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Un rituel de déboulonnage de statue
Quelques notes prises le weekend dernier lors d’une promenade au Parc royal de Bruxelles. Il est midi trente, dimanche 31 octobre. Un attroupement autour de la statue équestre de Léopold II, une posture virile et dominatrice coulée dans un bronze jadis produit au Congo belge. Une centaine de personnes. Des officiels en rang serré. Il […]
Quelques notes prises le weekend dernier lors d’une promenade au Parc royal de Bruxelles. Il est midi trente, dimanche 31 octobre. Un attroupement autour de la statue équestre de Léopold II, une posture virile et dominatrice coulée dans un bronze jadis produit au Congo belge. Une centaine de personnes. Des officiels en rang serré. Il me semble reconnaitre le roi. Mesdames et Messieurs, Sa Majesté Le Roi des Belges est ici présente ! À ses côtés, la ministre Présidente de la Région bruxelloise, mais aussi la ministre de la Culture, de la Petite enfance, des Droits des femmes, de la Santé et des Médias (rien que ça…). D’autres femmes et hommes qui ont l’air important, en tailleur et costume. Des militaires bardés de médailles. Beaucoup d’Afrodescendants venus en famille. Un célèbre footballeur d’origine congolaise a fait le déplacement. Des représentants d’associations culturelles. Il y a un imam, un rabbin et un prêtre. Des journalistes en très grand nombre, avec leurs caméras. Je les entends parler dans toutes les langues. Un camion grue de chantier, de couleur jaune, est stationné à côté du colosse.
La ministre Présidente prend la parole, la voix dans le microphone un peu couverte par le vent, je saisis au vol : colonisation brutale du Congo, racisme, exploitation, faute ; puis, pardon, reconnaissance, négrophobie, vivre ensemble. Applaudissements soutenus. Le grutier se dirige vers sa machine. Les boulons d’ancrage ont été desserrés, tandis qu’une sangle est passée sous le ventre du cheval. La statue se soulève péniblement, à l’image du poids de cette histoire qui nous hante. Des bravos et des cris de joie dans l’assemblée. Le bronze est posé dans un camion, direction le Musée de Tervuren où il sera exposé comme une relique. Une œuvre réalisée conjointement par deux artistes, dont l’un est afrodescendant, remplacera l’ancien monument. Fin du rituel. Un vieux monsieur se tourne vers moi et me dit, tout sourire : « S’il fallait déboulonner tous les bâtiments qui ont été financés par le colonialisme, que resterait-il ? Bruxelles serait un sacré gruyère ! »
Plus tard, j’apprends que ce rite n’est pas destiné à être répété. Un unique évènement, symbolique et cathartique. Poser un geste politique pour qu’une lente réparation puisse s’opérer et que les descendants des victimes des abus, des violations et des massacres, qui évoluent tous les jours dans un espace marqué par les figures du colonialisme, se sentent enfin reconnus.
Il était plus que temps1.
- Le lecteur aura compris que ce texte relève de la fiction spéculative, un exercice cher à Donna Haraway.