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Accueil et asile, une politique décourageante

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par Sarah Duplat Emeni Souayah Céline Verbrouck

février 2013

Voyages de dis­sua­sion, mai­sons de retour, poli­tique de cloi­son­ne­ment des demandes de pro­tec­tion, liste de pays sûrs… Voi­là com­ment la Bel­gique entend « garan­tir un accueil digne », tel qu’ex­pri­mé dans l’ac­cord gou­ver­ne­men­tal. La poli­tique d’ac­cueil des deman­deurs d’a­sile et des migrants s’ap­pa­rente désor­mais à une poli­tique d’é­vi­te­ment de ses res­pon­sa­bi­li­tés par l’État.

Les conséquences d’une politique du « tout au retour »

Sarah Duplat

Dès les pre­miers jours de sa consti­tu­tion, le gou­ver­ne­ment Di Rupo 1er a orga­ni­sé la fusion des com­pé­tences rela­tives à l’asile et aux migra­tions avec celles de l’accueil. Avec un objec­tif évident : déve­lop­per des poli­tiques de retour (volon­taire et/ou for­cé) effi­caces et sur­tout dis­sua­sives, gérées par un seul secré­taire d’État. L’accent sera désor­mais mis sur les abus plu­tôt que sur les droits. Le gou­ver­ne­ment oublie d’ailleurs oppor­tu­né­ment dans sa note de poli­tique géné­rale de rap­pe­ler la néces­si­té de la pro­tec­tion et de l’accueil des deman­deurs d’asile ain­si que le res­pect des droits fon­da­men­taux de tous les migrants.

Le retour est ain­si deve­nu le pilier de la poli­tique migra­toire actuelle pour tous les migrants qui n’ont pas de per­mis de séjour ou qui sont sus­cep­tibles de le perdre : les deman­deurs d’asile, les per­sonnes en séjour irré­gu­lier, les familles en séjour irré­gu­lier avec enfant mineur et les mineurs étran­gers non accompagnés.

Le cas du trajet de retour

C’est dans cet esprit que la loi du 19 jan­vier 2012 confie à Feda­sil une nou­velle com­pé­tence qua­li­fiée de « tra­jet de retour » qui consiste en un accom­pa­gne­ment indi­vi­dua­li­sé mis en œuvre pour tous les deman­deurs d’asile accueillis dans les struc­tures rele­vant de la com­pé­tence de Feda­sil et de ses par­te­naires. Les étapes de ce pro­ces­sus et de la pro­cé­dure d’asile sont étroi­te­ment liées, étant enten­du que plus les chances d’obtenir l’asile s’amenuisent, plus le tra­vailleur social devra inci­ter le deman­deur à opter pour le retour volon­taire ou à four­nir les infor­ma­tions utiles pour la pré­pa­ra­tion d’un retour forcé.

La loi pré­voit qu’au plus tard dans les cinq jours du refus de pro­tec­tion du Com­mis­sa­riat géné­ral aux réfu­giés et aux apa­trides (CGRA), Feda­sil pro­pose une pre­mière fois l’accompagnement au retour et four­nit au deman­deur d’asile les infor­ma­tions sur les pos­si­bi­li­tés qui s’offrent à lui ; même si, à ce moment de la pro­cé­dure, il existe encore un recours devant le Conseil du conten­tieux des étran­gers (CCE). En cas de réponse néga­tive du CCE (ou du CGRA pour les res­sor­tis­sants issus de la liste des pays sûrs), il ne pour­ra conti­nuer à béné­fi­cier de l’accueil que s’il accepte d’être trans­fé­ré vers une place de retour dans un centre d’accueil Feda­sil. Le séjour est géré conjoin­te­ment par Feda­sil et l’Office des étran­gers (OE), et doit avoir lieu durant le délai d’exécution de l’ordre de quit­ter le ter­ri­toire. Si Feda­sil et l’OE, lors de l’évaluation du tra­jet de retour, estiment que le béné­fi­ciaire de l’accueil a « insuf­fi­sam­ment col­la­bo­ré », sa ges­tion peut-être reprise par l’OE en vue d’un retour forcé.

La « loi accueil » sti­pule que le deman­deur d’asile doit béné­fi­cier de l’information com­plète qu’exige l’aide juri­dique. Cepen­dant, on constate que l’accompagnement pro­po­sé dans les places de retour est tota­le­ment orien­té, et que même l’introduction d’une nou­velle demande d’asile intro­duite en centre de retour pour­ra être consi­dé­rée comme un refus de col­la­bo­rer au retour volontaire.

Des conséquences pour les migrants…

Le tra­jet de retour détourne les objec­tifs de la « loi accueil » : les centres ne sont plus des lieux d’accompagnement à la pro­cé­dure d’asile, mais bien de pré­pa­ra­tion au départ. De plus, il condi­tionne la der­nière phase de l’accueil au choix du retour, alors que les per­sonnes ont encore accès à un cer­tain nombre de pos­si­bi­li­tés de séjour (deuxième demande d’asile, régu­la­ri­sa­tion, etc.).

La LDH s’interroge éga­le­ment sur la per­ti­nence et l’efficacité de ces mesures : tout porte à croire que la majo­ri­té des per­sonnes ne se ren­dront pas dans les centres de retour (ne béné­fi­ciant ain­si plus d’un accueil et d’un accom­pa­gne­ment aux­quels elles ont droit). En outre, le retour ne peut être durable que s’il est libre­ment choi­si par la per­sonne, ce qui semble peu pro­bable dans le contexte de pres­sion exer­cé sur les deman­deurs d’asile en fin de pro­cé­dure d’asile.

… et les travailleurs sociaux

Ces nou­velles poli­tiques ins­taurent une véri­table incom­pa­ti­bi­li­té entre la mis­sion éman­ci­pa­trice du tra­vail social — ins­crite dans la loi accueil — et celle, de plus en plus auto­ri­taire, impo­sée par le tra­jet de retour. Elles rendent tota­le­ment floue la sépa­ra­tion des com­pé­tences de l’OE (ins­tance de déci­sion du droit de séjour) et Feda­sil (ins­tance d’accueil), notam­ment concer­nant l’échange d’informations et le res­pect de la vie privée.

Le tra­vailleur social est tenu de trans­fé­rer les don­nées liées à la per­sonne qu’il accom­pagne à l’OE. Se pose d’une part la ques­tion du consen­te­ment libre et éclai­ré de l’usager, soi-disant don­né par la signa­ture du plan tra­jet au début de la pro­cé­dure de retour, alors que cette pro­cé­dure est obli­ga­toire. D’autre part, cette obli­ga­tion va à l’encontre du secret pro­fes­sion­nel, d’application pour les assis­tants sociaux, et entache gra­ve­ment la rela­tion de confiance que le tra­vailleur social tisse avec les usagers.

Enfin, alors que l’accueil est inter­rom­pu au moment le plus impor­tant de la pro­cé­dure (la réponse néga­tive du CCE), le tra­vailleur social n’a pas la pos­si­bi­li­té d’informer com­plè­te­ment la per­sonne, d’entendre ses choix et de déci­der de manière indé­pen­dante des tech­niques qu’il va uti­li­ser pour son accom­pa­gne­ment. Or, ces trois élé­ments sont la clé de voute de la déon­to­lo­gie des tra­vailleurs sociaux. En cade­nas­sant insi­dieu­se­ment le tra­vailleur social dans un rôle d’indicateur, l’autorité déna­ture sa pro­fes­sion en l’obligeant à assu­mer de manière schi­zo­phré­nique les mis­sions incom­pa­tibles que sont l’accompagnement et la dénon­cia­tion d’un usa­ger deve­nu suspect.

Droit d’asile : une politique de découragement

Eme­ni Souayah et Céline Ver­brouck

La Bel­gique s’est fait remar­quer, en octobre 2012, par une nou­velle condam­na­tion par la Cour euro­péenne des droits de l’homme (CEDH, Affaire Singh et autres c. Bel­gique — Req. n°33210/11).

Dans cette affaire, la Cour reproche à la Bel­gique de ne pas avoir exa­mi­né de manière rigou­reuse la demande de pro­tec­tion inter­na­tio­nale qui avait été for­mu­lée devant elle par une famille afghane appar­te­nant à la mino­ri­té sikh d’Afghanistan. Les membres de cette famille avaient été débou­tés de leur demande d’asile par les auto­ri­tés belges qui avaient mis en doute leur natio­na­li­té afghane. La Cour a esti­mé que cette famille n’avait pas eu accès à un recours effec­tif dans le cadre de sa pro­cé­dure d’asile.

Cette condam­na­tion cin­glante s’ajoute à deux condam­na­tions simi­laires anté­rieures de la Bel­gique par la même Cour pour non-exa­men rigou­reux de situa­tions indi­vi­duelles d’étrangers (l’arrêt M.S.S. c. Bel­gique et Grèce ren­du en Grande Chambre le 21 jan­vier 2011 et l’arrêt Yoh-Eka­leM­wanje c. Bel­gique du 20 décembre 2011).

Incohérences et cloisonnement

Ces condam­na­tions ne sont pas dues au hasard. Elles repré­sentent un signal fort adres­sé à notre pays. Elles rap­pellent que les auto­ri­tés, notam­ment celles res­pon­sables de la poli­tique d’asile, sont tenues d’examiner scru­pu­leu­se­ment et lar­ge­ment les situa­tions qui leur sont pré­sen­tées. Elles doivent dis­si­per tout doute éven­tuel sur la cré­di­bi­li­té des décla­ra­tions des deman­deurs de pro­tec­tion, tenir compte des élé­ments por­tés devant elles à l’appui des demandes, poser au besoin des actes d’instruction, éva­luer les risques de trai­te­ment inhu­main et dégra­dant en cas de retour, etc.

Ces condam­na­tions sous-entendent éga­le­ment un manque de cohé­rence dans les éva­lua­tions faites par les auto­ri­tés belges des dif­fé­rentes formes de demandes de pro­tec­tion for­mu­lées devant elles. Ces éva­lua­tions découlent des enga­ge­ments inter­na­tio­naux qui lient la Bel­gique, mais leurs réa­li­sa­tions concrètes, telles qu’organisées dans notre sys­tème interne est mani­fes­te­ment à revoir. Cela a‑t-il encore du sens aujourd’hui d’examiner une demande de pro­tec­tion liée à un état de san­té via une pro­cé­dure dis­tincte d’une demande liée à un risque de trai­te­ment inhu­main et dégra­dant en cas de retour ? Non, tant il est évident que l’on parle de la même chose. Les motifs jus­ti­fiant les demandes de séjour ne sont pas clas­sables de manière étanche dans des pro­cé­dures cloi­son­nées. Au contraire, ils sont le plus sou­vent cumu­lés et c’est jus­te­ment cette accu­mu­la­tion qui jus­ti­fie géné­ra­le­ment la demande formulée.

Cette poli­tique de cloi­son­ne­ment a d’autant moins de sens que les garan­ties pro­cé­du­rales varient en fonc­tion des types de demande. Par exemple, cer­taines pro­cé­dures donnent droit à un séjour tem­po­raire dans l’attente de l’examen de la demande, d’autres pas. Les consé­quences en termes d’accès à l’aide sociale ou maté­rielle ou d’accès aux soins de san­té sont pour­tant significatives.

Com­ment, dans ce contexte, conti­nuer à repro­cher aux étran­gers de mul­ti­plier les types de demandes qu’ils intro­duisent en Bel­gique ? Cette diver­si­té de demandes consti­tue pour­tant un argu­ment uti­li­sé pour réduire les garan­ties pro­cé­du­rales de cer­taines demandes de protection…

Pays sûrs, avenir incertain

Poin­tons donc encore au pal­ma­rès 2012 de la Bel­gique, l’incorporation du concept de « pays sûr ». Tout deman­deur de pro­tec­tion inter­na­tio­nale ori­gi­naire d’Albanie, de Bos­nie-Her­zé­go­vine, d’Inde, du Koso­vo, de Macé­doine, du Mon­té­né­gro ou de Ser­bie est doré­na­vant pré­su­mé ori­gi­naire d’un pays sûr et son cas est trai­té selon une pro­cé­dure accé­lé­rée. Une déci­sion de refus ouvre un recours qui n’est pas sus­pen­sif. Outre son arbi­traire (l’Albanie et le Koso­vo sont des pays sûrs pour la Bel­gique, pas pour la France…), l’établissement de cette liste de pays consi­dé­rés à prio­ri comme « sûrs » est contraire au prin­cipe de l’examen indi­vi­duel d’une demande de pro­tec­tion inter­na­tio­nale. Elle ne garan­tit nul­le­ment une pro­cé­dure rapide et juste en pra­tique. La Ligue des droits de l’Homme a atta­qué cette loi (et son arrê­té royal d’application) jugée dis­cri­mi­na­toire, tant devant le Conseil d’État que la Cour consti­tu­tion­nelle. Ces recours sont à l’examen actuel­le­ment. Enfin, dans la même logique de décou­ra­ge­ment des demandes d’asile, la Bel­gique a dès le début de l’année — et avant même la fin de l’hiver ! — réduit encore l’accès au droit à l’accueil de cer­taines caté­go­ries de deman­deurs d’asile. Alors même que la Bel­gique se fait condam­ner parce qu’elle bâcle cer­tains dos­siers, elle s’offre le droit de ne pas accueillir des deman­deurs d’asile qui auraient le culot de repré­sen­ter devant elle une nou­velle demande de pro­tec­tion internationale.

On est donc bien loin, en pra­tique, de l’exécution de l’accord de gou­ver­ne­ment de décembre 2011 qui expri­mait ses prio­ri­tés en matière d’asile en ces termes : « Garan­tir un accueil digne par une pro­cé­dure d’asile rapide et cohérente. »

Sarah Duplat


Auteur

Emeni Souayah


Auteur

Céline Verbrouck


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