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Un sport à la mode

Numéro 3 Mars 2011 par Dan Kaminski

avril 2015

Cher John, Nous ne nous connais­sons pas assez pour que je vous appelle par votre pré­nom et encore moins pour que je vous donne du « cher ». Nous ne nous connais­sons pas du tout et je n’ai pas envie de vous connaitre. Jouons à « J’aime », comme sur Face­book : je n’aime pas John Gal­lia­no, je n’aime pas […]

Cher John,

Nous ne nous connais­sons pas assez pour que je vous appelle par votre pré­nom et encore moins pour que je vous donne du « cher ». Nous ne nous connais­sons pas du tout et je n’ai pas envie de vous connaitre. Jouons à « J’aime », comme sur Face­book : je n’aime pas John Gal­lia­no, je n’aime pas ses créa­tions. Mais, cher John, j’aime encore moins le sport dont vous faites les frais et dont la mode (ah, ah) fait rage. Ce sport consiste à démo­lir un homme en média­ti­sant ses pro­pos, des âne­ries que, saoul et diva­guant, pro­vo­qué peut-être, il a pro­non­cées, la bouche pâteuse, et dont il n’a peut-être aucun sou­ve­nir. Je suis prêt à croire que vous n’aimez pas Hit­ler, pas plus que vous n’êtes blonde. Les choses sont claires. Je ne joue pas à faire de mau­vais pro­cès à des gens qui ne savent pas ce qu’ils disent. Vous n’êtes pas Éric Zem­mour, ni Brice Hortefeux.

Vous n’imaginez pas, cher John, ce que je peux dire sur les Juifs, sur Israël et sur Hit­ler lui-même, ce dic­ta­teur qui, pour mon grand mal­heur, n’a pas ter­mi­né son bou­lot en n’éliminant que mon grand-père, lais­sant à mon père (qui gagnait tou­jours à cache­cache) le soin de se repro­duire. Comme quoi on peut avoir des rai­sons très étranges de ne pas aimer Hit­ler, vous com­pre­nez ? Je n’en suis pas sûr… Mais voi­là, je per­çois net­te­ment deux dif­fé­rences entre vous et moi : je ne suis pas célèbre et je suis juif. Autre­ment dit, j’ai le droit quand je suis saoul, dans un bar, de dire les conne­ries les plus hon­teuses. Les ama­teurs de ce sport, sorte de pétanque poli­tique, dont vous êtes aujourd’hui le cochon­net, ne les enten­dront pas ou les enten­dront comme témoi­gnages d’un humour du dou­zième degré sous zéro. Vous n’avez que deux torts : ne pas être juif et être célèbre. Vous n’êtes pas célèbre : tout le monde se fiche de ce que, avi­né, vous pou­vez bien grom­me­ler. Vous êtes juif : vous avez toute légi­ti­mi­té, parce que, sacri­fié, vous êtes deve­nu sacré. Célèbre ou goy, on ne peut pas dire n’importe quoi ; peut-on même encore être saoul, allez savoir ?

Reve­nons sur ce sport déli­cieux. S’il n’a pas encore de nom, je pro­pose « puri­ta­nisme per­vers ». Les joueurs, en nombre infi­ni, doivent être à la fois irré­pro­chables et sans ver­gogne. Le but du jeu est d’accumuler un maxi­mum de points de jouis­sance par l’exploitation opti­male de la bêtise d’un per­son­nage célèbre. J’espère que vous ne m’en vou­drez pas de vous trai­ter de per­son­nage. Les règles du jeu ? On pro­voque un peu, on filme, on vend le film (pour­quoi pas?) et on jouit encore et encore des rebon­dis­se­ments média­tiques (les plus inté­res­sants), per­son­nels (vous êtes sus­pen­du puis viré), éco­no­miques (Dior pour­rait y perdre des plumes) et bien­tôt judi­ciaires (serez-vous pour­sui­vi, condam­né comme Hor­te­feux et Zemmour?).

« J’aime Hit­ler. » Je me dois d’être pru­dent et de poser ces mots entre des guille­mets aus­si faus­se­ment dégou­tés que les doigts de celui qui tenait la camé­ra. Main­te­nant ces mots peuvent être répé­tés : vous les avez pro­non­cés pour le monde entier et sa pos­té­ri­té. Un autre créa­teur, sans doute, aura l’idée géniale de les impri­mer sur un t‑shirt ou sur un slip en dentelle.

Les puri­tains per­vers ont de beaux jours devant eux. Il existe aus­si un autre jeu très inté­res­sant auquel ils jouent quand ils s’ennuient : ce jeu s’appelle son­dage pré­élec­to­ral. Un exemple : 23% des Fran­çais vote­raient pour Marine Le Pen au pre­mier tour des pro­chaines élec­tions pré­si­den­tielles. Marine est la fille d’un type qui a fon­dé un par­ti d’extrême droite natio­na­liste, raciste. Ce par­ti est le Front natio­nal, je le pré­cise parce qu’au fond, il est pos­sible que vous ne vous inté­res­siez pas à la poli­tique. Pour­riez-vous, cher John, rete­nir la leçon, que mon outre­cui­dance de juif incon­nu me per­met de vous don­ner ? Quand on aime Hit­ler, je veux dire quand on l’aime vrai­ment et qu’on n’a plus à se mettre sous la dent que de pâles copies bien blondes (pas comme vous), on vote pour lui, secrè­te­ment, dans l’isoloir. Si secrè­te­ment qu’on ne s’en rend peut-être même pas compte. Et on ne dit sur­tout pas qu’on l’aime.

Je ne vous embrasse pas, mais vous aurez com­pris que ce n’est pas vous que j’aime le moins.

Dan Kaminski


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