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À quoi sert la criminologie ?
Les sciences humaines et sociales ont été, tout au long du XXe siècle, un champ d’innovations scientifiques majeures. Bien entendu, elles ne furent pas les seules, mais ce fait est souvent oublié. En effet, dès lors qu’il s’agit de progrès des connaissances, l’imaginaire collectif retient bien davantage la relativité universelle, la mise au jour de […]
Les sciences humaines et sociales ont été, tout au long du XXe siècle, un champ d’innovations scientifiques majeures. Bien entendu, elles ne furent pas les seules, mais ce fait est souvent oublié. En effet, dès lors qu’il s’agit de progrès des connaissances, l’imaginaire collectif retient bien davantage la relativité universelle, la mise au jour de la structure atomique ou la découverte de la double hélice d’ADN que le concept de reproduction sociale, la compréhension des mécanismes d’apprentissage chez le jeune enfant, la théorie du capital social ou l’interrogation radicale de la notion de crime. En effet, les sciences humaines et sociales, malgré les immenses services qu’elles ont rendus, sont peu considérées, mal financées et méconnues de la population.
Faut-il pour autant conclure que les praticiens de ces disciplines sont des génies incompris, qu’ils détiennent les solutions aux grands problèmes de nos sociétés et des savoirs inouïs propres à soulager l’humanité de ses maux d’un coup de baguette scientifique ? Assurément non ! Car leurs savoirs, pour scientifiques et précieux qu’ils soient, ne sont pas de ceux qui apportent des réponses « préfabriquées », ouvrent des voies rectilignes, ou fondent des remèdes magiques. Plus encore, les sciences humaines et sociales sont loin de produire des représentations binaires, tranchées, univoques de leurs objets, mais proposent souvent une image en demi-teintes du monde. Bref, elles ne s’adressent pas à ceux qui sont en quête de simplismes et de mesures expéditives.
C’est pour tenter d’approcher la complexité de la relation entre les sciences humaines et sociales et les sociétés dont elles sont issues que nous avons choisi de nous pencher sur une branche, souvent méconnue ou mal connue, de ces sciences : la criminologie. L’ambition de ce dossier est, d’une part, d’aider à comprendre en quoi cette pratique scientifique particulière manifeste à la fois les potentialités et les faiblesses largement communes aux sciences humaines et sociales et, d’autre part, de mettre en lumière son apport à nos collectivités, présent et à venir. Le périple auquel nous convions le lecteur sera parfois technique, mais nous espérons qu’au travers des différents chemins empruntés, il permettra de prendre conscience de pans de l’activité scientifique rarement mis en lumière.
Le dossier s’ouvre sur une contribution de Sophie André, chargée de cours au département de criminologie de l’université de Liège, qui s’interroge sur la scientificité de la criminologie. Quelle est donc cette (inter)discipline floue, qui ne possède en propre, de manière exclusive, ni méthode, ni objet ? Et si c’était sur cette imprécision, ces circulations et cette ouverture que la criminologie construisait sa spécificité ?
Vincent Seron, collègue de la première, se penche ensuite sur l’identité professionnelle des criminologues et sur leur place dans le monde du travail et, notamment, l’appareil d’État. Il montre comment les criminologues ont conquis une reconnaissance et une place dans bien des administrations liées à la justice ou aux services de sécurité, tout en demeurant dans une position d’intermédiaires, de passeurs.
Dans une troisième contribution, Christophe Mincke, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie, questionne le rapport de la criminologie à la gestion collective des questions de justice et de sécurité. Entre une criminologie critique qui peut effrayer des institutions dépendant fortement de leur légitimité aux yeux de la population et une criminologie au service du prince, il tente de dessiner une éthique des relations entre gestion de la chose publique et savoir scientifique, au service de la démocratie.
Luc Van Campenhoudt, professeur émérite de sociologie des universités Saint-Louis Bruxelles et de Louvain-la-Neuve, s’est chargé de la difficile tâche d’élargir le regard en examinant le rôle que, discrètement, les sciences humaines et sociales jouent dans nos sociétés et en tentant d’imaginer un monde sans elles. Il propose d’assumer à la fois le caractère indispensable du savoir des sciences humaines et sociales et la fécondité de leur caractère critique, aussi bien que la difficulté d’intégrer leur regard au moment d’affronter les défis qui guettent nos collectivités.
La cinquième intervention est celle de David Tieleman, architecte et criminologue, professeur à l’université de Liège. Il propose un rapprochement entre architecture et criminologie, indiquant en quoi ces disciplines, à la fois scientifiques, techniques et pratiques, non seulement se croisent et s’enrichissent, mais affrontent des défis communs. En retraçant les ponts entre ces deux domaines, il souligne les interactions entre la société humaine et l’environnement physique et l’attention dont elles bénéficient tant en architecture qu’en criminologie.
Enfin, le dossier se clôt sur la contribution d’Irène Kaufer, militante féministe, qui porte sur les questions de justice et de sécurité, et sur les savoirs qui permettent de les comprendre, un regard issu de la société civile. Confrontées à la question des violences qui leur sont faites, les femmes sont à la fois en demande d’interventions étatiques, mais aussi productrices d’une critique des institutions de l’État, fruits d’une société patriarcale qui exerce sur elles une violence spécifique. C’est dans ce va-et-vient entre demandes pragmatiques et recul critique que peut se jouer un dialogue avec une criminologie spécialiste de cet entre-deux.
Au terme de ce dossier, nulle solution miracle, mais la découverte d’un domaine d’étude et de ses enjeux trop souvent méconnus, ainsi qu’une conviction, celle que les savoirs en sciences humaines et sociales sont indispensables au développement d’une société qui se veut démocratique et qui entend progresser avec conviction et lucidité vers plus de justice.