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Aide au développement. Une aide au service de… la Belgique ?

Numéro 3 – 2019 - aide coopération nord-sud Développement par Antoinette van Haute

avril 2019

Cet article analyse l’évolution des modalités de financement de la coopération au développement de la Belgique depuis 2000. Il en ressort que des incohérences existent entre les engagements politiques louables de la coopération belge et l’évolution de ses financements et instruments financiers. Ces derniers manifestent une instrumentalisation croissante de l’aide de la Belgique au profit de ses intérêts propres, plutôt qu’en faveur des populations locales du Sud. Si la coopération belge continue sur cette trajectoire, elle n’en deviendra que plus inefficace. « Mieux avec moins ? » L’interprétation des chiffres n’autorise pas ici cet adage…

Dossier

Évolution décevante de la quantité
de l’aide belge au développement

Les ministres belges de la Coopération au développement ont souvent communiqué que la Belgique était dans le « peloton de tête » des donateurs au niveau mondial. En effet, selon les chiffres de l’OCDE1, l’aide publique au développement (APD) de la Belgique est passée de 1,28 milliard de dollars américains en 2000 à 2,1 milliards en 2017. Cette évolution apparemment positive s’est pourtant faite de manière non linéaire : l’aide belge a d’abord augmenté jusqu’en 2010 pour ensuite diminuer de 23% jusqu’en 2017, en dollars courants. En outre, en prenant en compte l’inflation en Belgique qui sur la période s’élève à 42%, 1,28 milliard de dollars en 2000 équivaudrait à 1,82 milliard de dollars américains en 2017. En termes absolus, la croissance réelle de l’APD belge n’aurait donc été que de 15% sur une période de dix-sept ans.

En termes relatifs, c’est-à-dire lorsque l’on compare les montants de l’aide au développement par rapport au revenu national brut (RNB) de la Belgique, l’évolution de la quantité de l’aide belge est tout aussi décevante : en dix-sept ans, elle n’est passée que de 0,35% à 0,45% du RNB. Après avoir augmenté jusqu’en 2010, l’aide en termes relatifs a en effet diminué de 30% jusqu’en 2017. Ces chiffres sont d’autant plus décevants que, depuis les années 1970, donc près de cinquante ans, les donateurs, y compris la Belgique, se sont engagés à allouer 0,7% de leurs RNB à l’aide au développement. Cet engagement fut répété et retardé à de nombreuses reprises par la communauté internationale, et donc aussi par la Belgique qui l’avait pourtant coulé dans une loi2 qu’elle n’a jamais appliquée. D’autres pays européens montrent pourtant qu’il est possible d’atteindre et même d’aller au-delà de cet objectif, tels le Luxembourg (1%), la Suède (1,01%), la Norvège (0,99%) ou le Danemark (0,72%).

Le plus inquiétant, ce n’est pas tant que la Belgique soit toujours loin derrière les objectifs qu’elle s’est engagée à atteindre à plusieurs reprises, mais surtout la régression des volumes d’aide depuis 2010, année où l’APD n’était certes pas de la plus grande qualité (comprenant des montants importants d’annulation de dettes), mais suivait plusieurs années d’évolution positive dans l’ensemble. Depuis, la Belgique ne fait que régresser dans les classements mondiaux en termes de quantité de l’aide : depuis 2010, elle a chuté de la 13e à la 17e place des donateurs en termes absolus, et de la 6e à la 11e place en termes relatifs. En 2017, elle est même tombée sous la moyenne européenne.

Cette réalité d’une aide instable et stagnante est symptomatique du fait que l’augmentation des financements pour la coopération au développement — et l’importance d’honorer ses engagements en la matière — n’a certainement pas été une priorité des ministres successifs de la Coopération belge depuis 2010.

Une aide de plus en plus « fourretout »

Cette stagnation de l’aide publique belge au développement va de pair avec une perte de qualité. Au fil des années, elle a inclus de plus en plus de dépenses dont l’objectif premier n’est pas de contribuer au développement des pays les plus pauvres. L’APD devient de plus en plus « fourretout » puisqu’une part grandissante de cette aide comprend par exemple les frais d’accueil de réfugiés en Belgique, les allègements de dettes, les frais administratifs en Belgique ou les couts imputés des étudiants étrangers. De tels apports sont évidemment nécessaires et louables, mais ne constituent pas des financements additionnels pour le développement durable. En toute logique, ils ne devraient donc pas être comptabilisés comme de l’aide au développement. C’est pourquoi toutes ces dépenses qui gonflent artificiellement l’APD sont parfois dénommées « aides fantôme ».

Cet élargissement de l’APD se reflète par ailleurs dans les chiffres de l’aide belge : la part de « l’aide fantôme » a plus que doublé, passant de 9,5% de l’aide en 2000 à 21% en 2017. La proportion des frais d’accueil des réfugiés en Belgique dans l’APD a particulièrement augmenté ces dernières années. Les dépenses de Fedasil en 2017 constituaient 14% de l’aide totale de la Belgique, alors qu’elles étaient absentes de l’aide en 2000. Depuis trois ans, ces dépenses sont même plus élevées que l’ensemble de la coopération gouvernementale de la DGD, ce qui fait de la Belgique la première bénéficiaire de sa propre aide au développement. Plus généralement, la conséquence de ce « gonflement » superficiel de l’aide est qu’une part de plus en plus grande de l’aide belge est dépensée non pas dans les pays les plus pauvres du monde, mais en Belgique.

Symptôme de cette réalité : les montants de l’aide gérés par les ministères et administrations autres que l’administration de la Coopération belge (DGD) ont fortement augmenté en proportion, passant de 32% en 2000 à 45% de l’aide totale en 2017. Inversement, la proportion des montants de l’aide gérés par la DGD, qui est sous la responsabilité directe du ministre de la Coopération, a diminué, passant de 68% à seulement 55% de 2000 à 2017. Or, c’est cette part de l’aide gérée par la DGD qui est la plus amplement et directement destinée aux pays en développement.

La Belgique championne de l’aide aux pays les moins avancés… ou pas ?

Le fait que la Belgique soit la première bénéficiaire de sa propre aide au développement parait surprenant, vu l’ambition affichée à plusieurs reprises par le ministre actuel de concentrer l’aide belge dans les pays les moins avancés (PMA). Ambition positive, puisque ceux-ci ont à priori le plus besoin de l’aide internationale. Onze des quatorze pays partenaires actuels de la coopération gouvernementale de la Belgique appartiennent à la catégorie des PMA, suivant les critères définis par les Nations unies. Cette ambition a été saluée lors de la publication récente du rapport du Overseas Development Institute, selon lequel la Belgique serait le deuxième donateur le plus efficace contre l’extrême pauvreté dans le monde3.

Néanmoins, qu’en est-il dans la réalité, lorsqu’on regarde les chiffres depuis 2000 ? Les montants de l’aide bilatérale nette (c’est-à-dire l’aide totale ne comprenant pas l’aide multilatérale) belge alloués aux PMA sont passés de 241 millions de dollars américains en 2000 à 398 millions en 2016. Mais cette progression n’est pas linéaire : ces montants ont grandement augmenté en 2003 et 2010, pour diminuer de nouveau entre 2010 et 2016.

Selon les chiffres de l’OCDE, la proportion de l’aide bilatérale nette allouée aux PMA correspondait à 28% en 2000, 38% en 2010, pour régresser à 27% en 2016. Une évolution finalement peu réjouissante en seize ans. D’autant plus que la concentration sur les PMA n’était pas une priorité affichée aussi clairement par le gouvernement en 2000. C’est plus tard que la Belgique a décidé de concentrer son aide dans les PMA. Or, contrairement aux attentes, cette résolution n’a pas eu pour effet d’augmenter la proportion de l’APD bilatérale nette qui leur est destinée : cette part d’APD dans ces pays a même légèrement diminué en seize ans.

Des objectifs migratoires cachés ?

Lorsqu’on analyse l’évolution des dix pays qui reçoivent la plus grande part de l’aide belge depuis 2000, on constate, selon les Development Cooperation Reports successifs de l’OCDE, l’arrivée de pays qui ne font pas partie de la catégorie des PMA : Maroc, Turquie et Territoires palestiniens. En outre, l’analyse des régions privilégiées de la coopération belge montre que celles du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sont devenues les deuxièmes bénéficiaires de l’aide belge, alors qu’elles étaient quatrièmes en 2000. Une telle évolution suscite évidemment la question suivante : l’aide belge n’est-elle pas progressivement utilisée dans le but, avoué ou non, de lutter contre les causes de la migration vers la Belgique ? En ce qui concerne l’immigration hors UE4, le Maroc et la Turquie sont en effet des pays d’où provient une proportion relativement plus importante de migrants vers la Belgique. Une telle orientation ne serait pas surprenante : le projet de loi sur la politique de développement proposé par le ministre De Croo dans le courant de l’année 2018, et tout récemment abandonné, faisait de la lutte contre la migration (irrégulière, est-il parfois précisé) un critère de sélection des pays partenaires de la coopération gouvernementale, un critère d’évaluation de l’aide belge au développement, une condition de l’appui budgétaire, et un objectif de la coopération belge.

Cette tendance est extrêmement présente au niveau européen. On recourt à de nouveaux instruments de financement qui utilisent l’APD européenne pour lutter contre les causes de la migration irrégulière, tels le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique ou le Plan européen d’investissement externe. Si la Belgique faisait progressivement le même choix que l’UE, elle choisirait également de ne plus allouer l’aide en priorité aux pays et aux personnes qui en ont le plus besoin et dont le gouvernement actuel avait pourtant fait sa priorité. De fait, dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique, une aide contre la malnutrition au Niger a été allouée en priorité dans les zones de départ des migrants, au détriment des zones où règne une plus forte prévalence de la faim5.

Allouer l’aide en fonction d’objectifs migratoires à court terme, cela pose un problème éthique, mais c’est aussi contreproductif. Plusieurs études ont déjà démontré que le développement d’un pays augmente les flux d’émigration dans un premier temps, jusqu’à ce qu’il atteigne le stade de pays à revenu intermédiaire, c’est-à-dire un niveau de revenu moyen par habitant de plus de 10.000 dollars américains. Ce n’est qu’au-delà de ce seuil que la corrélation s’inverse6. En d’autres termes, jusqu’à un certain niveau de développement, celui-ci ne réduit pas, mais favorise les migrations dans un premier temps. Évaluer l’efficacité de la politique belge de développement à l’aune de la réduction des flux migratoires à court terme dans les pays partenaires est donc incohérent. Si la Belgique veut permettre à chacun d’avoir le choix de vivre dignement dans son pays d’origine, la vraie solution est qu’elle redouble d’efforts pour mobiliser davantage de moyens pour la coopération au développement à beaucoup plus long terme, en réponse aux besoins des populations les plus pauvres.

Financer l’éducation et la santé dans le Sud ou utiliser l’aide pour subsidier les entreprises belges ?

Dans cette perspective, on peut également s’inquiéter de voir diminuer la part de l’aide attribuée à la santé, l’éducation et autres infrastructures sociales, laquelle a régressé de 42% à 27% entre 2000 et 2016. En termes absolus, ces financements sont d’abord passés de 342 millions de dollars américains en 2000 à 693 millions en 2008, pour ensuite chuter à 361 millions en 2016.

Inversement, l’appui au secteur privé via la société belge d’investissement BIO a débuté en 2001 avec 6 millions d’euros pour augmenter à 44 millions d’euros en 2017. Si les financements en APD alloués à BIO ont fortement fluctué au fil des années (passant, par exemple, de 120 à 6 millions d’euros entre 2011 et 2012), ceci est notamment dû aux dérives de cette société d’investissement. En 2012, il a été démontré qu’elle avait placé plus de 150 millions d’euros dans des fonds d’investissement situés dans des paradis fiscaux.

Le retour à une augmentation et à une stabilisation progressive des financements pour BIO depuis lors n’est pas une surprise : les coopérations internationale, européenne et belge encouragent ouvertement depuis plusieurs années l’utilisation de l’APD pour mobiliser des financements privés additionnels pour le développement durable. Au niveau de l’UE, le nouveau Consensus européen pour le développement est clair : la combinaison de subventions et de prêts, en vue de mobiliser des financements privés supplémentaires, constitue un moyen important de mise en œuvre du programme à l’horizon 2030.

La coopération belge va dans le même sens depuis plusieurs années : l’utilisation de l’aide pour mobiliser le secteur privé dans les pays en développement. Il s’agit d’un objectif prioritaire mentionné dans la Déclaration de politique générale du gouvernement fédéral et dans les récentes notes de politique générale du ministre de la Coopération. De nouvelles modalités de financement de l’aide sont donc apparues prônant des partenariats avec le secteur privé belge en tant qu’acteur de la coopération au développement, comme les humanitarian impact bonds qui ont été créés récemment et qui constituent un partenariat entre les investisseurs privés, l’État belge et la Croix-Rouge. Il en va de même pour la promotion du blending. En décembre 2018, cette utilisation de l’APD comme levier pour attirer les investissements privés dans les pays en développement a mené à la création du « Business Partnership Facility ». Ce nouvel instrument financier permet de subsidier des entreprises belges ou internationales en partenariat avec des organisations de la société civile, le secteur académique ou le secteur public, pour investir dans des pays en développement. D’ailleurs, l’exposé des motifs du projet de loi proposé par le cabinet du ministre De Croo dans le courant de l’année 2018 stipulait clairement que « des subsides peuvent ainsi être versés aux entreprises qui mettent en œuvre des interventions de développement durable, par exemple lorsque les entreprises sont désireuses d’investir dans les pays en développement et d’importer depuis ces pays ».

Cette tendance à privilégier les subsides destinés au secteur privé belge ou international est-elle souhaitable, quand on sait que l’APD belge, pourtant de plus en plus rare, est utilisée à cet effet au lieu d’être investie dans la santé ou l’éducation des pays les plus pauvres ? Au minimum, ne serait-il pas plus cohérent de choisir de soutenir directement le secteur privé local des pays en développement, plutôt que le secteur privé belge ou international ? D’autant plus que le soutien au secteur privé local, notamment les micros, petites et moyennes entreprises des pays en développement, a souvent été affiché comme une priorité de la coopération belge.

En conclusion

Récapitulons les conclusions que l’on peut dégager sur la qualité de l’aide à partir de cette étude des chiffres.

On nous dit que la Belgique est une championne de la coopération au développement, qu’elle est dans le peloton de tête des donateurs au niveau mondial. On nous dit que la Belgique fait le choix louable et courageux de concentrer son aide dans les pays les moins avancés et les États fragiles. On nous dit que l’appui au secteur privé doit aller principalement au secteur privé local et aux micros, petites et moyennes entreprises (MPME) des pays en développement. On nous rappelle continuellement que la Belgique a souscrit à l’Agenda 2030 et aux objectifs de développement durable (ODD), aux engagements internationaux concernant l’objectif des 0,7%, aux principes internationaux de l’efficacité de l’aide et du développement, etc.

De tels engagements politiques sont importants, louables et positifs. Mais l’analyse des chiffres de l’aide belge sur une période de dix-sept ans montre une réalité différente. Elle met en lumière une incohérence entre ces objectifs et l’évolution des montants et instruments financiers mis à disposition d’une véritable coopération au développement.

Son financement est loin d’être une priorité pour la Belgique. Notre pays n’alloue que 0,45% de son RNB à l’aide au développement, en baisse depuis 2010 et « gonflée » artificiellement par d’importants montants qui sont dépensés en Belgique sans constituer des financements additionnels pour le développement des pays les plus pauvres. Le premier pays bénéficiaire de l’aide belge, c’est aujourd’hui… la Belgique elle-même.

Contrairement aux engagements de la Belgique, la proportion de l’aide qu’elle destine aux PMA a diminué depuis 2000. Des objectifs migratoires à court terme semblent aussi avoir éloigné l’aide belge des PMA. Il s’agit d’une pratique contreproductive, doublée de graves problèmes éthiques.

Les chiffres montrent finalement que la proportion de l’aide belge attribuée à la santé et l’éducation dans les pays en développement a aussi diminué. Paradoxalement, on a assisté ces dernières années à la multiplication d’instruments financiers qui utilisent l’aide, pourtant de plus en plus rare, pour subsidier les entreprises belges ou internationales afin de les encourager à investir dans les pays en développement. Or, la coopération belge a stipulé à de nombreuses reprises que l’appui au secteur privé devait soutenir le secteur privé local et les MPME des pays en développement. Autant d’incohérences.

Celles-ci sont d’autant plus inquiétantes qu’elles semblent suggérer que la Belgique évolue vers une instrumentalisation croissante de l’aide au développement pour ses intérêts propres, que ce soit pour enrayer les flux migratoires vers la Belgique ou pour soutenir les entreprises belges, plutôt qu’en réponse aux besoins des populations les plus vulnérables.

Le cœur de l’efficacité de l’aide au développement est pourtant qu’elle serve à améliorer la capacité de collectivités de collaborer, entre elles et avec les autres, pour résoudre les grands problèmes vitaux que leur pose leur vie commune, dans un contexte économique, politique et culturel donné. En s’engageant dans une trajectoire tout autre, la coopération belge ne sera non seulement pas en mesure de répondre aux besoins des populations locales, mais elle s’empêchera ainsi de lutter contre les causes profondes des inégalités mondiales, elles-mêmes source de l’insécurité et des migrations forcées que la Belgique voudrait aujourd’hui limiter.

  1. Les chiffres présentés dans cet article viennent de la base de données de l’OCDE ; des pages « Belgium » des Development Cooperation Reports de l’OCDE 2001, 2011 et 2018 ; des rapports de la DGD 2003, 2011 et 2017 ; des rapports sur l’aide belge au développement du CNCD-11.11.11 des années 2011 et 2018.
  2. Loi-programme de décembre 2002, article 458.
  3. Overseas Development Institute, « Financing the end of extreme poverty », septembre 2018.
  4. Myria (centre fédéral sur les migrations), Myriatics, n°8, novembre 2017.
  5. La Cimade, « Coopération UE-Afrique sur les migrations. Chronique d’un chantage. Décryptage des instruments financiers et politiques de l’Union européenne ».
  6. Clemens M., « Does Development Reduce Migration ? », CGDEV, Working Paper, n°359, mars 2014.

Antoinette van Haute


Auteur

chargée de recherche au CNCD-11.11.11