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Un Tea Party au Brésil ? L’inquiétant réveil de l’ultra-droite
Ils éructent contre les homosexuels, les indigènes et les défenseurs de l’avortement. Ils se déchainent contre les mouvements progressistes, dénoncent la mainmise des « Cubains » sur les institutions fédérales et fulminent contre les impôts, la corruption et les programmes sociaux du gouvernement. Ils exigent le rabaissement de la majorité pénale, la restauration de la peine de mort, la libre circulation des armes à feu, le retrait des garanties juridiques pour les prisonniers de droit commun et prônent un État minimal. Ils militent pour l’indépendance de la région de São Paulo au prétexte de la soustraire au vote « clientéliste » des couches populaires et se mobilisent dans la rue ou sur les réseaux sociaux pour réclamer le départ de Dilma Rousseff, quitte à faire appel à l’armée. Formant une nébuleuse à géométrie variable d’organisations et de groupuscules aux frontières poreuses, ces activistes, souvent jeunes, souvent bien nés, ont aujourd’hui le vent en poupe au Brésil.
Dopés par les spectaculaires mobilisations de juin 2013 et trouvant un réel écho au sein des couches moyennes urbaines, ces jeunes activistes sont les fers de lance d’une « nouvelle droite », ultraradicale et militante, dont le surgissement récent dans l’espace public, politique et médiatique constitue, selon le philosophe Paulo Eduardo Arantes, l’un des phénomènes politiques les plus importants de l’histoire contemporaine du Brésil.
Un réveil bruyant dans le chaudron des « journées de juin 2013 »
« L’élan d’impatience qui s’est manifesté dans les mobilisations de juin 2013 s’est accompagné d’un élan symétrique et antagonique : l’émergence d’une nouvelle droite qu’il est difficile d’appréhender à partir des catégories politiques traditionnelles » (Folha de São Paulo, 31 octobre 2014). À contrecourant des interprétations angéliques et impressionnistes qui ont été faites de cette protestation, souvent vue comme le réveil politique d’une jeunesse à forte sensibilité progressiste, Arantes en propose une tout autre lecture bien plus à même d’en rendre compte, à l’aune notamment de ses dynamiques concrètes et de ses prolongements dans le contexte politique le plus immédiat : la montée en puissance d’une nouvelle droite militante qui s’est donné pour objectif de saper les acquis du lulisme.
Le phénomène n’avait pourtant guère échappé aux commentateurs brésiliens les plus avisés, témoins directs des évènements. Deux semaines à peine après le début de ces manifestations massives qui ont secoué les grandes villes du pays, tous font état d’un changement de cap, de ton et de composition de la protestation. Tous notent un subit glissement des revendications : progressistes initialement (baisse du prix des transports, meilleurs services publics, etc.) vers des slogans antisystème, voire des mots d’ordre franchement réactionnaires.
Le lendemain de la grande manifestation du 20 juin à São Paulo, le journaliste et historien Gilberto Maringoni insiste sur ce basculement. Les « demandes socialement positives et généreuses de la première vague de protestation, note-t-il alors, ont fait place à une révolte conservatrice contra todo o que está aí (contre tout ce qui est en place)», contre la corruption, les impôts, Bolsa família1, Lula, Dilma, les partis politiques en général, ceux de gauche en particulier. Et d’insister ensuite sur la peur qui s’est emparée de très nombreux manifestants après l’agression de dizaines de militants de gauche par quelques groupuscules présents (Carta Maior, 21 juin 2013). Même son de cloche de la part de Marco Aurélio Weissheimer, chroniqueur à Carta Maior, qui écrit également à chaud : « Ce qui avait commencé comme une grande mobilisation sociale contre l’augmentation des billets de bus et la défense d’un transport public de qualité est en train de déboucher, sous nos yeux, sur une expérience sociale incontrôlable possédant des caractéristiques fascistes […]. Dans la nuit de jeudi à vendredi, tous les traits constitutifs de notre démocratie ont été menacés et attaqués, de diverses manières et dans plusieurs villes du pays. De la violence policière ? Il y en a eu, certes. Mais ce qui s’est passé hier n’est pas moins grave […]: attaques contre des militants de gauche et expulsion de ces derniers des manifestations, attaques contre des sièges de partis politiques et d’institutions publiques […]. Et ce ne sont pas seulement des militants pétistes qui ont été agressés et expulsés […]. Dans plusieurs villes du pays [ces agressions] se sont également multipliées contre des militants du PSOL, du PSTU, du MST2 […]» (21 juin 2013).
De toutes les villes du pays afflueront ensuite quantité de témoignages similaires si bien que beaucoup de militants de gauche renonceront à défiler. Alarmé par la tournure prise par les évènements, le MPL (Movimento Passe Livre)3, à l’origine du mouvement, annoncera, lui aussi, publiquement son désengagement et appellera ses militants à cesser l’action, dénonçant au passage la violence envers les partis et militants de gauche, l’instrumentalisation de la protestation par des médias à la botte de l’opposition et son infiltration par des militants néofascistes.
Comment expliquer un tel retournement ? Qui sont ces activistes ? Que veulent-ils ? Personne, à de rares exceptions près, ne les a vus venir. Dans le chaos des journées de juin, rares étaient ceux qui étaient en mesure de les identifier. Et ce flou a ensuite été accentué par les interprétations presque unanimement positives — singulièrement à l’extérieur du pays — qui ont été faites de ces mobilisations.
À l’évidence, ces lectures enthousiastes ont eu pour effet de dérober au regard cette autre dimension centrale, nettement plus sombre, de la révolte de la jeunesse brésilienne. Car, si l’on a beaucoup dit et écrit que cette mobilisation avait contribué à politiser une jeunesse que l’on a longtemps décrite comme inerte politiquement, force est de constater après coup que pour beaucoup de ces jeunes, cette entrée en politique s’est faite par la porte de droite.
Un Tea Party tropical ?
Dissimulés dans les foules grimées de jaune et de vert qui ont envahi les rues dans la deuxième quinzaine du mois de juin 2013, ces activistes de droite ont progressivement fait tomber le masque, en multipliant ces derniers mois les actes et les interpellations publiques. On sait désormais qui ils sont et ce qu’ils revendiquent.
À première vue, cette « nouvelle droite » est loin d’être homogène. Elle s’apparente à un attelage hétéroclite et à géométrie variable de courants, de mouvances, de militants et de sympathisants de provenances et d’identités très diverses. On y croise pêlemêle des fondamentalistes pentecôtistes ; des activistes antiavortement ; des (ex)militaires et (ex)policiers du Partido militar brasileiro (Parti militaire brésilien) en voie de formation ; des nostalgiques de la dictature et des « grandes marches de la famille avec Dieu et pour la liberté» ; des militants « anticorruption» ; une kyrielle de petits collectifs apparus récemment (Movimento Viva Brasil, Movimento Brasil Livre, Revoltados on Line, Caras Pintadas, Movimento Endireitar Brasil, etc.); des jeunes libertariens et antimarxistes ; et quelques dizaines de personnalités médiatiques : journalistes, chroniqueurs, vedettes du petit écran, quelques artistes et même un chanteur de rock, Lobão, anticonformiste de droite notoire.
Conservateurs sur le plan des mœurs et des valeurs, la plupart des acteurs de cette droite composite se réclament ouvertement de l’ultralibéralisme sur le plan économique et militent activement pour la stricte limitation du champ d’action de l’État à ses fonctions régaliennes classiques. S’ils partagent avec les courants néo-intégralistes, version tropicale du fascisme mussolinien, un attachement indéfectible à la nation, aux traditions, à la religion et un même culte de l’autorité et de la force virile, ils s’en distinguent nettement par leur opposition à toute forme de transferts sociaux et de solidarité organique, par le culte du marché et des libertés individuelles, ainsi que par une idéologie de type sécuritaire aux accents encore plus xénophobes et racistes que celle de l’extrême droite historique4.
En fait, s’il est un phénomène politique auquel s’apparente cette nouvelle droite militante, c’est le Tea Party aux États-Unis. Le parallèle est évident. La ressemblance est frappante. Comme le Tea Party états-unien, cette droite qui mobilise dans la rue et multiplie les actes publics est formée d’une multitude d’organisations et de groupuscules plus ou moins reliés entre eux en réseau. Comme lui, elle se présente comme le dernier rempart de la démocratie face à l’interventionnisme des pouvoirs publics, se pose en défenseur des classes moyennes, voire des petites gens, contre la tyrannie de l’impôt et se présente comme le garant des libertés politiques et économiques face à un État et des politiques qu’elle juge intrusifs et oppressifs. Comme lui, elle combat toute idée de redistribution et se vautre dans les thèses conspirationnistes et les diatribes antisolidarité.
Comme lui, elle se veut gardienne des traditions fondatrices de la nation et une réponse au déclin des valeurs et à l’érosion des mœurs. Comme lui, enfin, certaines de ses composantes sont financées directement par des entreprises et de puissantes fondations privées. Reste que la version brésilienne de ce Tea Party est sans nul doute bien plus élitaire dans sa composition et radicale dans ses revendications. « Agissant dans un pays beaucoup plus pauvre et inégal […], écrit ainsi le journaliste politique Paulo Moreira Leite, notre Tea Party est une traduction adaptée et appauvrie [de cette] même rhétorique. Dans sa version “tropicalisée” [ses membres] allèguent que tout ce qui se maintient grâce à l’État constitue non seulement un embryon de communisme, mais est le fruit d’un vol […]. Quand ils s’expriment, ils se font passer pour des anarchistes de droite, mais ses véritables leadeurs et inspirateurs ont dans le passé flirté avec la dictature militaire, voire davantage. »
Or, c’est précisément cette filiation qui relativise la nouveauté de cette droite. Son caractère novateur ne tiendrait tout au plus qu’à l’utilisation de répertoires d’action longtemps associés à la gauche et au détournement de ses symboles. Parée de nouveaux atours, elle ne serait que la dernière mouture du vieux fond élitiste, réactionnaire, anticommuniste et antisocial de la société brésilienne, converti en idéologie anti-pétiste.
Antipétisme, racisme social, xénophobie et violence verbale
L’anti-pétisme constitue en effet le principal ciment de ce Tea Party brésilien, son seul vrai trait d’union objectif, son principe fédérateur, mais aussi son principal fonds de commerce. Toutes ses composantes partagent une commune aversion vis-à-vis de la gauche en général, du PT et du gouvernement pétiste de Dilma Rousseff en particulier. Sans exception aucune, le Parti des travailleurs et ses représentants au gouvernement sont affublés de tous les vices et rendus responsables de tous les maux de la société brésilienne : criminalité galopante, corruption, gabegie, dissolution des mœurs et des valeurs, etc. Outre sa responsabilité dans la dégénérescence morale de la nation, le PT est accusé de vouloir instaurer une dictature socialiste dans le pays avec l’appui de ses alliés nationaux (mouvements sociaux, syndicats, défenseurs de droits de l’homme, etc.) et l’aide des Cubains, des Vénézuéliens et des autres partis de gauche du continent rassemblés dans le Forum de São Paulo.
Cette violente diatribe anti-pétiste se double aussi d’un discours qui exclut de l’espace politique des catégories sociales entières tout en réactivant les vieux préjugés sociaux et raciaux. La victoire étriquée de Dilma Rousseff face au candidat Aécio Neves a donné lieu par exemple à une violente campagne, relayée par les principaux médias (Veja, TV Record, Globo, etc.), contre les électeurs pauvres du nord-est du pays, accusés d’avoir fait pencher la balance électorale en faveur de la candidate présidente pétiste. Un vote forcément illégitime, car cette population « indolente », « ignorante » et « assistée » aurait été instrumentalisée, à coup d’avantages et de programmes sociaux, dans le seul et unique but de servir les intérêts politiques du PT et de la gauche en général aux dépens des classes moyennes — blanches sousentendu — des grandes villes du sud du pays. Ce « coup d’État » électoral, cette « prise en otage » des « contribuables » par une population captive, justifierait d’ailleurs l’intervention de l’armée contre le gouvernement ou encore les velléités autonomistes de l’État de São Paulo.
Dans la bouche de certains de ses représentants, le propos se fait encore plus intolérant, le langage plus violent. Le champion toutes catégories de cette parole débridée est sans nul doute le député fédéral Jair Bolsonaro. Ainsi, à la parlementaire pétiste et ex-ministre des droits de l’homme de Dilma Rousseff, Maria do Rósario, il a récemment lancé, provoquant un tollé dans l’assemblée : « Je ne te violerai pas toi. Tu ne le mérites même pas. » Auparavant, à une députée du PSOL (Partido Socialismo e Libertade) qui avait proposé qu’une enquête soit ouverte contre lui pour des propos similaires, il avait rétorqué froidement qu’il n’y répondrait « que sur du papier toilette », car le PSOL « est un parti de connards et de pédés » (Vinogradoff, 2014).
Accusé d’incitation à la haine, à la violence et au viol, le patriarche de la famille Bolsonaro n’en était évidemment pas à son coup d’essai. À la fille du chanteur afrobrésilien Gilberto Gil, il avait répliqué provoquant un profond malaise sur un plateau de télévision « Je ne vais pas parler de promiscuité avec toi ni avec personne. Cela ne risque pas d’arriver, car mes fils ont été bien élevés et n’ont pas grandi dans le type d’environnement qui a été le tien ! » Racisme non dissimulé, mais aussi homophobie complètement assumée ! À plusieurs reprises, il avait en effet déclaré qu’il préfèrerait voir son fils mort plutôt qu’homosexuel, que jamais il ne s’installerait à côté d’un couple de gays, car «[ces gens] faisaient baisser le prix de l’immobilier » et que seuls des coups de trique pouvaient « corriger » cette déviance. Si le propos choque, il n’est pas surprenant de la part de quelqu’un qui considère aussi les indigènes comme des « brouteurs d’herbe » « malodorants » et « mal éduqués », les droits de l’homme comme du « fumier » pour vagabonds (esterco do vagabundagem) et la torture comme un moyen légitime d’investigation. Ses fréquents écarts de langage et de conduite du parlementaire n’ont toutefois pas entamé le capital de sympathie dont il jouit à Rio de Janeiro. Loin de là ! Surfant sur la vague de contestation anti-PT, antigouvernementale et sécuritaire, le charismatique leadeur de l’extrême droite brésilienne a été l’un des députés les mieux élus au Congrès brésilien lors des dernières élections d’octobre 2014. Avec 464.572 voix de préférence, soit le quatrième meilleur score et un résultat quatre fois plus élevé qu’aux élections de 2010, il se situe juste devant son fidèle allié, le pasteur néopentecôtiste, raciste, homophobe et xénophobe, Marco Feliciano, qui avait déclaré, lui, que le meurtre de John Lennon était un châtiment divin.
Polarisation asymétrique
Depuis les élections d’octobre 2014, le Brésil est davantage polarisé avec un Congrès plus morcelé et réactionnaire que jamais. Autant dire, dans ces conditions, que la réforme politique — en particulier celle du Parlement fédéral — réclamée pourtant par de nombreux manifestants durant les journées de juin, et promises par Dilma Rousseff, est morte et enterrée. Enterrés eux aussi, ou sérieusement remis en question, les projets les plus progressistes du gouvernement.
C’est sans doute là l’une des leçons à tirer des mobilisations de juin 2013, mais aussi leur principal paradoxe. Comme le soulignent en effet plusieurs commentateurs de la vie politique brésilienne, en se transformant peu à peu en un assaut contre le gouvernement et les partis au pouvoir, ces mobilisations qui se voulaient au départ progressistes ont ouvert une sorte de boite de pandore, scellée depuis l’arrivée à la présidence du candidat Lula, et libéré les forces les plus ataviques et les plus réactionnaires du pays. Massivement mobilisés, les protestataires ont créé une dangereuse brèche dans le consensus politique instauré par la gauche brésilienne au prix d’importants renoncements, brèche dans laquelle ces forces n’ont pas tardé à s’engouffrer. En ternissant l’image du PT et en affaiblissant le gouvernement, ces protestations ont d’une certaine manière fait le jeu — involontairement il est vrai — de cette droite décomplexée qui jusque-là demeurait isolée et était politiquement inexistante, du moins dans sa forme organisée, et pratiquement inaudible, comme s’en alarmait encore, en 2011, le très conservateur et populaire hebdomadaire Veja.
Incapables jusqu’ici de trouver une expression commune et forte, dans un champ politique dominé par la bipolarisation PT-PSDB, les composantes les plus radicales de cette droite ont très vite pris conscience du profit qu’elles pouvaient tirer de ces mobilisations. Ses principaux protagonistes en ont profité pour se rapprocher, se réorganiser, s’unir en dépit de leurs divergences, descendre main dans la main dans la rue et recruter très largement, en exploitant la lassitude des classes moyennes vis-à-vis de la corruption, de la criminalité, des jeux politiciens ou encore de l’inflation. De sorte qu’aujourd’hui, à l’instar du Tea Party états-unien, cette nouvelle droite ultraradicale est capable de mobiliser dans la rue plusieurs milliers de personnes. De la même manière, elle tend aussi à déployer une stratégie d’opposition asymétrique.
« La droite nord-américaine, explique ainsi Paulo Arantes, n’est pas intéressée par la formation d’une majorité gouvernementale. Ce qui l’intéresse, c’est d’empêcher que les gouvernements gouvernent. Elle ne désire pas vraiment élaborer de politiques dans le cadre législatif et ignore le vote de l’électeur moyen. Elle n’a pas besoin de voix parce qu’elle est directement financée par les grandes entreprises […]. Voilà pourquoi ses partisans peuvent se donner le luxe de prendre des positions à la fois très claires et non négociables […] rendant impossible toute modification du statuquo. » Des prises de position radicales que la gauche au pouvoir ne peut de son côté pas se permettre, précisément parce qu’elle doit, elle, « gouverner, constituer des majorités, négocier et emballer le tout ». Aux États-Unis, ajoute-t-il encore, « les démocrates et les “libéraux” [liberals au sens anglo-saxon] se caractérisent par une certaine modération, tout comme la gauche officielle au Brésil qui est modérée, tandis que de l’autre côté, c’est l’absence de modération qui prévaut. De là, l’asymétrie » (Folha de São Paulo, 31 octobre 2014).
Représentée essentiellement par trois petits partis (sur les vingt-huit que compte désormais le Congrès), à savoir les très mal nommés Parti progressiste, Parti républicain progressiste et Parti social-chrétien, tous trois issus de l’Arena (Alianza renovadora nacional), le parti des militaires durant la dictature, cette droite radicale demeure minoritaire politiquement. Mais elle peut désormais compter sur l’appui ponctuel et négocié d’autres formations, d’autres députés, acquis à l’une ou l’autre de ses causes, dans un Parlement toujours plus morcelé, dominé par les groupes de pression conservateurs déterminés à mettre des bâtons dans les roues du gouvernement. Elle ne se privera donc certainement pas de mobiliser ces alliés de circonstance pour saborder tout projet qui ne cadre pas avec sa lecture ultra-réactionnaire du monde. Et, ce faisant, elle obligera les partis de gouvernement à se livrer à d’interminables et, souvent, douteux marchandages avec l’opposition, ce qui renforcera à son tour le discrédit de la classe politique dans son ensemble.
Révélatrice d’une plus grande réceptivité de la société brésilienne aux thèses néoconservatrices, sécuritaires et anti-pétistes, cette vague droitière est symptomatique d’un essoufflement du lulisme et d’une chute de confiance vis-à-vis du gouvernement, empêtré dans une seconde affaire de corruption touchant l’entreprise publique pétrolière Petrobras, contraint au compromis et à la modération politique, ne parvenant plus à proposer un vrai projet mobilisateur et devenu de plus en plus distant par rapport à ses bases historiques. Pour le PT et la gauche en général, moins bien représentés au Congrès depuis les dernières élections (le PT a perdu dix-huit députés), cette montée en puissance de la droite est indiscutablement annonciatrice de grandes difficultés à venir. Tandis que certains pointent déjà le risque d’une « venezualização » de la vie politique brésilienne, la gauche sociale tente d’organiser vaille que vaille la riposte en faisant campagne pour une profonde réforme politique. Mais peut-être est-il déjà trop tard !
- Programme de transfert conditionnel de revenu à destination des familles les plus pauvres du pays mis en place par le premier gouvernement Lula (2003 – 2006). Il bénéficie aujourd’hui à près de 14 millions de familles.
- Le Parti Socialisme et Liberté (PSOL) est une dissidence du Parti des travailleurs (PT). Avec les trotskystes du Parti socialiste des travailleurs unifiés (PSTU), il représente au Brésil la gauche radicale. Lié officiellement à aucun parti, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) est, quant à lui, considéré comme le plus grand mouvement paysan d’Amérique latine.
- Créé durant le Forum social mondial de Porto Alegre de 2005 par des activistes de São Paulo, le Movimento Passe Livre lutte pour la gratuité des transports publics. Il est à l’initiative des premières mobilisations de juin 2013.
- Fondée au début par Plínio Salgado, l’Action intégraliste brésilienne était un mouvement de masse de type fasciste qui comptera près d’un million de membres et sympathisants jusqu’à son interdiction en 1937 par Gétulio Vargas. En 2004 s’est tenu à São Paulo un premier congrès néo-intégraliste réunissant les deux mouvements qui s’en réclament, le Frente Integralista Brasileira (FIB) et le Movimento Integralista e Linearista Brasileiro (MIL‑B).