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Trumpsformation

Numéro 6 - 2020 - identification Trump par Derek Moss

septembre 2020

C’est le résul­tat d’une over­dose d’écrans qui m’a mis dans cet état. J’en suis convain­cu. Cela fait plu­sieurs mois que je regarde tout ce que je trouve sur lui, aus­si bien éma­nant de ses contra­dic­teurs que de ses sup­por­teurs. D’Anderson Cooper à Tucker Carl­son. De Lau­ra Ingra­ham à Erin Bur­nett. De Ste­phen Col­bert à Kanye West. Je ne […]

Billet d’humeur

C’est le résul­tat d’une over­dose d’écrans qui m’a mis dans cet état. J’en suis convaincu.

Cela fait plu­sieurs mois que je regarde tout ce que je trouve sur lui, aus­si bien éma­nant de ses contra­dic­teurs que de ses sup­por­teurs. D’Anderson Cooper à Tucker Carl­son. De Lau­ra Ingra­ham à Erin Bur­nett. De Ste­phen Col­bert à Kanye West. Je ne peux m’empêcher de le scru­ter, lui, avec du dégout et une étrange attrac­tion. Désir par­ri­cide et fas­ci­na­tion pour la chute d’une figure d’autorité, dirait mon psy­cha­na­lyste qui méri­te­rait de s’offrir un cigare pour une inter­pré­ta­tion de cette qua­li­té. Et aus­si, ajou­te­rait-il, une iden­ti­fi­ca­tion hos­tile avec le masque du pou­voir qu’est Trump (et qui fait qu’il n’en porte pas, il n’en a pas besoin, il est un masque!), cette appa­rence de cer­ti­tude sans faille, sa condes­cen­dance com­pé­ti­tive, ses ambi­tions pla­te­ment maté­ria­listes et son viri­lisme toxique, tout le contraire de ce que je crois être mais que mon incons­cient fan­tas­me­rait à mon insu.

À un point tel que, comme Lévi-Strauss qui à force d’analyser des mytho­lo­gies pen­dant vingt ans, sept jours par semaine, douze heures par jour, se met­tait à « pen­ser en mythes », je redoute le fait que je com­men­ce­rais à pen­ser en Trump. Ce n’est qu’une impres­sion pour l’instant, je reste pru­dent avec la vérité.

J’ai tou­te­fois été cham­bou­lé par ce que je vois main­te­nant comme un pro­bable signe annon­cia­teur. Le désir impé­rieux, au réveil, d’avaler une gor­gée de Coca-Cola light. En pyja­ma, un same­di matin, je me suis rué chez l’épicier du coin et ai déva­li­sé son stock de soda (Trump en boi­rait onze canettes par jour). Là, je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose d’anormal, moi qui d’habitude ne mange que graines et noix bio en savou­rant un thé vert au jas­min. Sur ma lan­cée, ayant subi­te­ment per­du le gout de lire (une « agueu­sie livresque » me chu­chote mon atta­chée de presse Kay­leigh), je reven­dis de vieux livres à Pêle-Mêle, notam­ment Soi-même comme un autre de Ricoeur et Men­songe Roman­tique et Véri­té Roma­nesque de Girard. Quelle affaire pour ces bou­quins jadis ache­tés en seconde main sur E‑Bay ! Je me sen­tis un peu escroc. Jouissif !

Plus tard, au comp­toir d’une par­fu­me­rie, les paluches char­gées de crème auto­bron­zante, j’offris un « tre­men­dous job ! » à la ven­deuse qui me regar­da d’un air per­plexe. Sans aucun doute, une Anar­chiste Démo­crate Pilleuse de notre GRANDE CULTURE qui ne com­prend pas ce que j’ai fait d’HISTORIQUE pour le Plat Pays ! Alors qu’elle me ten­dait le ticket de caisse, je mis mes deux paumes ouvertes en oppo­si­tion devant elle et lui assé­nai un « FAKE NEWS ! » fatal.

Aus­si, depuis quelques semaines, je ne vois que des chiffres. Je passe les mati­nées à regar­der les courbes de la bourse de Chi­si­nau, ça monte, ça des­cend, je pense que j’ai per­du beau­coup et gagné énor­mé­ment. Les après-midis, je twitte, je ret­witte, je twitte encore, je sup­prime des tweets. J’ai viré mon chat Émile parce que je ne sup­porte plus la cou­leur de son pelage et qu’il ne ron­ronne pas à mon arri­vée. Ma com­pagne Lola, quant à elle, ne tolère plus que je l’appelle Ivan­ka et que je lui parle en pla­çant mon index contre mon pouce. Quand elle m’a deman­dé ce qui me prend ces jours-ci, je lui ai répon­du que tout est sous contrôle et que c’est la faute aux Chi­nois, à l’OMS, au Deep State et au doc­teur Fau­ci-Pep­per. Et je l’ai viré aus­si. « YOU ARE FIRED », je lui ai fait en la mon­trant du doigt avec mépris.

Aujourd’hui, je suis seul, sans com­pa­gnie humaine ni féline, mais contrai­re­ment à Brit­ney Spears (à moins que ce ne soit Alexandre Dumas ?1) My lone­li­ness is not killing me. Libre de m’aliéner au patrio­tisme et à la consom­ma­tion, je suis allé à Coxyde où j’ai joué une par­tie de mini­golf. Je me suis sen­ti sur­puis­sant. De retour à la mai­son, j’ai gon­flé une Méla­nia (ache­tée sur Ama­zon pour 67,50 euros) et nous avons pas­sé une agréable soi­rée à nous détendre devant The Appren­tice.

  1. Cette bou­tade mérite une note expli­ca­tive. Dans Le comte de Monte-Cris­to, Alexandre Dumas écrit : « Ma soli­tude me tue. J’avoue que je conti­nue de croire », une for­mule lâche­ment copiée du tube pla­né­taire Baby One More Time de ma chère Brit­ney adorée.

Derek Moss


Auteur

anthropologue