôt que de regar­der de haut le sys­tème poli­tique et social comme un espace tem­po­rel contin­gent mais radi­ca­le­ment étran­ger au reli­gieux, et seule­ment voué à recon­naitre son auto­no­mie, la foi (et non quelque bras sécu­lier ins­ti­tu­tion­nel) se recon­nais­sait comme par­tie pre­nante de l’é­la­bo­ra­tion de ses valeurs et par­ti­ci­pait d’un plu­ra­lisme d’où devait émer­ger une socié­té plus juste. Ain­si la foi se fait aus­si enga­ge­ment. Dans l’a­rène du débat, dans l’exi­gence intel­lec­tuelle commune.

Les impli­ca­tions de ce qui se joue là sont d’une impor­tance pri­mor­diale. On a tiré les leçons des désastres meur­triers si proches : aucune convic­tion, qu’elle soit ou non ancrée dans la trans­cen­dance, ne peut désor­mais plus s’as­si­gner comme hori­zon de ses pro­grès de se sous­traire à une confron­ta­tion qui recon­nait dans l’autre, adver­saire ou allié, un égal. Se sous­traire à cette confron­ta­tion ne peut plus être envi­sa­gé comme la condi­tion ou, pire, comme le résul­tat d’un triomphe. On des­cend de la chaire de véri­té. Mais ce n’est ni le doute, ni la tié­deur ni la tac­tique qui ins­pire ce mou­ve­ment assu­mé, réflé­chi sinon reven­di­qué comme un défi qu’on relève dans la pas­sion : face au deve­nir du monde, pour­quoi les chré­tiens ne se don­ne­raient-ils pas les moyens intel­lec­tuels de prendre part au monde tel qu’il est et va ? Pas de renon­ce­ment, ni de repli mépri­sant, donc. Et la conquête et l’ex­pé­rience d’un lieu de parole tel que la revue ne tenaient pas d’une évi­dence anté­rieure. Autant qu’il inter­ro­geait un qua­drillage ins­ti­tu­tion­nel, ce lieu ouvrait sur de nou­velles ques­tions, for­çait une atten­tion d’au­tant plus sou­te­nue que, a prio­ri, plus rien n’é­tait tout à fait éloi­gné ou en deçà des ques­tions essentielles.

Dans cette his­toire, la revue d’au­jourd’­hui pro­longe celle d’a­lors. Y per­siste évi­dem­ment la ten­sion doc­tri­nale ini­tiale sur les fon­de­ments et les valeurs d’une socié­té meilleure, même si elle a pris une forme plus inter­ro­ga­tive qu’af­fir­ma­tive. Mais ce qui a fait la revue vrai­ment nou­velle et la main­tient telle dans son actua­li­té, c’est le rap­port aux valeurs et à l’en­ga­ge­ment qui est inau­gu­ré avec le début de la revue et l’é­thique du débat qui en résulte. Selon les convic­tions reli­gieuses diverses de ceux qui conçoivent et lisent la revue aujourd’­hui, cette his­toire pour­ra être lue avec des nuances, tout à la fois comme la conquête d’une pra­tique sur la com­mu­nau­té de convic­tion qui en a été le germe et comme l’a­bou­tis­se­ment logique et natu­rel des valeurs et de l’é­lan ini­tial, d’un Départ 1. Mais tant que l’eau coule, la véri­té du fleuve se recon­nait autant à sa source qu’à l’embouchure tou­jours mou­vante qu’il des­sine dans le del­ta présent.

Un huma­nisme robuste

Dans cette revue des débuts, se conçoit et se réa­lise une dis­tance que nous recon­nais­sons tou­jours comme juste vis-à-vis des ins­tances reli­gieuses, poli­tiques, éco­no­miques, sociales et cultu­relles. Juste mais pro­blé­ma­tique dans son exté­rio­ri­té même. Prendre acte de leur emprise sur le monde et sur les gens, ten­ter d’ins­crire son action dans la logique de leurs fon­de­ments, dans la mesure où on les recon­nait comme légi­times, ne doit pas aller jus­qu’au renon­ce­ment à une réserve cri­tique. C’est cette réserve vitale que soli­di­fie l’ac­ti­vi­té col­lec­tive de la revue, menée « en dehors des heures de service ».

Espace mar­gi­nal ? Dédié à la lec­ture et à l’é­cri­ture, la mise en com­mun, qui le den­si­fie, fonde la revue. S’y enche­vêtrent loi­sirs et res­pon­sa­bi­li­té ; réflexion, pas­sions et citoyen­ne­té, comme on dit aujourd’­hui. Aus­si res­treint et bigar­ré soit-il, aus­si libre et gra­tuit, ce lieu est conçu comme essen­tiel par André Moli­tor et sa com­mu­nau­té d’i­dées parce qu’au milieu de ce qui ato­mise la vie, il ouvre sur un hori­zon qui recons­ti­tue l’u­ni­té de l’hu­main et sa liber­té. Ici comme ailleurs, la barre des fon­da­teurs est pla­cée très haut.

Cet homme que convoque la revue, que ce soit pour la faire ou pour la lire, res­semble à l’hon­nête homme du XXe siècle, nour­ri d’une culture et de savoirs divers et enga­gé dans la vie active, mais ni enfer­mé ni sou­mis. Comme juché sur son propre dos, il est débar­ras­sé d’un point de vue par­ti­cu­lier : appe­lé par le sur­plomb, c’est un « homme sans qua­li­té » qui en aurait beau­coup. Or cette dis­po­ni­bi­li­té dés­in­té­res­sée, sans avoir dis­pa­ru de la socié­té contem­po­raine, appa­rait aujourd’­hui dis­lo­quée dans la vie sociale, dis­per­sée dans une mosaïque exis­ten­tielle et peu récep­tive au face-à-face avec elle-même. Ain­si l’exi­gence d’une vie pri­vée est vécue plus que jamais comme le com­plé­ment indis­pen­sable d’in­di­vi­dus absor­bés par un temps affo­lé, sou­mis à la dis­per­sion de savoirs deve­nus étran­gers l’un à l’autre (à laquelle ils par­ti­cipent néces­sai­re­ment), au cri­blage d’une socié­té de l’in­for­ma­tion cap­ti­vante, mais dans le flot de laquelle se reflète, s’am­pli­fie et s’en­tre­choque la pré­gnance du dis­cours des ins­ti­tu­tions. Enchâs­sées dans leur logique, les exi­gences de car­rière aimantent des éthiques pro­fes­sion­nelles diver­gentes, divisent les rôles et four­nissent des postures.

De mois en mois, la conquête concer­tée de ce point de levier huma­niste qu’est une revue géné­ra­liste se fait à la fois plus urgente et plus dif­fi­cile. Convo­quée au tri­bu­nal des prio­ri­tés dans les inves­tis­se­ments sociaux des indi­vi­dus d’au­jourd’­hui, la recon­nais­sance théo­rique du carac­tère enri­chis­sant du prin­cipe qu’op­pose la revue depuis les marges de la vie contem­po­raine résiste mal à son qua­drillage nor­ma­tif. Que peut-on faire « en dehors des heures de ser­vice » qui ne soit que diver­tis­se­ment ? Ce n’est pas parce qu’il s’a­gi­rait de se prendre au sérieux : cette aven­ture de la liber­té par­ta­gée de l’é­cri­ture et de la lec­ture est aus­si celle de la décou­verte. Ou que, comme toutes les autres aven­tures, elle recèle aus­si conflits et dif­fi­cul­tés maté­rielles. Mais il est deve­nu dif­fi­cile de ne pas choi­sir entre le plai­sir et l’u­ti­li­té, entre le jeu que pos­tule toute spé­cu­la­tion intel­lec­tuelle, sa gra­tui­té indis­pen­sable et la conscience de la part de res­pon­sa­bi­li­té qu’il com­porte nécessairement.

Témoigne de la robus­tesse de cette convic­tion huma­niste des fon­da­teurs, le sou­ci effi­cace d’une écri­ture lim­pide et acces­sible qui tra­verse l’his­toire de la revue depuis ses ori­gines. Pas­sion­né de lit­té­ra­ture, André Moli­tor, donne cepen­dant la prio­ri­té à cette exi­gence de modes­tie, comme l’at­testent les quelques pages de ses Sou­ve­nirs reprises ici : le confort du lec­teur qui se sent accueilli et ras­su­ré n’ex­clut ni la pré­ci­sion tran­chante ni le plai­sir des registres expres­sifs de l’é­mo­tion ou de l’i­ro­nie. Mais dans l’é­cla­te­ment mosaïque des lan­gages et des cultures, les esthé­tiques tra­ver­sées par le chaos exis­ten­tiel, les sophismes séduc­teurs du dis­cours poli­tique ou publi­ci­taire, il faut par­ler du monde dans une écri­ture qui soit aus­si la sienne, sans renon­cer à cette ten­sion récon­ci­lia­trice comme hori­zon. Pour par­ler à tous, il faut aus­si et de plus en plus par­ler à cha­cun. D’où des com­pro­mis qui sou­vent insa­tis­font. Face à un humain pul­vé­ri­sé et décen­tré, le modèle huma­niste et l’é­cri­ture qui le porte ne peuvent résis­ter qu’en en por­tant le reflet. Tel est le défi déchi­rant mais sti­mu­lant devant lequel nous place aujourd’­hui la séré­ni­té exi­geante d’An­dré Molitor.

  1. Tel est en effet le titre du pre­mier édi­to­rial de la revue.

Théo Hachez


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