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À la gauche de la gauche : le PTB

Numéro 4/5 avril-mai 2014 par Paul Wynants

mai 2014

Poli­to­logue à l’ULB, Pas­cal Del­wit consacre un ouvrage au Par­ti du tra­vail de Bel­gique (PTB-PVDA), dont il recons­ti­tue l’histoire et décrypte l’évolution récente. On sou­li­gne­ra la qua­li­té de cette enquête, que la for­ma­tion poli­tique concer­née n’a pas tou­jours faci­li­tée — c’est le moins que l’on puisse dire — par un accès aisé aux sources poten­tiel­le­ment consul­tables sur le sujet. Des positions […]

Poli­to­logue à l’ULB, Pas­cal Del­wit consacre un ouvrage au Par­ti du tra­vail de Bel­gique (PTB-PVDA), dont il recons­ti­tue l’histoire et décrypte l’évolution récente1. On sou­li­gne­ra la qua­li­té de cette enquête, que la for­ma­tion poli­tique concer­née n’a pas tou­jours faci­li­tée — c’est le moins que l’on puisse dire — par un accès aisé aux sources poten­tiel­le­ment consul­tables sur le sujet.

Des positions staliniennes rigides…

À l’origine de ce qu’est à pré­sent le PTB, on trouve des mili­tants du mou­ve­ment étu­diant néer­lan­do­phone, enga­gés dans le com­bat contre le main­tien à Leu­ven de la sec­tion fran­çaise de l’université catho­lique de Lou­vain. Issus, pour la plu­part, de milieux chré­tiens, ces jeunes intel­lec­tuels créent, en mars 1967, un syn­di­cat, le Stu­den­ten­vak­be­we­ging, qui se ral­lie à la ver­sion maoïste du mar­xisme-léni­nisme, durant l’été 1969. Lors de conflits sociaux, les membres de cette orga­ni­sa­tion apportent leur appui à des tra­vailleurs en grève, par­fois struc­tu­rés en marge des grandes orga­ni­sa­tions syn­di­cales. En 1970 – 1971, ils créent le mou­ve­ment Alle macht aan de arbei­ders (Ama­da), qui entend consti­tuer le « déta­che­ment d’avant-garde de la classe ouvrière », en vue de l’avènement d’une révo­lu­tion socialiste.

Élar­gis­sant son champ d’action à la Bel­gique fran­co­phone, où elle prend le nom de Tout le pou­voir aux ouvriers, l’organisation s’intitule, par la suite, TPO-Ama­da. Elle adopte un mode de fonc­tion­ne­ment léni­niste. Elle sou­tient des posi­tions sta­li­niennes rigides, célé­brant la révo­lu­tion cultu­relle chi­noise et les réa­li­sa­tions de l’Albanie d’Enver Hox­ha, avant d’apporter son appui au régime des Khmers rouges. Aux élec­tions, elle réa­lise des scores insi­gni­fiants. Bien plus, durant plu­sieurs années, elle doit faire face à la concur­rence d’autres cha­pelles maoïstes, dont l’Union des com­mu­nistes (mar­xistes-léni­nistes) de Bel­gique (UCMLB).

Pré­si­dé par un gou­rou auto­ri­taire, Ludo Mar­tens, TPO-Ama­da se pré­sente comme un « par­ti com­mu­niste en construc­tion ». Dans sa mou­vance évo­luent des intel­lec­tuels que l’on retrou­ve­ra, bien plus tard, à des postes de res­pon­sa­bi­li­té, tant à la N‑VA (Jan Peu­mans, Sieg­fried Bracke) qu’au sein de l’Open VLD (Guy Van­hen­gel, Vincent Van Qui­cken­borne). Après avoir absor­bé des élé­ments de l’UCMLB, TPO-Ama­da se mue en Par­ti du tra­vail (PTB-PVDA), lors d’un congrès de fon­da­tion, en 1979. La nou­velle for­ma­tion peut comp­ter sur des mili­tants infa­ti­gables, qui mènent une vie d’ascètes, et sur quelques orga­ni­sa­tions satel­lites, dont les pre­mières mai­sons médi­cales (Méde­cine pour le peuple).

Dans les années 1980, le PTB ne peut échap­per à la crise exis­ten­tielle qui mine le cou­rant maoïste, dans un contexte mou­vant : muta­tions du régime chi­nois et rup­ture de ce der­nier avec l’Albanie, révé­la­tions sur le géno­cide per­pé­tré par les Khmers rouges, dés­in­dus­tria­li­sa­tion, mon­tée en puis­sance de l’écologie poli­tique. En perte de vitesse, le par­ti, fer­me­ment repris en main par sa direc­tion, se replie sur lui-même. Il connait même une fuite en avant sec­taire, au détri­ment de son influence poli­tique et syndicale.

Les évè­ne­ments se bous­culent, à la fin des années 1980 : répres­sion du mou­ve­ment étu­diant chi­nois de la place Tien an Men, chute du mur de Ber­lin, effon­dre­ment des « démo­cra­ties popu­laires » en Europe cen­trale et orien­tale. La direc­tion du PTB, qui main­tient un cap sta­li­nien, n’en démord pas : c’est à une vague contre­ré­vo­lu­tion­naire que l’on assiste, face à laquelle il convient de faire le gros dos.

Une nou­velle fois, un congrès du par­ti imprime un virage sec­taire, fon­dé sur une « rec­ti­fi­ca­tion idéo­lo­gique », avec la lutte contre la tra­hi­son de la social-démo­cra­tie comme prio­ri­té. Certes, le PTB s’investit dans des luttes sociales, comme celle des Forges de Cla­becq, et aux côtés de parents d’enfants dis­pa­rus, lors de l’affaire Dutroux et consorts. Tou­te­fois, ses résul­tats élec­to­raux médiocres de 1999 l’amènent à chan­ger son fusil d’épaule.

… à une communication professionnelle

S’il garde une ligne « authen­ti­que­ment mar­xiste-léni­niste », le par­ti élar­git son recru­te­ment. Il com­mence à accor­der une plus grande atten­tion à son image et à sa com­mu­ni­ca­tion, avec le sou­ci de pré­sen­ter, dans les médias, des « figures recon­nais­sables » par le public. Il for­mule davan­tage de pro­po­si­tions concrètes. Cette stra­té­gie s’avère payante avec la conquête de nou­veaux sièges, à Zel­zate et à Hers­tal, lors des élec­tions com­mu­nales de 2000. Elle est confir­mée en 2002, lors du sep­tième congrès du par­ti. À l’approche du scru­tin légis­la­tif de 2003, le PTB fran­chit un pas de plus : il dépose deux « listes de front », l’une foca­li­sée sur une res­pon­sable syn­di­cale de la Sabe­na en Bra­bant fla­mand et à BHV, l’autre sur une alliance avec la Ligue arabe euro­péenne du sul­fu­reux Dyab Abou Jah­jah à Anvers. Cette fois, les résul­tats ne sont pas à la hau­teur des espérances.

S’ensuit la « grande crise du PTB », selon l’analyse minu­tieuse de Pas­cal Del­wit. Il y a remise en cause de la ligne « oppor­tu­niste et liqui­da­trice », qu’incarnerait la secré­taire géné­rale, Nadine Rosa-Ros­so, bien­tôt accu­sée de « frac­tion­nisme », réaf­fir­ma­tion des prin­cipes léni­nistes, exclu­sions de cadres. Le tout se solde par une nou­velle « rec­ti­fi­ca­tion », fon­dée sur le déploie­ment d’un par­ti ouvrier d’avant-garde, pré­sent dans les grandes entre­prises et conduit par les prin­cipes immuables du socia­lisme scien­ti­fique. Au plan du tra­vail de ter­rain, cepen­dant, les méthodes deviennent plus souples : des luttes sont menées prag­ma­ti­que­ment au jour le jour, afin que la for­ma­tion de gauche radi­cale puisse se pré­sen­ter sous un visage plus ave­nant. Il y a là l’amorce d’un cap que le PTB appro­fon­di­ra lors de son hui­tième congrès, tenu en mars 2008.

La tactique de Janus

C’est alors qu’est clai­re­ment éta­blie la dis­tinc­tion, tou­jours d’actualité, entre la « salle de res­tau­rant », dans laquelle le par­ti s’exhibe ad extra, et la « cui­sine », où il fonc­tionne en vase clos. Ce posi­tion­ne­ment « sur deux jambes » est conforme à une direc­tive léni­niste, qui allie sou­plesse dans la tac­tique et fer­me­té dans les principes.

À des­ti­na­tion de l’extérieur, sur la forme ou dans la démarche, le PTB modi­fie son angle d’attaque, en s’inspirant quel­que­fois de pra­tiques mises en œuvre aux Pays-Bas par une for­ma­tion plus ou moins homo­logue. La phra­séo­lo­gie dog­ma­tique est aban­don­née. L’accent est mis non sur l’identité com­mu­niste, mais sur des reven­di­ca­tions concrètes, sélec­tion­nées dans des cré­neaux média­ti­que­ment por­teurs. La com­mu­ni­ca­tion du par­ti est beau­coup plus pro­fes­sion­nelle, avec un recours inten­sif aux réseaux sociaux. Dans la presse comme lors des scru­tins, les cam­pagnes sont per­son­na­li­sées, avec mise en évi­dence de figures emblé­ma­tiques, comme Raoul Hede­bouw en Bel­gique fran­co­phone. Ces cam­pagnes peuvent prendre un tour pro­tes­ta­taire, au nom de la défense des « gens ordi­naires ». Moins sélec­tif, le recru­te­ment crois­sant contri­bue à assoir la légi­ti­mi­té externe du par­ti. Ce der­nier table davan­tage sur ses orga­ni­sa­tions réti­cu­laires, comme son mou­ve­ment de jeu­nesse (Comac), ses mai­sons médi­cales et ses col­lec­tifs d’avocats. De la sorte, une triple per­cée s’effectue : elle est poli­tique, média­tique et, dans une cer­taine mesure, électorale.

Le PTB est-il, pour autant, deve­nu un « nou­veau par­ti » ? On peut nour­rir de sérieux doutes à cet égard : P. Del­wit les énonce sans ambages et, au vu des pièces pro­duites par ses soins, son diag­nos­tic paraît convain­cant. En interne, sur le fond, le PTB ne se dépar­tit pas de sa voca­tion à consti­tuer un par­ti d’avant-garde mar­xiste-léni­niste, enga­gé dans un mou­ve­ment com­mu­niste inter­na­tio­nal pré­pa­rant l’avènement du socia­lisme par la voie révo­lu­tion­naire. En vase clos, il ne renonce ni au cen­tra­lisme dit « démo­cra­tique », ni à la pers­pec­tive d’une dic­ta­ture du pro­lé­ta­riat, ni à sa méfiance pro­fonde envers le régime repré­sen­ta­tif. C’est même la rai­son pour laquelle je me démarque d’une expres­sion, celle de « tour­nant droi­tier », employée par P. Del­wit (p. 264 – 265) : au mieux, assiste-t-on, me semble-t-il, à la dif­fu­sion d’une pro­pa­gande euphé­mique, au pire à la mise en œuvre d’une tac­tique de Janus.

En fin de compte, le PTB fait figure d’exception dans l’ensemble des orga­ni­sa­tions euro­péennes d’origine maoïste : il n’a pas été rayé de la carte ; il n’a pas non plus aban­don­né ses prin­cipes fon­da­men­taux. Sans que tous ses membres et élec­teurs en aient conscience, il a pro­cé­dé à une sorte de rava­le­ment de façade. Soyons, cepen­dant, de bon compte : même s’il n’en est pas ain­si à pré­sent, rien n’exclut qu’à l’avenir, le PTB puisse connaitre des évo­lu­tions plus fon­da­men­tales. Tout dépen­dra, pro­ba­ble­ment, des effets induits de l’« arri­vée de nou­veaux cadres, indif­fé­rents ou moins révé­ren­cieux envers les ori­peaux du mar­xisme-léni­nisme et plus enclins à l’innovation poli­tique », ou de la dyna­mique créée par l’ouverture du par­ti à de nou­veaux adhé­rents (Del­wit, p. 381).

Quoi qu’il en soit, les cri­tiques adres­sées par l’organe du PTB, Soli­daire, à l’ouvrage de P. Del­wit me paraissent révé­la­trices2. Pour l’essentiel, elles ne portent pas sur la nature mar­xiste-léni­niste de la direc­tion et des cadres de cette for­ma­tion. Elles se concentrent sur l’interprétation, certes un peu rapide, don­née à un posi­tion­ne­ment média­tique : celui de « gen­til par­ti social-démo­crate », mais qui refuse d’exercer la res­pon­sa­bi­li­té du pouvoir.

Dès lors, qui­conque dou­te­rait encore de la tenue d’un double lan­gage sait à quoi s’en tenir. Le Par­ti du tra­vail de Bel­gique pré­tend tou­jours « laver plus blanc que blanc ». Aus­si long­temps qu’il cultive une ambigüi­té en main­te­nant plu­sieurs fers au feu, il n’échappera pas aux inter­pel­la­tions des milieux scien­ti­fiques, telles que celle, soli­de­ment argu­men­tée, de P. Del­wit. Au même titre, ni plus, ni moins, que toute autre for­ma­tion poli­tique, lorsqu’elle joue sur plu­sieurs registres arti­fi­ciel­le­ment seg­men­tés3.

  1. P. Del­wit, PTB. Nou­velle gauche, vieille recette, édi­tions Luc Pire, 2014, 381 p.
  2. D. Pes­tiau, « L’adversaire ima­gi­naire du pro­fes­seur Del­wit », Soli­daire en ligne, 4 avril 2014.
  3. En vue des élec­tions du 25 mai 2014, le PTB se pré­sente, en car­tel, avec les restes du Par­ti com­mu­niste de Bel­gique (PCB) et la Ligue com­mu­niste révo­lu­tion­naire (LCR, trots­kiste), ain­si qu’avec l’appui d’un cer­tain nombre d’intellectuels et de syn­di­ca­listes de la FGTB, sous le label PTB-GO (Gauche ouverte). Cette alliance, qui est his­to­ri­que­ment « contre-nature » à cer­tains égards, n’enlève rien à la per­ti­nence des ques­tions qui se posent à pro­pos du PTB.

Paul Wynants


Auteur

Paul Wynants est docteur en histoire, professeur ordinaire à l’Université de Namur et administrateur du Crisp – paul.wynants@unamur.be