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Aide au développement, au cœur des controverses

Numéro 1 Janvier 2011 par François Polet

janvier 2011

Après une décennie nonante dominée par la « fatigue de l’aide » et la baisse des montants accordés à la coopération internationale, les pays occidentaux se sont engagés à revoir à la hausse leurs efforts financiers dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement adoptés en 2000. « Partenariat », « appropriation » et « bonne gouvernance » sont les mots d’ordre du nouveau […]

Après une décennie nonante dominée par la « fatigue de l’aide » et la baisse des montants accordés à la coopération internationale, les pays occidentaux se sont engagés à revoir à la hausse leurs efforts financiers dans le cadre des Objectifs du millénaire pour le développement adoptés en 2000. « Partenariat », « appropriation » et « bonne gouvernance » sont les mots d’ordre du nouveau consensus international autour de l’aide ; « lutte contre la pauvreté » et « gestion de la mondialisation » (sécurité, immigration, environnement) en sont les nouvelles finalités. La crise alimentaire de 2007 – 2008 a par ailleurs replacé le soutien à la production agricole en tête des préoccupations de nombreux donateurs.

Pour autant, ce consensus autour de la réhabilitation de l’aide internationale est plus fragile qu’il n’y parait. Avant même l’apparition de la crise économique et financière, et des pressions qu’elle a entrainées sur les budgets des coopérations, l’enthousiasme officiel a été accueilli avec scepticisme dans plusieurs milieux. Or ce scepticisme vis-à-vis de l’opportunité d’une augmentation de l’aide au développement a ceci d’intrigant qu’il est partagé par des courants intellectuels et politiques variés pour des motifs qui ne se recoupent pas, voire s’opposent.

Les économistes libéraux estiment que les ressources « non gagnées » (unearned) de l’aide permettent aux gouvernements aidés de faire l’impasse sur des réformes (libérales) cruciales pour améliorer l’environnement économique de leur pays, ce qui a inhibé les investisseurs internationaux et découragé les entrepreneurs locaux. À l’inverse, du côté progressiste, de plus en plus nombreux sont ceux qui considèrent que l’aide, par le truchement des conditionnalités qui y sont associées, a servi de cheval de Troie à la mondialisation économique dans les pays les plus pauvres, avec des effets catastrophiques en termes de développement qui annulent les effets positifs des projets financés. Par ailleurs, des chercheurs et praticiens de plus en plus nombreux s’inquiètent des effets pervers de la présence massive de l’aide sur les institutions et les processus démocratiques locaux. Une situation de « dépendance à l’aide » prévaut d’après eux dans les pays fortement aidés dans la durée, qui aurait sapé les capacités d’initiative locales.

L’aide n’est pas davantage épargnée par les pouvoirs politiques des pays bénéficiaires, notamment africains. Le retour des souverainetés étatiques auquel on assiste dans beaucoup de pays s’accommode de moins en moins de l’ingérence des bailleurs à tous les niveaux. D’autant que le renchérissement du prix des matières premières et l’arrivée de nouveaux donateurs (Chine, Inde, Brésil, etc.) « moins intrusifs » redonnent des marges de manœuvre aux gouvernements récipiendaires dans leur négociation du degré d’immixtion des bailleurs occidentaux dans leurs politiques intérieures. La Belgique en a fait l’expérience il y a peu en République démocratique du Congo, lorsque le droit de regard sur les « contrats chinois » exigé par notre ministre des Affaires étrangères a provoqué la crispation des responsables congolais et un début de crise diplomatique entre nos deux pays.

Paradoxalement, le malaise vis-à-vis de l’aide se produit à une époque où les bureaucraties de la coopération prennent progressivement acte des limites des formes d’aide traditionnelles et s’emploient (à des degrés divers) à réformer leurs pratiques afin d’en améliorer l’efficacité. « L’augmentation de la quantité doit aller de pair avec une augmentation de la qualité ! », ne cessent de marteler les ministres en charge des budgets de la Coopération.

C’est dans cet esprit qu’un « agenda de l’efficacité » a été mis sur les rails il y a quelques années par les bailleurs de fonds occidentaux. Formalisé lors des conférences de Rome (2003), Paris (2005) et Accra (2008), il s’adresse à la fois aux gouvernements récipiendaires et aux gouvernements donateurs. Aux premiers, il est demandé de s’investir davantage dans la définition de leur stratégie de développement (l’«appropriation ») et de réformer leur mode de gestion des finances publiques dans le sens de la transparence et de l’efficacité (la « gestion axée sur les résultats »). Les deuxièmes sont invités à adopter des modalités d’acheminement de l’aide qui s’alignent davantage sur les stratégies des pays aidés, qui améliorent la coopération entre bailleurs et qui utilisent le plus possible les circuits administratifs et financiers locaux afin de rendre le « leadeurship » du développement aux gouvernements et de renforcer les institutions locales.

Au-delà de la bonne volonté affichée par les uns et les autres, la traduction de cet agenda dans la réalité de la relation « aidants-aidés » suscite la perplexité, tant il implique une redistribution des cartes lourde de risques pour ceux qui, parmi les bailleurs comme au sein des gouvernements aidés, possèdent une influence sur la répartition des ressources financières en question. De quelle manière et dans quelle mesure les nouveaux principes invoqués (appropriation, alignement, responsabilité mutuelle, etc.) ont-ils modifié les pratiques des acteurs en présence ? Les changements engagés ont-ils une portée suffisante pour améliorer le rendement des transferts financiers en termes de développement social et institutionnel… et répondre aux inquiétudes de plus en plus vives quant aux conséquences du phénomène de la « dépendance à l’aide » ? Et l’entrée en scène des donateurs émergents ne condamne-t-elle pas cet agenda jugé par bien des pouvoirs locaux comme une nouvelle étape dans le processus d’immixtion des bailleurs dans des domaines relevant de la souveraineté nationale ?

Ce dossier de La Revue nouvelle propose un échantillon de textes qui, chacun à leur manière, abordent une dimension des controverses qui entourent l’aide publique au développement depuis le tournant du millénaire. Précisons au passage que ces controverses ne visent pas tellement l’aide humanitaire d’urgence ou l’aide fournie par les ONG, mais se concentrent sur l’aide « au développement » fournie par les gouvernements et les institutions internationales (Banque mondiale, Nations unies, banques régionales) aux gouvernements des pays pauvres, c’est-à-dire l’aide « publique » en vue de soutenir le développement économique et social des pays pauvres sur le long terme.

Les approches convoquées dans ce dossier mêlent regards critiques sur les orientations et les pratiques de bailleurs de fonds ayant officiellement fait de l’«appropriation » leur nouveau mot d’ordre, et analyses plus distanciées visant à mettre en évidence les fondements et les motivations des discours critiques « sur » l’aide, les contraintes organisationnelles et politiques auxquelles les acteurs de l’aide publique sont confrontés, en Belgique et ailleurs, dans leur volonté de modifier les routines de la coopération et l’impact des transformations géopolitiques récentes sur la crise de légitimité que traverse le système de l’aide.

Le Cetri

À l’heure de la mondialisation néolibérale, le Cetri (Centre Tricontinental), dont l’équipe a entièrement été renouvelée avec B. Duterme et Fr. Polet, se consacre à l’analyse des pratiques dominantes en matière de développement et des luttes des acteurs du Sud pour la reconnaissance des droits sociaux, politiques, culturels et écologiques.

Chaque livraison de la revue trimestrielle Alternatives Sud est axée sur un thème, abordé à partir de contributions de chercheurs du Sud. Ainsi, la dernière publication (vol. 17 – 2010/3) analyse les pressions de l’agrobusiness sur la terre et les mouvements paysans pour l’accès à celle-ci et à la maitrise des ressources naturelles.

L’État des résistances dans le Sud est une publication annuelle qui offre un panorama des luttes sociales. Le point de vue généraliste a fait place à des analyses par thème (2009 : face à la crise alimentaire) et par régions du monde (2010 : monde arabe). Dans l’édition 2011, consacrée à l’Afrique, les aperçus pays par pays puis les analyses transversales cherchent à comprendre, au-delà des apparences, dans quelle mesure la prolifération des organisations de la « société civile » s’est traduite par l’émergence de contrepouvoirs.

Pour ces publications, comme pour la bibliothèque virtuelle Actualité des mouvements sociaux du Sud, le Centre de documentation et les autres réalisations du Cetri, voir .

François Polet


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