Skip to main content
logo
Lancer la vidéo

Afrique de l’Ouest et ressources maritimes. Prises dans de très gros filets

Numéro 4 - 2017 par Cheyenne Krishan

mai 2017

Les stocks de pois­son des eaux ouest-afri­caines sont déjà sur­ex­ploi­tés, mais rien ne semble arrê­ter la ruée vers l’or des mers.

Articles

Pour les navires de pêche étran­gers, les eaux de l’Afrique de l’Ouest ont long­temps été consi­dé­rées comme un eldo­ra­do aux res­sources inta­ris­sables. Les flottes de pêche indus­trielle ont pris le che­min des mers du Sud lorsque les pêche­ries sur­ex­ploi­tées dans leurs eaux ont com­men­cé à décli­ner. Avec le pois­son deve­nu rare en Médi­ter­ra­née, dans l’Atlantique et dans le Paci­fique Nord, ne sachant que faire de leur capa­ci­té de pêche exces­sive, les grands navires indus­triels ont mis le cap sur les mers tropicales.

Si les eaux ouest-afri­caines attirent de nom­breux pré­ten­dants, c’est parce qu’elles jouissent de condi­tions favo­rables. Entre le Maroc et la Côte d’Ivoire, l’upwelling des Cana­ries, des remon­tées d’eau froide riche en nutri­ments viennent des pro­fon­deurs vers la sur­face et génèrent une efflo­res­cence d’algues qui ali­mentent d’abondantes pêche­ries. La contre­par­tie de cette richesse ? Les cou­rants froids au large des côtes font chu­ter la tem­pé­ra­ture de l’air et empêchent la pluie d’atteindre le pla­teau déser­tique du Sahara.

L’abondance a ses limites. Aujourd’hui, la plu­part des stocks de pois­son au large des côtes du conti­nent sont sur­ex­ploi­tés. Les pêcheurs locaux, dont l’activité est essen­tiel­le­ment arti­sa­nale, assistent impuis­sants au pillage de leurs res­sources. La sur­pêche indus­trielle met en péril l’économie et la sub­sis­tance des popu­la­tions de la région. Des ini­tia­tives pour y mettre fin voient le jour tant au niveau natio­nal qu’au niveau inter­na­tio­nal, mais les résul­tats tardent à se concré­ti­ser. Et le mar­ché mon­dial ne connait pas d’états d’âme. La demande pour les pro­duits halieu­tiques est en plein essor. Les flottes étran­gères, après avoir épui­sé les espèces com­mer­ciales de valeur comme le thon, s’attaquent à pré­sent aux petits péla­giques qui consti­tuent la base de l’alimentation des popu­la­tions ouest-afri­caines et repré­sentent un élé­ment cen­tral de la chaine ali­men­taire de l’espèce.

La pêche, un secteur clé

L’Afrique de l’Ouest, com­po­sée des quinze pays de la Com­mu­nau­té éco­no­mique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Mau­ri­ta­nie, compte plus de 320 mil­lions d’habitants. La région tota­lise 67069 kilo­mètres de côtes qui longent l’Atlantique et le golfe de Gui­née. Une par­tie impor­tante de la popu­la­tion vit sur le lit­to­ral. Dans les pays au nord du golfe de Gui­née — entre la Mau­ri­ta­nie et la Sier­ra Leone — envi­ron 70 % des habi­tants se trouvent sur la côte.

La région dépend de la pêche : à la fois source d’alimentation, de reve­nus et créa­trice de liens sociaux. L’activité est essen­tiel­le­ment arti­sa­nale et peut être divi­sée en plu­sieurs corps de métiers : pêcheurs, arma­teurs, mareyeurs, trans­for­ma­teurs et com­mer­çants. La trans­for­ma­tion, le com­merce, ain­si que le finan­ce­ment des sor­ties en mer sont sou­vent assu­rés par des femmes. Elles entre­tiennent un réseau de dis­tri­bu­tion régio­nal qui s’étend du lit­to­ral vers l’intérieur des terres. On mange du pois­son salé et séché venant du Gha­na ou de la Gui­née au Niger, au Mali et au Burkina-Faso.

Les popu­la­tions ouest-afri­caines consomment prin­ci­pa­le­ment de petites espèces péla­giques : sar­dines, sar­di­nelles, chin­chards. Ces pois­sons consti­tuent une source de pro­téines bon mar­ché. À titre d’exemple, ils repré­sentent la moi­tié de l’apport en pro­téines de la popu­la­tion du Séné­gal et plus de 60 % de celui du Ghana.

Il est pri­mor­dial de pré­ser­ver le sec­teur de la pêche dans une région qui connait de nom­breuses crises sinon à être confron­té à des famines. Cette acti­vi­té attire les popu­la­tions venues de l’intérieur des terres qui fuient le chô­mage et la sèche­resse. « Il y a beau­coup plus de pêcheurs aujourd’hui qu’il y a trente ans », explique Issa Fall, pêcheur de cin­quante-sept ans basé à Soum­be­dioune, dans une com­mune de Dakar. « Pen­dant les années 1980, les gens à l’intérieur du pays ont fui la sèche­resse et sont venus pêcher sur la côte. Depuis, même si les arri­vées sont moins nom­breuses qu’à cette époque, les gens conti­nuent de venir. »

Le sec­teur de la pêche en Afrique de l’Ouest est en crise depuis les années 1990 du fait de l’augmentation du nombre de pirogues, mais sur­tout du nombre de bateaux de pêche indus­triels internationaux.

D’après le Comi­té des pêches pour l’Atlantique Centre-Est (Copace), l’organisation de ges­tion des pêche­ries de la région, sur sep­tante-deux stocks de pois­son ana­ly­sés, cin­quante sont exploi­tés ou sur­ex­ploi­tés. Issa Fall, qui pra­tique la pêche à la ligne avec quatre équi­piers sur une pirogue de neuf mètres, illustre : « Il y a vingt ans, on par­tait une jour­née pour rame­ner quatre-cents kilos de pois­sons. Aujourd’hui, il faut aller plus loin et res­ter en mer quatre jours pour rame­ner moins que cela. »

Com­ment expli­quer la sur­ex­ploi­ta­tion des stocks de pois­son ? « On peut le résu­mer en une phrase », assure Pavel Klinck­ha­mers, chef de pro­jet Océans Afrique de l’Ouest à Green­peace. « Une mau­vaise ges­tion des res­sources de la part des auto­ri­tés et la pêche illé­gale des navires étran­gers qui elle-même est le pro­duit de cette mau­vaise gestion. »

Depuis la signa­ture de la conven­tion de Mon­te­go Bay, en 1982, par les États membres des Nations unies, les pays côtiers exercent leur sou­ve­rai­ne­té sur une zone qui s’étend jusqu’à 200 miles nau­tiques (370 kilo­mètres) du lit­to­ral appe­lée la zone éco­no­mique exclu­sive (ZEE). La Conven­tion pré­voit que les États qui n’ont pas la pos­si­bi­li­té d’exploiter leurs stocks de pois­son cèdent le sur­plus à des pays tiers en leur ven­dant des droits d’accès à leurs ZEE.

Les grandes nations de pêche achètent des droits pour pou­voir cap­tu­rer dans les eaux ouest-afri­caines. Une fois sur place, de nom­breux navires en pro­fitent pour aug­men­ter leur butin et pêchent beau­coup plus que ce qui leur est permis.

Des accords de pêche bila­té­raux sont en cours entre l’Union euro­péenne (UE) et huit pays d’Afrique de la façade atlan­tique : la Côte d’Ivoire, la Mau­ri­ta­nie, le Maroc, le Libe­ria, le Séné­gal, la Gui­née-Bis­sau, le Cap Vert et Sao Tome et Prin­cipe. Ils per­mettent aux navires des États membres de l’UE de pêcher plus de 410000 tonnes de pois­son par an, prin­ci­pa­le­ment du thon, de petites espèces péla­giques, des crus­ta­cés (cre­vettes) et des espèces démer­sales qui vivent à proxi­mi­té du fond. Quelque 60 % du pois­son consom­mé sur le vieux conti­nent sont importés.

Les accords pas­sés entre les États afri­cains et l’Union euro­péenne sont ren­dus publics, mais c’est l’exception plu­tôt que la règle. On ne sait presque rien des contrats conclus entre les pays ouest-afri­cains et les flottes russes, chi­noises, japo­naises ou coréennes. Il est rare que les pro­fes­sion­nels de la pêche arti­sa­nale, pour­tant les pre­miers concer­nés par ces arran­ge­ments, soient consultés.

Les accords pro­fitent-ils aux popu­la­tions et per­mettent-ils une ges­tion durable des stocks ? « Non. Les auto­ri­tés peuvent vendre les mêmes stocks plu­sieurs fois. Le pois­son pris en Mau­ri­ta­nie pour­ra être repris au Séné­gal », regrette Klinck­ha­mers. Ne sachant pas quelle est la teneur exacte des accords, il est dif­fi­cile de faire rendre des comptes aux auto­ri­tés quant à l’argent qu’ils per­çoivent, de savoir la quan­ti­té de pois­son pêché et de déter­mi­ner quelles acti­vi­tés sont légales et quelles acti­vi­tés ne le sont pas.

La pêche illégale

Mal­gré la dif­fi­cul­té d’évaluer la quan­ti­té de pois­son pêchée illé­ga­le­ment, plu­sieurs enquêtes réa­li­sées ces der­nières années mettent en lumière l’étendue des acti­vi­tés illi­cites au large de l’Afrique de l’Ouest.

Après s’être pen­ché sur les pra­tiques illé­gales des navires de pêche de l’UE et ensuite russes, Green­peace a enquê­té sur les acti­vi­tés illé­gales des navires chi­nois. D’après leur rap­port publié en 2015, ils auraient décou­vert « 183 cas avé­rés de pêche illi­cite impli­quant 114 navires bat­tant pavillon chi­nois et/ou appar­te­nant à des entre­prises chi­noises dans seule­ment six pays ouest-afri­cains : la Gam­bie, la Gui­née, la Gui­née-Bis­sau, la Mau­ri­ta­nie, le Séné­gal et la Sier­ra Leone — la liste n’étant pas exhaus­tive ». Alors que seule­ment 13 navires chi­nois opé­raient dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest en 1985, ils étaient plus de 462 en 2013.

L’Environmental Jus­tice Foun­da­tion (EFJ), une ONG de pro­tec­tion de l’environnement et des droits humains, qui enquête régu­liè­re­ment sur la pêche illé­gale, estime que la pêche illi­cite dans le monde cou­te­rait entre 10 mil­liards et 23 mil­liards de dol­lars par an, soit l’équivalent de 11 mil­lions à 26 mil­lions de tonnes de pois­son. L’Afrique de l’Ouest est la zone la plus affec­tée par ce fléau. Selon une enquête de l’EJF, publiée en 2013, les prises illé­gales dans la région repré­sentent 37 % des cap­tures totales soit un manque à gagner annuel qui se situe­rait entre 828 mil­lions et 1,6 mil­liard de dollars.

Des pratiques qui facilitent la surpêche

De nom­breuses astuces per­mettent aux navires de pêcher plus que ce qui leur est per­mis. L’Overseas Deve­lop­ment Ins­ti­tue (ODI), un groupe de réflexion bri­tan­nique spé­cia­li­sé dans le déve­lop­pe­ment, et por­Cau­sa, une orga­ni­sa­tion espa­gnole de jour­na­lisme d’investigation, ont réa­li­sé une enquête publiée l’année der­nière où ils iden­ti­fient deux pra­tiques qui « créent un envi­ron­ne­ment favo­rable à la pêche illi­cite ». Il s’agit du trans­bor­de­ment et de l’utilisation de porte-conteneurs.

Dans le pre­mier cas de figure, les cap­tures de navires de pêche sont trans­bor­dées sur d’immenses bateaux fri­go­ri­fiques cam­pés au large et appe­lés des ree­fers. Le pois­son est conge­lé à bord et peut voya­ger sur de longues dis­tances. En 2013, por­Cau­sa a iden­ti­fié 35 navires fri­go­ri­fiques opé­rant dans les eaux ter­ri­to­riales ouest-afri­caines. Après leur séjour afri­cain, ces navires se sont ren­dus en Espagne, au Japon, aux États-Unis et en Angle­terre. Le trans­bor­de­ment n’est pas illé­gal en soi, mais, d’après le rap­port, « il peut rendre plus com­pli­qué le sui­vi des prises ». Des acti­vi­tés de trans­bor­de­ment ont eu lieu dans les eaux ter­ri­to­riales de la Côte d’Ivoire et du Séné­gal alors que ces deux pays ont inter­dit cette pra­tique dans leur ZEE.

La deuxième source d’inquiétude sou­le­vée par l’ODI concerne l’exportation de pois­son par porte-conte­neurs. Il sem­ble­rait que 84 % des 893187 tonnes de pois­sons expor­tés depuis cette région vers l’Union euro­péenne en 2013 aient été trans­fé­rées sur des bateaux-car­gos en mer. Une fois char­gés, les navires se rendent vers des grands ports. Or, ces porte-conte­neurs « sont sou­mis à des ins­pec­tions moins strictes » que les bateaux de pêche qui rentrent au port.

Les conte­neurs à des­ti­na­tion de l’Europe débarquent dans le port espa­gnol de Las Pal­mas. « En 2013, 349 voyages ont été effec­tués à par­tir de des­ti­na­tions comme le Séné­gal, la Mau­ri­ta­nie, le Maroc, l’Angola et l’Afrique du Sud », rap­pelle l’ODI. L’EFJ dans un repor­tage vidéo réa­li­sé sur la pêche illi­cite pré­cise que « Las Pal­mas est iden­ti­fié par les navires liés à la pêche illé­gale comme étant un port où le régime d’inspection est très laxiste ».

Tou­jours d’après le rap­port de l’ODI, ces deux méca­nismes contri­buent à ali­men­ter un manque à gagner esti­mé à 1,3 mil­liard de dol­lars par an en Afrique de l’Ouest. Limi­ter la pêche illi­cite « pour­rait favo­ri­ser la créa­tion de 300000 emplois sup­plé­men­taires » dans la région. Et les bateaux locaux pour­raient géné­rer 3,3 mil­liards de dol­lars de chiffre d’affaires s’ils pêchaient et expor­taient eux-mêmes le pois­son. Cela repré­sen­te­rait huit fois plus de reve­nus que ce qu’engendre l’attribution de droits à des opé­ra­teurs étran­gers qui, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ne rap­porte que 400 mil­lions de dol­lars par an au conti­nent africain.

La pêche minotière aggrave une situation précaire

Un phé­no­mène rela­ti­ve­ment nou­veau vient s’ajouter à la liste des élé­ments qui donnent lieu la sur­ex­ploi­ta­tion des eaux ouest-afri­caines. « Il y a quatre ou cinq ans, les bateaux pêchaient le pois­son pour qu’il soit consom­mé par des humains, mais depuis quelques années, on voit appa­raitre des usines de trans­for­ma­tion de pois­son tout le long de la côte, sur­tout en Mau­ri­ta­nie », explique Pavel Klinckhamers.

La pêche dite « mino­tière » cap­ture de petites espèces de pois­sons sau­vages pour les trans­for­mer en farine et en huile qui servent à l’alimentation des pois­sons et d’autres ani­maux d’élevage. L’activité est en pleine expan­sion. Depuis quelques années, des usines de trans­for­ma­tion de pois­son appa­raissent le long des côtes du Séné­gal, de la Mau­ri­ta­nie et du Maroc. Fin 2016, qua­torze usines avaient déjà été construites au Séné­gal, vingt-huit en Mau­ri­ta­nie et vingt-deux au Maroc.

Un rap­port publié au mois de février der­nier par Bloom, une orga­ni­sa­tion non gou­ver­ne­men­tale de pro­tec­tion des océans, montre que le déve­lop­pe­ment de cette pêche résulte du déclin des stocks de pois­son sau­vage « noble ». On pêche doré­na­vant les petits péla­giques pour nour­rir d’autres espèces très appré­ciées des consom­ma­teurs occi­den­taux et asia­tiques — le sau­mon, le thon, la dau­rade — qui ont dis­pa­ru de leur milieu natu­rel, mais que l’on retrouve dans les fermes d’aquaculture. Aujourd’hui, la moi­tié du pois­son consom­mé dans le monde pro­vient de l’élevage. Et ce n’est pas tout. Les farines et les huiles de pois­sons sont éga­le­ment uti­li­sées pour nour­rir les porcs et les poulets.

Avec l’envol de la demande mon­diale pour le pois­son et la viande, de petites espèces de pois­sons long­temps igno­rées par les ache­teurs étran­gers sont doré­na­vant très pri­sées. « Avant l’arrivée des usines (en 2014), la ména­gère séné­ga­laise pou­vait ache­ter une assiette de pois­son pour 50 FCFA. Aujourd’hui avec ce fléau, les prix du pois­son ont aug­men­té, elle doit payer 250 FCFA », s’insurge Issa Fall.

Les femmes qui, tra­di­tion­nel­le­ment, ache­taient les petites espèces pour les sécher et les fumer avant de les dis­tri­buer dans la région, se trouvent écar­tées du mar­ché et sans emploi. La hausse des prix et la pénu­rie de pois­son mettent en péril la sub­sis­tance des popu­la­tions. De nom­breuses per­sonnes qui occupent des emplois liés à la pêche se retrouvent au chô­mage. Cette pro­blé­ma­tique affecte toute la région même des pays non côtiers, comme le Bur­ki­na Faso où la mal­nu­tri­tion est endé­mique. La popu­la­tion se retrouve ain­si pri­vée d’une de ses prin­ci­pales sources de pro­téines. La sur­pêche entre­tient aus­si le phé­no­mène d’émigration de nom­breuses popu­la­tions côtières.

Des solutions ?

Afin de pré­ve­nir une catas­trophe, les États de l’Afrique de l’Ouest doivent impé­ra­ti­ve­ment contrô­ler la pêche dans leurs eaux. Les béné­fices per­çus par la vente de droits de pêche à des navires étran­gers sont déri­soires si on les com­pare aux pertes liées à la pêche illé­gale et aux avan­tages qui pour­raient être pro­duits si les popu­la­tions côtières pêchaient et expor­taient elles-mêmes leur pois­son de manière durable. « On entend sou­vent dire que les États côtiers n’ont pas les moyens de sur­veiller leur ZEE pour pré­ve­nir la pêche illé­gale. Mais pre­nez l’exemple de la Mau­ri­ta­nie, ils ont signé un accord avec l’UE qui vaut 55 mil­lions de dol­lars. Une par­tie de cet argent pour­rait être uti­li­sée pour sur­veiller les eaux », com­mente Pavel Klinckhamers.

La lutte contre la pêche illé­gale pro­gresse dans la région. Les auto­ri­tés des nations côtières sou­vent bous­cu­lées par la colère de leurs pêcheurs et la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale ont mis en place une série d’initiatives pour essayer de limi­ter la pêche illégale.

À titre d’exemple, la Sier­ra Leone et le Libe­ria ont ins­tau­ré des zones de six miles inter­dites d’accès aux cha­lu­tiers et aux autres navires de grande taille. La Côte d’Ivoire et le Séné­gal ont inter­dit le trans­bor­de­ment dans leurs eaux ter­ri­to­riales. En 2014, le Séné­gal a arrai­son­né un cha­lu­tier russe pris en fla­grant délit de pêche illé­gale. Le Gha­na a intro­duit des mesures contre la pêche illi­cite. Les navires qui pêchent dans leurs eaux devront être enre­gis­trés auprès de l’Organisation mari­time inter­na­tio­nale et les amendes pour ceux pris en train de pêcher illé­ga­le­ment pas­se­ront de 100000 à 1 mil­lion de dollars.

Au niveau régio­nal, 31 États afri­cains ont adop­té fin 2016 à Lomé (Togo) une charte pour lut­ter contre la pira­te­rie et la pêche illé­gale. Elle pré­voit une coopé­ra­tion entre États et le finan­ce­ment d’un fonds spé­cial de lutte contre la pêche illi­cite. La Mau­ri­ta­nie a contri­bué en 2015 à la créa­tion de la Fishe­ries Trans­pa­ren­cy Ini­tia­tive (FITI), avec pour objec­tif de résoudre le manque chro­nique de trans­pa­rence dans le sec­teur de la pêche. On ne sait pas qui pêche, ce qui est pêché, les reve­nus per­çus en échange des droits de pêche ni la taille des stocks pou­vant être pêchés de manière durable. Autant d’incertitudes qui minent toutes les prises de décision.

Au niveau inter­na­tio­nal, l’accord rela­tif aux mesures du res­sort de l’État du port, entré en vigueur au mois de juin 2016, qui vise à pré­ve­nir et à éli­mi­ner la pêche illi­cite et qui per­met aux pays côtiers de rete­nir des navires et leurs prises pêchées dans les eaux d’autres pays, repré­sente éga­le­ment une avancée.

L’Union euro­péenne a essayé de prendre des dis­po­si­tions pour empê­cher les prises illé­gales d’entrer par porte-conte­neur sur son ter­ri­toire. Une loi est entrée en vigueur en 2010 pour que chaque conte­neur soit accom­pa­gné d’un cer­ti­fi­cat qui détaille l’origine de la pêche et le pavillon du bateau qui a effec­tué la prise. Les États sont cen­sés véri­fier et approu­ver les infor­ma­tions avant que le cer­ti­fi­cat ne soit déli­vré. Mais il sem­ble­rait qu’une par­tie des cer­ti­fi­cats soit fal­si­fiée ou émise sans vérifications.

Reste à savoir si ces avan­cées par­tielles qui concernent sur­tout la pêche illé­gale seront suf­fi­santes pour pro­té­ger les popu­la­tions ouest-afri­caines et leurs eaux côtières face à l’appétit du mar­ché mon­dial pour les pro­duits halieu­tiques. Pour Issa Fall qui pêche au Séné­gal depuis trois décen­nies : « Il faut que les gou­ver­ne­ments arrêtent de vendre des auto­ri­sa­tions aux pêcheurs étran­gers, il faut qu’ils inter­disent la construc­tion d’usines de trans­for­ma­tion de pois­son dans nos pays et il faut qu’ils régulent l’accès des pêcheurs locaux à la mer. Sans quoi, je ne sais pas ce qui va arriver. »

Cheyenne Krishan


Auteur

Cheyenne Krishan est journaliste/vidéaste freelance, spécialiste en questions de pêche industrielle et d’Afrique de l’Ouest. Elle a effectué des reportages pour des médias belges et internationaux. Elle a également été chargée de communications pour MSF au Niger et cofondatrice d’une entreprise de produits fermiers belges.