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Vers des prisons « zéro émission » ?

Numéro 9 Septembre 2010 - prison par Christophe Mincke

avril 2015

Une dépêche de l’AFP, reprise par Le Soir nous donne un exemple sup­plé­men­taire de ce que nos socié­tés sont en voie de muta­tion envi­ron­ne­men­tale accé­lé­rée. Il y est ques­tion d’une socié­té, Green Revo­lu­tion, qui a mis au point des appa­reils de fit­ness pro­duc­teurs d’électricité. Le sport est théo­ri­que­ment carac­té­ri­sé par un déploie­ment de l’homme dans une activité […]

Une dépêche de l’AFP, reprise par Le Soir1 nous donne un exemple sup­plé­men­taire de ce que nos socié­tés sont en voie de muta­tion envi­ron­ne­men­tale accé­lé­rée. Il y est ques­tion d’une socié­té, Green Revo­lu­tion, qui a mis au point des appa­reils de fit­ness pro­duc­teurs d’électricité.

Le sport est théo­ri­que­ment carac­té­ri­sé par un déploie­ment de l’homme dans une acti­vi­té non ren­table. L’activité phy­sique pour elle-même signe notre condi­tion d’animaux n’ayant plus besoin d’économiser l’énergie et capables de dis­so­cier acti­vi­té et recherche de nour­ri­ture. Certes, l’invasion du sport par des logiques finan­cières et pro­fes­sion­nelles nous avait rap­pe­lé qu’il y a des limites au mépris de la ren­ta­bi­li­té. Mais nous fran­chis­sons un pas de plus avec la récu­pé­ra­tion des calo­ries que nous bru­lons sous forme d’énergie élec­trique. La graisse humaine est aus­si une bio­masse et sa des­truc­tion peut mener à la pro­duc­tion d’électricité verte2.

Ce qui nous a frap­pé, dans l’article pré­ci­té, c’est sa der­nière phrase : « Jay Whe­lan a reçu des demandes de ren­sei­gne­ments de la part de l’administration de quatre pri­sons. » Ain­si donc, le sec­teur péni­ten­tiaire amé­ri­cain serait inté­res­sé par le concept.

L’on sup­pose qu’il s’agit d’équiper les salles de sport dans les­quelles les déte­nus, à l’image de ham­sters, tentent en se défou­lant de faire oublier à leur corps qu’il est en cage. Or, quoi de plus scan­da­leux, même en pri­son, que toute cette éner­gie dépen­sée en pure perte ? Voi­là un indice de plus de la nor­ma­li­sa­tion de la pri­son, appe­lée de leurs vœux par les concep­teurs de la loi de prin­cipes (loi péni­ten­tiaire) du 12 jan­vier 20053. La pri­son, dont ils appellent l’ouverture au monde et dont ils nient l’exclusivité en tant que lieu de pres­ta­tion de la peine pri­va­tive de liber­té, sera bien­tôt pro­duc­trice d’énergie verte, comme tout le monde.

Mais on peut son­ger à d’intéressants déve­lop­pe­ments du concept. En pre­mier lieu, puisque l’on tente de faire de la pri­son un lieu où les déte­nus pour­ront s’investir dans de nou­veaux pro­jets, pour­quoi ne pas les inci­ter à s’engager pour l’environnement ? Pour­quoi ne pas leur pro­po­ser d’inclure une clause envi­ron­ne­men­tale dans leur plan de déten­tion, à côté des habi­tuelles clauses de style (à la réa­li­sa­tion aléa­toire) liées à l’indemnisation des vic­times et la recherche d’un emploi ? L’on pour­rait ain­si son­ger à l’engagement à pro­duire un nombre déter­mi­né de kilo­watt­heures au titre de répa­ra­tion sym­bo­lique vis-à-vis de la socié­té ou à l’engagement de com­pen­ser inté­gra­le­ment les émis­sions cau­sées par l’infraction et son trai­te­ment pénal.

Plus pro­saï­que­ment, on pour­rait envi­sa­ger de déve­lop­per la pro­fes­sion de cen­trale élec­trique au sein des pri­sons. Vu le tarif auquel sont payés les déte­nus qui mettent nos échan­tillons dans leurs jolis embal­lages et nos vis dans leurs petits sachets, il pour­rait être avan­ta­geux pour eux de pro­duire de l’électricité verte au tarif consom­ma­teur. Sans comp­ter que leurs cer­ti­fi­cats verts consti­tue­raient un pécule en vue de leur sortie.

À plus long terme, une réforme du Code pénal s’imposerait qui abou­ti­rait à une modi­fi­ca­tion radi­cale des peines. Celles-ci ne seraient plus expri­mées en années de pri­son, mais en kilo­watt­heures. Un pro­blème se pose­rait certes pour la per­pé­tui­té, mais nous dis­po­se­rions d’un véri­table Code pénal éco­lo­gique et orien­té vers la réparation.

Toute contri­bu­tion à la réduc­tion de l’empreinte éco­lo­gique de notre socié­té étant bonne à prendre, l’on peut se deman­der s’il ne serait pas sou­hai­table de construire de nou­velles pri­sons plu­tôt que de nou­velles cen­trales nucléaires. Quoique ces éta­blis­se­ments soient éga­le­ment pro­duc­teurs de déchets dif­fi­ciles à retraiter.

  1. Consul­té le 3 mai 2010.
  2. Même si l’on peut s’interroger sur la per­ti­nence de faire tran­si­ter la bio­masse par l’alimentation d’humains en junk food.
  3. Loi du 12 jan­vier 2005 de prin­cipes concer­nant l’administration péni­ten­tiaire ain­si que le sta­tut juri­dique des détenus.

Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.