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Allende et la Nostalgia de la luz

Numéro 07/8 Juillet-Août 2011 par François Reman

juillet 2011

L’opération n’a pas duré qua­­rante-cinq minutes. Super­vi­sée par des experts étran­gers, des méde­cins légistes, un archéo­logue, un anthro­po­logue et sous l’œil atten­tif du juge Mario Car­ro­za, la dépouille de l’ancien pré­sident chi­lien, Sal­va­dor Allende, a été exhu­mée du cime­tière géné­ral de San­tia­go le 23 mai der­nier. Trente-huit ans après les faits, la Cour suprême a man­da­té le […]

L’opération n’a pas duré qua­rante-cinq minutes. Super­vi­sée par des experts étran­gers, des méde­cins légistes, un archéo­logue, un anthro­po­logue et sous l’œil atten­tif du juge Mario Car­ro­za, la dépouille de l’ancien pré­sident chi­lien, Sal­va­dor Allende, a été exhu­mée du cime­tière géné­ral de San­tia­go le 23 mai der­nier. Trente-huit ans après les faits, la Cour suprême a man­da­té le juge pour éclai­rer les zones d’ombre qui per­sistent sur les cir­cons­tances de la mort. Mort vio­lente de Sal­va­dor Allende lors de l’assaut du palais pré­si­den­tiel (La Mone­da) par les sol­dats du géné­ral Pino­chet inau­gu­rant un coup d’État mili­taire qui plon­gea le Chi­li dans une dic­ta­ture d’extrême droite longue de dix-sept ans. Le cas d’Allende fait par­tie d’une liste de 726 per­sonnes dont les cir­cons­tances exactes de la mort ou de la dis­pa­ri­tion n’ont tou­jours pas été établies.

À l’entrée du caveau, on retrouve Jorge Arrate du Par­ti com­mu­niste et ancien ministre d’Allende, Caro­li­na Tohá du Par­ti pour la démo­cra­tie (gauche), dont le père a été tué pen­dant la dic­ta­ture, et la séna­trice socia­liste Isa­bel Allende, fille de l’ancien pré­sident. Visi­ble­ment très émue, mais tou­jours très digne, elle fit une courte décla­ra­tion avant de quit­ter les lieux : « En tant que famille, nous avons le sou­hait que les résul­tats puissent per­mettre de dis­si­per le doute » tout en réaf­fir­mant éga­le­ment « la convic­tion que le pré­sident Sal­va­dor Allende a pris la déci­sion de mou­rir dans un geste de cohé­rence poli­tique pour défendre le man­dat que lui avait octroyé le peuple ».

La famille, le monde poli­tique et l’opinion publique ont tou­jours accep­té la ver­sion offi­cielle selon laquelle Sal­va­dor Allende s’est sui­ci­dé d’une balle dans la tête le 11 sep­tembre 1973 alors que La Mone­da était atta­quée par l’aviation. Des proches, comme le doc­teur Patri­cio Gui­jón ou Óscar Soto, qui étaient avec lui au moment du bom­bar­de­ment, ont tou­jours défen­du cette thèse. Ils cer­ti­fient d’ailleurs avoir enten­du le coup du feu et vu le corps du pré­sident écrou­lé sur un fau­teuil. Mais au fil des années et sur­tout depuis le retour de la démo­cra­tie, d’autres hypo­thèses ont com­men­cé à surgir.

Ain­si, d’autres amis d’Allende comme Rena­to Gonzá­lez, pré­sent éga­le­ment à ses côtés ce jour-là, sou­tiennent l’idée que ce sont les mili­taires qui l’ont assas­si­né une fois entrés dans le palais : « Allende s’est tou­jours bat­tu et il aurait pré­fé­ré mou­rir au com­bat [plu­tôt que de se sui­ci­der]», explique Gonzá­lez. Ces pro­pos vont dans le sens de ceux pro­non­cés par le pro­cu­reur amé­ri­cain Eugene Prop­per en charge de l’enquête sur l’assassinat de l’ex-ambassadeur chi­lien aux États-Unis, Orlan­do Lete­lier, par la DINA (la police secrète de Pino­chet). Selon lui, c’est le capi­taine René Rive­ros qui a abat­tu le pré­sident chi­lien, ce dont il se serait d’ailleurs van­té auprès de ses col­lègues de l’armée.

Enfin, la troi­sième hypo­thèse est celle d’un sui­cide assis­té. N’étant pas mort sur le coup, un de ses proches lui aurait tiré le coup de grâce dans la tête. Elle est défen­due par le jour­na­liste Cami­lo Tau­fic qui, le 10 février der­nier, affir­mait à Radio Coope­ra­ti­va qu’Allende avait été fina­le­ment tué par Enrique Huer­ta, l’intendant du palais pré­si­den­tiel. Ce der­nier ne peut mal­heu­reu­se­ment pas four­nir son témoi­gnage car il a été assas­si­né par l’armée peu après le coup d’État.

Les experts ont com­men­cé leur tra­vail en iden­ti­fiant la dépouille pour confir­mer qu’elle est bien celle de l’ex-président. Ensuite ils doivent pra­ti­quer une autop­sie qui devrait débou­cher sur une conclu­sion scien­ti­fique qui répon­dra à la ques­tion : com­ment est mort Sal­va­dor Allende ? Vien­dra enfin le temps d’établir la véri­té poli­tique et juri­dique. Pro­gres­si­ve­ment, le pas­sé dou­lou­reux remonte à la sur­face, et le Chi­li com­mence un tra­vail de mémoire sur la fin tra­gique de son pré­sident, mais aus­si sur les cen­taines de pri­son­niers poli­tiques que la dic­ta­ture a fait dis­pa­raitre dans l’océan ou dans le désert sans lais­ser de traces. Le magni­fique film de Pari­cio Guz­man, la Nos­tal­gia de la luz, est là pour nous mon­trer com­ment des femmes tentent dans le désert d’Atacama de faire sor­tir le Chi­li de l’obscurité. C’est aus­si cela le sens de la déci­sion de la Cour suprême.

François Reman


Auteur

François Reman est licencié en journalisme et diplômé en relations internationales. Il entame sa carrière professionnelle en 2003 en tant que chargé de communication à la FUCID, l’ONG de coopération au développement de l’Université de Namur. Il y assumera rapidement le rôle de responsable des activités d’éducation au développement. En 2010, il s’envole pour le Chili où il travaillera comme journaliste correspondant pour La Libre Belgique et le Courrier. De retour en Belgique en 2013, il est engagé au MOC comme attaché de presse et journaliste pour la revue Démocratie. En 2014, il devient attaché de presse de la CSC. En dehors de ses articles pour la presse syndicale, la plupart de ses publications abordent la situation politique en Amérique latine.