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Ultranova, film wallon. Sommes-nous si éwarés ?
Les trois hommes arrivent au bord du terrain à lotir. Ils viennent voir l’emplacement des maisons préfabriquées, qu’ils s’apprêtent à aller vendre. Mais tous les pieux qui montrent le métrage des parcelles ont été déterrés. Leur chef est hors de lui. Il ne veut pas payer un géomètre pour la quatrième fois. Il chausse ses bottes et […]
Les trois hommes arrivent au bord du terrain à lotir. Ils viennent voir l’emplacement des maisons préfabriquées, qu’ils s’apprêtent à aller vendre. Mais tous les pieux qui montrent le métrage des parcelles ont été déterrés. Leur chef est hors de lui. Il ne veut pas payer un géomètre pour la quatrième fois. Il chausse ses bottes et essaye de replanter les pieux. Il est fou de rage. Ses deux collègues vont prendre un café en attendant.
C’est une scène parmi d’autres d’Ultranova, le premier long métrage de Bouli Lanners. Un film qui est d’abord un regard très beau et inhabituel — qui a déjà fait des travellings sur le ciel liégeois ? Mais c’est aussi un propos. Un propos obscur sur des destinées obscures. Un récit inachevé sur des rencontres qui ne se nouent pas, sur des personnages balbutiants et rongés par les accidents de la vie ou les mensonges qu’ils se font à eux-mêmes.
Au risque de plaquer lourdement du sens là où personne n’a voulu en mettre, attardons-nous à ce que dit le film de la société où le cinéaste vit, la Wallonie contemporaine — la Wallonie et pas la Belgique, comme on continue à l’entendre, hypnotisé par le reflet réducteur de la reconnaissance de la « belgitude » de notre cinéma par Paris… Bouli Lanners prend tellement le temps de filmer sa Wallonie, faisant en sorte qu’on a l’impression de voir pour la première fois des endroits familiers, que son œuvre a forcément voulu en dire quelque chose.
Lanners a sa poésie du désespoir, mais on dirait qu’il pose aussi une question : à partir d’ici, comment avance-t-on ? Comment construiton ? Ou plutôt, y a‑t-il vraiment moyen de construire ? Quelle est cette violence qu’il faut se faire pour échapper à un supposé destin plombant ? Qu’est donc ce lest existentiel ?
Une des protagonistes déchiffre les lignes de la main. La gauche, c’est le passé, la droite, l’avenir. À gauche, explique-t-elle, tout est joué, à droite, pas nécessairement. Un matin, elle revient au boulot avec la main droite bandée. Elle s’est tailladée la paume pour être sûre d’échapper à ce qu’elle devient. Elle veut partir trouver fortune en Italie. Mais elle est incapable d’y croire. Elle se ment.
Une cellule dont les murs sont des miroirs
Bouli Lanners n’a pas un propos vraiment politique, mais plutôt moral. On s’effondre dans la blessure de nous-mêmes et quand on tente de lever les yeux, c’est qu’on se ment. On continue à tomber. Les issues ? Le suicide, la dépression, la quête de consolation ou l’accident. Ce dernier ayant le mérite d’envoyer un message : « Tu te trompes de chemin, tu dois changer. » Mais que changer ? Il doit bien y avoir une porte pour sortir de nos mensonges, mais Bouli Lanners ne la cherche pas. On est condamné à fuir, ou à se décomposer sous le poids d’injonctions paradoxales. On n’est même plus acteur de soi-même. La vie est devenue « une cellule dont les murs sont des miroirs » (Eugene O’Neill).
Bouli Lanners tape juste, trop juste, mais le gros plan sur la plaie et le couteau qui insiste ne nous avance guère. L’étoile que nous avons en partage est réputée morte. Elle devrait donner naissance à d’autres. On ne sait pas à quoi ni comment, mais ça doit venir. Même que ça s’appelle une « ultranova ». En attendant, on est dans le collapsus après l’implosion de cette société finie. Impuissants dans le courant visqueux de l’histoire. Même plus capables de colère ni de plaisir. Soumis, brisés, perdus. Èwarés !
Ultranova, un propos paralysant ou un propos qui stigmatise notre hypocondrie ? Bouli Lanners n’est pas clair. C’est sa posture artistique et tant mieux. Attention, donc. C’est un film qui donne envie d’être aimé et accepté comme argent comptant : « C’est nous, c’est forcément bien. » Il pousse à l’erreur complaisante sur nous-mêmes. Mais là où il devient un film wallon pas comme les autres, c’est quand il se met à chercher — certes avec ambigüité — par quel coin attraper le voile à lever sur notre mensonge.