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Allende et la Nostalgia de la luz
L’opération n’a pas duré quarante-cinq minutes. Supervisée par des experts étrangers, des médecins légistes, un archéologue, un anthropologue et sous l’œil attentif du juge Mario Carroza, la dépouille de l’ancien président chilien, Salvador Allende, a été exhumée du cimetière général de Santiago le 23 mai dernier. Trente-huit ans après les faits, la Cour suprême a mandaté le […]
L’opération n’a pas duré quarante-cinq minutes. Supervisée par des experts étrangers, des médecins légistes, un archéologue, un anthropologue et sous l’œil attentif du juge Mario Carroza, la dépouille de l’ancien président chilien, Salvador Allende, a été exhumée du cimetière général de Santiago le 23 mai dernier. Trente-huit ans après les faits, la Cour suprême a mandaté le juge pour éclairer les zones d’ombre qui persistent sur les circonstances de la mort. Mort violente de Salvador Allende lors de l’assaut du palais présidentiel (La Moneda) par les soldats du général Pinochet inaugurant un coup d’État militaire qui plongea le Chili dans une dictature d’extrême droite longue de dix-sept ans. Le cas d’Allende fait partie d’une liste de 726 personnes dont les circonstances exactes de la mort ou de la disparition n’ont toujours pas été établies.
À l’entrée du caveau, on retrouve Jorge Arrate du Parti communiste et ancien ministre d’Allende, Carolina Tohá du Parti pour la démocratie (gauche), dont le père a été tué pendant la dictature, et la sénatrice socialiste Isabel Allende, fille de l’ancien président. Visiblement très émue, mais toujours très digne, elle fit une courte déclaration avant de quitter les lieux : « En tant que famille, nous avons le souhait que les résultats puissent permettre de dissiper le doute » tout en réaffirmant également « la conviction que le président Salvador Allende a pris la décision de mourir dans un geste de cohérence politique pour défendre le mandat que lui avait octroyé le peuple ».
La famille, le monde politique et l’opinion publique ont toujours accepté la version officielle selon laquelle Salvador Allende s’est suicidé d’une balle dans la tête le 11 septembre 1973 alors que La Moneda était attaquée par l’aviation. Des proches, comme le docteur Patricio Guijón ou Óscar Soto, qui étaient avec lui au moment du bombardement, ont toujours défendu cette thèse. Ils certifient d’ailleurs avoir entendu le coup du feu et vu le corps du président écroulé sur un fauteuil. Mais au fil des années et surtout depuis le retour de la démocratie, d’autres hypothèses ont commencé à surgir.
Ainsi, d’autres amis d’Allende comme Renato González, présent également à ses côtés ce jour-là, soutiennent l’idée que ce sont les militaires qui l’ont assassiné une fois entrés dans le palais : « Allende s’est toujours battu et il aurait préféré mourir au combat [plutôt que de se suicider]», explique González. Ces propos vont dans le sens de ceux prononcés par le procureur américain Eugene Propper en charge de l’enquête sur l’assassinat de l’ex-ambassadeur chilien aux États-Unis, Orlando Letelier, par la DINA (la police secrète de Pinochet). Selon lui, c’est le capitaine René Riveros qui a abattu le président chilien, ce dont il se serait d’ailleurs vanté auprès de ses collègues de l’armée.
Enfin, la troisième hypothèse est celle d’un suicide assisté. N’étant pas mort sur le coup, un de ses proches lui aurait tiré le coup de grâce dans la tête. Elle est défendue par le journaliste Camilo Taufic qui, le 10 février dernier, affirmait à Radio Cooperativa qu’Allende avait été finalement tué par Enrique Huerta, l’intendant du palais présidentiel. Ce dernier ne peut malheureusement pas fournir son témoignage car il a été assassiné par l’armée peu après le coup d’État.
Les experts ont commencé leur travail en identifiant la dépouille pour confirmer qu’elle est bien celle de l’ex-président. Ensuite ils doivent pratiquer une autopsie qui devrait déboucher sur une conclusion scientifique qui répondra à la question : comment est mort Salvador Allende ? Viendra enfin le temps d’établir la vérité politique et juridique. Progressivement, le passé douloureux remonte à la surface, et le Chili commence un travail de mémoire sur la fin tragique de son président, mais aussi sur les centaines de prisonniers politiques que la dictature a fait disparaitre dans l’océan ou dans le désert sans laisser de traces. Le magnifique film de Paricio Guzman, la Nostalgia de la luz, est là pour nous montrer comment des femmes tentent dans le désert d’Atacama de faire sortir le Chili de l’obscurité. C’est aussi cela le sens de la décision de la Cour suprême.