Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Une nouvelle philosophie de la justice ?
En Belgique, la justice réparatrice fut souvent considérée comme une « troisième voie », située entre les modèles de justice rétributive, axée sur la punition, et de justice réhabilitative, axée sur la réhabilitation et la réinsertion. Le discours sur la justice réparatrice est ainsi souvent guidé par des idéaux réformateurs favorisant la mise en place de nouvelles réponses judiciaires. La mise en œuvre de ces nouvelles pratiques pose des questions complexes, non seulement sur le plan individuel pour le justiciable, mais aussi sur le plan pénal et sociétal en général.
Au cours des trente dernières années, les institutions sociales en général ont rencontré une crise importante d’efficacité et de légitimité. L’écart entre le public et le politique, la perte de confiance des citoyens dans les institutions, les griefs de plus en plus souvent formulés à l’égard de l’efficacité des institutions issues de l’État social comptent parmi les critiques qui sont le plus souvent formulées. Dès les années septante, un certain nombre d’académiques et de praticiens porteront un jugement allant en ce sens envers l’institution pénale. Parmi les critiques les plus radicales, on retiendra tout particulièrement en Europe, celles d’auteurs abolitionnistes (Christie, 1977 ; Hulsman et Bernat de Celis, 1982) qui s’attaqueront à la légitimité et l’efficacité de la justice criminelle dans la gestion de la délinquance. Ils iront d’ailleurs jusqu’à remettre en question tant la définition conventionnelle du crime que le bienfondé et l’utilité de la justice pénale. Selon eux, le système pénal réagit en effet avant tout à une infraction par rapport à une législation et obscurcit la réelle signification de l’expérience du « crime » pour les parties impliquées. Il réduit aussi les faits à un « instantané » sans tenir compte du caractère évolutif de l’expérience des individus. De plus, la logique manichéenne du système stigmatise les coupables (les conduisant à la marginalisation) et ne reconnait pas la place des victimes. Ils valoriseront l’idée que le crime peut être en réalité perçu comme un conflit qui peut être envisagé en tant qu’ouverture vers l’autre, amenant à la discussion et à la formulation de pistes possibles en vue de sa résolution.
Dans cette mouvance, les abolitionnistes seront parmi les premiers à se tourner vers l’étude des modes alternatifs de résolution des conflits — dont la médiation — et vers l’idée de remplacer la justice rétributive et réhabilitative par une justice réparatrice. Les sources idéologiques à la base de ce concept ne sont néanmoins pas uniquement l’abolitionnisme pénal. Des courants aussi divers que ceux visant à promouvoir des modes alternatifs de résolution des conflits, des valeurs morales dans le cadre de philosophies religieuses ou encore un nouveau « sens de la peine », provenant de différentes disciplines et mobilisant des savoirs divers, participèrent à son développement. En conséquence, le concept de justice restauratrice est toujours sujet, aujourd’hui, à interprétations diverses.
La justice réparatrice, un concept innovant, mais aussi multiforme
Aussi diverses que soient encore les significations du concept (voir infra), la définition de la justice réparatrice offerte par Galaway et Hudson (1992) au début des années nonante constitue un bon point de départ pour discuter les lignes de force de ce que certains ont qualifié de « nouveau » modèle de justice. Dans leur conception, le crime est avant tout considéré comme un conflit entre individus et seulement secondairement comme un conflit envers l’État ; le but du processus de justice pénale est de réparer le dommage causé par l’infraction, et non de punir ou de traiter le délinquant ; enfin, le système de justice pénale est censé promouvoir la participation de la victime, du délinquant et de la communauté à la résolution du conflit, plutôt que de laisser la décision à un juge ou un expert.
Le point de départ de ce modèle de justice est en effet d’appeler à la responsabilisation et à l’implication de tous ceux qui sont directement concernés par le conflit. L’État et en particulier la justice pénale ne détiennent plus alors un statut et une position exclusifs dans la résolution des conflits. L’objectif de ce modèle de justice n’est pas de répondre uniquement aux intérêts de la victime, mais d’équilibrer autant que possible les besoins de la victime, de l’auteur et de la communauté via la participation et la communication actives de ces trois parties. Enfin, ce sont les préoccupations des parties, mais aussi les conséquences et les dommages concrets résultant de l’infraction qui sont centraux dans ce modèle de justice. La discussion part de ce que les gens eux-mêmes estiment important et la réparation peut, notamment, être de nature matérielle ou immatérielle.
Il existe cependant plusieurs modèles de justice réparatrice qui peuvent varier selon les conceptions, appartenances et affiliations des personnes qui en font la promotion. Un certain nombre de « lignes de failles » sous-tendent en effet les conceptions des différents agents qui la promeuvent. Si les partisans de la justice réparatrice considèrent souvent le crime comme un « conflit » prenant place entre un auteur, une victime et la communauté, ils n’adhèrent pas tous, pour autant, à une vision « abolitionniste » du droit pénal.
Si la plupart du temps, les promoteurs de la justice réparatrice s’accordent à dire que la justice réparatrice a pour ambition de privilégier la restitution-réparation aux victimes, à la communauté ou à la société, par rapport à la punition ou au traitement, certains d’entre eux acceptent la punition ou le traitement comme faisant partie intégrante de la réparation. Enfin, si bon nombre de partisans de la justice réparatrice se sont montrés critiques par rapport au caractère peu constructif de la justice pénale à l’égard des auteurs, et ont privilégié un modèle où les intérêts de chacun des protagonistes peuvent être rencontrés, certains se sont surtout préoccupés de ceux des victimes, voire de ceux de la communauté et de la société.
Enfin, si les promoteurs de la justice réparatrice ont souvent tendance à privilégier la mise en œuvre de processus plus informels au sein desquels délinquant, victime et communauté peuvent discuter, voire définir le conflit, et y voient avant tout des vertus démocratiques permettant de revivifier les relations sociales en général, pour d’autres, la mise en place de tels processus n’exclut pas pour autant un pouvoir certain accordé à l’État en termes de résolution des conflits, ni l’existence de mesures réparatrices de nature verticale et autoritaire. Ainsi, si de nombreux avocats de la justice réparatrice déclarent que les principes de ce modèle sont mieux garantis par la mise en place de modes alternatifs de résolution des conflits en dehors du système pénal, permettant d’éviter le recours à la justice pénale, mais aussi à la punition par le biais de l’emprisonnement notamment, aujourd’hui, certains théoriciens de la justice réparatrice s’intéressent à l’emprisonnement lui-même, désirant lui offrir un sens plus réparateur que punitif ou réhabilitatif.
Deux modèles sont souvent utilisés pour clarifier aujourd’hui ces différentes conceptions : un modèle puriste et diversionniste, axé sur le « processus » et un autre maximaliste, davantage axé sur le « résultat » (Lemonne, 2002 ; Claes et Duerloo, 2008). Les partisans du modèle axé sur le processus estiment que c’est la participation volontaire et active des parties qui permettra, par l’interaction et la meilleure connaissance de l’autre, qu’une solution constructive, et donc réparatrice, puisse prendre place. Ils valorisent alors les processus alternatifs de résolution des conflits, tels que la médiation et les conférences réparatrices en groupe, et suggèrent de faire sortir un maximum de cas du processus pénal.
Le modèle, axé sur le résultat, privilégie, quant à lui, avant tout la réparation de la souffrance causée par le crime. L’accent est alors mis sur le résultat réparateur, quel que soit le processus mis en place pour l’atteindre. Si la plupart des partisans de cette dernière approche estiment que la mise en place de processus réparateurs, tels que la médiation, contribue d’autant mieux au résultat réparateur, ils envisagent également que puissent être mises en place des mesures réparatrices aussi bien unilatérales que coercitives (telles que le travail d’intérêt général, des programmes à l’égard des victimes, des mesures de médiation en supplément du processus pénal, voire même à partir de la prison). L’ambition pour eux est donc de mettre en place un droit criminel réparateur, valorisant participation, communication et réparation.
L’émergence de la justice réparatrice dans le champ de la justice pénale belge
En Belgique, la mise en place des premiers dispositifs date des années quatre-vingt. L’intérêt pour ce modèle de justice croitra surtout à partir des années nonante. À cette époque, un nombre croissant d’associations et de scientifiques contribua à mettre en œuvre des programmes à petite échelle, privilégiant des mesures valorisant des processus, des résultats et des valeurs réparatrices.
Les premiers projets de médiation se sont essentiellement développés par le biais des activités développées par certaines associations pionnières au sein de la justice des mineurs. Cependant, on ne parlait alors de justice réparatrice qu’en filigrane : il s’agissait plutôt d’une intuition, de la lente mise en place d’un processus qui allait progressivement intégrer, dans la justice pénale, des formes de participation accrues, de communication entre auteurs et victimes et, plus largement, apporter une place plus importante aux mécanismes de réparation à l’égard des victimes et de la communauté-société dans la justice criminelle.
L’orientation des scientifiques et praticiens belges militants en faveur de la justice réparatrice repose majoritairement sur le développement d’un modèle maximaliste de justice réparatrice. Depuis les années nonante, la stratégie des réformateurs consiste, en effet, à privilégier, autant que possible, la mise en œuvre des modes alternatifs de résolution des conflits à tous les stades de la procédure pénale, pour tous types d’infraction, et en particulier les plus graves (cette position étant notamment souvent justifiée par le fait que c’est dans les cas les plus graves que les victimes ont le plus de besoins de réparation). L’objectif est que la justice pénale puisse ainsi intégrer autant que possible la communication et la participation accrues des justiciables, et aussi l’objectif de réparation. Dans les premières expériences, par exemple, les résultats des médiations auteur-victime devaient ainsi permettre potentiellement d’influencer le juge et sa décision, lui offrant l’occasion de mieux percevoir ce qui était important pour l’auteur et la victime. Le droit criminel pouvait ainsi devenir plus « réparateur ». D’autres mesures ont également été mises en place : des mesures réparatrices unilatérales à l’égard des délinquants tels que des programmes de sensibilisation aux victimes, des fonds de réparation, des peines de travail… Dans ce cadre, la prison elle-même fut revisitée, certains scientifiques belges ayant été précurseurs dans le développement de la justice réparatrice en prison (Robert et Peters, 2003 ; Haudiomont et al., 2004).
À partir des années nonante, les pratiques de justice réparatrice ont également commencé à voir le jour au travers du discours politique, de plus en plus sensible à l’insécurité, aux préoccupations des victimes, mais aussi à la responsabilisation des auteurs. La valorisation de ces dimensions, partagées pour partie par la justice réparatrice, a rapidement permis à un certain nombre d’initiatives législatives de prendre place dans le champ de la justice pénale valorisant, d’une part, des programmes réparateurs, mais aussi, d’autre part, d’autres types de programmes visant avant tout des résultats rapides, visibles, efficaces ainsi que la sécurité et la protection des citoyens, en particulier à l’égard de délinquants qui pourraient présenter un risque grave pour les membres de la communauté (Mary et Defraene, 1998 ; Mary, 2006).
Un nombre croissant de nouveaux modes alternatifs de résolution des conflits, dont la médiation est l’une des illustrations, mais aussi des dispositifs plus unilatéraux, ayant un objectif réparateur, furent progressivement intégrés dans la justice pénale. Dans notre pays, l´intérêt pour la « médiation pénale » s’est traduit, en 1994, par l’introduction d’un article 216ter au Code d’instruction criminelle, qui prévoit la possibilité pour le procureur du Roi d´éteindre l’action publique moyennant certaines conditions1.
En dehors de cette procédure de médiation (la seule pendant longtemps à avoir pu bénéficier d’un cadre légal), un certain nombre d’expériences, instaurant une procédure de médiation à différents stades de la procédure pénale, ont également été mises en œuvre à l’égard de majeurs délinquants et de leurs victimes.
La médiation locale a ainsi connu un essor, même s’il s’agit toujours, à l’heure qu’il est, d’une mesure prétorienne régulée uniquement par voie de circulaire du parquet. Sorte de moyen terme entre la médiation communautaire et la médiation pénale, la médiation locale a été conçue par la magistrature en vue de répondre à la surcharge de travail connue sur le plan judiciaire. Cette procédure a en effet pour but de gérer des conflits portant sur des infractions mineures, portant sur des dommages matériels peu importants ou mettant en cause des personnes qui sont amenées à se revoir régulièrement, tels que des conflits de voisinage (injures, tapage nocturne, morsures de chien…) ou des conflits familiaux. Lorsqu’elle aboutit, la médiation locale offre bien souvent la possibilité d’un classement du dossier par les services de police, moyennant l’accord du parquet (Lemonne et Aersten, 2003).
En vue de régulariser les expériences pilotes déjà mises en œuvre dans les années nonante par des scientifiques et des praticiens, des dispositifs de médiation ont également été institués pour des infractions graves, en complément de l’action pénale traditionnelle cette fois. La loi du 22 juin 2005 place ainsi la médiation auteur-victime au cœur du pénal (Lemonne, 2007 ; Claes, 2008).
En dehors de ces dispositifs typiquement restaurateurs, un ensemble de dispositifs de nature unilatérale (travail d’intérêt général, peine de travail, services à l’égard des victimes), a également vu le jour. La nature réellement réparatrice de ces dispositifs nécessite cependant d’être questionnée, tant en raison des intentions qui y ont présidé que des pratiques qui en découlent.
Enfin, en Belgique, les initiatives de justice réparatrice ne se sont pas arrêtées aux murs de la prison. Elles ont pris place aussi en prison. La note d’orientation « Politique pénale et exécution des peines » du ministre de la Justice De Clerck fut le premier document politique belge faisant ainsi référence explicitement à la justice réparatrice. En aout 1996, le dossier Dutroux eut néanmoins un effet direct sur la politique pénale (Mary, 2006). Il influença notamment la réforme de la législation sur la libération conditionnelle, plaça les victimes de crimes graves au premier plan et durcit le contrôle pénal sur les délinquants sexuels en particulier, mais aussi en pratique sur de nombreux délinquants en général. À cette période notamment, un programme de construction de mille nouvelles cellules de prison fut voté. Concomitamment, le ministre décida néanmoins de mettre en œuvre progressivement, en prison, certaines idées et valeurs issues de la philosophie réparatrice. Une attention accrue fut ainsi portée aux besoins des victimes et au droit à la restauration dans l’exécution de la peine de prison. Une première expérience visant à instaurer la justice réparatrice dans six prisons (trois en Flandre et trois dans la partie francophone du pays) fut mise en place grâce au financement de projets de recherche-action universitaires. Les résultats de ces projets aboutirent en 2000 à la désignation, par le ministre de la Justice Verwilghen, de « consultants en justice réparatrice » dans toutes les prisons belges, en vue de mettre en place une « culture de réparation » en prison.
L’attention pour la justice réparatrice dans les prisons fut finalement formellement inscrite dans la loi offrant des droits aux prisonniers belges qui fut approuvée en janvier 2005. Son article 9 consacre notamment la réparation du détenu envers sa victime, envers la communauté et envers lui-même, comme un des objectifs de la peine de prison. Une visée réparatrice se retrouve aussi dans la loi de 2006, portant sur le statut juridique externe des condamnés à l’emprisonnement et les droits accordés à la victime. Il y est prévu que l’attitude du détenu envers la victime soit notamment évaluée s’il souhaite obtenir une autre modalité d’exécution de la peine que l’emprisonnement.
Enfin, pour compléter ce tableau, mais sans approfondir, le secteur de la jeunesse, bien qu’ayant été le lieu de l’émergence des premières pratiques réparatrices (Vanfraechem et Lemonne, 2005), n’a, quant à lui, vu l’institutionnalisation de la notion de réparation qu’en 2006, à la suite du vote de la loi réformant la loi sur la protection de la jeunesse. Dans ce cadre, des options réparatrices (telles que la médiation ou la concertation restauratrice en groupe) ont été adoptées, saupoudrant ainsi également la nouvelle loi de la jeunesse d’une « culture » de réparation.
alternative à la pénalité ou regain de sens pour la pénalité ?
Au-delà du simple constat de dissémination progressive des idées de justice réparatrice au sein de la justice pénale, notamment par le biais de l’action militante et politique, quels sont les enjeux principaux de ce nouveau modèle de justice, surtout une fois mis en pratique ? S’il est bien entendu impossible de tous les nommer dans le cadre de cette contribution, il est cependant envisageable d’en évoquer certains. Nous les aborderons principalement à partir de deux dispositifs qui se retrouvent chacun à un bout de la chaine pénale et qui sont de ce fait, à nos yeux, emblématiques de quelques-uns des enjeux auxquels est confronté actuellement le développement des dispositifs restaurateurs.
La justice réparatrice en tant qu’alternative à la pénalité : l’exemple de la médiation pénale
La médiation pénale fut introduite dans le système pénal belge en 1994. L’institutionnalisation du dispositif couramment dénommé « médiation pénale » est emblématique de la manière dont les idées de justice réparatrice se sont implantées dans le champ pénal, mais aussi des effets qu’ils y produisent.
Même si la médiation pénale n’était pas à l’époque le seul programme existant dans le champ de la médiation en matière pénale en Belgique sous forme d’expériences pilotes, par contraste avec ces autres programmes, la médiation pénale reçut rapidement une base légale. L’introduction d’un article 216ter dans le Code d’instruction criminelle constitua en effet la première initiative gouvernementale privilégiant la mise en place d’une telle mesure réparatrice.
L’adoption de la procédure de médiation pénale fut cependant rapidement sujette à de nombreuses critiques (Mary, 1998). Elles reposaient notamment sur le fait que le processus de médiation n’était pas compatible avec l’objectif d’accélération de la justice mis en évidence concomitamment, à l’époque, par le ministre et que l’enjeu pour la victime n’était pas réellement considéré. Plus fondamentalement, la loi fut considérée comme dénaturant le concept de médiation2. Premièrement, car le troisième acteur dans la procédure créée par la loi, c’est-à-dire le procureur du Roi, n’est, par définition, pas dans une position de neutralité, mais une partie au débat. Deuxièmement, parce que la loi offre la possibilité au procureur d’éviter une médiation directe entre auteur et victime en proposant systématiquement une des trois autres mesures (le suivi thérapeutique, le travail d’intérêt général et la formation). Troisièmement, car ces trois autres mesures ne peuvent être considérées comme des procédures de médiation. En tant que résultat de ces conditions, il fut clamé que la procédure constituait en réalité une nouvelle opportunité pour le procureur d’imposer un certain nombre de conditions en vue de mettre fin à l’action publique. Les critiques mirent aussi en évidence que si l’on peut bien évidemment argumenter qu’aucune de ces mesures n’est imposée au délinquant, le contexte pénal réduit considérablement ses choix, compte tenu de la pression exercée par une poursuite éventuelle et ses conséquences. La procédure de médiation pénale réduit, par ailleurs, les garanties judiciaires normalement accordées au délinquant (et à la victime) dans le cadre du procès pénal. Enfin, la procédure fut dénoncée comme susceptible de produire une « extension du filet pénal » à l’égard des petits délinquants. Les différents critiques se demandèrent en effet si ces mesures ne seraient pas utilisées essentiellement à l’égard de cas si légers qu’ils auraient fait, précédemment, l’objet d’un classement sans suite par le procureur du Roi.
Les recherches empiriques menées depuis sur la médiation pénale confirment en grande partie les craintes formulées dès son lancement. S’il existe, depuis quelques années déjà, un contentieux stable d’affaires qui est renvoyé, au niveau du parquet, vers la médiation pénale, son usage reste toujours périphérique (comme c’est le cas de nombreuses autres alternatives d’ailleurs) par rapport à l’usage de l’emprisonnement. Ce dernier constitue toujours de loin la solution favorite aux problèmes du crime.
Si le processus de médiation entre parties occupe une place importante dans certains arrondissements, dans d’autres, le procureur du Roi n’appelle que plus rarement la victime à participer à la procédure de médiation pénale. Certains magistrats ont encore, semble-t-il, une conception limitée, voire prudente, de la portée positive de mesures communicatives et réparatrices pour les auteurs et les victimes qui y participent. Dans ce cas, l’auteur se voit souvent offrir une des trois autres mesures offertes par la loi (travail d’intérêt général, thérapie ou formation), voire même un cumul de ces mesures ou des mesures créatives. Les magistrats utilisent alors la médiation comme s’il s’agissait d’une réponse judiciaire classique, leur permettant néanmoins de réagir rapidement à une infraction et à individualiser, en quelque sorte, la peine avant jugement. Cette procédure se focalise dans ce cas de manière prédominante sur l’auteur (présumé). Pour certains magistrats, la médiation pénale est aussi perçue comme une mesure « légère », qui doit donc préférablement soit se voir combinée avec d’autres mesures pour en assurer le caractère punitif, soit n’être utilisée que pour des cas de faible gravité. Cette situation a alors pour effet d’alourdir le contrôle pénal sur les auteurs (présumés) et/ou d’étendre le filet pénal à des faits qui auraient fort probablement fait l’objet d’un classement sans suite auparavant.
Cet exemple montre donc bien comment, au lieu d’être une réelle alternative à la justice pénale et à l’emprisonnement, la médiation pénale permet en réalité le redéploiement de la pénalité, vers des cas qui n’auraient pas été gérés par le système auparavant (et qui, s’ils l’avaient été, l’auraient été avec davantage de garanties pour les justiciables) et selon des modalités, certes innovantes, mais ne constituant pas pour autant, dans bien des cas, une rupture si significative par rapport à l’approche punitive ou réhabilitative traditionnelle.
L’introduction de mesures réparatrices au cœur de la pénalité, un regain de sens pour la peine ?
La mise en œuvre de la justice réparatrice au cœur de la prison doit être recadrée dans le contexte des critiques et des défis de l’emprisonnement. Parmi les critiques les plus courantes, celles relatives à son inaptitude à réduire la délinquance, à réhabiliter ou à réinsérer les détenus et celles relatives à l’absence de toute règlementation des droits concernant la vie en prison. L’institution carcérale fut donc confrontée à une crise de légitimité et d’efficacité importante qui ne fit que s’accentuer en raison du problème de surpopulation carcérale devenu endémique. Le fait qu’aucun « projet » clair, associé à des objectifs explicites, ne nourrisse l’usage de l’emprisonnement, fut dénoncé à maintes reprises. Les lois pénitentiaires, évoquées ci-dessus, sont venues partiellement résoudre cette question en offrant un projet à l’emprisonnement, impliquant notamment la mise en place d’un objectif de réparation.
L’insertion d’une philosophie de la réparation en prison doit cependant être relativisée à la suite de la passation de cette loi : la fonction d’«attaché en justice réparatrice » qui devait permettre que les actions réparatrices, mises en place précédemment, continuent de prendre place dans le cadre pénitentiaire, fut pour diverses raisons redéfinie par celle « d’attaché à l’appui opérationnel et de gestion ». De ce fait, l’attention pour les initiatives de justice réparatrice fut diluée par de nombreuses autres questions (de personnel, disciplinaires etc.) desquelles cet attaché est amené à s’occuper en prison. De plus, les principes de justice réparatrice (tels que la participation volontaire et l’autonomie du détenu), pourtant légalement reconnus, sont soumis dans le cadre de la pratique carcérale à de nombreuses « pressions » qui tendent à rendre ces deux principes peu effectifs : en prison, c’est plutôt l’obligation de « réparation » qui devient aujourd’hui la norme. Quant au contenu de la réparation, alors qu’il devrait offrir au détenu des possibilités d’accepter sa culpabilité, de discuter des faits et d’arriver à se réparer, il semble plutôt se réduire, en pratique également, à celle intéressant exclusivement les victimes. L’expérience de la coercition, de la perte d’autonomie et de pouvoir par le prisonnier va donc toujours de pair, semble-t-il, avec un séjour en prison. La prison peut toujours être identifiée comme un lieu de punition par excellence, comme un symbole social de répression et d’exclusion même si la punition se drape notamment, cette fois, des idéaux de réparation.
Au travers de cette illustration, il apparait donc que l’institutionnalisation de la justice réparatrice dans le contexte carcéral, au-delà des discours qui l’ont accompagnée, n’implique pas pour autant non plus qu’en pratique les choses changent dans l’usage de la prison. On peut même se demander si ces nouveaux discours et pratiques, en instituant de nouveaux acteurs, de nouveaux dispositifs, de nouvelles conditions, ne font pas que contribuer à son redéploiement.
Conclusions
La justice réparatrice a connu un développement considérable dans le champ pénal belge ces dernières années. Si l’on peut, sans conteste, reconnaitre certaines vertus, sur le plan interindividuel et sociétal, à la valorisation de la communication, de la participation et de la réparation, l’insertion concrète de discours et de pratiques réparateurs dans le champ pénal doit être continuellement questionnée, et éventuellement relativisée, à l’aune du cadre dans lequel ils ont été institués et de leur pratique.
Pour se voir mise en œuvre, la justice réparatrice a en effet nécessité la rencontre d’enjeux émanant de trois types d’arène : celle d’un mouvement de scientifiques et de praticiens réformateurs faisant la promotion de la justice réparatrice et prompt à valoriser, politiquement et pratiquement, autant que possible, leurs pistes de réformes ; celle d’un mouvement politique pressé de réformer le pénal en raison de la crise d’efficacité et de légitimité qui lui est connue, selon des logiques réparatrices, mais aussi en tenant compte d’autres enjeux (l’insécurité, les victimes, la rapidité, les risques de récidives, la surpopulation pénitentiaire…); celle, enfin, d’agents ayant à réceptionner ces mesures (la magistrature, le parquet, la prison…), mais dont les rationalités et les moyens institutionnels ne sont pas toujours aptes à absorber ces nouvelles idées, d’autant que les directions politiques et les moyens budgétaires n’ont pas toujours été là pour les guider ou les soutenir.
Dès lors, les dispositifs les plus réparateurs (tels que la médiation) ne sont pas toujours l’objet de la valorisation escomptée et ont encore peu d’influence réelle sur la rationalité pénale, malgré les critiques dont elle est affublée, notamment compte tenu de ses effets délétères, tant pour les auteurs que pour les victimes. On peut donc estimer que la justice pénale, plutôt que de s’orienter vers une justice réparatrice, laisse davantage, aujourd’hui, simplement de petites « niches » de ci de là pour la réparation. Dans ce cadre, le discours et les pratiques réparateurs lui permettent en réalité, avant tout, de se redéployer, étendant le filet pénal, mais accentuant également le contrôle pénal sur une partie de la population.
- Voir dans ce numéro l’article de Valérie Moreau.
- La terminologie de « médiation pénale » définissant la procédure fut considérée par beaucoup de scientifiques et par le Conseil d’État comme un « abus de langage », cachant en réalité un discours sécuritaire et un désir de légitimation de la politique gouvernementale.