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Adieu, de Hugo Claus

Numéro 07/8 Juillet-Août 2008 par Vanasten

juillet 2008

Considéré comme un des plus grands écrivains belges contemporains de langue néerlandaise, Hugo Claus entre aussi dans l’histoire comme une des premières personnalités publiques en Belgique à avoir usé du droit à l’euthanasie active pour mourir.

« Attrape-moi si tu le peux »

Il l’avait déjà répété plus d’une fois, l’instant de sa mort. En 1955 déjà, à l’occasion de son premier mariage, le poète Jan Walravens lui avait servi durant les festivités, au café-estaminet La Fleur en papier doré à Bruxelles, un discours surréaliste, dont l’anecdote est restée célèbre, autour de sa propre mort. Walravens s’était glissé dans la peau d’un académicien verni qui, feignant de se trouver devant la tombe d’un Claus devenu centenaire, passait en revue les décennies de sa longue et brillante carrière. Louis Paul Boon, cette autre fi gure importante des lettres fl amandes d’après-guerre, également de la partie, rapporta plus tard que la soixantaine de Claus sonnait, dans le discours de Walravens, l’heure du prix Nobel. Comme on le sait, Claus ne le reçut jamais, bien qu’il fût, comme Boon d’ailleurs, plusieurs fois pressenti pour la prestigieuse distinction. Quoi qu’il en soit, dans la langue et l’univers artistique de l’écrivain Hugo Claus, la mort aurait lieu à diverses reprises. Son imaginaire s’y était heurté très tôt déjà, tandis que l’adolescent de treize-quatorze ans trébuchait dans les rues de Flandre occidentale sur les mutilés, mourants et cadavres laissés par la Seconde Guerre mondiale. « Mijn dierbaarste vrienden / heb ik zien sneuvelen / Ik heb de bommenwerpers zien / dalen / De treinen vol soldaten / zien verschroeien. » (« Apollinaire revisited »). Son oeuvre romanesque magistrale, Le chagrin des Belges (1983), puise largement dans les sinuosités du vécu et du souvenir de ce sol ouestfl amand puant les cadavres :

« Papa hielp zwaar gewonden in een vrachtwagen laden. De muren laaiden, roetwolken daalden over krijsende mensen, meestal soldaten. Er was iets mis met de sirene. Alhoewel de bommenwerpers al meer dan een uur verdwenen waren, stootte zij nog af en toe amechtig jankende klaagtonen uit. Alle soldaten, ook de niet getroffenen, schreeuwden, verspreid, zoekend, tussen de hompen vlees. Twee kerken Adieu, de Hugo Claus Considéré comme un des plus grands écrivains belges contemporains de langue néerlandaise, Hugo Claus entre aussi dans l’histoire comme une des premières personnalités publiques en Belgique à avoir usé du droit à l’euthanasie active pour mourir. STÉPHANIE VANASTEN 77 ADIEU, DE HUGO CLAUS article waren geraakt, zei men, van het station was niet veel meer over. De soldaten waren in korte kakibroeken gekleed, de meesten waren op weg naar huis na twee jaar » (p. 566).

« Papa aidait à charger les blessés graves dans un camion. Les murs fumaient, des nuages de suie tombaient sur des gens gémissants, des soldats pour la plupart. Quelque chose s’était déréglé à la sirène. Bien que les bombardiers eussent déjà disparu depuis une heure, elle poussait encore de temps à autre des plaintes lamentables. Tous les soldats, même ceux qui n’avaient pas été touchés, criaient, éparpillés, à la recherche de quelque chose, entre les tas de chair. Deux églises avaient été atteintes, disait-on, il ne restait pas grand-chose de la gare. Les soldats étaient en culottes courtes kaki, la plupart étaient en route vers la maison après deux ans d’absence » (p. 443).

Dans ses textes, c’est-à-dire dans la langue néerlandaise qu’il avait choisi de faire sienne, matérielle et colorée par le parler des gens de la rue, saillante de faux-semblants du quotidien, innervée en profondeur d’émotions vives en interaction avec des images-symboles de la littérature mondiale, dans cette langue tantôt théâtrale et bombastique, tantôt truculente et presque infantile, toujours en métamorphose d’un texte à un autre, il arrivait à Hugo Claus de travailler la mort mais pour se l’approprier, en vue de son exécution dans l’espace public de ses livres.

Claus défi ait artistiquement la mort, aussi sa propre mort. Septuagénaire, il se plaisait à dire lors d’entretiens qu’il lui riait au visage. Et il se jouait de facto d’elle en de multiples mots de fi ction et de poésie. Plus tard, déjà malade, ayant esquivé leur rencontre à quelques reprises, il déclara dans une interview, non sans évocation amoureuse, qu’elle attendrait maintenant qu’il passe. Qu’il daigne passer. « Pak me maar als je kunt. Zolang ik hier ben, zolang ik kan zién, heb ik jou, maar heb jij mij niet, précisait-il. Prends-moi, attrape-moi donc si tu le peux, comme le dirait un enfant. Tant que je suis ici, tant que je peux voir, je t’ai toi, tel un lieu, parmi d’autres, à disposition de la poésie, un motif d’écriture, un thème mélodique, un bloc d’argile dans lequel modeler et façonner du matériau verbal, comme il le dira ailleurs — mais toi tu ne m’as pas. Claus croyait ferme posséder la mort, comme la vie, du vivant, posséderait la mort, sans qu’une réciprocité ne s’installe : tant que la mort n’avait pas mainmise sur la vie, elle ne le posséderait pas, s’était-il promis. Telle était peut-être la fi guration de la mort chez le littérateur Hugo Claus : une redistribution, sur l’envers, de sa conception de la vie elle-même. Choisir et décider délibérément soi-même, vénération absolue du libre-arbitre, de la liberté de l’individu et de sa souveraineté. Toujours pouvoir s’échapper face à une contrainte insupportable.

C’est en ces termes vitaux que Hugo Claus a fait sien son adieu à la vie, le 19 mars dernier à l’hôpital Middelheim d’Anvers, à l’âge de septante-huit ans. Claus choisit de mettre fi n à la maladie d’Alzheimer dont il souffrait, par euthanasie, rendue possible, sous certaines conditions, par sa dépénalisation avec la loi belge du 28 mai 2002. En quelque sorte, il prenait là son ultime revanche sur la vie, lui qui, né par césarienne à l’hôpital Saint-Jean de Bruges le 5 avril 1929, avait toujours chargé symboliquement l’événement de sa naissance en affi rmant avoir été à contrecoeur jeté dans ce monde, sans avoir manifesté la moindre intention de naître. Cette fois, il déciderait lui-même de son intention de mourir, lorsque le mal s’avérerait incurable et la souffrance irréversible. Sa mort relaye, en leur prêtant une voix, et non des moindres, l’anonymat de beaucoup de ses concitoyens qui l’ont précédé dans ce choix depuis 2002. « Er zijn nog zoveel wachtenden vóór u » (« Il y en a encore tant qui attendent avant vous »), écrivait Claus dans son dernier recueil de poèmes In geval van nood (En cas de besoin, 2004).

Aujourd’hui, a posteriori, la décision de Claus de mettre un point fi nal à sa vie par l’euthanasie tend à infl échir une lecture de l’oeuvre considérable que l’auteur laisse à tous vents et à tout lecteur en héritage (sa bibliographie offi cielle, éditée sous l’égide du Centre d’étude et de documentation Hugo Claus de l’université d’Anvers, dénombre près de trois cents publications, poèmes, nouvelles, romans et pièces de théâtre, librettos, scénarios et essais confondus). À rebours, on ne peut que diffi cilement s’empêcher de penser que les textes littéraires de Claus sont travaillés par cette pensée du libre-arbitre, du calcul et de la souveraineté de l’individu face à l’indécidable, du contrôle qu’il tente, si subrepticement parfois, de garder face à l’incontrôlable, jusqu’à cet événement singulier et unique par défi nition qu’est la mort. C’est bien ce que raconte ce poème Repetitie (Répétition), issu du dernier recueil de poèmes de Claus, In geval van nood (2004). D’apparence poétiquement banale, il se déroule, à une lecture attentive, sur le fi l du rasoir. Car que nous apprend ce poème ? Et que répète-t-il, voire que reproduit-il donc par avance, à en croire son titre ?

Ik wil dood.
Zoals vijfenveertig procent
van de Belgen
Ik heb niemand
« Omdat je nooit in liefde
hebt geïnvesteerd, liefje »
Ik begin
Ga verder
Sodium thiopenthal
Zo, je bent bijna buiten westen
Dan pancuronium bromide
Je longen begeven
Dan potassium chloride
En je hart houdt op
Dat kan ik nooit onthouden 

« Répétition » commence, de manière visionnaire, par l’appel d’un « je » à la solitude et à la mort : « Je veux mourir. » Dans la fi ction du poème, ce « je » ne reste pourtant pas longtemps seul face au désir de mourir : en vis-à-vis, par-delà le blanc typographique qui sépare la première de la seconde strophe, l’on découvre que 45 pour cent d’autres Belges cultiveraient un sentiment analogue. Si la troisième strophe réactive cependant déjà la solitude — « Je n’ai personne » -, l’écho immédiat de cet énoncé appelle d’emblée la réponse d’un « autre » (dont l’arrivée est soulignée par les guillemets), comme pour contredire ce qui vient d’être dit : dans l’espace de ce poème, « je » n’est pas, ou plutôt n’est plus, seul. Paradoxalement, tout le poème se poursuit dans le développement d’un dialogue et repose, discursivement parlant, sur la force d’interaction entre ce « je » qui dit vouloir mourir, et dont on se demande pourquoi, et ce « tu » qui par sa présence va remettre en cause sa solitude. Quant au pseudo-début qui, au milieu du poème en réalité, est alors mis en scène — « Je commence » -, le lecteur ne sait d’abord pas s’il s’agit de commencer à mourir, de commencer à investir en amour, ou de commencer à rompre sa solitude et chercher à engager un dialogue. Toujours est-il que lorsque le « tu » encourage le « je » à poursuivre, c’est comme s’il assistait peu à peu à la mort de son interlocuteur. L’on comprend soudain que c’est le compte à rebours de sa vie que celui-ci a délibérément lancé au centre du poème. Il semble alors que le « tu », placé avec ses pleines facultés en observateur et témoin, raconte la mort et, en particulier, fait répéter à ce « je » bientôt inconscient la scène de mort par euthanasie que les diverses substances chimiques citées laissent présager et qu’il a sans doute choisie. Comme un enfant peut répéter des leçons, il s’agit ici aussi pour le « je » de répéter, afi n de ne plus oublier et de fi xer le scénario dans sa mémoire.

Pourtant, alors que la fi n semble sonner et le coeur s’arrêter (« Je hart houdt op »), c’est le « je », dans un sursaut et regain de vie et par un surprenant retournement poétique, qui refait surface et reprend le dernier mot de l’échange : « Cela, je ne pourrai jamais le retenir. » C’est un cri doux-amer de victoire de la vie sur la mort, mais également, bien sûr, l’aveu ironique de son impuissance, à ce stade, de retenir par coeur le scénario de la mort dont il a décidé, dans l’absolu, pour luimême. Dans ce dernier vers, l’allusion aux pertes de mémoire et absences du patient — démence et Alzheimer — semble manifeste. Mais ce qu’exprime, je crois, ce poème dans sa portée plus générale, c’est le point de basculement de la liberté absolue d’un individu dans la dépendance vis-à-vis d’autrui, lorsque justement la faculté d’organiser et de décider de sa propre mort se heurte tout à coup à l’impossibilité, du fait de la vieillesse ou de la maladie sonnant l’heure de la dégénérescence de la mémoire, de se souvenir du scénario écrit jadis en toute souveraineté. L’angoisse qui pointe ici, à la sortie de cette étrange « Répétition », c’est celle justement déjà contenue dans Les gens d’à côté, cette brève nouvelle du recueil du même nom de 1985, De mensen hiernaast. À savoir pas tant l’angoisse de vieillir — puisque « Kijk, hier zie je de afgebakende krijtlijnen op straat, wij gaan samen, hand in hand desnoods, hinkelen tot spijt van wie het benijdt » — mais l’angoisse, juste en deçà du moment crucial de balancement dans la folie et la démence, de ne plus pouvoir dire si l’on veut en fi nir, et décider « de ne plus avaler ses pilules », comme le personnage de Sara dans Les gens d’à côté, tout en souffrance, incontinente, encore tout juste consciente, mais dont la voix est devenue inaudible pour son entourage, en bref : l’angoisse de ne plus pouvoir déterminer soi-même quand on part.

Selon la même constance paradoxale — la seule peut-être qui vaille lorsqu’il faut tenter de caractériser en quelques mots une écriture littéraire qui fait tout pour y échapper, souvenons-nous de ce poème Interview qui déjouait toute tentative de trouver une « philosophie » à son auteur -, l’oeuvre de Claus respire jusque dans ses plus petites lettres ce désir infaillible de liberté, ce refus allergique de se laisser enfermer dans quelque ensemble — idéologique, culturel, politique, sociétal — que ce soit. Et cela vaut aussi pour la mort. Si le motif semble, à cette heure, se faire plus proéminent dans ses derniers écrits, c’est sans doute parce qu’il suit, de trop près peut-être, le trajet de l’homme. Mais il serait simpliste et par trop hâtif d’occulter, dans la somme bigarrée des textes que l’on appelle communément une « oeuvre », au moins son envers, la vie, que c’est elle que la mort, rarement moribonde chez Claus, célèbre avant tout. Sans compter tous les autres aléas de la condition humaine dans leurs registres langagiers les plus divers — du plus crypté, hermétique, intellectualiste, au plus banal, occasionnel, circonstancié -, sur lesquels Claus n’a pas manqué d’écrire.

Belgitude

Il est au moins un autre aspect à première vue anodin de ce poème « Répétition » sur lequel Claus n’a pas tari dans sa littérature, sans pourtant jamais se mouiller, à la manière d’un Günter Grass, dans la franchise du débat (probablement une des raisons pour lesquelles le prix Nobel de littérature ne lui fut jamais accordé) : je veux parler de sa relation à la Belgique. « 45 pour cent des Belges veulent mourir : une statistique étonnante », commenta Claus dans une interview à l’occasion de la parution de son recueil. « Dans le plus beau et le plus généreux pays de la planète, ils ne sont pas encore contents », ajoutait- il. Ironie de circonstance ? Reste que celui qui avait osé, par le passé, consacrer un roi des Belges sur les planches comme personnage de théâtre dans sa pièce La vie et les oeuvres de Léopold II, avoua un jour, de manière totalement désintéressée, panne sèche devant les caméras lorsqu’il s’agissait d’entonner La Brabançonne au-delà de ses deux phrases d’entrée.

Plus récemment, en septembre 2007, lors de la crise gouvernementale en Belgique, Claus rallia les rangs de la pétition appelant à l’unité belge et à la solidarité, notamment envers la Wallonie. S’ils ne s’affi chent pas sérieusement, unilatéralement et à haute voix comme traduisibles sur le plan politique, les divers regards que Claus a portés sur la Belgique et sa Flandre natale, tels que ses textes littéraires nous les donnent à lire à l’encre tranchante et contentieuse de l’ironie, du grotesque et de la satire aussi parfois, constituent pourtant régulièrement un invisible point focal de réactivité ou d’équilibre justement de son écriture (lire La rumeur, Le passé décomposé, par exemple). C’est justement ce rapport d’entre-deux, d’amour irrité, d’attachement et de distance à la fois envers la Belgique, qui aura contribué à procurer à l’écrivain sa verve langagière : se complaisant, selon ses dires, dans le rôle de « paria », c’est-à-dire d’écrivain mis au ban par sa communauté, discuté quant à son assimilation aux lettres fl amandes, Claus n’a cessé, sa vie durant, de revenir régulièrement vers sa Flandre occidentale natale. Le recueil de poèmes Flagrant (2004) se referme sur cette très belle strophe d’un écrivain presque sur le départ :


« Ooit heb ik jullie de vreemdste / wijdste domeinen willen geven / in ordening of in avontuur / Het eigen domein : / een hysterische neurotische / provincie. »

Dans un essai assez court, mais néanmoins remarqué, paru en 2007, le prix Nobel de littérature J. M. Coetzee conférait à Claus un domaine en propre, une vision néerlandaise unique, en fi liation directe avec un Jeroen Bosch : « Claus’s vision remains uniquely Netherlandic. The spirit that broods over his trampled motherland is that of Hieronymus Bosch : he harks back to the same late-medieval folk-imagination, with its bestiaries and gnomic sayings, upon which Bosch drew for his vision of a world gone mad. »

À l’occasion de la mort de Claus, certains journaux fl amands, s’interrogeant sur la relation de Claus à sa Flandre natale, ont avidement répété un certain mythe d’une relation amour-haine, voire de mépris de la Flandre, cette fois envers Claus. Or, il faut préciser qu’il n’existe à ce jour pas de véritable étude systématique sur la manière dont a été reçue l’oeuvre de Claus. Cela n’a manifestement pas empêché de fabriquer l’icône d’un poète tantôt génial et admiré pour sa verve et son non-conformisme, tantôt surfait et décrié pour ses coups de plume trop rapides, voire médiocres, et conspué pour avoir craché sur la Flandre catholique. En véhiculant une telle image parmi le grand public néerlandophone, un des pans d’autorité de l’auteur a, en réalité, foncièrement interféré : son goût prononcé pour le jeu de l’interview, dont Claus usait comme d’un registre littéraire. Fiction, manipulation, coup de théâtre y étaient fréquemment de mise, avec pour conséquence le piège, pour qui n’y allait pas avec prudence et circonspection, de prendre le maître un peu trop rapidement au pied de la lettre. Comme en 1994 justement, lorsque Claus déplorait effectivement dans l’hebdomadaire Humo que les critiques sur son oeuvre soient négatives à 90 pour cent…

Avec la répercussion, inévitable, d’une telle déclaration par un écrivain aussi médiatisé se cristallisa peu à peu l’image romantique décrite de l’écrivain incompris et décrié, en vérité mise en circulation par lui-même. La bibliographie de Claus, publiée en 2004, s’ouvre à juste titre sur la considération des divergences entre les suppositions faites par Claus et l’accueil réservé à son oeuvre imposante. S’il faut en effet oser douter des réactions soi-disant majoritairement négatives, du mépris et de la méconnaissance en terre néerlandophone envers Claus, c’est pour deux raisons au moins. D’abord, parce que l’on sait que Claus a pu compter très tôt sur un intérêt marqué, pas seulement de la part des lecteurs et des critiques, mais aussi des éditeurs, et de l’institution littéraire en général. Les nombreux prix qui lui revinrent l’attestent : Hugo Claus entre aujourd’hui dans l’histoire littéraire comme un des auteurs d’expression néerlandaise ayant touché à un nombre considérable d’expressions artistiques et littéraires, et sans doute parmi les plus couronnés chez lui et à l’étranger. Ensuite, parce qu’en explorant de plus près la perception de l’auteur Claus à l’étranger, en France et en Belgique francophone, par exemple, il apparaît que l’accueil réservé à son oeuvre de poésie, prose et théâtre en traduction française, est en effet extraordinairement positif, et ce depuis ses débuts. Claus s’adonnait plus à la coquetterie qu’il ne disait vrai, lorsqu’il déplorait un manque d’intérêt pour ses textes. La traduction du Chagrin des Belges par Alain van Crugten en 1985 connut un succès retentissant en francophonie et fut même couronnée par le prix de littérature traduite du festival du livre de Nantes (1986). Les éloges que reçut Claus à l’occasion de la parution de son roman phare en langue française scellèrent pour l’avenir l’empathie, la bienveillance et l’hospitalité, inégalée envers les lettres néerlandaises, du public francophone sur lequel Claus avait déjà pu compter par le passé. Aujourd’hui, son Chagrin des Belges est devenu, à l’instar de la petite madeleine de Proust, un label international pour l’expression d’un malaise, d’une certaine malhabileté ou encore de divers maux liés à notre pays.

C’est sur les planches finalement, et donc — ce n’est peut-être pas un hasard — au coeur du public, que la différence de réception se manifeste aujourd’hui de la manière la plus sensible entre le nord et le sud du pays. Avec son théâtre — ses pièces originales, mais aussi son travail d’adaptation ou de traduction d’auteurs classiques -, Hugo Claus a indéniablement inscrit son nom au panthéon de la littérature dramaturgique fl amande. Si les pièces de Claus ont bouleversé le paysage du théâtre après 1945 en Flandre et ont depuis longtemps rejoint le canon des productions dramaturgiques les plus importantes en langue néerlandaise, elles semblent déjà tombées dans l’oubli de la scène actuelle. Ces dernières années pourtant, l’on cultive en Belgique francophone un certain engouement pour la performance dramaturgique autour des textes de Claus, régulièrement portés à la scène. Comme si la francophonie devait (re)découvrir Hugo Claus, écrivain fl amand d’envergure s’étant rapidement fait un nom au-delà de ses frontières, mais que sa langue associe si étroitement à la Flandre de la seconde moitié du XXe siècle.

Vanasten


Auteur

Stéphanie Vanasten est chargé de recherche Fonds national de la Recherche scientifique ([FNRS->http://www1.frs-fnrs.be/]), littérature et culture des langues germaniques.