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A… comme Avignon

Numéro 9 Septembre 2004 par Joëlle Kwaschin

septembre 2004

La ques­tion qui sert de trame au fes­ti­val In : com­ment le théâtre peut-il par­ler du monde aujourd’­hui ? s’est concré­ti­sée dans une pre­mière inno­va­tion, invi­ter un artiste asso­cié avec lequel a été éla­bo­ré un pro­gramme qui reflète son uni­vers, ses ques­tions, ses enthou­siasmes. Cette année, le direc­teur de la Schaubühne, l’un des plus impor­tants théâtres de Berlin, […]

La ques­tion qui sert de trame au fes­ti­val In : com­ment le théâtre peut-il par­ler du monde aujourd’­hui ? s’est concré­ti­sée dans une pre­mière inno­va­tion, invi­ter un artiste asso­cié avec lequel a été éla­bo­ré un pro­gramme qui reflète son uni­vers, ses ques­tions, ses enthou­siasmes. Cette année, le direc­teur de la Schaubühne, l’un des plus impor­tants théâtres de Ber­lin, Tho­mas Oster­meier était l’ar­tiste asso­cié ; l’an pro­chain, ce sera le Fla­mand Jan Fabre. Tho­mas Oster­meier est l’une des figures les plus ori­gi­nales de la scène contem­po­raine alle­mande dont le tra­vail, pro­fon­dé­ment enga­gé dans la réa­li­té sociale et poli­tique, a pour ambi­tion de renou­ve­ler les formes et l’es­thé­tique du théâtre pour atti­rer la jeune géné­ra­tion, nour­rie, dit-il, de musique pop et de Coca-Cola et qui se détourne d’œuvres qu’elle trouve bavardes et statiques.

Les pré­cé­dentes édi­tions avaient, certes, fait une part non négli­geable aux com­pa­gnies étran­gères, même si elle était loin d’être aus­si belle que celle faite par le Kuns­ten­Fes­ti­val­de­sArts de Frie Ley­sen. Soit dit en pas­sant, l’es­pèce de bilin­guisme de fait auquel sont accou­tu­més les Bruxel­lois — goe­den­dag, bon­jour, zaal éen, salle un — a pour effet qu’une tra­duc­tion pro­je­tée sur écran pen­dant un spec­tacle ne dérange pas les spec­ta­teurs belges. En France, le pli n’est pas encore pris, et cela fai­sait jaser dans les bis­trots de la place du Palais des Papes que les tra­duc­tions des pièces soient pro­je­tées sur écran.

La seconde inno­va­tion est l’ab­sence de stars de ciné­ma qui, pour par­tie, rem­plis­saient la Cour d’hon­neur grâce à leur seul nom. Les grands met­teurs en scène contem­po­rains, comme Oster­meir, s’ils sont connus du public de « théâ­treux » n’ont pas encore tou­ché un public plus large.

Festival In

La démarche de Frank Cas­torf de la Volksbühne, l’un des quatre théâtres de l’an­cien sec­teur de Ber­lin-Est, est emblé­ma­tique d’un théâtre nour­ri de pré­oc­cu­pa­tions sociales et poli­tiques et qui, dans le même mou­ve­ment, tente de par­ler à un public « jeune ». On peut natu­rel­le­ment débattre de savoir si le recours à la vidéo, au mul­ti­mé­dia et, de manière géné­rale, à l’i­dée que l’on se fait des gouts des jeunes suf­fi­ra à rem­plir les théâtres. La réponse à cette ques­tion ne pour­ra être trou­vée qu’au coup par coup. L’a­na­lyse de Barthes reste per­ti­nente : il expli­quait son engoue­ment pour le Ber­li­ner Ensemble de Ber­told Brecht, qui, en 1965, était d’une nou­veau­té inouïe, par le déca­lage qui exis­tait entre un spec­tacle poli­tique, popu­laire et une forme qui lais­sait place à de l’es­thé­tique. « Une forme “sépa­rée” met dans l’œuvre une ten­sion interne sans laquelle “il ne se passe rien1” », disait-il. Aux yeux d’Os­ter­meier, le Ber­li­ner Ensemble repré­sente le « théâtre des vieux maitres, un théâtre clas­sique pour un public bour­geois nos­tal­gique qui rêve encore et se ras­sure avec ce théâtre un peu dépassé ».

Kokain de Frank Cas­torf peut être rap­pro­chée de Puri­fiés, de Sarah Kane, un superbe spec­tacle mis en scène par Krysz­tof War­li­nows­ki que l’on avait pu voir à Avi­gnon il y a deux ans et que le Kuns­ten avait éga­le­ment invi­té ce prin­temps. Sarah Kane parle non seule­ment d’ho­mo­sexua­li­té, d’in­ceste, mais encore de l’ex­trême cruau­té des rap­ports entre les hommes et les femmes, thé­ma­tiques que l’on retrouve dans le roman, Cocaïne, de Dino Segre, alias Piti­grilli (1893 – 1975). Le roman met en scène Tito, un jour­na­liste et ses amis, pros­ti­tués, proxé­nètes… Drogue, sexe, argent et pou­voir consti­tuent un mélange déton­nant que la vio­lence de la mise en scène, comme celle de Puri­fiés accen­tue. Quatre espaces dis­po­sés autour d’une grande croix de fer posée de guin­gois forment un pla­teau tour­nant. Écrans et vidéos sont omni­pré­sents. La camé­ra, qui suit en per­ma­nence les comé­diens, sur­tout lors­qu’ils jouent dans la croix d’a­cier qui les rend invi­sibles au public, dénonce, selon Cas­torf, le voyeu­risme de notre socié­té média­ti­sée. Ser­vis par d’ex­cel­lents acteurs, qui jouent l’hys­té­rie de manière par­fai­te­ment mai­tri­sée, Kokain noie le spec­ta­teur dans une débauche de sons et d’i­mages, répète que le monde est à bout de souffle et que la pièce « repré­sente un peu la déca­dence dans laquelle nous sommes enfon­cés aujourd’­hui en Europe ». Cas­torf dit avoir « l’im­pres­sion que toutes les classes sociales en Europe par­tagent ce sen­ti­ment en ce moment, qu’elles n’ont plus l’es­poir de chan­ger le monde, et qu’elles sont punies de leur sub­jec­ti­vi­té aliénée ».

Avec En enfer et QuesKes 1/2/3, l’i­nim­pos­sible poé­tique du démem­bre­ment, l’é­cri­vain d’o­ri­gine ira­nienne Reza Bara­he­ni se confronte à son pas­sé de pri­son­nier sou­mis à la tor­ture par le régime du shah et par celui de Kho­mei­ni. Exi­lé de sa langue mater­nelle, l’a­zé­ri, et contraint ensuite à la fuite au Cana­da, il s’ef­force d’« exor­ci­ser l’hor­reur par une poé­tique de la cruau­té ». QuesKes est consti­tué de trois leçons de poé­tique. Dans un jar­din à 23 heures, trois acteurs et Reza Bara­he­ni lisent des extraits de ses œuvres. Étrange contraste que la quié­tude de la nuit avi­gnon­naise, l’air inof­fen­sif et doux de Bara­he­ni, la len­teur pro­vo­quée par la double lec­ture en per­san et en fran­çais et la cruau­té des pro­pos. En per­san, « cou­per en mor­ceaux » et « racon­ter une his­toire » se disent d’un seul et même mot : ain­si, la pre­mière his­toire lue et tra­duite au fur et à mesure du per­san décrit une bande vidéo dif­fu­sée en boucle sur Inter­net où l’on voit un homme se faire égor­ger. « Tran­cher la gorge, c’est tuer le lan­gage, cette part de la mère en chaque être. Le lan­gage est, par nature, un jeu d’amour. »

Le Cirque ici, de Johann Le Guillerm n’au­ra aucune dif­fi­cul­té avec la légis­la­tion intro­duite par le ministre Rudy Demotte en charge du bien-être des ani­maux, qui inter­di­rait désor­mais l’u­sage et la pré­sence d’a­ni­maux sau­vages dans les cirques qui se pro­duisent sur le ter­ri­toire belge. For­mé par l’ex­cellent Centre natio­nal des arts du cirque de Châ­lons-en- Cham­pagne, Le Guillerm est le domp­teur de drôles de quin­caille­ries. L’air furieux, rageur, accou­tré de loques, avec aux pieds des espèces de bro­de­quins médié­vaux métal­liques qui font un raf­fut de tous les diables, il dompte d’é­tranges créa­tures. Il dresse cordes, struc­tures métal­liques, bas­sines de fer, qui tels des che­vaux, forment un cercle par­fait autour de la piste, rou­leaux de tis­sus aux pliages énig­ma­tiques, les soixante volumes d’une ency­clo­pé­die… Seul en scène, il est pen­dant deux heures son propre fauve, ter­mi­nant le spec­tacle par l’é­rec­tion d’une sorte de gibet, créa­tion à mi-che­min entre la per­for­mance et l’ins­tal­la­tion d’art contem­po­rain. « Autre­fois, les gla­dia­teurs se mesu­raient aux tigres. Aujourd’­hui, je me mesure à une barre de fer. L’ex­ploi­ta­tion ani­male n’a plus de sens aujourd’­hui. On a davan­tage ten­dance à avoir pitié des bêtes enfer­mées qu’à être impres­sion­né par les numé­ros que les domp­teurs sont capables de leur faire faire. Retrou­ver la force ori­gi­nelle du cirque, c’est faire des choses étranges avec des objets que tout le monde connait. »

Le festival Off

Le fes­ti­val non offi­ciel, le Off, n’offre natu­rel­le­ment pas la même cohé­rence et pour cause : il n’y a pas de pro­gram­ma­tion pro­pre­ment dite puisque toutes les troupes qui peuvent louer un lieu sont reprises dans le pro­gramme qui réper­to­rie plus de six-cents spec­tacles. L’on voit cepen­dant se des­si­ner au fil du temps une spé­cia­li­sa­tion et une pro­gram­ma­tion spé­ci­fique non seule­ment aux théâtres per­ma­nents mais aus­si aux lieux. Tel ancien ciné­ma accueille un réper­toire d’hu­mour et de café-théâtre, le théâtre des Doms rache­té par la Com­mu­nau­té fran­çaise se veut une vitrine de la créa­tion contem­po­raine de la Bel­gique fran­co­phone, la Région de Cham­pagne-Ardennes a éta­bli ses quar­tiers dans une ancienne caserne de pompiers…

Mais la ques­tion de savoir com­ment mettre en mots et en images des ques­tions contem­po­raines tra­verse de nom­breuses créa­tions, Rober­to Zuc­co ou Dans la soli­tude des champs de coton, de Ber­nard- Marie Kol­tès, Brise-glace, de Jean-Pierre Can­net par la com­pa­gnie Sor­tie de route ou Noce de Jean-Luc Lagarce de la Com­pa­gnie ici et main­te­nant théâtre. Ces deux der­nières pièces sont d’as­sez labo­rieuses méta­phores de l’ex­clu­sion sociale, aux­quelles il manque sans doute le « déca­lage » dont par­lait Barthes.

Deux Ham­let très dif­fé­rents étaient éga­le­ment mon­tés. Ham­let. Into­lé­rable, mis en scène par le Rou­main Anca Bra­du trans­pose les per­son­nages de Sha­kes­peare en mou­tons, dont l’un, Ham­let se trans­forme en loup pour ven­ger son père. Un agneau mutant en loup, décla­mant avec un accent rou­main pro­non­cé, qui le rend dif­fi­cile à com­prendre, le célèbre « être ou ne pas être » déroute, même si Sebas­tian-Vlad Popa, qui a coadap­té la pièce, s’en jus­ti­fie en disant qu’il incarne l’an­cien monde alors que les acteurs fran­çais sym­bo­lisent « la civi­li­sa­tion, sophis­ti­quée, per­verse ». On pour­ra voir le second Ham­let dans la mise en scène de Luca Fran­ces­chi de la Com­pa­gnia dell’Im­pro­vi­so au Palais des Beaux-Arts de Char­le­roi en mars 2005. Le mélange de farce et de tra­gé­die est une constante de l’œuvre de Sha­kes­peare et La tra­gique his­toire d’Ham­let, prince de Dane­mark ne fait pas excep­tion, même si l’hu­mour est plus dis­cret que dans d’autres pièces. Le pari de la com­pa­gnie est de confron­ter des œuvres clas­siques avec le théâtre de la tra­di­tion ita­lienne, la com­me­dia dell’arte. Cela donne un spec­tacle réjouis­sant, empli d’éner­gie et qui a pour­tant conser­vé le texte ori­gi­nal. Le pro­pos de la Com­pa­gnie Joker, qui mon­tait Le Cid all’im­pro­vi­so était autre : la trame de l’his­toire est pré­sente, mais les comé­diens — for­més par Mario Gon­zales, un maitre du genre -, qui impro­visent par­fois en fonc­tion des réac­tions du public, accu­mulent à plai­sir les ana­chro­nismes. L’un d’eux fait régu­liè­re­ment le point avec les spec­ta­teurs : cette petite Chi­mène mar­seillaise rêve de se marier avec son Rodrigue et d’a­voir une mai­son avec garage, lave-vais­selle, four à micro-ondes… Cor­neille s’est dit qu’il ne tien­drait pas cent-trente-sept pages avec une banale his­toire d’a­mour et il a un petit peu com­pli­qué les choses. Gags, tirades clas­siques, chants, mimes se suc­cèdent à toute allure.

Andro­maque, de Racine a été revi­si­tée de deux manières très dif­fé­rentes. Luk Per­ce­val, l’un des grands noms du théâtre fla­mand pré­sen­tait, à l’in­vi­ta­tion de Tho­mas Oster­meier, Andro­mak, en ver­sion réduite à cin­quante-cinq minutes, réécrite de manière contem­po­raine (à coup d’« encu­lé, fous le camp »), enfin d’une cer­taine manière contem­po­raine. Il n’est pas abso­lu­ment néces­saire de tout mon­trer au théâtre et cette tra­gé­die construite autour de la pas­sion et de la haine peut ne pas être mon­tée de manière à rendre mani­feste la vio­lence qui habite les per­son­nages (au début, Her­mione casse des bou­teilles, ren­dant le sol impra­ti­cable et for­çant les comé­diens à jouer sur une espèce d’au­tel). Dans un entre­tien à La Libre Bel­gique, Per­ce­val s’ex­plique de ses choix, « aujourd’­hui le théâtre bour­geois est défi­ni­ti­ve­ment mort en Flandre. Si en France, on joue encore de manière très clas­sique, face à un public très res­pec­tueux, notre public a envie qu’on lui raconte des his­toires qui parlent de son propre monde, de sa propre vie. […] Ici, nous n’a­vons pas Goethe, ni Schil­ler, ni Racine, mais nous avons Breu­ghel, dont le modèle était le peuple des rues. C’est ce trait cultu­rel qui fait la spé­ci­fi­ci­té de notre théâtre. Nous avons réus­si à faire venir un public inha­bi­tuel au théâtre […] ». Les Fran­çais n’ont que modé­ré­ment appré­cié cette réécri­ture de « leur » Andro­maque, lui repro­chant d’a­voir plus à mon­trer qu’à dire. Une autre Andro­maque, dans le Off, répon­dait, à sa manière, à la pré­oc­cu­pa­tion de conti­nuer à mon­ter les grandes pièces du réper­toire parce que les ques­tions, les sen­ti­ments qu’elles mettent en jeu n’ont pas chan­gé. Alain Paris et la Com­pa­gnie La belle idée font preuve d’un clas­si­cisme épu­ré qui n’en­trave pas l’o­ri­gi­na­li­té. Du côté de la mise en scène, une porte tour­nante en verre insé­rée entre deux hautes parois sombres per­met les entrées et les sor­ties, don­nant à l’en­semble de la pièce un aspect très « gra­phique » de contraste noir et blanc. Dans la tra­gé­die, le des­tin est mani­fes­té par ceux que Barthes appelle « le per­son­nel non tra­gique » (les confi­dents et les ser­vi­teurs). Dans Andro­maque, ils sont quatre Pylade, Cléone, Céphise et Phœ­nix. Alain Paris les a fon­dus en un seul per­son­nage, qui est davan­tage que la somme des confi- dents ; il appa­rait comme celui qui tire les ficelles, un deus ex machi­na qui pré­ci­pite cha­cun vers sa fin. La com­pa­gnie a durant des mois tra­vaillé les alexan­drins au point que ceux-ci passent avec une flui­di­té très moderne qui fait oublier le côté tech­nique qu’ils peuvent par­fois avoir lors­qu’on a l’im­pres­sion que les comé­diens sont en train d’en comp­ter les pieds. Si les rap­ports entre les per­son­nages sont d’une extrême vio­lence — Pyr­rhus meurt assas­si­née, Her­mione se sui­cide, Oreste devient fou et Andro­maque, qui a vécu presque tout le cha­grin pos­sible, trouve l’a­pai­se­ment en conser­vant vivant le fils d’Hec­tor -, les comé­diens jouent avec une rete­nue extrême, et même la scène où Oreste perd la rai­son, sou­vent pré­texte à des débor­de­ments hys­té­riques, est jouée avec sobrié­té, Oreste sem­blant plus éton­né, plus éper­du de ne rien com­prendre que jouant dans le registre du fou éruc­tant. Sans conteste, l’une des réus­sites magis­trales du Off.

Le théâtre que d’au­cuns qua­li­fie­raient de « bour­geois » pro­duit cepen­dant lui aus­si de beaux spec­tacles pas si ano­dins que cela. Stein­beck avait lui­même adap­té Des sou­ris et des hommes pour la scène, adap­ta­tion dont il était mécon­tent alors qu’elle était très fidèle au roman. Repre­nant la ques­tion, Ismaïl Saf­wan et Patrick Che­va­lier (Cie de l’Ange d’or) ont res­ser­ré le pro­pos aux deux per­son­nages prin­ci­paux George et Len­nie, ces deux ouvriers agri­coles que la crise des années trente contraints à l’er­rance pour trou­ver du tra­vail. Le titre du roman, qui vient d’un vers peu connu du poète écos­sais Robert Burns, « Les plans les mieux conçus des sou­ris et des hommes ne se réa­lisent pas », et la remise en cause du rêve amé­ri­cain fon­dé sur la réus­site maté­rielle gardent toute leur actua­li­té. Le des­tin de Len­nie, gen­til colosse à la limite de la débi­li­té men­tale, et l’a­mi­tié de George ne rendent que plus poi­gnant l’é­chec de leur rêve si rai­son­nable, ache­ter une petite ferme.

A comme… Nombre de pièces ou de textes adap­tés à la scène parlent du monde d’au­jourd’­hui, que ce soit de manière fron­tale ou de manière détour­née. Plus les évè­ne­ments que l’on veut mettre en scène sont récents, plus il faut trou­ver un biais, un « déca­lage », comme le disait Barthes pour que les spec­ta­teurs n’aient pas l’im­pres­sion de voir un pen­sum pla­te­ment démons­tra­tif. Rober­to Zuc­co 2 de Kol­tès, écrit peu de temps après l’ar­res­ta­tion et la mort de ce tueur en série, de même que le film Rober­to Suc­co, de Cédric Kahn, ont cho­qué les familles des vic­times qui déniaient toute légi­ti­mi­té à des œuvres dont elles esti­maient, de façon par­tiale, — mais les vic­times n’ont-elles pas d’une cer­taine façon tou­jours rai­son ? — qu’elles fai­saient l’a­po­lo­gie du crime. Si ce der­nier texte de Kol­tès, ici dans une belle mise en scène de la com­pa­gnie Oza­gê, pri­vi­lé­gie, à la dif­fé­rence du film, les obses­sions de l’au­teur au détri­ment de la réa­li­té des faits, elle n’a pas la même puis­sance que Dans la soli­tude des champs de coton, de la com­pa­gnie Caval­cade. La ren­contre du client et du dea­ler, dont le cos­tume évoque un vam­pire, se trans­forme en une confron­ta­tion méta­phy­sique pour ten­ter de déter­mi­ner quel est le véri­table désir du client.

On le voit, les choix poli­tiques d’Os­ter­meier et de ses invi­tés et leur tra­duc­tion artis­tique peuvent se dis­cu­ter : la vio­lence, l’in­jus­tice du monde ne doivent pas for­cé­ment se tra­duire par de grands hap­pe­nings ins­pi­rés des concerts de rock.

  1. Roland Barthes, Écrits sur le théâtre, textes réunis et pré­sen­tés par Jean-Loup Rivière, coll. « Essais », édi­tions du Seuil, 2002.
  2. Chez Kol­tès, les per­son­nages n’ont pas d’i­den­ti­té propre : ils ne sont que la mère, la sœur, l’en­fant. Le seul per­son­nage qui soit dési­gné par son nom est le tueur Rober­to Suc­co deve­nu Zucco…

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie