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Une autre prison existe déjà…

Numéro 4 Avril 2012 par Mairlot

avril 2012

Une autre manière d’en­vi­sa­ger la pri­son existe déjà dans douze des quatre-vingts pri­sons espa­gnoles. Offi­ciel­le­ment recon­nue et encou­ra­gée par les auto­ri­tés supé­rieures, elle se déve­loppe rapi­de­ment. Elle vise à offrir à tout pri­son­nier, lors de son admis­sion ou ulté­rieu­re­ment, l’al­ter­na­tive d’une Uni­dad Tera­péu­ti­ca y Edu­ca­ti­va, une uni­té thé­ra­peu­tique et édu­ca­tive à l’in­té­rieur même de la pri­son. Elle ne demande ni dépenses ni per­son­nel sup­plé­men­taire, mais seule­ment une autre manière de voir les choses. Le per­son­nel est volon­taire pour tra­vailler là, tout comme le sont les déte­nus qui sou­haitent y entrer. Ces der­niers devront renon­cer à la drogue, à toute vio­lence phy­sique…, mais c’est leur désir de chan­ge­ment qui va s’a­vé­rer le plus impor­tant. Tout sera alors orien­té vers une prise de conscience de leur situa­tion et de la néces­si­té d’un tra­vail sur eux-mêmes. Et tout sera fait pour les accom­pa­gner sur ce che­min. À l’ac­com­plis­se­ment de leur peine, en sortent des hommes et des femmes qui ont chan­gé, prêts à affron­ter leur réin­ser­tion dans la socié­té et à y tenir leur place. Les réci­dives se feront évi­dem­ment beau­coup plus rares : la socié­té, à son tour, ne peut qu’y gagner.

Le dos­sier « Jus­tice res­tau­ra­trice, jus­tice d’avenir ? » dans La Revue nou­velle de mars 2011 a for­cé l’admiration, en révé­lant une telle qua­li­té humaine dans le tra­vail quo­ti­dien ain­si que la recherche d’améliorations plus ins­ti­tu­tion­nelles de la pri­son pour l’accomplissement de ses objec­tifs. Mais la der­nière révolte à la pri­son d’Andenne, tout un pas­sé plus ou moins récent1 n’exprime que trop bien un malêtre dans nos pri­sons belges qui parait insur­mon­table. Le pro­blème des pri­sons est d’ailleurs uni­ver­sel et elles res­semblent sou­vent davan­tage à des pour­ris­soirs qu’à des lieux de réha­bi­li­ta­tion, de gué­ri­son et de réinsertion.

C’est ce qui a ame­né l’auteur2 à prendre conscience qu’il était témoin, dans l’unité thé­ra­peu­tique et édu­ca­tive (UTE) de l’institution péni­ten­tiaire de Vil­la­bo­na en Astu­ries où il est volon­taire, d’un chan­ge­ment radi­cal dans le fonc­tion­ne­ment de la pri­son. Il se fait que c’est dans cette même pri­son que cette expé­rience a débu­té, et qu’en 1998 déjà, elle était sta­bi­li­sée. Elle intègre actuel­le­ment près de la moi­tié des déte­nus de la pri­son. Ces uni­tés sont en voie de déve­lop­pe­ment dans plus d’une pri­son sur huit (douze sur quatre-vingts) en Espagne. La pri­son alter­na­tive qui se déve­loppe ici n’en est donc plus du tout à un stade d’expérimentation plus ou moins uto­piste et volon­ta­riste ; soixante-hui­tarde diraient cer­tains. Aus­si a‑t-il paru impor­tant de faire connaitre une voie pos­sible d’avenir qui donne déjà ses fruits : une réha­bi­li­ta­tion réelle de celui qui a été condam­né pour ses actes.

À l’admission d’un détenu

À Vil­la­bo­na, la créa­tion de la pre­mière uni­té thé­ra­peu­tique et édu­ca­tive remonte déjà à 1992. Cette pri­son com­porte dix modules auto­nomes des­ti­nés au séjour des pri­son­niers — dont un réser­vé aux femmes — pour un maxi­mum de mille-deux-cents pri­son­niers. Cinq d’entre eux fonc­tionnent actuel­le­ment selon le modèle UTE.

C’est à l’admission qu’il est pro­po­sé à tout déte­nu d’entrer dans une UTE au lieu de la pri­son ordi­naire ; qu’il soit jeune ou vieux, réci­di­viste ou non, en pré­ven­tion ou pur­geant sa peine, homme ou femme3. Qui­conque a choi­si la pri­son ordi­naire peut, à tout moment, poser sa can­di­da­ture pour entrer dans une UTE. Il est de même pos­sible de quit­ter l’UTE pour retour­ner de l’autre côté.

S’il est inté­res­sé, le déte­nu entrant ren­con­tre­ra ensuite l’un des pri­son­niers d’une uni­té recon­nu comme apoyo ou « appui » — un cores­pon­sable de l’organisation interne qui lui en expli­que­ra les objec­tifs, mais aus­si les condi­tions. Les normes de la légis­la­tion péni­ten­tiaire sont évi­dem­ment les mêmes qu’en pri­son ordi­naire ; il ne s’agit nul­le­ment d’une pri­son édul­co­rée, « au rabais ».

Les moti­va­tions pro­fondes du pri­son­nier que cette alter­na­tive attire peuvent être très dif­fé­rentes d’une per­sonne à l’autre : d’une réelle volon­té de chan­ge­ment — car l’arrestation puis la mise en pri­son peuvent déjà avoir entrai­né chez lui une prise de conscience — au secret espoir d’une vie de pri­son­nier plus facile. Cer­tains peuvent aus­si savoir qu’ils échap­pe­ront ain­si à l’omniprésence de la drogue et aux vio­lences que celle-ci peut entrai­ner ; que la vie y sera moins « inhu­maine » que dans la pri­son ordinaire.

Ce pre­mier contact avec un pri­son­nier ordi­naire, mais qui a inté­gré ce qu’est une UTE et qui y vit, aide­ra cha­cun à se faire une idée moins inexacte. Ce qui est pro­po­sé n’est rien moins qu’une autre façon de voir la vie, qu’une rup­ture avec le pas­sé pour repar­tir sur d’autres bases. Ce ne sera pas facile, mais il sera sou­te­nu. Il ne le com­pren­dra que pro­gres­si­ve­ment, bien sûr, mais cela peut faire naitre en lui un désir de chan­ge­ment et d’oser y croire… suf­fi­sam­ment pour ten­ter l’aventure.

Les exi­gences de départ sont pré­cises et strictes : l’entrant s’engage à renon­cer à toute consom­ma­tion de drogue, à toute forme de vio­lence phy­sique… Il accepte sur­tout d’être inté­gré dans un groupe thé­ra­peu­tique d’une bonne quin­zaine d’«internes » (mot habi­tuel­le­ment uti­li­sé ici au lieu de « pri­son­niers »). Au début, ce seront les seules per­sonnes avec qui il aura contact, en tout cas durant le pre­mier mois. Mais chaque membre du groupe fera tout pour l’accueillir, l’écouter, l’entourer fra­ter­nel­le­ment. Il par­ti­ci­pe­ra à toutes les réunions de son groupe thé­ra­peu­tique. C’est là, en par­ti­cu­lier, qu’il décou­vri­ra peu à peu quels en sont les objec­tifs. On y revien­dra bien sûr.

De son côté, l’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire en charge des UTE s’engage à lui don­ner l’appui et tous ses moyens dis­po­nibles pour entrer dans ce pro­ces­sus. Cha­cun sera sui­vi et sou­te­nu per­son­nel­le­ment dans sa démarche. Il sera invi­té à se for­mer, à étu­dier, à pré­pa­rer concrè­te­ment sa sor­tie. Il pour­ra, au besoin, avoir accès à divers recours exté­rieurs qui l’aideront à pour­suivre sa for­ma­tion et sa pleine réinsertion.

Tout cela se retrouve dans le contrat thé­ra­peu­tique qu’il signe­ra en même temps qu’un membre de l’équipe multidisciplinaire.

Les débuts

Durant les années quatre-vingt, la drogue se répan­dit par­mi la jeu­nesse espa­gnole. L’héroïne, qui pousse plus qu’une autre drogue à la dés­in­ser­tion sociale et à la délin­quance, allait rem­plir pro­gres­si­ve­ment les pri­sons d’un autre type de popu­la­tion, et la drogue allait se faire omni­pré­sente à l’intérieur même des pri­sons, avec ses cir­cuits et ses mafias.

La pri­son, héri­tée alors de la dic­ta­ture qui se ter­mi­na par la mort du géné­ral Fran­co en 1975, com­men­çait à peine sa trans­for­ma­tion4. Il fal­lait cepen­dant plus qu’une loi pour chan­ger les rou­tines d’un milieu car­cé­ral par­ti­cu­liè­re­ment dur. À la vieille pri­son d’Oviedo (capi­tale des Astu­ries), du fait de la pré­sence d’un nombre impor­tant de jeunes toxi­co­manes, la situa­tion était deve­nue explosive.

En 1989, deux pro­fes­sion­nels, ori­gi­naires de la région, un edu­ca­dor5 et une assis­tante sociale, qui avaient déjà cha­cun une solide expé­rience, furent trans­fé­rés à cette pri­son. Ils se sen­tirent concer­nés par cette situa­tion, purent faire équipe et cher­chèrent com­ment abor­der cette ques­tion. Pour cela, il fal­lait avant tout méri­ter la confiance de ces jeunes avant de son­ger à un quel­conque tra­vail avec eux. Les trai­ter avec res­pect était la toute pre­mière condi­tion et ce n’était guère l’habitude encore à cette époque. Ils y par­vinrent pro­gres­si­ve­ment et le cli­mat glo­bal com­men­ça à changer.

Un pro­jet fut alors mis sur pied, qui débu­ta en 1992. Il concer­nait vingt-cinq pri­son­niers, tous toxi­co­manes, et ayant entre seize ans — l’âge de la majo­ri­té pénale à ce moment — et vingt-et-un ans. Cha­cun était volon­taire et fai­sait confiance aux deux pro­fes­sion­nels. Ils s’engageaient ensemble à trou­ver le che­min pour que ces jeunes arrivent à se libé­rer de la drogue et puissent se pré­pa­rer à un autre ave­nir que la délin­quance, voire la mort pré­ma­tu­rée dans la vio­lence ou par le sida, encore sans trai­te­ment à ce moment.

Il est utile de dire ici que nos deux pro­fes­sion­nels avaient choi­si ce métier par idéal. Ils vou­laient tra­vailler à faire chan­ger les choses. Trop sou­vent la pri­son était de fait une école de délin­quance. Ils étaient aus­si conscients de l’énorme gas­pillage de forces humaines, ain­si que des frus­tra­tions indi­vi­duelles, que pro­vo­quait le mode de fonc­tion­ne­ment de la pri­son, en par­ti­cu­lier chez les gardiens.

Ils tinrent bon, face à des oppo­si­tions de tout type, tant d’en haut que d’en bas : des auto­ri­tés que des syn­di­cats. Et c’est ain­si que l’expérience méri­ta la liber­té de s’inventer et de se déve­lop­per pas à pas selon les néces­si­tés et les défis aux­quels il fal­lait faire face.

Deux ans plus tard, en 1994, alors que l’on quit­tait la vieille pri­son d’Oviedo pour la nou­velle à Vil­la­bo­na, les auto­ri­tés ren­dirent pos­sible la créa­tion d’un « espace libre de drogue ». Il fut ins­tal­lé dans un des dix modules6 de la nou­velle pri­son et des­ti­né à un groupe de soixante internes tous volon­taires. Dans un milieu car­cé­ral, on avait donc fait l’expérience qu’il était pos­sible que des toxi­co­manes se libèrent de la drogue et trouvent une place dans la société.

Tout en pour­sui­vant son évo­lu­tion, le mou­ve­ment pre­nait plus d’importance. Il ne se limi­tait plus aux seuls toxi­co­manes. En 1998, il concer­nait plus de deux-cents internes. Une nou­velle struc­ture au sein même de la pri­son, un autre type de pri­son, s’était consti­tuée. Elle occu­pait deux des dix modules. C’est alors que le nom d’«unité thé­ra­peu­tique et édu­ca­tive » s’imposa.

À Vil­la­bo­na, les UTE concernent actuel­le­ment un peu plus de cinq-cents internes sur un maxi­mum de mille-deux-cents. Elles fonc­tionnent cepen­dant comme un tout unique ani­mé par une seule équipe de res­pon­sables, comme on le ver­ra. Les prin­cipes de base qui fondent l’UTE se sont décou­verts et mis en place pro­gres­si­ve­ment. Ils se sont fina­le­ment impo­sés pour répondre au mieux aux exi­gences qui se fai­saient jour au fur et à mesure que leurs objec­tifs se pré­ci­saient et que se décou­vraient les façons d’y par­ve­nir. Mais ils ont abou­ti à une struc­ture radi­ca­le­ment nouvelle.

Une structure horizontale : l’équipe multidisciplinaire

Dès 1992, il était clair que l’équipe qui com­men­çait ce tra­vail ne pou­vait se limi­ter à deux per­sonnes. C’est toute une équipe de pro­fes­sion­nels bien déci­dés à s’y enga­ger à fond qu’elle allait devoir consti­tuer. Ce fut un des pre­miers défis à rele­ver ; il était d’importance. Il consti­tue en fait le pre­mier des grands chan­ge­ments qui s’imposèrent pour rendre pos­sible l’UTE.

Elle devait d’emblée inté­grer des gar­diens. À eux seuls ne consti­tuent-ils pas 80% du per­son­nel d’une pri­son ? Et ils consti­tuent évi­dem­ment la pre­mière ligne d’intervention en cas de pro­blème. Cepen­dant, au tra­vail, ceux-ci adoptent le plus sou­vent une atti­tude défen­sive, car per­pé­tuel­le­ment confron­tés à l’opposition des pri­son­niers. Selon un sché­ma sim­pliste, mais réa­liste, leur res­pon­sa­bi­li­té pre­mière ne se ramène-t-elle pas, en fait, à évi­ter les éva­sions et à inter­ve­nir en cas de situa­tions extrêmes ?

Com­ment pas­ser de cette atti­tude défen­sive et d’hostilité tou­jours latente entre le corps des gar­diens et les pri­son­niers à une rela­tion de confiance indis­pen­sable pour tout tra­vail en com­mun avec ceux qui cherchent à se libé­rer de la drogue et entrer en tout cas dans un pro­ces­sus de chan­ge­ment de leurs com­por­te­ments ? Les gar­diens ne pou­vaient qu’y perdre un cer­tain sen­ti­ment de pou­voir ou de sécu­ri­té à l’abri de leur bureau. Mais cela leur per­met­tait aus­si de sor­tir de la frus­tra­tion liée à une acti­vi­té rou­ti­nière, répres­sive et bien peu per­son­na­li­sante. Ils pour­raient désor­mais don­ner un sens posi­tif et humain à leur acti­vi­té pro­fes­sion­nelle en s’y enga­geant davan­tage. C’est toute l’orientation de leur tra­vail qui devait être repen­sée. Le cli­mat de confiance qui s’instaurait rela­ti­vi­sait en bonne part leur tra­vail de sur­veillance : portes de sécu­ri­té à ouvrir et fer­mer sans cesse, for­mu­laires de toute espèce à contrô­ler ou à rem­plir… Il y avait plus impor­tant à faire ! Mais il fal­lait pour cela entrer dans un tra­vail rela­tion­nel, édu­ca­tif et thé­ra­peu­tique. Celui-ci repose sur eux vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Mal­gré les réti­cences en tout genre, dont les oppo­si­tions syn­di­cales, il ne man­qua pas de gar­diens — de « fonc­tion­naires de sécu­ri­té » dans le jar­gon local — prêts à cette conver­sion. En fait, cer­tains avaient une réelle pré­pa­ra­tion qui allait les y aider. En effet, lorsque l’accès à l’université s’était géné­ra­li­sé, cer­tains s’étaient for­més, entre autres, en cri­mi­no­lo­gie. Mais ce seul diplôme les lais­sait sans espoir de tra­vail ; aus­si plu­sieurs avaient-ils accep­té le poste de gar­dien. Ulté­rieu­re­ment, les pos­si­bi­li­tés de for­ma­tion n’ont pas man­qué aux fonc­tion­naires de sécu­ri­té pour mieux se for­mer à cette nou­velle orien­ta­tion de leur travail.

Mais encore fal­lait-il que ce nou­veau rôle qu’on atten­dait d’eux soit plei­ne­ment recon­nu à l’intérieur même de la pri­son. C’est alors que l’équipe en place déci­da que cha­cun de ses membres, qu’il soit gar­dien, édu­ca­teur, psy­cho­logue, assis­tant social, ensei­gnant… serait mis sur pied d’égalité avec les autres : tous par­ti­ci­pant à cette même acti­vi­té thé­ra­peu­tique. L’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire était née. Elle fonc­tion­ne­rait selon une struc­ture hori­zon­tale : cha­cun ayant une voix iden­tique à celle des autres, tant dans l’apport et le par­tage de l’information que la prise de décision.

L’équipe regroupe donc la tota­li­té des pro­fes­sion­nels tra­vaillant en UTE. Elle com­porte actuel­le­ment à Vil­la­bo­na pas moins de cin­quante-neuf gar­diens, sept edu­ca­dores, trois psy­cho­logues, quatre tra­vailleurs sociaux, une per­sonne char­gée de coor­don­ner les acti­vi­tés de l’ensemble. Elle intègre aus­si trois ins­ti­tu­teurs qui dépendent direc­te­ment du minis­tère de l’Éducation. Cela consti­tuait un ensemble de sep­tante-sept per­sonnes pour cinq-cent-cinq internes fin juin 2011.

Elle se réunit tous les matins dès 8 heures, moment où des pro­fes­sion­nels de chaque branche sont pré­sents. Tous ceux ou celles qui ont tra­vaillé la veille ou la nuit et qui ont ren­con­tré des pro­blèmes, ont dû prendre des déci­sions, ont des pro­po­si­tions à faire à l’équipe… y sont donc repré­sen­tés par des pairs pour les­quels ils ont tout consi­gné par écrit. On y décide donc de tout : tant de cas indi­vi­duels, de déci­sions pra­tiques, mais plus com­plexes car elles concernent davan­tage des per­sonnes, que d’orientations géné­rales face à l’avenir.

On ne peut cepen­dant oublier que l’ensemble de ces UTE fait par­tie inté­grante d’un éta­blis­se­ment péni­ten­tiaire ayant ses auto­ri­tés, ses ser­vices géné­raux et son orga­ni­sa­tion. Une équipe de coor­di­na­tion fut donc créée. Ses membres sont dési­gnés par la direc­tion de la pri­son par­mi les membres de l’équipe multidisciplinaire.

Et du côté des internes ? Le groupe thérapeutique !

Rap­pe­lons qu’à l’origine, le but pour­sui­vi était que chaque interne, une fois entré libre­ment dans l’UTE, y soit aidé à entre­prendre tout un tra­vail sur soi qui lui per­met­tra d’entrer dans un pro­ces­sus de chan­ge­ment. Il pour­ra ain­si aban­don­ner ses conduites délin­quantes, décou­vrir d’autres valeurs, apprendre à avoir des rela­tions posi­tives — y com­pris avec ses proches et son milieu d’origine —, adop­ter un style de vie plus sain, croitre per­son­nel­le­ment grâce au contrôle sur soi, l’estime de soi, la sin­cé­ri­té et la res­pon­sa­bi­li­té. Le pri­son­nier est donc plei­ne­ment recon­nu comme sujet actif dans son propre pro­ces­sus de chan­ge­ment personnel.

Le nou­vel arri­vant est donc direc­te­ment rat­ta­ché à un groupe thé­ra­peu­tique. Il a été dit com­bien cha­cun de la bonne quin­zaine de membres qu’il compte s’efforçait de l’accueillir, de se rendre proche de lui, et sur­tout de l’écouter. Durant les pre­mières semaines, ceux-ci seront d’ailleurs les seuls avec qui il pour­ra avoir des rela­tions à l’intérieur de l’UTE. Pas ques­tion de nouer — ou de renouer — des rela­tions qui le ramè­ne­raient à son style de vie pas­sé ou, tout sim­ple­ment, qui lui per­met­traient d’échapper au par­tage de la vie du groupe. Il en va de même concer­nant le télé­phone et les visites au par­loir. Le ser­vice social prend rapi­de­ment contact avec les membres de la famille pour dis­cer­ner pro­gres­si­ve­ment ceux sur qui on peut comp­ter et ceux qui auraient une influence négative…

Le groupe se réunit au moins une mati­née par semaine, et autant de fois qu’il est utile. Il est ani­mé par un des tuteurs du groupe. Deux tuteurs, qui ne sont autres que des gar­diens, sont en effet attri­bués à chaque groupe et en assument la res­pon­sa­bi­li­té. Ils sont deux pour que l’un des deux au moins soit pré­sent la majeure par­tie du temps. Chaque membre du groupe est sui­vi per­son­nel­le­ment par l’un d’eux qui connait ses dif­fi­cul­tés, ses aspi­ra­tions, ses pro­blèmes ; il règle avec lui les ques­tions pra­tiques qui peuvent se poser. Il sau­ra au besoin le sou­te­nir et l’encourager. Il en est per­son­nel­le­ment res­pon­sable face à l’équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire. Lui revient, en par­ti­cu­lier, de pro­po­ser tout chan­ge­ment utile pour l’interne : per­mis­sions, éven­tuelles sor­ties à but thé­ra­peu­tique, chan­ge­ments de groupe… pro­gres­sions ou révi­sions de son sta­tut, tant comme pri­son­nier que comme membre de l’UTE. Le sta­tut de tout pri­son­nier évo­lue, en effet, au cours du temps en fonc­tion de son com­por­te­ment. Il en est de même au sein de l’UTE.

Les internes qui accueillent le nou­vel arri­vant par­tagent la vie de l’unité depuis par­fois long­temps. Ils ont eu toute la pos­si­bi­li­té de prendre conscience de ce qu’ils portent en eux, de tra­vailler sur eux-mêmes, de chan­ger en pro­fon­deur et donc dans leur com­por­te­ment quo­ti­dien. Ils se pré­parent à un retour, proche ou loin­tain, dans la socié­té. Bref, si ce n’est fait pour l’essentiel, ils sont en train de bien inté­grer dans leur propre vie les objec­tifs de l’UTE. Le tuteur, consta­tant les pro­grès de l’un d’eux, le pré­sen­te­ra alors à l’équipe plu­ri­dis­ci­pli­naire pour qu’il soit recon­nu comme repré­sen­tant des internes. En l’acceptant, l’équipe estime qu’il est vrai­ment deve­nu membre du groupe et qu’il peut com­men­cer à assu­mer cer­taines res­pon­sa­bi­li­tés dans la vie de l’UTE. Plus tard, la même démarche pour­ra entrai­ner la recon­nais­sance d’un repré­sen­tant comme appui ; appui pour des indi­vi­dus, des groupes, des ate­liers, dans la bonne marche de l’ensemble… Chaque groupe thé­ra­peu­tique compte plu­sieurs repré­sen­tants, mais en tout cas aus­si un ou deux appuis.

Mais venons-en à ce qui peut se pas­ser au sein du groupe thé­ra­peu­tique, et dont un moment fort sera la réunion heb­do­ma­daire. Un texte publié en 2005 par la Direc­tion géné­rale des ins­ti­tu­tions péni­ten­tiaires sur les UTE l’explicite :

« Les fonc­tions du groupe thé­ra­peu­tique sont les sui­vantes : ser­vir de lieu de com­mu­ni­ca­tion où l’interne va don­ner à voir toutes ses carences et défi­cits en socia­li­sa­tion, par le moyen de la révi­sion, de la réflexion et de la confron­ta­tion avec le reste des membres du groupe ; ser­vir de lieu d’analyse des évè­ne­ments que vit l’interne au jour le jour depuis son entrée dans cette uni­té ; moti­ver en lui la sin­cé­ri­té et l’honnêteté ; créer le cli­mat néces­saire indis­pen­sable pour que l’interne se sente accueilli, écou­té et aimé. »

On com­pren­dra que le tuteur pré­sent est bien inca­pable, à lui seul, d’assurer pareil tra­vail pour cha­cun des membres. Rien ne se pas­se­rait au sein du groupe thé­ra­peu­tique sans la pré­sence active des ainés : repré­sen­tants et appuis. Leur âge n’a rien à voir ici. Ils sont « ainés » parce qu’ils pré­cèdent les autres dans la démarche que pro­pose l’UTE. Ils ont, en effet, connu les sen­ti­ments mélan­gés du nou­vel arri­vant. Ils ont vécu, non sans efforts, ni moments de décou­ra­ge­ment — voire d’échecs — tout ce pro­ces­sus de chan­ge­ment que celui qui entre dans le groupe est invi­té à par­cou­rir. En même temps, ils ont par­ta­gé les péri­pé­ties de ce même par­cours effec­tué par bien d’autres, cha­cun à sa manière propre et unique. Ils en connaissent les pièges, les risques, les exi­gences. Ils n’ignorent aucune des ten­ta­tions, des échap­pa­toires que l’on peut s’inventer en che­min… Bref, ils ont une expé­rience excep­tion­nelle pour, au sein du groupe, com­prendre ce qui se dit, ce qui peut s’y cacher… et qui reste à dire. À peu près rien de ce qui est en train de se pas­ser ne peut les prendre au dépour­vu. Ils savent com­ment se com­por­ter, com­ment réagir, ou tout sim­ple­ment com­ment se taire et savoir attendre.

Le même texte offi­ciel pré­cise quel est « le pre­mier pas » — et il indique simul­ta­né­ment la direc­tion à prendre — de la démarche à laquelle le nou­veau venu est invi­té : « Il lira la lettre de pré­sen­ta­tion qui repré­sente le pre­mier pas que fait l’interne pour se don­ner à connaitre dans son groupe thé­ra­peu­tique. Elle entre­ra dans les aspects les plus impor­tants de son his­toire personnelle. »

Signa­ler d’abord que le simple fait d’écrire relève déjà de l’exploit pour plus d’un. Le groupe ne presse pas le nou­veau à s’exécuter au plus vite. En fait, écrire ce texte demande tout un temps de réflexion sur soi-même ain­si que sur son pas­sé, y com­pris fami­lial. Cela peut deve­nir un moment majeur de prise de conscience de ce qui l’a ame­né à la délin­quance et d’où il en est vrai­ment. Cette lettre de pré­sen­ta­tion devien­dra comme un bilan de départ, un « état des lieux ». Elle sera lue au groupe comme tel, car celui-ci est désor­mais par­tie pre­nante. C’est avec lui que le pro­ces­sus de chan­ge­ment, une fois amor­cé, va se pour­suivre. Le rôle des « ainés » devient alors évident : leur expé­rience est pri­mor­diale dans le che­mi­ne­ment qui commence.

La pré­sence du tuteur est évi­dem­ment irrem­pla­çable en tant que garant de ce qui se passe. Mais c’est une grande sur­prise que de consta­ter que le groupe se révèle par­fai­te­ment capable d’assurer son propre fonc­tion­ne­ment. Ce n’est guère qu’au cas où il y aurait déra­page, dans une forme de vio­lence par exemple, ou parce que l’objectif recher­ché se per­drait dans des che­mins de tra­verse que le « bon ani­ma­teur » doit intervenir.

On pou­vait craindre le pire vu l’absence d’un pro­fes­sion­nel che­vron­né, spé­cia­liste en dyna­mique de groupe, en groupe à objec­tif, ou en ce que l’on croi­ra indis­pen­sable selon les diverses théo­ries psy­cho­lo­giques en cours, pour assu­rer l’animation de pareille réunion. On constate que le savoir et l’expérience des tuteurs et des « ainés » en assure la bonne évo­lu­tion. Ici on se recon­nait tout sim­ple­ment comme groupe d’entraide.

Faut-il pré­ci­ser que l’écoute qui se pra­tique exige la plus extrême dis­cré­tion par rap­port à ce qui se dit, ou se passe, dans le groupe. Cha­cun peut être tota­le­ment sin­cère sans qu’il n’en résulte de consé­quences ni au plan de la jus­tice — rien ne remon­te­ra jamais à l’oreille d’un juge — ni de sa vie en pri­son, en par­ti­cu­lier face à ses com­pa­gnons d’UTE.

La vie en UTE : une responsabilité partagée…

En quoi la vie quo­ti­dienne aide-t-elle l’interne à chan­ger, à gran­dir ? Une prio­ri­té est don­née à la for­ma­tion et la pré­pa­ra­tion de sa sor­tie. N’y a‑t-il pas de trous dans ses études ? Pos­sède-t-il au moins l’acquis du niveau pri­maire ? Sinon, il sera adres­sé aux trois ensei­gnants, membres de l’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire, qui l’aideront. Il sera aidé dans tout pro­jet d’étude de plus haut niveau. Ain­si des visi­teurs de pri­son sont-ils prêts à l’aider pour pré­pa­rer des exa­mens de niveau secon­daire. Il existe ensuite un excellent réseau d’enseignement à dis­tance… Un appren­tis­sage pro­fes­sion­nel est aus­si offert sur place : le bois, le fer. En fin de peine, une for­ma­tion au dehors est par­fai­te­ment pos­sible. Ain­si plu­sieurs suivent-ils, durant un an, une for­ma­tion d’aide-soignant à l’extérieur avant leur libé­ra­tion. Leur ave­nir pro­fes­sion­nel est alors assu­ré. L’UTE trouve aus­si des entre­prises qui accueillent quelqu’un qui cherche à se réadap­ter au tra­vail pro­fes­sion­nel qu’il a pu exer­cer avant son séjour en prison.

Tout cela s’inscrit dans une pers­pec­tive plus géné­rale : il est essen­tiel que cha­cun soit réel­le­ment occu­pé en semaine durant les deux grandes plages libres de la jour­née matin et après-midi. Outre la for­ma­tion directe, on a donc mul­ti­plié les ate­liers occu­pa­tion­nels de tout genre : autour du cuivre, de la pote­rie, du bois, de la cou­ture (y com­pris pour les hommes…).

L’atelier san­té est pri­mor­dial. Tous les nou­veaux venus y passent un bon moment. Il est essen­tiel qu’ils apprennent à se connaitre et s’assumer aus­si dans leur propre corps ; qu’ils prennent conscience de séquelles éven­tuelles de leur pas­sé aven­tu­reux. D’aucuns ont à accep­ter — enfin — qu’ils sont por­teurs du virus de l’hépatite C ou du VIH (cause du sida) et qu’ils doivent prendre en main leur propre trai­te­ment. Dans l’UTE, c’est l’équipe san­té, et non l’infirmerie, qui assure direc­te­ment la dis­tri­bu­tion des médi­ca­ments ; elle encou­rage par là leur accep­ta­tion et leur prise régu­lière. Elle orga­nise d’ailleurs un « ate­lier émo­tion­nel » où celles et ceux qui sont atteints de ces patho­lo­gies par­ti­cu­lières peuvent expri­mer et par­ta­ger leur vécu inté­rieur… D’un tout autre côté, la même équipe vient d’instaurer, en pleine col­la­bo­ra­tion avec l’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire évi­dem­ment, une pra­tique spor­tive adap­tée aux pos­si­bi­li­tés de cha­cun plei­ne­ment inté­grée à l’emploi du temps.

Dans une UTE, bien des acti­vi­tés sont à orga­ni­ser. Ain­si chaque semaine une classe du secon­daire vient-elle ren­con­trer un groupe de pri­son­niers à l’intérieur de la pri­son. Plu­sieurs livre­ront leur témoi­gnage, puis auront lieu des ren­contres par petits groupes… tout un tra­vail de pré­ven­tion. Les groupes de visi­teurs sont nom­breux : étu­diants assis­tants sociaux, en droit… groupes de pro­fes­sion­nels de pri­sons espa­gnoles où l’on songe à éven­tuel­le­ment ins­tau­rer des UTE, groupes étran­gers… Quoi de plus éclai­rant qu’une assem­blée où plu­sieurs donnent leur témoi­gnage et où l’on répond aux ques­tions ! Fin de l’année, chaque pri­son­nier peut invi­ter deux de ses proches à une visite fes­tive de la pri­son. C’est évi­dem­ment l’occasion de créer une pièce de théâtre sur ce qu’ils vivent, d’un repas par­ta­gé, d’une visite à la cel­lule. Il y a aus­si les jours de fête, les temps de vacances à occu­per. Aus­si a‑t-on besoin d’ateliers de musique, de théâtre, de danse… Et si, à un moment don­né, quelqu’un est quand même sans acti­vi­té à son pro­gramme, il aura la tâche de consa­crer ce temps à de la lec­ture personnelle.

Il n’y a pas de tra­vail rému­né­ré à l’intérieur de la pri­son. Cepen­dant un sys­tème de par­tage assure à cha­cun un mini­mum heb­do­ma­daire pour l’usage de la can­tine. Le sup­port en est une carte magné­tique indi­vi­duelle qui rem­place toute cir­cu­la­tion d’argent. Il est veillé à ce que les res­sources exté­rieures de cer­tains res­tent modestes et aus­si qu’un ves­tiaire pro­cure des vête­ments cor­rects pour qui n’en reçoit pas du dehors.

On ne peut expli­ci­ter ici les nom­breuses autres inno­va­tions appor­tées en UTE à la vie du pri­son­nier ordi­naire. L’essentiel n’est d’ailleurs pas là. Qua­si rien de tout cela ne serait pos­sible si l’ensemble des internes n’était qu’une masse informe d’individus. Ain­si les internes de l’UTE sont-ils répar­tis en qua­torze groupes thé­ra­peu­tiques. L’unité sait aus­si qu’elle peut comp­ter­sur ses repré­sen­tants et ses appuis. Ain­si compte-t-elle, par­mi ses deux-cents internes, quelque sep­tante repré­sen­tants et vingt appuis. En équipe avec les gar­diens, ils en assurent le bon fonc­tion­ne­ment. Ils seront en fait les orga­ni­sa­teurs et ani­ma­teurs des mul­tiples acti­vi­tés, ordi­naires et extra­or­di­naires, qui ne cessent de se pas­ser dans l’UTE.

Mais avec cela, rien n’est encore dit du plus essen­tiel. Il ne suf­fit pas que l’ensemble des acti­vi­tés qui se déploient au sein de l’UTE fonc­tionne cor­rec­te­ment, elles doivent encore aider chaque interne à pro­gres­ser dans son propre pro­ces­sus de chan­ge­ment. Dans cette pers­pec­tive, le fait d’être ou non pré­sent à l’activité pré­vue, tout ce qui peut se vivre dans un ate­lier, les détails de la vie par­ta­gée au quo­ti­dien, l’attitude au réfec­toire, le com­por­te­ment aux moments libres, le sou­ci de la pro­pre­té… prennent une tout autre importance.

Le groupe thé­ra­peu­tique — rap­pe­lons le texte don­né plus haut — est des­ti­né à « ser­vir de lieu d’analyse des évè­ne­ments que vit l’interne au jour le jour…». Tout ce qui peut se pas­ser d’anormal, du plus impor­tant aux petits détails, lui est donc réfé­ré si c’est utile. On s’y deman­de­ra si tel com­por­te­ment pré­cis est en har­mo­nie avec le pro­jet d’ensemble ou s’il s’inspire d’erreurs ancrées dans le pas­sé. Dans ce cas, que faire pour chan­ger7 ? Et l’on retrouve ici « la confron­ta­tion avec le reste des membres du groupe » men­tion­née dans ce même texte. Rien à voir avec la « loi du silence » qui s’impose nor­ma­le­ment en pri­son et par laquelle cha­cun se pro­tège. Ici, le désir de chan­ge­ment, l’effort qu’il peut deman­der, concerne cha­cun et est bien omni­pré­sent dans toute la vie quotidienne.

Toute per­sonne qui vit ou tra­vaille en UTE est per­son­nel­le­ment concer­née par ce désir de chan­ge­ment que chaque interne porte en lui. C’est le pro­jet col­lec­tif que tous portent, chaque membre de l’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire — qui en fait d’ailleurs volon­tai­re­ment par­tie — comme tout interne. Ne peut-on recon­naitre ce tra­vail comme un authen­tique tra­vail de cogestion ?

Le retour à la vie normale

Com­ment se pra­tique le retour à la vie nor­male ? L’interne ne se retrouve pas dehors du jour au len­de­main. Au début des UTE, on veillait à ce qu’un interne en fin de peine, ayant été toxi­co­mane, puisse la ter­mi­ner direc­te­ment dans une asso­cia­tion se consa­crant à la réha­bi­li­ta­tion de ces der­niers. Le règle­ment péni­ten­tiaire le per­met sans dif­fi­cul­tés. L’une d’elle est par­ti­cu­liè­re­ment bien connue en Espagne et par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace : il s’agit de Proyec­to Hombre ou Pro­jet Homme. Quand la drogue la plus uti­li­sée était l’héroïne, un séjour en inter­nat d’environ deux ans était indis­pen­sable. Le taux de réus­site à deux ans, pour celles et ceux qui avaient sui­vi la tota­li­té du séjour, était alors de l’ordre de 80%. Les pri­son­niers qui avaient été toxi­co­manes y par­ache­vaient sou­vent leur tra­vail de libé­ra­tion de la drogue. On cher­cha rapi­de­ment à déve­lop­per un réseau asso­cia­tif prêt à prendre en charge d’anciens déte­nus, sur­tout à par­tir du moment où les UTE s’élargirent à tout type de délinquants.

Les résultats

On pose sou­vent des ques­tions sur le nombre de réci­dives. Est-il réel­le­ment infé­rieur pour les pri­son­niers qui sortent des uni­tés thé­ra­peu­tiques et édu­ca­tives ? Au niveau euro­péen, on consi­dère que le nombre de ceux qui rechutent et se retrouvent en pri­son serait de l’ordre de 65%. En Espagne, il se situe entre 55 et 60%. Mais pour ce qui est des toxi­co­manes, il attein­drait les alen­tours de 75%. Une étude sur les réci­dives après un séjour en UTE, faite par l’Institut de psy­cho­lo­gie de l’université d’Oviedo a abou­ti à une rechute dans la drogue de 26 %. Mais cela ne signi­fie pas auto­ma­ti­que­ment un retour à la délin­quance… et la prison.

Cette impor­tante dimi­nu­tion de la réci­dive dans la délin­quance est évi­dem­ment tout béné­fice pour la sécu­ri­té de la société.

L’institution péni­ten­tiaire sou­tient et encou­rage le déve­lop­pe­ment des UTE à l’intérieur des pri­sons. Elle en a plei­ne­ment recon­nu le mode de fonc­tion­ne­ment et a offi­cia­li­sé celui-ci. La Direc­ción Gene­ral de Ins­ti­tu­ciones Peni­ten­cia­rias dépen­dant du minis­tère de l’Intérieur a publié une pla­quette de trente-cinq pages qui décrit l’UTE comme « un modèle d’intervention pénitentiaire ».

Elle sert en fait de réfé­rence offi­cielle aux équipes des douze centres péni­ten­tiaires qui déve­loppent actuel­le­ment une UTE. Ces équipes viennent évi­dem­ment à Vil­la­bo­na pour mieux en com­prendre le fonc­tion­ne­ment. Noter encore que Vil­la­bo­na est le centre de stage offi­ciel pour les futurs fonc­tion­naires péni­ten­tiaires. Ce stage inclut obli­ga­toi­re­ment un séjour de deux semaines en UTE. Pra­ti­que­ment la moi­tié des déte­nus de Vil­la­bo­na ont libre­ment choi­si d’accomplir leur peine en UTE, et cette expan­sion se poursuit.

C’est aus­si l’occasion de rap­pe­ler que le règle­ment péni­ten­tiaire est inté­gra­le­ment appli­qué à l’intérieur des UTE. Il est impor­tant éga­le­ment de savoir que les UTE n’ont accès à aucun sub­side extra­or­di­naire et qu’elles n’entrainent aucune dépense sup­plé­men­taire pour l’État. L’importante dimi­nu­tion de la réci­dive que celle-ci rend pos­sible lui per­met, au contraire, une réelle économie.

Pour nous Belges, confron­tés depuis trop long­temps aux pro­blèmes que sou­lèvent les pri­sons, ce sys­tème peut paraitre idyl­lique…, mais par­fai­te­ment impra­ti­cable. Il est vrai qu’on ne sau­rait rêver d’une « autre pri­son » qui serait une simple trans­po­si­tion du sys­tème des UTE — d’un « copier-col­ler » — déci­dé d’en haut. C’est à par­tir des acteurs directs de la pri­son que le chan­ge­ment doit s’opérer. Encore faut-il cepen­dant que les auto­ri­tés ne bloquent pas toute ten­ta­tive d’évolution par un immo­bi­lisme bureau­cra­tique ou le faux pré­texte d’un cout sup­plé­men­taire. Puisse cette pré­sen­ta­tion encou­ra­ger, voire don­ner quelque idée, à celles et ceux qui tra­vaillent sur le ter­rain, en y consa­crant sou­vent le meilleur d’eux-mêmes.

  1. Ain­si le livre de Phi­lippe Lan­denne, Peines de pri­son. L’addition cachée, éd. Lar­cier 2008 ou celui de Gérard De Coninck et Guy Lemire, Être direc­teur de pri­son. Regards croi­sés entre le Bel­gique et le Cana­da, L’Harmattan 2011.
  2. L’auteur, méde­cin géné­ra­liste belge retrai­té dans sa famille en Espagne, n’est pas un expert des pri­sons. Cepen­dant, dans son tra­vail en milieu popu­laire et pauvre de Bruxelles, il a connu bien des misères ; entre autres, les pro­blèmes liés à la drogue. Il a aus­si ren­con­tré des hommes sor­tis de pri­son, qui étaient accueillis en mai­sons d’accueil spé­cia­li­sées où il était fré­quem­ment appe­lé comme méde­cin, mais aus­si d’autres se débrouillant comme ils pou­vaient, voire deve­nus sans domi­cile fixe. Comme béné­vole, il aide l’équipe res­pon­sable des acti­vi­tés de san­té dans une UTE, en par­ti­cu­lier dans les ren­contres sur un thème de san­té orga­ni­sées chaque semaine et qui s’adressent aux nou­veaux venus.
  3. Une UTE est mixte à Vil­la­bo­na depuis 1998. Celle-ci compte actuel­le­ment envi­ron vingt-cinq femmes sur un ensemble de deux-cents internes. Il est pré­vu de ne pas y intro­duire de per­sonnes ayant com­mis des délits de type sexuel. Toute rela­tion affec­tive ou phy­sique est évi­dem­ment interdite.
  4. Le 26 sep­tembre 1979, la jeune démo­cra­tie espa­gnole votait la loi orga­nique sur les pri­sons tou­jours en vigueur. Il s’agissait d’en chan­ger radi­ca­le­ment les objec­tifs ain­si que le mode de fonc­tion­ne­ment. La Consti­tu­tion espa­gnole, approu­vée par réfé­ren­dum dès le 6 décembre 1978, avait aupa­ra­vant pré­ci­sé que : « Les peines pri­va­tives de liber­té et les mesures de sécu­ri­té sont orien­tées vers la réédu­ca­tion et la réin­ser­tion sociale et elles ne peuvent consis­ter en tra­vaux for­cés » (art 25, 2).
  5. Un gar­dien devient edu­ca­dor en réus­sis­sant un concours. Une for­ma­tion uni­ver­si­taire est exi­gée. Son rôle est pré­ci­sé­ment de veiller à l’éducation des pri­son­niers dont il a la charge.
  6. Un module est un ensemble de locaux où résident une bonne cen­taine de pri­son­niers. Iso­lé du reste à l’intérieur du bâti­ment d’ensemble, chaque module y a son auto­no­mie ain­si que son équipe de sur­veillance propre. La pri­son de Vil­la­bo­na en compte dix.
  7. Assez sou­vent, il pour­ra y avoir un regret à for­mu­ler ou un par­don à deman­der, voire à s’accorder mutuel­le­ment. Des sanc­tions de prin­cipe sont pos­sibles. En cas de faits graves, l’affaire remonte à l’équipe mul­ti­dis­ci­pli­naire. Elle peut entrai­ner une expul­sion vers un module ordi­naire de la pri­son. Le pri­son­nier peut cepen­dant tou­jours deman­der d’être réin­té­gré dans l’UTE. On sait bien, qu’après tout, une rechute n’a rien d’anormal au cours d’un pro­ces­sus de gué­ri­son d’une dépendance.

Mairlot


Auteur

médecin généraliste à la retraite, bénévole à la prison de Villabona en Asturies (Espagne)