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Afrique de l’Ouest et ressources maritimes. Prises dans de très gros filets
Les stocks de poisson des eaux ouest-africaines sont déjà surexploités, mais rien ne semble arrêter la ruée vers l’or des mers.
Pour les navires de pêche étrangers, les eaux de l’Afrique de l’Ouest ont longtemps été considérées comme un eldorado aux ressources intarissables. Les flottes de pêche industrielle ont pris le chemin des mers du Sud lorsque les pêcheries surexploitées dans leurs eaux ont commencé à décliner. Avec le poisson devenu rare en Méditerranée, dans l’Atlantique et dans le Pacifique Nord, ne sachant que faire de leur capacité de pêche excessive, les grands navires industriels ont mis le cap sur les mers tropicales.
Si les eaux ouest-africaines attirent de nombreux prétendants, c’est parce qu’elles jouissent de conditions favorables. Entre le Maroc et la Côte d’Ivoire, l’upwelling des Canaries, des remontées d’eau froide riche en nutriments viennent des profondeurs vers la surface et génèrent une efflorescence d’algues qui alimentent d’abondantes pêcheries. La contrepartie de cette richesse ? Les courants froids au large des côtes font chuter la température de l’air et empêchent la pluie d’atteindre le plateau désertique du Sahara.
L’abondance a ses limites. Aujourd’hui, la plupart des stocks de poisson au large des côtes du continent sont surexploités. Les pêcheurs locaux, dont l’activité est essentiellement artisanale, assistent impuissants au pillage de leurs ressources. La surpêche industrielle met en péril l’économie et la subsistance des populations de la région. Des initiatives pour y mettre fin voient le jour tant au niveau national qu’au niveau international, mais les résultats tardent à se concrétiser. Et le marché mondial ne connait pas d’états d’âme. La demande pour les produits halieutiques est en plein essor. Les flottes étrangères, après avoir épuisé les espèces commerciales de valeur comme le thon, s’attaquent à présent aux petits pélagiques qui constituent la base de l’alimentation des populations ouest-africaines et représentent un élément central de la chaine alimentaire de l’espèce.
La pêche, un secteur clé
L’Afrique de l’Ouest, composée des quinze pays de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et de la Mauritanie, compte plus de 320 millions d’habitants. La région totalise 67069 kilomètres de côtes qui longent l’Atlantique et le golfe de Guinée. Une partie importante de la population vit sur le littoral. Dans les pays au nord du golfe de Guinée — entre la Mauritanie et la Sierra Leone — environ 70 % des habitants se trouvent sur la côte.
La région dépend de la pêche : à la fois source d’alimentation, de revenus et créatrice de liens sociaux. L’activité est essentiellement artisanale et peut être divisée en plusieurs corps de métiers : pêcheurs, armateurs, mareyeurs, transformateurs et commerçants. La transformation, le commerce, ainsi que le financement des sorties en mer sont souvent assurés par des femmes. Elles entretiennent un réseau de distribution régional qui s’étend du littoral vers l’intérieur des terres. On mange du poisson salé et séché venant du Ghana ou de la Guinée au Niger, au Mali et au Burkina-Faso.
Les populations ouest-africaines consomment principalement de petites espèces pélagiques : sardines, sardinelles, chinchards. Ces poissons constituent une source de protéines bon marché. À titre d’exemple, ils représentent la moitié de l’apport en protéines de la population du Sénégal et plus de 60 % de celui du Ghana.
Il est primordial de préserver le secteur de la pêche dans une région qui connait de nombreuses crises sinon à être confronté à des famines. Cette activité attire les populations venues de l’intérieur des terres qui fuient le chômage et la sècheresse. « Il y a beaucoup plus de pêcheurs aujourd’hui qu’il y a trente ans », explique Issa Fall, pêcheur de cinquante-sept ans basé à Soumbedioune, dans une commune de Dakar. « Pendant les années 1980, les gens à l’intérieur du pays ont fui la sècheresse et sont venus pêcher sur la côte. Depuis, même si les arrivées sont moins nombreuses qu’à cette époque, les gens continuent de venir. »
Le secteur de la pêche en Afrique de l’Ouest est en crise depuis les années 1990 du fait de l’augmentation du nombre de pirogues, mais surtout du nombre de bateaux de pêche industriels internationaux.
D’après le Comité des pêches pour l’Atlantique Centre-Est (Copace), l’organisation de gestion des pêcheries de la région, sur septante-deux stocks de poisson analysés, cinquante sont exploités ou surexploités. Issa Fall, qui pratique la pêche à la ligne avec quatre équipiers sur une pirogue de neuf mètres, illustre : « Il y a vingt ans, on partait une journée pour ramener quatre-cents kilos de poissons. Aujourd’hui, il faut aller plus loin et rester en mer quatre jours pour ramener moins que cela. »
Comment expliquer la surexploitation des stocks de poisson ? « On peut le résumer en une phrase », assure Pavel Klinckhamers, chef de projet Océans Afrique de l’Ouest à Greenpeace. « Une mauvaise gestion des ressources de la part des autorités et la pêche illégale des navires étrangers qui elle-même est le produit de cette mauvaise gestion. »
Depuis la signature de la convention de Montego Bay, en 1982, par les États membres des Nations unies, les pays côtiers exercent leur souveraineté sur une zone qui s’étend jusqu’à 200 miles nautiques (370 kilomètres) du littoral appelée la zone économique exclusive (ZEE). La Convention prévoit que les États qui n’ont pas la possibilité d’exploiter leurs stocks de poisson cèdent le surplus à des pays tiers en leur vendant des droits d’accès à leurs ZEE.
Les grandes nations de pêche achètent des droits pour pouvoir capturer dans les eaux ouest-africaines. Une fois sur place, de nombreux navires en profitent pour augmenter leur butin et pêchent beaucoup plus que ce qui leur est permis.
Des accords de pêche bilatéraux sont en cours entre l’Union européenne (UE) et huit pays d’Afrique de la façade atlantique : la Côte d’Ivoire, la Mauritanie, le Maroc, le Liberia, le Sénégal, la Guinée-Bissau, le Cap Vert et Sao Tome et Principe. Ils permettent aux navires des États membres de l’UE de pêcher plus de 410000 tonnes de poisson par an, principalement du thon, de petites espèces pélagiques, des crustacés (crevettes) et des espèces démersales qui vivent à proximité du fond. Quelque 60 % du poisson consommé sur le vieux continent sont importés.
Les accords passés entre les États africains et l’Union européenne sont rendus publics, mais c’est l’exception plutôt que la règle. On ne sait presque rien des contrats conclus entre les pays ouest-africains et les flottes russes, chinoises, japonaises ou coréennes. Il est rare que les professionnels de la pêche artisanale, pourtant les premiers concernés par ces arrangements, soient consultés.
Les accords profitent-ils aux populations et permettent-ils une gestion durable des stocks ? « Non. Les autorités peuvent vendre les mêmes stocks plusieurs fois. Le poisson pris en Mauritanie pourra être repris au Sénégal », regrette Klinckhamers. Ne sachant pas quelle est la teneur exacte des accords, il est difficile de faire rendre des comptes aux autorités quant à l’argent qu’ils perçoivent, de savoir la quantité de poisson pêché et de déterminer quelles activités sont légales et quelles activités ne le sont pas.
La pêche illégale
Malgré la difficulté d’évaluer la quantité de poisson pêchée illégalement, plusieurs enquêtes réalisées ces dernières années mettent en lumière l’étendue des activités illicites au large de l’Afrique de l’Ouest.
Après s’être penché sur les pratiques illégales des navires de pêche de l’UE et ensuite russes, Greenpeace a enquêté sur les activités illégales des navires chinois. D’après leur rapport publié en 2015, ils auraient découvert « 183 cas avérés de pêche illicite impliquant 114 navires battant pavillon chinois et/ou appartenant à des entreprises chinoises dans seulement six pays ouest-africains : la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Leone — la liste n’étant pas exhaustive ». Alors que seulement 13 navires chinois opéraient dans les eaux de l’Afrique de l’Ouest en 1985, ils étaient plus de 462 en 2013.
L’Environmental Justice Foundation (EFJ), une ONG de protection de l’environnement et des droits humains, qui enquête régulièrement sur la pêche illégale, estime que la pêche illicite dans le monde couterait entre 10 milliards et 23 milliards de dollars par an, soit l’équivalent de 11 millions à 26 millions de tonnes de poisson. L’Afrique de l’Ouest est la zone la plus affectée par ce fléau. Selon une enquête de l’EJF, publiée en 2013, les prises illégales dans la région représentent 37 % des captures totales soit un manque à gagner annuel qui se situerait entre 828 millions et 1,6 milliard de dollars.
Des pratiques qui facilitent la surpêche
De nombreuses astuces permettent aux navires de pêcher plus que ce qui leur est permis. L’Overseas Development Institue (ODI), un groupe de réflexion britannique spécialisé dans le développement, et porCausa, une organisation espagnole de journalisme d’investigation, ont réalisé une enquête publiée l’année dernière où ils identifient deux pratiques qui « créent un environnement favorable à la pêche illicite ». Il s’agit du transbordement et de l’utilisation de porte-conteneurs.
Dans le premier cas de figure, les captures de navires de pêche sont transbordées sur d’immenses bateaux frigorifiques campés au large et appelés des reefers. Le poisson est congelé à bord et peut voyager sur de longues distances. En 2013, porCausa a identifié 35 navires frigorifiques opérant dans les eaux territoriales ouest-africaines. Après leur séjour africain, ces navires se sont rendus en Espagne, au Japon, aux États-Unis et en Angleterre. Le transbordement n’est pas illégal en soi, mais, d’après le rapport, « il peut rendre plus compliqué le suivi des prises ». Des activités de transbordement ont eu lieu dans les eaux territoriales de la Côte d’Ivoire et du Sénégal alors que ces deux pays ont interdit cette pratique dans leur ZEE.
La deuxième source d’inquiétude soulevée par l’ODI concerne l’exportation de poisson par porte-conteneurs. Il semblerait que 84 % des 893187 tonnes de poissons exportés depuis cette région vers l’Union européenne en 2013 aient été transférées sur des bateaux-cargos en mer. Une fois chargés, les navires se rendent vers des grands ports. Or, ces porte-conteneurs « sont soumis à des inspections moins strictes » que les bateaux de pêche qui rentrent au port.
Les conteneurs à destination de l’Europe débarquent dans le port espagnol de Las Palmas. « En 2013, 349 voyages ont été effectués à partir de destinations comme le Sénégal, la Mauritanie, le Maroc, l’Angola et l’Afrique du Sud », rappelle l’ODI. L’EFJ dans un reportage vidéo réalisé sur la pêche illicite précise que « Las Palmas est identifié par les navires liés à la pêche illégale comme étant un port où le régime d’inspection est très laxiste ».
Toujours d’après le rapport de l’ODI, ces deux mécanismes contribuent à alimenter un manque à gagner estimé à 1,3 milliard de dollars par an en Afrique de l’Ouest. Limiter la pêche illicite « pourrait favoriser la création de 300000 emplois supplémentaires » dans la région. Et les bateaux locaux pourraient générer 3,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires s’ils pêchaient et exportaient eux-mêmes le poisson. Cela représenterait huit fois plus de revenus que ce qu’engendre l’attribution de droits à des opérateurs étrangers qui, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ne rapporte que 400 millions de dollars par an au continent africain.
La pêche minotière aggrave une situation précaire
Un phénomène relativement nouveau vient s’ajouter à la liste des éléments qui donnent lieu la surexploitation des eaux ouest-africaines. « Il y a quatre ou cinq ans, les bateaux pêchaient le poisson pour qu’il soit consommé par des humains, mais depuis quelques années, on voit apparaitre des usines de transformation de poisson tout le long de la côte, surtout en Mauritanie », explique Pavel Klinckhamers.
La pêche dite « minotière » capture de petites espèces de poissons sauvages pour les transformer en farine et en huile qui servent à l’alimentation des poissons et d’autres animaux d’élevage. L’activité est en pleine expansion. Depuis quelques années, des usines de transformation de poisson apparaissent le long des côtes du Sénégal, de la Mauritanie et du Maroc. Fin 2016, quatorze usines avaient déjà été construites au Sénégal, vingt-huit en Mauritanie et vingt-deux au Maroc.
Un rapport publié au mois de février dernier par Bloom, une organisation non gouvernementale de protection des océans, montre que le développement de cette pêche résulte du déclin des stocks de poisson sauvage « noble ». On pêche dorénavant les petits pélagiques pour nourrir d’autres espèces très appréciées des consommateurs occidentaux et asiatiques — le saumon, le thon, la daurade — qui ont disparu de leur milieu naturel, mais que l’on retrouve dans les fermes d’aquaculture. Aujourd’hui, la moitié du poisson consommé dans le monde provient de l’élevage. Et ce n’est pas tout. Les farines et les huiles de poissons sont également utilisées pour nourrir les porcs et les poulets.
Avec l’envol de la demande mondiale pour le poisson et la viande, de petites espèces de poissons longtemps ignorées par les acheteurs étrangers sont dorénavant très prisées. « Avant l’arrivée des usines (en 2014), la ménagère sénégalaise pouvait acheter une assiette de poisson pour 50 FCFA. Aujourd’hui avec ce fléau, les prix du poisson ont augmenté, elle doit payer 250 FCFA », s’insurge Issa Fall.
Les femmes qui, traditionnellement, achetaient les petites espèces pour les sécher et les fumer avant de les distribuer dans la région, se trouvent écartées du marché et sans emploi. La hausse des prix et la pénurie de poisson mettent en péril la subsistance des populations. De nombreuses personnes qui occupent des emplois liés à la pêche se retrouvent au chômage. Cette problématique affecte toute la région même des pays non côtiers, comme le Burkina Faso où la malnutrition est endémique. La population se retrouve ainsi privée d’une de ses principales sources de protéines. La surpêche entretient aussi le phénomène d’émigration de nombreuses populations côtières.
Des solutions ?
Afin de prévenir une catastrophe, les États de l’Afrique de l’Ouest doivent impérativement contrôler la pêche dans leurs eaux. Les bénéfices perçus par la vente de droits de pêche à des navires étrangers sont dérisoires si on les compare aux pertes liées à la pêche illégale et aux avantages qui pourraient être produits si les populations côtières pêchaient et exportaient elles-mêmes leur poisson de manière durable. « On entend souvent dire que les États côtiers n’ont pas les moyens de surveiller leur ZEE pour prévenir la pêche illégale. Mais prenez l’exemple de la Mauritanie, ils ont signé un accord avec l’UE qui vaut 55 millions de dollars. Une partie de cet argent pourrait être utilisée pour surveiller les eaux », commente Pavel Klinckhamers.
La lutte contre la pêche illégale progresse dans la région. Les autorités des nations côtières souvent bousculées par la colère de leurs pêcheurs et la communauté internationale ont mis en place une série d’initiatives pour essayer de limiter la pêche illégale.
À titre d’exemple, la Sierra Leone et le Liberia ont instauré des zones de six miles interdites d’accès aux chalutiers et aux autres navires de grande taille. La Côte d’Ivoire et le Sénégal ont interdit le transbordement dans leurs eaux territoriales. En 2014, le Sénégal a arraisonné un chalutier russe pris en flagrant délit de pêche illégale. Le Ghana a introduit des mesures contre la pêche illicite. Les navires qui pêchent dans leurs eaux devront être enregistrés auprès de l’Organisation maritime internationale et les amendes pour ceux pris en train de pêcher illégalement passeront de 100000 à 1 million de dollars.
Au niveau régional, 31 États africains ont adopté fin 2016 à Lomé (Togo) une charte pour lutter contre la piraterie et la pêche illégale. Elle prévoit une coopération entre États et le financement d’un fonds spécial de lutte contre la pêche illicite. La Mauritanie a contribué en 2015 à la création de la Fisheries Transparency Initiative (FITI), avec pour objectif de résoudre le manque chronique de transparence dans le secteur de la pêche. On ne sait pas qui pêche, ce qui est pêché, les revenus perçus en échange des droits de pêche ni la taille des stocks pouvant être pêchés de manière durable. Autant d’incertitudes qui minent toutes les prises de décision.
Au niveau international, l’accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port, entré en vigueur au mois de juin 2016, qui vise à prévenir et à éliminer la pêche illicite et qui permet aux pays côtiers de retenir des navires et leurs prises pêchées dans les eaux d’autres pays, représente également une avancée.
L’Union européenne a essayé de prendre des dispositions pour empêcher les prises illégales d’entrer par porte-conteneur sur son territoire. Une loi est entrée en vigueur en 2010 pour que chaque conteneur soit accompagné d’un certificat qui détaille l’origine de la pêche et le pavillon du bateau qui a effectué la prise. Les États sont censés vérifier et approuver les informations avant que le certificat ne soit délivré. Mais il semblerait qu’une partie des certificats soit falsifiée ou émise sans vérifications.
Reste à savoir si ces avancées partielles qui concernent surtout la pêche illégale seront suffisantes pour protéger les populations ouest-africaines et leurs eaux côtières face à l’appétit du marché mondial pour les produits halieutiques. Pour Issa Fall qui pêche au Sénégal depuis trois décennies : « Il faut que les gouvernements arrêtent de vendre des autorisations aux pêcheurs étrangers, il faut qu’ils interdisent la construction d’usines de transformation de poisson dans nos pays et il faut qu’ils régulent l’accès des pêcheurs locaux à la mer. Sans quoi, je ne sais pas ce qui va arriver. »