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Une nouvelle philosophie de la justice ?

Numéro 3 Mars 2011 - prison par Bart Claes

mars 2011

En Bel­gique, la jus­tice répa­ra­trice fut sou­vent consi­dé­rée comme une « troi­sième voie », située entre les modèles de jus­tice rétri­bu­tive, axée sur la puni­tion, et de jus­tice réha­bi­li­ta­tive, axée sur la réha­bi­li­ta­tion et la réin­ser­tion. Le dis­cours sur la jus­tice répa­ra­trice est ain­si sou­vent gui­dé par des idéaux réfor­ma­teurs favo­ri­sant la mise en place de nou­velles réponses judi­ciaires. La mise en œuvre de ces nou­velles pra­tiques pose des ques­tions com­plexes, non seule­ment sur le plan indi­vi­duel pour le jus­ti­ciable, mais aus­si sur le plan pénal et socié­tal en général.

Au cours des trente der­nières années, les ins­ti­tu­tions sociales en géné­ral ont ren­con­tré une crise impor­tante d’efficacité et de légi­ti­mi­té. L’écart entre le public et le poli­tique, la perte de confiance des citoyens dans les ins­ti­tu­tions, les griefs de plus en plus sou­vent for­mu­lés à l’égard de l’efficacité des ins­ti­tu­tions issues de l’État social comptent par­mi les cri­tiques qui sont le plus sou­vent for­mu­lées. Dès les années sep­tante, un cer­tain nombre d’académiques et de pra­ti­ciens por­te­ront un juge­ment allant en ce sens envers l’institution pénale. Par­mi les cri­tiques les plus radi­cales, on retien­dra tout par­ti­cu­liè­re­ment en Europe, celles d’auteurs abo­li­tion­nistes (Chris­tie, 1977 ; Huls­man et Ber­nat de Celis, 1982) qui s’attaqueront à la légi­ti­mi­té et l’efficacité de la jus­tice cri­mi­nelle dans la ges­tion de la délin­quance. Ils iront d’ailleurs jusqu’à remettre en ques­tion tant la défi­ni­tion conven­tion­nelle du crime que le bien­fon­dé et l’utilité de la jus­tice pénale. Selon eux, le sys­tème pénal réagit en effet avant tout à une infrac­tion par rap­port à une légis­la­tion et obs­cur­cit la réelle signi­fi­ca­tion de l’expérience du « crime » pour les par­ties impli­quées. Il réduit aus­si les faits à un « ins­tan­ta­né » sans tenir compte du carac­tère évo­lu­tif de l’expérience des indi­vi­dus. De plus, la logique mani­chéenne du sys­tème stig­ma­tise les cou­pables (les condui­sant à la mar­gi­na­li­sa­tion) et ne recon­nait pas la place des vic­times. Ils valo­ri­se­ront l’idée que le crime peut être en réa­li­té per­çu comme un conflit qui peut être envi­sa­gé en tant qu’ouverture vers l’autre, ame­nant à la dis­cus­sion et à la for­mu­la­tion de pistes pos­sibles en vue de sa résolution.

Dans cette mou­vance, les abo­li­tion­nistes seront par­mi les pre­miers à se tour­ner vers l’étude des modes alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits — dont la média­tion — et vers l’idée de rem­pla­cer la jus­tice rétri­bu­tive et réha­bi­li­ta­tive par une jus­tice répa­ra­trice. Les sources idéo­lo­giques à la base de ce concept ne sont néan­moins pas uni­que­ment l’abolitionnisme pénal. Des cou­rants aus­si divers que ceux visant à pro­mou­voir des modes alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits, des valeurs morales dans le cadre de phi­lo­so­phies reli­gieuses ou encore un nou­veau « sens de la peine », pro­ve­nant de dif­fé­rentes dis­ci­plines et mobi­li­sant des savoirs divers, par­ti­ci­pèrent à son déve­lop­pe­ment. En consé­quence, le concept de jus­tice res­tau­ra­trice est tou­jours sujet, aujourd’hui, à inter­pré­ta­tions diverses.

La justice réparatrice, un concept innovant, mais aussi multiforme

Aus­si diverses que soient encore les signi­fi­ca­tions du concept (voir infra), la défi­ni­tion de la jus­tice répa­ra­trice offerte par Gala­way et Hud­son (1992) au début des années nonante consti­tue un bon point de départ pour dis­cu­ter les lignes de force de ce que cer­tains ont qua­li­fié de « nou­veau » modèle de jus­tice. Dans leur concep­tion, le crime est avant tout consi­dé­ré comme un conflit entre indi­vi­dus et seule­ment secon­dai­re­ment comme un conflit envers l’État ; le but du pro­ces­sus de jus­tice pénale est de répa­rer le dom­mage cau­sé par l’infraction, et non de punir ou de trai­ter le délin­quant ; enfin, le sys­tème de jus­tice pénale est cen­sé pro­mou­voir la par­ti­ci­pa­tion de la vic­time, du délin­quant et de la com­mu­nau­té à la réso­lu­tion du conflit, plu­tôt que de lais­ser la déci­sion à un juge ou un expert.

Le point de départ de ce modèle de jus­tice est en effet d’appeler à la res­pon­sa­bi­li­sa­tion et à l’implication de tous ceux qui sont direc­te­ment concer­nés par le conflit. L’État et en par­ti­cu­lier la jus­tice pénale ne détiennent plus alors un sta­tut et une posi­tion exclu­sifs dans la réso­lu­tion des conflits. L’objectif de ce modèle de jus­tice n’est pas de répondre uni­que­ment aux inté­rêts de la vic­time, mais d’équilibrer autant que pos­sible les besoins de la vic­time, de l’auteur et de la com­mu­nau­té via la par­ti­ci­pa­tion et la com­mu­ni­ca­tion actives de ces trois par­ties. Enfin, ce sont les pré­oc­cu­pa­tions des par­ties, mais aus­si les consé­quences et les dom­mages concrets résul­tant de l’infraction qui sont cen­traux dans ce modèle de jus­tice. La dis­cus­sion part de ce que les gens eux-mêmes estiment impor­tant et la répa­ra­tion peut, notam­ment, être de nature maté­rielle ou immatérielle.

Il existe cepen­dant plu­sieurs modèles de jus­tice répa­ra­trice qui peuvent varier selon les concep­tions, appar­te­nances et affi­lia­tions des per­sonnes qui en font la pro­mo­tion. Un cer­tain nombre de « lignes de failles » sous-tendent en effet les concep­tions des dif­fé­rents agents qui la pro­meuvent. Si les par­ti­sans de la jus­tice répa­ra­trice consi­dèrent sou­vent le crime comme un « conflit » pre­nant place entre un auteur, une vic­time et la com­mu­nau­té, ils n’adhèrent pas tous, pour autant, à une vision « abo­li­tion­niste » du droit pénal.

Si la plu­part du temps, les pro­mo­teurs de la jus­tice répa­ra­trice s’accordent à dire que la jus­tice répa­ra­trice a pour ambi­tion de pri­vi­lé­gier la res­ti­tu­tion-répa­ra­tion aux vic­times, à la com­mu­nau­té ou à la socié­té, par rap­port à la puni­tion ou au trai­te­ment, cer­tains d’entre eux acceptent la puni­tion ou le trai­te­ment comme fai­sant par­tie inté­grante de la répa­ra­tion. Enfin, si bon nombre de par­ti­sans de la jus­tice répa­ra­trice se sont mon­trés cri­tiques par rap­port au carac­tère peu construc­tif de la jus­tice pénale à l’égard des auteurs, et ont pri­vi­lé­gié un modèle où les inté­rêts de cha­cun des pro­ta­go­nistes peuvent être ren­con­trés, cer­tains se sont sur­tout pré­oc­cu­pés de ceux des vic­times, voire de ceux de la com­mu­nau­té et de la société.

Enfin, si les pro­mo­teurs de la jus­tice répa­ra­trice ont sou­vent ten­dance à pri­vi­lé­gier la mise en œuvre de pro­ces­sus plus infor­mels au sein des­quels délin­quant, vic­time et com­mu­nau­té peuvent dis­cu­ter, voire défi­nir le conflit, et y voient avant tout des ver­tus démo­cra­tiques per­met­tant de revi­vi­fier les rela­tions sociales en géné­ral, pour d’autres, la mise en place de tels pro­ces­sus n’exclut pas pour autant un pou­voir cer­tain accor­dé à l’État en termes de réso­lu­tion des conflits, ni l’existence de mesures répa­ra­trices de nature ver­ti­cale et auto­ri­taire. Ain­si, si de nom­breux avo­cats de la jus­tice répa­ra­trice déclarent que les prin­cipes de ce modèle sont mieux garan­tis par la mise en place de modes alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits en dehors du sys­tème pénal, per­met­tant d’éviter le recours à la jus­tice pénale, mais aus­si à la puni­tion par le biais de l’emprisonnement notam­ment, aujourd’hui, cer­tains théo­ri­ciens de la jus­tice répa­ra­trice s’intéressent à l’emprisonnement lui-même, dési­rant lui offrir un sens plus répa­ra­teur que puni­tif ou réhabilitatif.

Deux modèles sont sou­vent uti­li­sés pour cla­ri­fier aujourd’hui ces dif­fé­rentes concep­tions : un modèle puriste et diver­sion­niste, axé sur le « pro­ces­sus » et un autre maxi­ma­liste, davan­tage axé sur le « résul­tat » (Lemonne, 2002 ; Claes et Duer­loo, 2008). Les par­ti­sans du modèle axé sur le pro­ces­sus estiment que c’est la par­ti­ci­pa­tion volon­taire et active des par­ties qui per­met­tra, par l’interaction et la meilleure connais­sance de l’autre, qu’une solu­tion construc­tive, et donc répa­ra­trice, puisse prendre place. Ils valo­risent alors les pro­ces­sus alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits, tels que la média­tion et les confé­rences répa­ra­trices en groupe, et sug­gèrent de faire sor­tir un maxi­mum de cas du pro­ces­sus pénal.

Le modèle, axé sur le résul­tat, pri­vi­lé­gie, quant à lui, avant tout la répa­ra­tion de la souf­france cau­sée par le crime. L’accent est alors mis sur le résul­tat répa­ra­teur, quel que soit le pro­ces­sus mis en place pour l’atteindre. Si la plu­part des par­ti­sans de cette der­nière approche estiment que la mise en place de pro­ces­sus répa­ra­teurs, tels que la média­tion, contri­bue d’autant mieux au résul­tat répa­ra­teur, ils envi­sagent éga­le­ment que puissent être mises en place des mesures répa­ra­trices aus­si bien uni­la­té­rales que coer­ci­tives (telles que le tra­vail d’intérêt géné­ral, des pro­grammes à l’égard des vic­times, des mesures de média­tion en sup­plé­ment du pro­ces­sus pénal, voire même à par­tir de la pri­son). L’ambition pour eux est donc de mettre en place un droit cri­mi­nel répa­ra­teur, valo­ri­sant par­ti­ci­pa­tion, com­mu­ni­ca­tion et réparation.

L’émergence de la justice réparatrice dans le champ de la justice pénale belge

En Bel­gique, la mise en place des pre­miers dis­po­si­tifs date des années quatre-vingt. L’intérêt pour ce modèle de jus­tice croi­tra sur­tout à par­tir des années nonante. À cette époque, un nombre crois­sant d’associations et de scien­ti­fiques contri­bua à mettre en œuvre des pro­grammes à petite échelle, pri­vi­lé­giant des mesures valo­ri­sant des pro­ces­sus, des résul­tats et des valeurs réparatrices.

Les pre­miers pro­jets de média­tion se sont essen­tiel­le­ment déve­lop­pés par le biais des acti­vi­tés déve­lop­pées par cer­taines asso­cia­tions pion­nières au sein de la jus­tice des mineurs. Cepen­dant, on ne par­lait alors de jus­tice répa­ra­trice qu’en fili­grane : il s’agissait plu­tôt d’une intui­tion, de la lente mise en place d’un pro­ces­sus qui allait pro­gres­si­ve­ment inté­grer, dans la jus­tice pénale, des formes de par­ti­ci­pa­tion accrues, de com­mu­ni­ca­tion entre auteurs et vic­times et, plus lar­ge­ment, appor­ter une place plus impor­tante aux méca­nismes de répa­ra­tion à l’égard des vic­times et de la com­mu­nau­té-socié­té dans la jus­tice criminelle.

L’orientation des scien­ti­fiques et pra­ti­ciens belges mili­tants en faveur de la jus­tice répa­ra­trice repose majo­ri­tai­re­ment sur le déve­lop­pe­ment d’un modèle maxi­ma­liste de jus­tice répa­ra­trice. Depuis les années nonante, la stra­té­gie des réfor­ma­teurs consiste, en effet, à pri­vi­lé­gier, autant que pos­sible, la mise en œuvre des modes alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits à tous les stades de la pro­cé­dure pénale, pour tous types d’infraction, et en par­ti­cu­lier les plus graves (cette posi­tion étant notam­ment sou­vent jus­ti­fiée par le fait que c’est dans les cas les plus graves que les vic­times ont le plus de besoins de répa­ra­tion). L’objectif est que la jus­tice pénale puisse ain­si inté­grer autant que pos­sible la com­mu­ni­ca­tion et la par­ti­ci­pa­tion accrues des jus­ti­ciables, et aus­si l’objectif de répa­ra­tion. Dans les pre­mières expé­riences, par exemple, les résul­tats des média­tions auteur-vic­time devaient ain­si per­mettre poten­tiel­le­ment d’influencer le juge et sa déci­sion, lui offrant l’occasion de mieux per­ce­voir ce qui était impor­tant pour l’auteur et la vic­time. Le droit cri­mi­nel pou­vait ain­si deve­nir plus « répa­ra­teur ». D’autres mesures ont éga­le­ment été mises en place : des mesures répa­ra­trices uni­la­té­rales à l’égard des délin­quants tels que des pro­grammes de sen­si­bi­li­sa­tion aux vic­times, des fonds de répa­ra­tion, des peines de tra­vail… Dans ce cadre, la pri­son elle-même fut revi­si­tée, cer­tains scien­ti­fiques belges ayant été pré­cur­seurs dans le déve­lop­pe­ment de la jus­tice répa­ra­trice en pri­son (Robert et Peters, 2003 ; Hau­dio­mont et al., 2004).

À par­tir des années nonante, les pra­tiques de jus­tice répa­ra­trice ont éga­le­ment com­men­cé à voir le jour au tra­vers du dis­cours poli­tique, de plus en plus sen­sible à l’insécurité, aux pré­oc­cu­pa­tions des vic­times, mais aus­si à la res­pon­sa­bi­li­sa­tion des auteurs. La valo­ri­sa­tion de ces dimen­sions, par­ta­gées pour par­tie par la jus­tice répa­ra­trice, a rapi­de­ment per­mis à un cer­tain nombre d’initiatives légis­la­tives de prendre place dans le champ de la jus­tice pénale valo­ri­sant, d’une part, des pro­grammes répa­ra­teurs, mais aus­si, d’autre part, d’autres types de pro­grammes visant avant tout des résul­tats rapides, visibles, effi­caces ain­si que la sécu­ri­té et la pro­tec­tion des citoyens, en par­ti­cu­lier à l’égard de délin­quants qui pour­raient pré­sen­ter un risque grave pour les membres de la com­mu­nau­té (Mary et Defraene, 1998 ; Mary, 2006).

Un nombre crois­sant de nou­veaux modes alter­na­tifs de réso­lu­tion des conflits, dont la média­tion est l’une des illus­tra­tions, mais aus­si des dis­po­si­tifs plus uni­la­té­raux, ayant un objec­tif répa­ra­teur, furent pro­gres­si­ve­ment inté­grés dans la jus­tice pénale. Dans notre pays, l´intérêt pour la « média­tion pénale » s’est tra­duit, en 1994, par l’introduction d’un article 216ter au Code d’instruction cri­mi­nelle, qui pré­voit la pos­si­bi­li­té pour le pro­cu­reur du Roi d´éteindre l’action publique moyen­nant cer­taines condi­tions1.

En dehors de cette pro­cé­dure de média­tion (la seule pen­dant long­temps à avoir pu béné­fi­cier d’un cadre légal), un cer­tain nombre d’expériences, ins­tau­rant une pro­cé­dure de média­tion à dif­fé­rents stades de la pro­cé­dure pénale, ont éga­le­ment été mises en œuvre à l’égard de majeurs délin­quants et de leurs victimes.

La média­tion locale a ain­si connu un essor, même s’il s’agit tou­jours, à l’heure qu’il est, d’une mesure pré­to­rienne régu­lée uni­que­ment par voie de cir­cu­laire du par­quet. Sorte de moyen terme entre la média­tion com­mu­nau­taire et la média­tion pénale, la média­tion locale a été conçue par la magis­tra­ture en vue de répondre à la sur­charge de tra­vail connue sur le plan judi­ciaire. Cette pro­cé­dure a en effet pour but de gérer des conflits por­tant sur des infrac­tions mineures, por­tant sur des dom­mages maté­riels peu impor­tants ou met­tant en cause des per­sonnes qui sont ame­nées à se revoir régu­liè­re­ment, tels que des conflits de voi­si­nage (injures, tapage noc­turne, mor­sures de chien…) ou des conflits fami­liaux. Lorsqu’elle abou­tit, la média­tion locale offre bien sou­vent la pos­si­bi­li­té d’un clas­se­ment du dos­sier par les ser­vices de police, moyen­nant l’accord du par­quet (Lemonne et Aers­ten, 2003).

En vue de régu­la­ri­ser les expé­riences pilotes déjà mises en œuvre dans les années nonante par des scien­ti­fiques et des pra­ti­ciens, des dis­po­si­tifs de média­tion ont éga­le­ment été ins­ti­tués pour des infrac­tions graves, en com­plé­ment de l’action pénale tra­di­tion­nelle cette fois. La loi du 22 juin 2005 place ain­si la média­tion auteur-vic­time au cœur du pénal (Lemonne, 2007 ; Claes, 2008).

En dehors de ces dis­po­si­tifs typi­que­ment res­tau­ra­teurs, un ensemble de dis­po­si­tifs de nature uni­la­té­rale (tra­vail d’intérêt géné­ral, peine de tra­vail, ser­vices à l’égard des vic­times), a éga­le­ment vu le jour. La nature réel­le­ment répa­ra­trice de ces dis­po­si­tifs néces­site cepen­dant d’être ques­tion­née, tant en rai­son des inten­tions qui y ont pré­si­dé que des pra­tiques qui en découlent.

Enfin, en Bel­gique, les ini­tia­tives de jus­tice répa­ra­trice ne se sont pas arrê­tées aux murs de la pri­son. Elles ont pris place aus­si en pri­son. La note d’orientation « Poli­tique pénale et exé­cu­tion des peines » du ministre de la Jus­tice De Clerck fut le pre­mier docu­ment poli­tique belge fai­sant ain­si réfé­rence expli­ci­te­ment à la jus­tice répa­ra­trice. En aout 1996, le dos­sier Dutroux eut néan­moins un effet direct sur la poli­tique pénale (Mary, 2006). Il influen­ça notam­ment la réforme de la légis­la­tion sur la libé­ra­tion condi­tion­nelle, pla­ça les vic­times de crimes graves au pre­mier plan et dur­cit le contrôle pénal sur les délin­quants sexuels en par­ti­cu­lier, mais aus­si en pra­tique sur de nom­breux délin­quants en géné­ral. À cette période notam­ment, un pro­gramme de construc­tion de mille nou­velles cel­lules de pri­son fut voté. Conco­mi­tam­ment, le ministre déci­da néan­moins de mettre en œuvre pro­gres­si­ve­ment, en pri­son, cer­taines idées et valeurs issues de la phi­lo­so­phie répa­ra­trice. Une atten­tion accrue fut ain­si por­tée aux besoins des vic­times et au droit à la res­tau­ra­tion dans l’exécution de la peine de pri­son. Une pre­mière expé­rience visant à ins­tau­rer la jus­tice répa­ra­trice dans six pri­sons (trois en Flandre et trois dans la par­tie fran­co­phone du pays) fut mise en place grâce au finan­ce­ment de pro­jets de recherche-action uni­ver­si­taires. Les résul­tats de ces pro­jets abou­tirent en 2000 à la dési­gna­tion, par le ministre de la Jus­tice Ver­wil­ghen, de « consul­tants en jus­tice répa­ra­trice » dans toutes les pri­sons belges, en vue de mettre en place une « culture de répa­ra­tion » en prison.

L’attention pour la jus­tice répa­ra­trice dans les pri­sons fut fina­le­ment for­mel­le­ment ins­crite dans la loi offrant des droits aux pri­son­niers belges qui fut approu­vée en jan­vier 2005. Son article 9 consacre notam­ment la répa­ra­tion du déte­nu envers sa vic­time, envers la com­mu­nau­té et envers lui-même, comme un des objec­tifs de la peine de pri­son. Une visée répa­ra­trice se retrouve aus­si dans la loi de 2006, por­tant sur le sta­tut juri­dique externe des condam­nés à l’emprisonnement et les droits accor­dés à la vic­time. Il y est pré­vu que l’attitude du déte­nu envers la vic­time soit notam­ment éva­luée s’il sou­haite obte­nir une autre moda­li­té d’exécution de la peine que l’emprisonnement.

Enfin, pour com­plé­ter ce tableau, mais sans appro­fon­dir, le sec­teur de la jeu­nesse, bien qu’ayant été le lieu de l’émergence des pre­mières pra­tiques répa­ra­trices (Van­frae­chem et Lemonne, 2005), n’a, quant à lui, vu l’institutionnalisation de la notion de répa­ra­tion qu’en 2006, à la suite du vote de la loi réfor­mant la loi sur la pro­tec­tion de la jeu­nesse. Dans ce cadre, des options répa­ra­trices (telles que la média­tion ou la concer­ta­tion res­tau­ra­trice en groupe) ont été adop­tées, sau­pou­drant ain­si éga­le­ment la nou­velle loi de la jeu­nesse d’une « culture » de réparation.

alternative à la pénalité ou regain de sens pour la pénalité ?

Au-delà du simple constat de dis­sé­mi­na­tion pro­gres­sive des idées de jus­tice répa­ra­trice au sein de la jus­tice pénale, notam­ment par le biais de l’action mili­tante et poli­tique, quels sont les enjeux prin­ci­paux de ce nou­veau modèle de jus­tice, sur­tout une fois mis en pra­tique ? S’il est bien enten­du impos­sible de tous les nom­mer dans le cadre de cette contri­bu­tion, il est cepen­dant envi­sa­geable d’en évo­quer cer­tains. Nous les abor­de­rons prin­ci­pa­le­ment à par­tir de deux dis­po­si­tifs qui se retrouvent cha­cun à un bout de la chaine pénale et qui sont de ce fait, à nos yeux, emblé­ma­tiques de quelques-uns des enjeux aux­quels est confron­té actuel­le­ment le déve­lop­pe­ment des dis­po­si­tifs restaurateurs.

La justice réparatrice en tant qu’alternative à la pénalité : l’exemple de la médiation pénale

La média­tion pénale fut intro­duite dans le sys­tème pénal belge en 1994. L’institutionnalisation du dis­po­si­tif cou­ram­ment dénom­mé « média­tion pénale » est emblé­ma­tique de la manière dont les idées de jus­tice répa­ra­trice se sont implan­tées dans le champ pénal, mais aus­si des effets qu’ils y produisent.

Même si la média­tion pénale n’était pas à l’époque le seul pro­gramme exis­tant dans le champ de la média­tion en matière pénale en Bel­gique sous forme d’expériences pilotes, par contraste avec ces autres pro­grammes, la média­tion pénale reçut rapi­de­ment une base légale. L’introduction d’un article 216ter dans le Code d’instruction cri­mi­nelle consti­tua en effet la pre­mière ini­tia­tive gou­ver­ne­men­tale pri­vi­lé­giant la mise en place d’une telle mesure réparatrice.

L’adoption de la pro­cé­dure de média­tion pénale fut cepen­dant rapi­de­ment sujette à de nom­breuses cri­tiques (Mary, 1998). Elles repo­saient notam­ment sur le fait que le pro­ces­sus de média­tion n’était pas com­pa­tible avec l’objectif d’accélération de la jus­tice mis en évi­dence conco­mi­tam­ment, à l’époque, par le ministre et que l’enjeu pour la vic­time n’était pas réel­le­ment consi­dé­ré. Plus fon­da­men­ta­le­ment, la loi fut consi­dé­rée comme déna­tu­rant le concept de média­tion2. Pre­miè­re­ment, car le troi­sième acteur dans la pro­cé­dure créée par la loi, c’est-à-dire le pro­cu­reur du Roi, n’est, par défi­ni­tion, pas dans une posi­tion de neu­tra­li­té, mais une par­tie au débat. Deuxiè­me­ment, parce que la loi offre la pos­si­bi­li­té au pro­cu­reur d’éviter une média­tion directe entre auteur et vic­time en pro­po­sant sys­té­ma­ti­que­ment une des trois autres mesures (le sui­vi thé­ra­peu­tique, le tra­vail d’intérêt géné­ral et la for­ma­tion). Troi­siè­me­ment, car ces trois autres mesures ne peuvent être consi­dé­rées comme des pro­cé­dures de média­tion. En tant que résul­tat de ces condi­tions, il fut cla­mé que la pro­cé­dure consti­tuait en réa­li­té une nou­velle oppor­tu­ni­té pour le pro­cu­reur d’imposer un cer­tain nombre de condi­tions en vue de mettre fin à l’action publique. Les cri­tiques mirent aus­si en évi­dence que si l’on peut bien évi­dem­ment argu­men­ter qu’aucune de ces mesures n’est impo­sée au délin­quant, le contexte pénal réduit consi­dé­ra­ble­ment ses choix, compte tenu de la pres­sion exer­cée par une pour­suite éven­tuelle et ses consé­quences. La pro­cé­dure de média­tion pénale réduit, par ailleurs, les garan­ties judi­ciaires nor­ma­le­ment accor­dées au délin­quant (et à la vic­time) dans le cadre du pro­cès pénal. Enfin, la pro­cé­dure fut dénon­cée comme sus­cep­tible de pro­duire une « exten­sion du filet pénal » à l’égard des petits délin­quants. Les dif­fé­rents cri­tiques se deman­dèrent en effet si ces mesures ne seraient pas uti­li­sées essen­tiel­le­ment à l’égard de cas si légers qu’ils auraient fait, pré­cé­dem­ment, l’objet d’un clas­se­ment sans suite par le pro­cu­reur du Roi.

Les recherches empi­riques menées depuis sur la média­tion pénale confirment en grande par­tie les craintes for­mu­lées dès son lan­ce­ment. S’il existe, depuis quelques années déjà, un conten­tieux stable d’affaires qui est ren­voyé, au niveau du par­quet, vers la média­tion pénale, son usage reste tou­jours péri­phé­rique (comme c’est le cas de nom­breuses autres alter­na­tives d’ailleurs) par rap­port à l’usage de l’emprisonnement. Ce der­nier consti­tue tou­jours de loin la solu­tion favo­rite aux pro­blèmes du crime.

Si le pro­ces­sus de média­tion entre par­ties occupe une place impor­tante dans cer­tains arron­dis­se­ments, dans d’autres, le pro­cu­reur du Roi n’appelle que plus rare­ment la vic­time à par­ti­ci­per à la pro­cé­dure de média­tion pénale. Cer­tains magis­trats ont encore, semble-t-il, une concep­tion limi­tée, voire pru­dente, de la por­tée posi­tive de mesures com­mu­ni­ca­tives et répa­ra­trices pour les auteurs et les vic­times qui y par­ti­cipent. Dans ce cas, l’auteur se voit sou­vent offrir une des trois autres mesures offertes par la loi (tra­vail d’intérêt géné­ral, thé­ra­pie ou for­ma­tion), voire même un cumul de ces mesures ou des mesures créa­tives. Les magis­trats uti­lisent alors la média­tion comme s’il s’agissait d’une réponse judi­ciaire clas­sique, leur per­met­tant néan­moins de réagir rapi­de­ment à une infrac­tion et à indi­vi­dua­li­ser, en quelque sorte, la peine avant juge­ment. Cette pro­cé­dure se foca­lise dans ce cas de manière pré­do­mi­nante sur l’auteur (pré­su­mé). Pour cer­tains magis­trats, la média­tion pénale est aus­si per­çue comme une mesure « légère », qui doit donc pré­fé­ra­ble­ment soit se voir com­bi­née avec d’autres mesures pour en assu­rer le carac­tère puni­tif, soit n’être uti­li­sée que pour des cas de faible gra­vi­té. Cette situa­tion a alors pour effet d’alourdir le contrôle pénal sur les auteurs (pré­su­més) et/ou d’étendre le filet pénal à des faits qui auraient fort pro­ba­ble­ment fait l’objet d’un clas­se­ment sans suite auparavant.

Cet exemple montre donc bien com­ment, au lieu d’être une réelle alter­na­tive à la jus­tice pénale et à l’emprisonnement, la média­tion pénale per­met en réa­li­té le redé­ploie­ment de la péna­li­té, vers des cas qui n’auraient pas été gérés par le sys­tème aupa­ra­vant (et qui, s’ils l’avaient été, l’auraient été avec davan­tage de garan­ties pour les jus­ti­ciables) et selon des moda­li­tés, certes inno­vantes, mais ne consti­tuant pas pour autant, dans bien des cas, une rup­ture si signi­fi­ca­tive par rap­port à l’approche puni­tive ou réha­bi­li­ta­tive traditionnelle.

L’introduction de mesures réparatrices au cœur de la pénalité, un regain de sens pour la peine ?

La mise en œuvre de la jus­tice répa­ra­trice au cœur de la pri­son doit être reca­drée dans le contexte des cri­tiques et des défis de l’emprisonnement. Par­mi les cri­tiques les plus cou­rantes, celles rela­tives à son inap­ti­tude à réduire la délin­quance, à réha­bi­li­ter ou à réin­sé­rer les déte­nus et celles rela­tives à l’absence de toute règle­men­ta­tion des droits concer­nant la vie en pri­son. L’institution car­cé­rale fut donc confron­tée à une crise de légi­ti­mi­té et d’efficacité impor­tante qui ne fit que s’accentuer en rai­son du pro­blème de sur­po­pu­la­tion car­cé­rale deve­nu endé­mique. Le fait qu’aucun « pro­jet » clair, asso­cié à des objec­tifs expli­cites, ne nour­risse l’usage de l’emprisonnement, fut dénon­cé à maintes reprises. Les lois péni­ten­tiaires, évo­quées ci-des­sus, sont venues par­tiel­le­ment résoudre cette ques­tion en offrant un pro­jet à l’emprisonnement, impli­quant notam­ment la mise en place d’un objec­tif de réparation.

L’insertion d’une phi­lo­so­phie de la répa­ra­tion en pri­son doit cepen­dant être rela­ti­vi­sée à la suite de la pas­sa­tion de cette loi : la fonc­tion d’«attaché en jus­tice répa­ra­trice » qui devait per­mettre que les actions répa­ra­trices, mises en place pré­cé­dem­ment, conti­nuent de prendre place dans le cadre péni­ten­tiaire, fut pour diverses rai­sons redé­fi­nie par celle « d’attaché à l’appui opé­ra­tion­nel et de ges­tion ». De ce fait, l’attention pour les ini­tia­tives de jus­tice répa­ra­trice fut diluée par de nom­breuses autres ques­tions (de per­son­nel, dis­ci­pli­naires etc.) des­quelles cet atta­ché est ame­né à s’occuper en pri­son. De plus, les prin­cipes de jus­tice répa­ra­trice (tels que la par­ti­ci­pa­tion volon­taire et l’autonomie du déte­nu), pour­tant léga­le­ment recon­nus, sont sou­mis dans le cadre de la pra­tique car­cé­rale à de nom­breuses « pres­sions » qui tendent à rendre ces deux prin­cipes peu effec­tifs : en pri­son, c’est plu­tôt l’obligation de « répa­ra­tion » qui devient aujourd’hui la norme. Quant au conte­nu de la répa­ra­tion, alors qu’il devrait offrir au déte­nu des pos­si­bi­li­tés d’accepter sa culpa­bi­li­té, de dis­cu­ter des faits et d’arriver à se répa­rer, il semble plu­tôt se réduire, en pra­tique éga­le­ment, à celle inté­res­sant exclu­si­ve­ment les vic­times. L’expérience de la coer­ci­tion, de la perte d’autonomie et de pou­voir par le pri­son­nier va donc tou­jours de pair, semble-t-il, avec un séjour en pri­son. La pri­son peut tou­jours être iden­ti­fiée comme un lieu de puni­tion par excel­lence, comme un sym­bole social de répres­sion et d’exclusion même si la puni­tion se drape notam­ment, cette fois, des idéaux de réparation.

Au tra­vers de cette illus­tra­tion, il appa­rait donc que l’institutionnalisation de la jus­tice répa­ra­trice dans le contexte car­cé­ral, au-delà des dis­cours qui l’ont accom­pa­gnée, n’implique pas pour autant non plus qu’en pra­tique les choses changent dans l’usage de la pri­son. On peut même se deman­der si ces nou­veaux dis­cours et pra­tiques, en ins­ti­tuant de nou­veaux acteurs, de nou­veaux dis­po­si­tifs, de nou­velles condi­tions, ne font pas que contri­buer à son redéploiement.

Conclusions

La jus­tice répa­ra­trice a connu un déve­lop­pe­ment consi­dé­rable dans le champ pénal belge ces der­nières années. Si l’on peut, sans conteste, recon­naitre cer­taines ver­tus, sur le plan inter­in­di­vi­duel et socié­tal, à la valo­ri­sa­tion de la com­mu­ni­ca­tion, de la par­ti­ci­pa­tion et de la répa­ra­tion, l’insertion concrète de dis­cours et de pra­tiques répa­ra­teurs dans le champ pénal doit être conti­nuel­le­ment ques­tion­née, et éven­tuel­le­ment rela­ti­vi­sée, à l’aune du cadre dans lequel ils ont été ins­ti­tués et de leur pratique.

Pour se voir mise en œuvre, la jus­tice répa­ra­trice a en effet néces­si­té la ren­contre d’enjeux éma­nant de trois types d’arène : celle d’un mou­ve­ment de scien­ti­fiques et de pra­ti­ciens réfor­ma­teurs fai­sant la pro­mo­tion de la jus­tice répa­ra­trice et prompt à valo­ri­ser, poli­ti­que­ment et pra­ti­que­ment, autant que pos­sible, leurs pistes de réformes ; celle d’un mou­ve­ment poli­tique pres­sé de réfor­mer le pénal en rai­son de la crise d’efficacité et de légi­ti­mi­té qui lui est connue, selon des logiques répa­ra­trices, mais aus­si en tenant compte d’autres enjeux (l’insécurité, les vic­times, la rapi­di­té, les risques de réci­dives, la sur­po­pu­la­tion péni­ten­tiaire…); celle, enfin, d’agents ayant à récep­tion­ner ces mesures (la magis­tra­ture, le par­quet, la pri­son…), mais dont les ratio­na­li­tés et les moyens ins­ti­tu­tion­nels ne sont pas tou­jours aptes à absor­ber ces nou­velles idées, d’autant que les direc­tions poli­tiques et les moyens bud­gé­taires n’ont pas tou­jours été là pour les gui­der ou les soutenir.

Dès lors, les dis­po­si­tifs les plus répa­ra­teurs (tels que la média­tion) ne sont pas tou­jours l’objet de la valo­ri­sa­tion escomp­tée et ont encore peu d’influence réelle sur la ratio­na­li­té pénale, mal­gré les cri­tiques dont elle est affu­blée, notam­ment compte tenu de ses effets délé­tères, tant pour les auteurs que pour les vic­times. On peut donc esti­mer que la jus­tice pénale, plu­tôt que de s’orienter vers une jus­tice répa­ra­trice, laisse davan­tage, aujourd’hui, sim­ple­ment de petites « niches » de ci de là pour la répa­ra­tion. Dans ce cadre, le dis­cours et les pra­tiques répa­ra­teurs lui per­mettent en réa­li­té, avant tout, de se redé­ployer, éten­dant le filet pénal, mais accen­tuant éga­le­ment le contrôle pénal sur une par­tie de la population.

  1. Voir dans ce numé­ro l’article de Valé­rie Moreau.
  2. La ter­mi­no­lo­gie de « média­tion pénale » défi­nis­sant la pro­cé­dure fut consi­dé­rée par beau­coup de scien­ti­fiques et par le Conseil d’État comme un « abus de lan­gage », cachant en réa­li­té un dis­cours sécu­ri­taire et un désir de légi­ti­ma­tion de la poli­tique gouvernementale.

Bart Claes


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