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Amérique latine et Trump. Essai de prospective sans filet(ni boule de cristal)…
L’incertitude et l’appréhension gagnent l’Amérique latine à la suite de l’élection de Donald Trump. Aucun chef d’État latino-américain n’a été en mesure d’anticiper la victoire du milliardaire. C’est donc peu dire que son élection a stupéfié les élites politiques latino-américaines.
L’Amérique latine observe et guette les premières déclarations officielles du nouveau président pour tenter de décoder une hypothétique formulation de politique étrangère envers la région. Si l’orientation protectionniste du nouveau président se confirme, il s’agira là d’une transformation déterminante de la politique commerciale des États-Unis envers l’Amérique latine.
Prudence, prudence…
Il existe actuellement douze traités de libre-échange entre Washington et certains pays latino-américains. Avec 80 % de ses exportations destinées aux États-Unis, le Mexique est actuellement le pays le plus exposé à un éventuel changement de politique commerciale de la part de Washington.
On le sait, l’histoire des relations interaméricaines a souvent été tumultueuse1. Avec l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche, les pays de la région avaient nourri de grands espoirs2. Dès son entrée en fonction, il a appelé à démarrer un nouveau partenariat entre les deux régions. Des promesses de détente dans les relations américano-cubaines, la lutte contre le narcotrafic, la diminution de l’insécurité, le renforcement des échanges commerciaux et un partenariat énergétique figuraient dans les grandes lignes de sa politique étrangère.
Résumée autour du concept de « nouvelle association », la politique extérieure du nouveau président prétendait restaurer une relation devenue complexe entre les deux parties. Il s’agissait, en réalité, de « détendre les esprits » pour affronter des défis communs aux deux régions.
Les différents discours d’Obama envers la région ne manquèrent pas d’ambition et séduisirent les chefs d’État latino-américains. Il fut néanmoins difficile de traduire ces belles paroles en actes concrets.
Sa politique a fini par ressembler à celle que Bill Clinton a tenté de mettre en place, c’est-à-dire une préférence pour les relations bilatérales ou sous-régionales au détriment d’une vision intégrale et régionale. Ainsi, les États-Unis ont abordé la question migratoire avec les seuls Guatemala, Salvador et Honduras, et le combat contre le narcotrafic a fait l’objet de discussions en face-à-face avec le Mexique et la Colombie. L’accord de partenariat transpacifique a été négocié avec les pays de la côte pacifique. Le timide rapprochement avec Cuba s’est opéré sous les auspices du Vatican et non d’un pays latino-américain.
De leur côté, les pays latino-américains n’ont pas manifesté une impatience démesurée pour renforcer leur coopération avec leur voisin du nord. Les leadeurs de la région ont tenté avec des succès mitigés, il faut en convenir, d’approfondir les processus d’intégration régionale comme le Mercosur, l’Unasur, l’Alba ou la Celac3.
Cette situation ne survivra peut-être pas sous l’administration Trump. Mais dans quelle mesure ? En tant que cadre général, on pourrait dire que pour Trump, l’Amérique latine, en fait, n’existe pas. Ou pas encore.
Selon Juan Gabriel Tokatlian4, spécialiste argentin des relations internationales, malgré les affinités entre les gouvernements de la région, le niveau réel d’intégration en Amérique latine reste faible, tout comme le niveau de concertation. Dans ces conditions, promouvoir un positionnement commun envers les États-Unis s’avère, aujourd’hui, très difficile. Personne ne veut assumer une position critique de peur de devenir la cible des prochaines mesures prises par le gouvernement Trump. Le Mexique n’a même pas convoqué une réunion spéciale pour tenter de fédérer des efforts communs face à Washington.
Cuba adopte pour l’instant un profil bas. Même le Venezuela n’a pas convoqué de réunion de l’Alba pour protester contre la décision du Trésor américain de geler les avoirs de son vice-président accusé de trafic de visas et de passeports. L’heure est manifestement à la prudence.
Chine : un partenaire incontournable ?
L’émergence de la Chine a également permis à l’Amérique latine de s’ouvrir à d’autres horizons. La forte demande de matières premières a boosté les économies primo-exportatrices latino-américaines. Entre 2000 et 2013, la valeur des échanges commerciaux avec la Chine est passée de 12,5 à 275 milliards de dollars, soit une augmentation vertigineuse de 2200 %. La Chine a supplanté les États-Unis comme principal partenaire commercial du Brésil, du Chili ainsi que du Pérou5.
La Chine a également aidé financièrement l’Argentine, l’Équateur et le Venezuela qui ont ainsi pu s’affranchir des conditionnalités particulièrement strictes imposées par le FMI et les marchés internationaux. Le boum économique, qui a résulté de la hausse des cours des matières premières et de la croissance à deux chiffres en Chine, a permis aux pays de la région de mener des politiques sociales, certes inabouties et parfois mal structurées, mais à propos desquelles il faut souligner qu’elles ont contribué à soulager les conditions de vie des classes populaires qui avaient été particulièrement affectées par les plans d’ajustement structurel dans les années 1990.
L’importance de la Chine constitue aujourd’hui un élément central dans l’analyse des évolutions en Amérique latine. Même des gouvernements clairement de droite comme celui de Mauricio Macri en Argentine ne voient plus nécessairement d’un mauvais œil les initiatives de coopération avec la Chine. C’est ainsi que le très néolibéral président de la Banque centrale de la République argentine (BCRA) Federico Sturznegger annonçait, il y a peu, que les accords monétaires entre son pays et la Chine seraient prolongés6.
Dans la même veine, on signalera que la Chine joue un rôle de plus en plus important dans le financement du Brésil. Quelque 47 milliards de réais (13,97 milliards d’euros) ont ainsi été prêtés par la Chine à Brasilia au cours de l’année 20167.
On le voit, en dépit de ses difficultés économiques, la Chine continue à financer les économies latino-américaines. À première vue, c’est une donnée qui est susceptible d’attiser certaines tensions entre Washington et Pékin.
Des relations interrégionales sous hypothèque
On peut tout de même émettre un certain nombre d’hypothèses quant à la manière dont vont évoluer les relations interaméricaines sous l’administration Trump.
Première hypothèse, les États-Unis pourraient développer une approche des relations pragmatique et bilatérale avec la région en fonction de l’importance des dossiers. Cette politique permettrait à la Chine de continuer à s’implanter en Amérique latine. Du côté des États latino-américains, maintenir une relation à équidistance avec Pékin et Washington ne devrait pas, comme nous l’avons vu, s’avérer trop difficile pour des géants comme l’Argentine ou le Brésil.
Deuxième hypothèse, une bonne partie de l’Amérique latine pourrait continuer à naviguer sous le radar de l’administration Trump. Les discours anti-impérialistes provenant des pays de l’Alba n’ont jamais réellement affecté les États-Unis. Trump ne devrait donc pas être subitement tenté de « vendre les valeurs américaines » à l’étranger, c’est-à-dire de promouvoir une conception anglo-saxonne de la démocratie comme le faisait, en son temps, Barack Obama. Plus largement, on peut imaginer que les questions idéologiques ne seront que peu centrales dans l’évaluation des gouvernements latinos par Washington. Jusqu’à présent, les orientations données par Trump à la diplomatie américaine se caractérisent par une orientation résolument réaliste telle que définie par Hans Morgenthau8. D’après lui, les relations internationales se déroulent principalement au cas par cas entre les nations et sont motivées fondamentalement par la satisfaction d’intérêts. Les considérations idéologiques sont secondaires dans ce cadre d’analyse où il faut « peser pour exister ». Voilà pourquoi certains gouvernements « progressistes » (quoiqu’en voie de net recentrage depuis quelques années) comme l’Uruguay ou l’Équateur9 n’auront donc probablement pas grand-chose à craindre de Washington à l’avenir. Ces deux pays n’ont pas grande importance, en effet, dans la définition de l’intérêt national des États-Unis.
Par contre, et cette troisième hypothèse constitue en réalité le prolongement logique des deux premières, une politique extérieure plutôt agressive et similaire à celle que la région a connue dans les années 1980 pourrait caractériser la ligne de Washington envers certains pays. Cette stratégie prend sa source dans deux enjeux centraux pour la région : le trafic de drogue et le contrôle des ressources énergétiques.
Coca colombienne et bolivienne
Concernant le trafic de drogue, la Colombie ne verra vraisemblablement pas l’influence de Washington diminuer à l’avenir. Le Plan Colombie sera vraisemblablement maintenu10 et rien ne dit que Trump conservera le soutien financier des États-Unis au plan de paix entre le gouvernement colombien et les Farc.
L’arrivée de Trump au pouvoir n’est pas pour rassurer non plus la Bolivie d’Evo Morales. Le prétexte de la lutte contre le narcotrafic pourrait conduire Washington à revoir sa relation avec La Paz. Traditionnellement, la Bolivie est, avec la Colombie et le Pérou, un pays producteur de coca. Néanmoins, d’après le Rapport mondial sur les drogues 2016 des Nations unies, 65 % de la production de coca du pays a été consommée sur place selon les usages traditionnels11. En outre, la production de coca en Bolivie (35100 tonnes de feuilles de coca en 201512) se situe encore loin derrière celle de la Colombie (454050 tonnes en 201513). En ce qui concerne le Pérou, la production de coca estimée par les Nations unies était de 99080 tonnes en 201514. Comme on le voit, la Bolivie n’est donc clairement pas le pays le plus affecté par le narcotrafic dans la région andine. Pourtant, ce pays pourrait être pointé du doigt dans les mois à venir car Evo Morales a promulgué une loi visant à doubler la superficie des cultures légales de coca.
En Bolivie, des quotas de production de coca sont fixés. Jusqu’à présent, la région de Cochabamba ne recevait pas de quotas de production. C’est cette erreur que cette nouvelle loi cherche à corriger. On peut sans prendre trop de risques parier que l’inclusion de la culture de coca de la région de Cochabamba dans les quotas légaux15 sera mise en épingle par Washington pour s’intéresser de plus près à ce pays andin.
Derrière la coca, on soulignera le fait que le pays dispose des plus grandes réserves (35 %) au monde de lithium, ce métal destiné aux batteries des voitures électriques. Les réserves de gaz ne doivent pas être surestimées dans l’analyse. Elles ne représentent que 0,14 % des réserves mondiales avec 300 milliards de mètres cubes, loin derrière les États-Unis et leurs réserves de 11000 milliards de mètres cubes16.
Signalons également, mais sans nous étendre, que le lithium, véritable or noir du XXIe siècle, pèsera lourd dans la balance des relations entre les États-Unis et le Chili qui en détenait, en 2011, 7500000 tonnes de réserves17. Cependant, il est peu probable que le gouvernement chilien, allié traditionnel des États-Unis depuis trente ans, freine les velléités de Washington concernant cette nouvelle ressource stratégique.
Le Venezuela sous pression ?
Pour ce qui est du Venezuela, s’appuyant sur une longue tradition de déstabilisation, le gouvernement Trump pourrait réactiver l’opposition la plus dure — celle qui avait tenté de renverser Hugo Chavez — pour déstabiliser le gouvernement de Nicolás Alejandro Maduro. L’importance de ce pays, pour ce qui est des réserves pétrolières, n’est plus à démontrer. En effet, le Venezuela dispose aujourd’hui de la réserve de pétrole la plus importante de la planète devant l’Arabie Saoudite (300,878 millions de barils en 2015 pour Caracas contre 266,455 millions de barils en ce qui concerne Ryad18). Cette modification importante dans la géopolitique du pétrole remonte à l’année 2010. Elle augure de grandes difficultés pour le pétrobolivarisme vénézuélien.
Si on ajoute au pétrole comme facteur de pression extérieure, une situation intérieure plus que problématique, on comprendra que la vie du gouvernement de Nicolás Alejandro Maduro n’aura rien d’un long fleuve tranquille. La mort d’un jeune manifestant à l’occasion de mobilisations de l’opposition contre le gouvernement ne va pas contribuer à stabiliser une situation déjà passablement compliquée. En tout état de cause, la pression exercée par les États-Unis ne risque pas de diminuer dans les mois qui viennent, comme en témoigne le récent appel de quatorze pays américains pour « la libération des prisonniers politiques et la mise en place d’un calendrier électoral ». Ce texte datant du jeudi 23 mars 2017 a été signé par l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, les États-Unis, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Panama, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay19. L’existence de cet appel témoigne de ce que la pression sur Caracas reste vive et que les États-Unis n’ont pas dit leur dernier mot concernant le dossier vénézuélien.
Protectionnisme, immigration et drogue. Le cas particulier du Mexique
Deux dossiers ont rapidement été mis à l’agenda de Donald Trump quand il est entré en fonction et ont donné le ton de ce qui pourrait être la politique extérieure de Washington dans les prochaines années.
Premièrement, Donal Trump a signé une ordonnance mettant fin à la participation des États-Unis au traité de libre-échange transpacifique confirmant sa volonté de protéger le marché intérieur américain. Ce traité avait été signé, l’an dernier, par douze pays riverains de l’océan Pacifique (États-Unis, Canada, Mexique, Chili, Pérou, Japon, Malaisie, Vietnam, Singapour, Brunei, Australie et Nouvelle-Zélande). Son objectif était de créer la plus vaste zone de libre-échange au monde. La Chine avait volontairement été exclue des discussions pour freiner son influence croissante, les États-Unis désirant resserrer leurs liens commerciaux avec les pays de la région. Selon Trump, il s’agit d’un accord « terrible » qui « viole » les intérêts des travailleurs américains. En sortant de ce partenariat, Trump entend privilégier « des traités commerciaux bilatéraux et justes qui ramèneront les emplois et l’industrie sur le sol américain ». Il envisage également de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) avec les dirigeants du Canada et du Mexique. Pour Trump, l’objectif de cette renégociation est de favoriser la main‑d’œuvre peu qualifiée américaine largement concurrencée par celle du Mexique.
Deuxièmement, Trump a menacé de renvoyer chez eux l’ensemble des 11 millions d’illégaux. La chose est matériellement impossible. Depuis son élection, Trump a révisé ses objectifs à la baisse et parle plutôt de deux à trois millions de personnes ayant des antécédents judiciaires. Ce chiffre ne serait pas nécessairement différent des performances d’Obama dans le domaine. Par contre, si la construction du Mur se concrétise et s’accentue avec des déclarations fracassantes, le Mexique n’aura pas d’autres solutions que de répondre énergiquement à une forme évidente d’agression.
Pour le Mexique, l’émigration constitue, en effet, une précieuse manne financière pour l’économie du pays, vu l’importance de l’envoi de fonds des travailleurs migrants mexicains (légaux ou illégaux). En 2015, les envois de fonds constituaient la première source de devises du Mexique et dépassaient les revenus issus des exportations pétrolières et des investissements directs étrangers20. On ne prendra pas trop de risques en évoquant un rapprochement du Mexique avec la Chine si une franche distanciation devait, à l’avenir, se concrétiser entre les États-Unis et son grand voisin hispanophone. Rappelons que lorsque l’Alena a vu le jour, 85 % des investissements directs étrangers au Mexique étaient d’origine états-unienne. En septembre 2016, 62 % des investissements directs étrangers au Mexique (127 milliards de dollars) provenaient d’Europe et d’Asie. Le reste (38 % tout de même) était le fait d’investisseurs américains21.
Cette réorientation ressemble à une transition vers un monde multipolaire qui tranche avec la configuration unipolaire des relations internationales des années 1990 – 2000. Pour autant, cette transition pourrait ne pas se faire en douceur. Le Mexique est en effet terriblement touché par le trafic de drogue. Or, il s’agit d’une préoccupation majeure pour les États-Unis. La corruption et la participation des forces « de l’ordre » au trafic des drogues dans le pays ne font plus, aujourd’hui, aucun doute. En outre, la lutte imposée par le gouvernement des États-Unis aux autorités mexicaines conduit à une déstructuration en profondeur de la société. Cette guerre a fait 164000 victimes civiles entre 2007 et 201422. Ce chiffre était, d’après certaines sources, supérieur à celui des conflits en Afghanistan et en Irak à la même époque23.
Si le Mexique se rapproche trop de la Chine, il ne serait pas étonnant que les États-Unis, puissance économique déclinante, mais première puissance militaire mondiale, demandent au Mexique d’intensifier la lutte contre le narcotrafic. Les réseaux états-uniens au Mexique sont suffisamment puissants pour l’envisager. Une crise à l’intérieur de l’appareil d’État mexicain pourrait en résulter.
L’Amérique centrale sous pression
L’analyse mexicaine peut s’étendre aux pays d’Amérique centrale. On n’a d’ailleurs pas idée en Europe de la dimension qu’a prise la guerre contre les narcos en Amérique centrale.
Il y a un peu plus d’un an, la Cour suprême du Salvador, petit État centraméricain gangréné par la présence de gangs liés à la drogue (les tristement célèbres maras), a placé sur la liste des organisations terroristes deux maras : la Salvatrucha et la MS 18 Pandilleros del Barrio 18. Cette décision débouche sur le fait que tous ceux qui ont collaboré avec ces groupes, même de manière informelle, pourront être poursuivis par la justice24.
Par ailleurs, la militarisation de la lutte contre les gangs trouve une légitimation dans ce type de décisions. Cette militarisation constitue, par ailleurs, une modification des rapports de forces à l’intérieur de l’appareil d’État. Les organisations de défense des droits humains ne cessent en tout cas pas de dénoncer l’attitude des militaires qui opèrent de manière disproportionnée, rappelant les pires heures des putschs militaires des années 1970. Le Département d’État américain ne dit pas autre chose en reconnaissant que l’implication des forces armées dans certains massacres en Amérique centrale s’avère crédible25.
Mais la priorité pour Washington reste le narcotrafic ce qui explique pourquoi la Salvatrucha a été inscrite sur la liste des organisations criminelles internationales des autorités américaines dès 201226.
En 2014, Salvador Sánchez Cerén devenait président du pays pour le plus grand bonheur du Front Farabundi Martí de libération nationale (FMLN). Le FMLN, ancien mouvement de guérilla, occupait le pouvoir depuis 2009. À l’époque, c’était le journaliste Mauricio Funes, plutôt un modéré, qui avait hérité du terrible fardeau de représenter la gauche dans un pays qui avait vu l’armée et la guérilla s’opposer militairement pendant les années 1980.
Tout au long de son mandat, Funes a tenu à montrer des gages de respectabilité. C’est ainsi qu’il a toujours refusé l’adhésion du Salvador à l’Alba. Avec Sánchez Cerén, les choses se sont corsées. Son élection a marqué l’avènement de la génération du FMLN qui avait pris part à la lutte armée. Le changement de statut de la Salvatrucha et du Barrio 18 sont venus à point nommé pour raffermir les liens entre l’appareil répressif salvadorien et son homologue états-unien, alors que l’échec de la politique de la mano dura contre les maras constitue un fait avéré au Salvador depuis sa mise en place par la droite alors au pouvoir en 2003.
Le cas du Salvador est inquiétant, mais on n’ose pas imaginer les conséquences qui résulteraient de l’inscription de l’un ou l’autre cartel mexicain au registre des organisations terroristes. Le renforcement de la militarisation de la lutte contre les cartels de la drogue qui accompagnerait une telle décision prendrait des proportions potentiellement déstabilisatrices pour le pays où la lutte anti-narcos a pris des allures de guerre civile. Au Mexique, on dénombre déjà 22200 morts en moyenne annuelle27. Il s’agit là d’un bilan comparable à celui de la guerre civile en Syrie.
Or, il se trouve que le cartel mexicain des « Zetas » a déjà été placé sur la liste des organisations criminelles internationales préjudiciables aux intérêts états-uniens en 201128. L’hypothèse d’une intensification de la guerre contre le narcotrafic au Mexique qui ferait suite à ce classement des Zetas n’a donc à priori rien d’irréaliste. L’appareil de sécurité d’un pays comme le Mexique est, en effet, clairement lié à celui des États-Unis. De là à imaginer un scénario de déstabilisation de la région à partir d’une intensification de la guerre contre le narcotrafic, il n’y a qu’un pas que l’histoire récente d’un pays comme le Salvador permet d’illustrer.
Si le Mexique devait continuer à jouer la carte multipolaire en continuant à s’ouvrir à la Chine, on peut gager que des pressions états-uniennes visant à y mettre en œuvre une politique ultrarépressive contre les gangs liés au cartel de la drogue s’exerceront afin de compenser la perte d’influence de Washington dans la région. On répètera ces conclusions au sujet du Venezuela et de la Bolivie. À propos du Venezuela, il est significatif que la droite dure républicaine ait dénoncé, il y a peu, l’infiltration du pays par le cartel mexicain des Zetas.
Concluons comme nous avons commencé, c’est-à-dire en ouvrant les poumons et en prenant des risques (calculés). Les limites d’une politique isolationniste apparaitront vite au grand jour, tant les États-Unis et l’Amérique latine sont traversés par des défis communs. On peut néanmoins douter que l’administration Trump ait la maturité nécessaire pour faire face aux enjeux régionaux tels que le trafic de drogue, la violence urbaine ou la violation des droits humains. L’Amérique latine n’a, dans ce contexte, pas le choix. Elle doit renforcer son processus d’intégration régionale, créer de nouvelles alliances extrarégionales sans nourrir de crainte envers son puissant voisin du nord dont le manque de vision à long terme, soit dit en passant, n’a jamais été aussi flagrant.
avril 2017
- Lire l’ouvrage de référence de L. Schoultz, Beneath the Unites States : A history of US Policy towards Latin America, Cambridge, Massachusset, Harvard University, 1998.
- Fr. Reman, « États-Unis – Amérique latine : une relation à reconstruire », La Revue nouvelle, n° 8, aout 2014.
- Fr. Reman, « Création de la Celac. Et si l’Amérique latine s’unissait (enfin)?», La Revue nouvelle, n° 4, avril 2012.
- El Periódico, 18 février 2017
- « China y América Latina y el Caribe : hacia una relación económica y comercial estratégica », Commission économique pour l’Amérique latine (Cepal), 2012.
- Buenos Aires Económico, 3 mars 2017.
- El País (édition portugaise), 5 mars 2017.
- H. Morgenthau, Ke. Thompson, Politics Among Nations, New York, McGraw-Hill, 1985 (6e edition).
- On n’exagèrera pas l’importance des réserves pétrolières de l’Equateur. Certes, Quito est membre de l’OPEP mais l’Equateur disposait, en 2015, d’une réserve de 8,3 milliards de barils, soit 0,5 % des réserves mondiales. Les États-Unis disposaient à la même époque de 36,385 milliards de barils. Tant en matière de gaz et de pétrole, le Venezuela constitue le cœur de la cible de la politique américaine pour ce qui est des hydrocarbures en Amérique latine.
- Le Plan Colombie est un plan signé par les gouvernements américain et colombien en 2000 avec pour projet de réduire la production de drogue en Colombie, alors première productrice mondiale de cocaïne et première pourvoyeuse de drogue des États-Unis
- Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Monitoreo de Cultivos de Coca 2015. Estado plurinacional de Bolivia, juillet 2016.
- Ibid, p. 42.
- Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Monitoreo de territorios afectados por cultivos ilícitos, Colombia 2015, juillet 2016, p. 51.
- Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, Monitoreo de Cultivos de Coca, Perú 2015, juillet 2016, p. 38.
- Página Siete, 8 mars 2017.
- OPEP, base de données pour l’année 2015, , consulté le 10 mars 2017.
- United States Geological Survey, 2011.
- OPEP, base de données pour l’année 2015, consulté le 9 mars 2017.
- Le Monde, édition mise en ligne du 24 mars 2017.
- El Diario, 3 février 2016.
- El Economista, 2 février 2017.
- Instituto Nacional de Estadística y Geografía (office national mexicain des statistiques), décembre 2015.
- ABC, 16 juin 2015. On s’amusera à constater que le journal espagnol ABC, conservateur, catholique et monarchiste, puisse constater que la ligne dure en matière de stupéfiants a échoué au Mexique tout en la recommandant pour l’Espagne.
- El Salvador, 24 aout 2015.
- |Congressional Research Service, Gangs in central America, 29 aout 2016, p. 13.
- |El País, 11 octobre 2012.
- Vanguardia, 2 septembre 2016.
- The White House, Executive Order 13581. Blocking Property of Transnational Criminal Organizations, 25 juillet 2011.