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Une coalition de gauche progressiste au Parlement européen : un rêve éveillé ?

Mai 2019 électionspartis politiquesUE (Union européenne) - par Lucie Prod’homme -

Des gilets jaunes aux mouvements sur le climat en passant par les actions syndicales, les mobilisations récentes questionnent le rôle et la fonction de l’Union européenne. Dans un contexte de Brexit, avec la montée en puissance des droites populistes et extrêmes dans nombre de pays européens, il semble essentiel de questionner la possibilité d’une alliance des gauches pour imposer un « autre agenda européen ».
Rappelons d’emblée un fait connu : la « gauche politique européenne » est une sorte de (...)

Des gilets jaunes aux mouvements sur le climat en passant par les actions syndicales, les mobilisations récentes questionnent le rôle et la fonction de l’Union européenne. Dans un contexte de Brexit, avec la montée en puissance des droites populistes et extrêmes dans nombre de pays européens, il semble essentiel de questionner la possibilité d’une alliance des gauches pour imposer un « autre agenda européen ».

Rappelons d’emblée un fait connu : la « gauche politique européenne » est une sorte de fiction. Sur nombre de dossiers, les partis « de gauche » ont voté très différemment au Parlement européen durant la législature qui s’achève [1]. Qu’en sera-t-il pour la suivante ? Pour le savoir, au cours des mois d’avril et de mai, nous avons réalisé les entretiens des têtes de listes des trois partis de gauche francophones pour les européennes : Marc Botenga (PTB), Philippe Lamberts (Écolo) et Paul Magnette (PS). Ces entretiens portaient sur les enjeux des prochaines élections européennes et, plus largement, sur le futur de l’Union européenne.

Un constat unanime

Pour commencer, ces partis sont d’accord sur un point essentiel : l’abolition de la logique néolibérale en Europe, dont le bilan social est désastreux. Ainsi ils entendent lutter contre la concurrence toujours plus effrénée, contre l’évasion fiscale et contre l’austérité. Philippe Lamberts fustige la pensée unique qui domine l’Europe : « Les néolibéraux sont persuadés que ce qui est bon pour les riches est bon pour tout le monde, que ce qui est bon pour les multinationales est bon pour tout le monde. Ils continuent à croire cela. Ils sont pour certains d’entre eux incapable de penser l’alternative, ce qui est la définition de la pensée unique ». Pour lui, la théorie du ruissèlement est un leurre et n’a fait que creuser davantage les inégalités dans la population européenne.

Dans la même veine, Paul Magnette souligne « qu’un certain nombre d’hommes politiques continuent d’être pollués par l’idéologie de l’austérité et continuent à penser que l’investissement public est forcément une mauvaise chose et qu’il faut favoriser le privé. Il y a une forme de blocage idéologique qui est très marquant » et « une guerre d’hégémonie culturelle à gagner ». À le suivre, c’est le logiciel néolibéral de la majorité des élites politiques qui empêche un quelconque changement.

Marc Botenga, pour sa part, est plus radical et va jusqu’à proposer une remise en cause de la logique capitaliste : « il faut briser la logique de la concurrence et du capitalisme car c’est un éternel retour des crises ».

Ces différents argumentaires se rejoignent sur la nécessité d’une bataille culturelle pour contrer l’hégémonie des structures et de la pensée néolibérale. Une réforme des institutions n’adviendra que si les décideurs européens changent de mentalité.

L’extrême droite en embuscade et les enjeux climatiques

Les trois candidats précisent que l’extrême droite n’est pas la solution aux problèmes que traverse l’Europe, ces partis n’ayant pas dans leur ADN la volonté réelle de lutter contre le capitalisme néolibéral, comme l’indique Marc Botenga : « C’est cela la logique maladive de l’extrême droite qui fait semblant de défendre les intérêts des travailleurs, mais propose en fait de remplacer l’austérité européenne par une austérité nationale, favorisant une concurrence toujours plus accrue ». Philippe Lamberts souligne d’ailleurs la compatibilité entre les entreprises néolibérales et l’extrême droite : « Souvent les milieux d’affaires s’accommodent très bien des régimes d’extrême droite, on l’a vu historiquement, tant que l’on ne touche pas à la propriété privée. »

Il faut ajouter qu’ils mettent tous en avant l’urgence climatique et la nécessité de mettre en place rapidement une vraie transition écologique. Cela passe par un investissement public massif et la mise en place de normes plus contraignantes dans le secteur environnemental, comme le souligne Paul Magnette : « nous avons besoin d’investissements. Les principaux secteurs émetteurs de CO2, ce sont le transport et les bâtiments. Dans ces domaines, on peut adopter des normes ». Le tout accompagné d’une vraie volonté politique qui ne cède pas face aux menaces des lobbys, ce qui est rappelé par Phillipe Lamberts : « en effet c’est une question de volonté politique. Pourquoi croyez-vous que Bruxelles soit l’une des deux capitales du lobbyisme mondial ? Parce qu’à Bruxelles on a le pouvoir, ce qui dérange les plus riches ». Cette transition écologique doit également viser la justice sociale, ce que Marc Botenga appelle « un Red Green Deal ». Il entend par là faire en sorte que les plus riches, et notamment les multinationales, soient les principaux contributeurs de la transition écologique. C’est dans la même logique que les trois partis de gauche insistent tant sur la nécessité des investissements publics en matière de transition écologique et solidaire : il faut aider économiquement les plus pauvres à faire cette transition, sinon ce seront eux qui en souffriront le plus.

Des lignes de fracture

Les trois candidats semblent s’accorder sur bien des points, ou en tout cas sur les enjeux qui sont essentiels à leurs yeux. De ce fait, peut-on penser que ces partis voteront de la même façon sur la plupart des directives et règlements proposés au Parlement européen ? Ce serait oublier les points de divergence qui existent dans leurs programmes, lesquels portent principalement sur l’application concrète des mesures à prendre, mais se marquent aussi sur des enjeux idéologiques plus généraux.

Prenons l’exemple de la politique européenne de défense : le PTB désire quitter l’Otan car « c’est une alliance militaire offensive qui veut intervenir de la Colombie aux Philippines. Ainsi je pense qu’il faut la démanteler car l’objectif de notre politique étrangère et de défense doit être la paix et non le pillage et la destruction d’autres pays ». Marc Botenga dénonce le fait que les interventions de l’Otan, en Afghanistan par exemple, n’étaient motivées que par des intérêts liés au pétrole.

Le PS considère que la dépendance de l’Europe à cette organisation est problématique à cause de « l’unilatéralisme américain », là où les Écolos ne sont pas aussi tranchés sur la question, soulignant que « l’Otan a ses avantages et ses inconvénients. Cela a donné aux Européens une profondeur stratégique ».

Pour Philippe Lamberts, l’Otan a permis à certains pays européens d’avoir une vraie puissance militaire. Il rappelle toutefois les lourds couts économiques des interventions de l’Otan à la suite des conflits en Afghanistan et en Irak pour les pays européens, ce qui le pousse à dire qu’il faut que l’UE mutualise ses moyens de défense pour aller doucement vers une autonomisation vis-à-vis de l’Otan.

Son pragmatisme rejoint celui de Paul Magnette : « L’Europe devrait s’affirmer davantage comme un acteur militaire. Je ne suis pas militariste, je suis un pacifiste convaincu, mais de temps en temps, pour être pacifiste, on a besoin de pouvoir mener certaines interventions, qu’elles soient humanitaires ou autres, tout en restant dans le cadre des Nations unies. […] L’Europe doit avoir un vrai poids militaire, autonome des États-Unis ».

Ainsi le PS et Écolo considèrent que l’Europe doit s’affirmer militairement, bien qu’Écolo pense qu’il est d’abord nécessaire de former un semblant d’Europe politique avant d’aboutir à une Europe de la Défense. Le PS estime que ces deux projets peuvent se mener en parallèle et se renforcer l’un l’autre : « L’un est inséparable de l’autre. Qu’est-ce qu’une Europe politique si l’on n’a pas de moyens militaires ? », souligne Paul Magnette.

Les positions d’Écolo et du PS se rejoignent dans le débat sur « comment arriver à une Europe politique et que signifierait-elle ? ».

Sur ce même sujet, le PTB n’est en revanche pas favorable au fait que l’Europe mette en place une « Europe de la Défense », si celle-ci consiste en une nouvelle alliance offensive et ne vise pas au désarmement, soulignant qu’actuellement « Dans les traités européens, il y a l’engagement des États membres à améliorer leurs capacités militaires. Je trouve que c’est un non-sens de se lancer dans une course à l’armement ». Marc Botenga rajoute que « L’impérialisme européen ne sera pas meilleur que l’impérialisme américain. On le voit quand on regarde ce que fait la France au Tchad pour laisser le dictateur tchadien au pouvoir ou encore ce qu’ils ont fait au Mali. Le meilleur exemple étant la Libye ». Ces points expliquent donc l’opposition du PTB à l’Otan et à l’Europe de la Défense, d’autant plus qu’« aujourd’hui on a déjà trop d’armes en Europe, même la Commission européenne le reconnait ».

Le PTB est seulement favorable à une alliance européenne défensive, qui ne vise pas à faire d’interventions à l’extérieur de l’Europe. De ce point de vue, cela serait une révolution de la politique étrangère européenne… Et cette position n’est clairement pas compatible avec les discours d’Écolo et du PTB.

Désaccord sur la crise

Un autre sujet de désaccords, c’est la gestion de la crise économique de 2008. Tous l’imputent au néolibéralisme, mais là où le PTB et Écolo estiment que les décideurs n’ont pas tiré de leçons de cette crise et ont pris des mesures complètement insuffisantes, le PS pense le contraire.

En effet, Paul Magnette déclare « on a quand même tiré les leçons de la crise précédente : on a créé le MES (Mécanisme européen de stabilité), qui est quand même doté de fonds importants et qui doit intervenir en première ligne ». Il rajoute « on a mis en place des outils qui devraient permettre de parer à une future crise financière si celle-ci se produit ».

Marc Botenga s’oppose à lui sur ce point : « Ils ont proposé des réformes comme l’Union bancaire ou l’union des marchés des capitaux, qui favorisent les banques « too big to fail », qui permettent à nouveau toute une série de produits dérivés et le shadow banking. Ainsi cela facilite aussi le déclenchement d’une nouvelle crise. On n’a rien appris de la crise de 2008, mais ce qu’on a bien réussi à faire, c’est imposer le cout de ces sauvetages bancaires aux citoyens. » Il va donc plus loin en disant que les mesures d’austérité prises à la suite de la crise n’ont été que la contrepartie imposée aux citoyens du cout du sauvetage des banques.

Sur la gestion de la crise de 2008, Philippe Lamberts rejoint le diagnostic négatif : « on a répondu à la crise financière en inondant le marché de liquidité sans s’intéresser à la manière dont ces liquidités allaient être utilisées. Résultat on a créé de nouvelles bulles spéculatives : ce sont les actions, le marché immobilier, la dette étudiante… Tout cela forme une bombe à retardement ».

Marc Botenga et Philippe Lamberts pointent tous les deux l’absence de réelle régulation de la finance, ce qui a causé la crise économique de 2008 et l’une des raisons qui devrait conduire à une nouvelle crise.

Si la question de la régulation bancaire venait à être abordée au Parlement européen, les trois partis risquent de s’exposer à des divergences criantes, le PS étant isolé sur ce thème. Soulignons que Paul Magnette n’est pas affirmatif quant à la possibilité d’une nouvelle crise financière alors qu’Écolo et le PTB pensent qu’elle va se produire très prochainement.

L’enjeu de la technique

Pour terminer, il convient d’aborder un point qui ne tient pas tant au programme des différents partis, mais plus au degré de technicisation du discours des différentes têtes de liste. Ainsi en lisant ces entretiens, il est clair que celui qui a la plus grande maitrise technique des sujets qu’il aborde c’est Philippe Lamberts. Ensuite viennent Paul Magnette, puis Marc Botenga. Philippe Lamberts est celui qui a le plus d’expérience en tant qu’élu européen et la technicité de son discours correspond sans doute au fait qu’aujourd’hui les directives et règlements adoptés par le Parlement européen sont très techniques et demandent des connaissances pointues. Paul Magnette se révèle également un bon expert de l’action européenne et des mesures à mettre en place. En revanche, sur le point de la technicité, Marc Botenga paraît beaucoup plus faible. Cela peut s’expliquer par la vision qu’entretient le PTB vis-à-vis du Parlement européen.

En effet, le PTB ne compte pas vraiment sur les institutions européennes pour obtenir un quelconque changement « je ne pense pas qu’en faisant confiance au Parlement européen nous allons y arriver », et mise plutôt sur la création d’un rapport de force entre la base et les élites via des mobilisations, des grèves.

Pour résumer, le PS et Écolo croient réellement que le Parlement européen a la capacité de réformer la politique européenne de manière globale, là où le PTB pense que ses élus ne pourront jouer qu’un rôle marginal, en mettant en avant certaines luttes. Ainsi le degré de technicité des discours est sans doute lié au pouvoir d’action que ces différents candidats accordent au Parlement européen.

Une alliance impossible

Au vu de ces différents entretiens, les possibilités d’alliances entre les partis de gauche belge au Parlement européen seront difficiles à mettre en place. Du reste, comme l’ont rappelé nos interlocuteurs, certains changements dans l’agenda européen ne sont intervenus qu’à la suite de mobilisations de la société civile, que ce soit la récente mobilisation pour le climat ou encore la lutte contre le Ceta.

Ainsi il nous appartient peut-être, à nous citoyens européens, d’agir pour les causes qui nous importent afin de faire pression sur les décideurs politiques, d’imposer le changement et non plus d’attendre que celui-ci vienne d’en haut, pour enfin obtenir des réformes significatives. Une pression citoyenne serait plus en mesure de responsabiliser nos élus que nos choix de votes le 26 mai 2019.


[1Derruine O., «  What’s left ? Quand les cœurs saignent  », La Revue nouvelle, 4, 2016.

Lucie Prod’homme


Auteur

étudiante en journalisme à Sciences Po Rennes et stagiaire à La Revue nouvelle