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Trumponomics. It will be the economy (again), stupid !
Ne nous voilons pas la face : la plupart d’entre nous jugent d’ores et déjà Trump responsable de tous les maux qui frapperont la planète à compter du 20 janvier, le jour de son arrivée à la Maison Blanche. Son programme suscite de multiples inquiétudes à cause de son climatoscepticisme, de sa volonté de détricoter nombre de mesures emblématiques […]
Ne nous voilons pas la face : la plupart d’entre nous jugent d’ores et déjà Trump responsable de tous les maux qui frapperont la planète à compter du 20 janvier, le jour de son arrivée à la Maison Blanche. Son programme suscite de multiples inquiétudes à cause de son climatoscepticisme, de sa volonté de détricoter nombre de mesures emblématiques de l’ère Obama (comme la protection sociale minimale), du projet pharaonique de construire un mur avec le Mexique (qui est pourtant le troisième partenaire commercial des États-Unis après le Canada et la Chine), de son intention de « bouter les étrangers hors du territoire américain », etc.
Pour la première fois depuis 1922, le Congrès et le Sénat seront majoritairement issus du même parti que le nouveau président. Une telle situation manqua cruellement à Barack Obama qui, de ce fait, vit ses principaux projets édulcorés et retoqués. À contrario, elle rend bien plus crédible l’exécution des idées « sloganesques » de Trump.
De surcroit, beaucoup de commentateurs ont déjà relevé que le nouveau président devra nommer un nouveau juge à la Cour suprême à la suite du décès de l’un d’entre eux durant l’été. Pour rappel, ces juges sont nommés à vie, ce qui leur donne une influence considérable, s’étendant sur une génération. À l’heure actuelle, les juges se répartissent pour moitié (4 – 4) entre juges proches des Démocrates et des Républicains. Le neuvième juge nommé par Trump fera pencher la balance dans le camp des conservateurs. En revanche, l’impact d’une autre nomination à venir a été perdu de vue : en janvier 2018, le mandat de Janet Yellen à la tête de la puissante Federal Reserve (l’équivalente de la Banque centrale européenne) prendra fin. Trump disposera là aussi d’une opportunité pour renforcer ses appuis. Par ailleurs, la décision qu’il prendra liera son éventuel successeur en 2020, puisque le mandat durera quatre années.
Plus généralement, les commentateurs se sont peu attardés sur le volet économique du programme de Trump. Tout juste pense-t-on savoir qu’il conduira à plus d’inégalités. Les observateurs un peu plus attentifs auront noté l’ambition de Trump de procéder à du « deficit spending », qui est une politique économique visant à relancer la machine en creusant d’abord les déficits. Le moyen privilégié dans ce cas-ci consisterait à réduire les taux d’imposition. Or, considérant la taille des États-Unis par rapport au reste du monde, le niveau déjà très élevé de la dette américaine, les conditions macroéconomiques générales et l’usage du dollar comme première devise mondiale, cette stratégie pourrait être la goutte d’eau qui fait déborder le vase et donner lieu à la prochaine grande crise économique mondiale.
Plusieurs estimations laissent à penser que la mise en œuvre du plan de Trump alourdira après une période de dix années la dette publique de 5 à 7 trillions de dollars selon les paramètres envisagés. Les « effets retour » seront probablement insuffisants pour rentrer dans les frais et le pari que le protectionnisme stimulera les entreprises domestiques au point qu’il en résultera des recettes fiscales additionnelles est pour le moins audacieux… car il ne s’est jamais vérifié jusqu’à présent.
Or, la dette publique actuelle des États-Unis est colossale : elle culmine à 14.000 milliards de dollars (108% du PIB). Nul besoin de rappeler les passes d’armes entre Démocrates et Républicains autour du respect du plafond de la dette : en 2011 et en 2013, son dépassement aurait entrainé — comme lors de la précédente crise budgétaire de 1995 – 1996 — une fermeture des services publics, le remboursement de certaines créances, le non-paiement des rémunérations des fonctionnaires, d’un certain nombre d’allocations et des factures aux entreprises qui satisfont la commande publique, etc. La crise fut résolue quand les Démocrates et les Républicains plongèrent la tête (ou plutôt la dette) dans le sable, en rehaussant à plusieurs reprises le plafond de la dette… reportant le fardeau sur les générations futures.
Les investisseurs étrangers détiennent une créance de 6,2 trillions de dollars sur les États-Unis. Parmi eux, la Chine a investi une bonne partie de sa montagne de réserves dans la dette publique américaine (environ 1,2 trillion de dollars). Or, l’hostilité manifestée de manière continue par Trump à l’égard de la Chine pourrait faire en sorte que, dans les conditions actuelles, celle-ci ne se porte pas acquéreuse de la nouvelle dette américaine. Par ailleurs, la Chine doit s’atteler elle-même à la résorption de son niveau d’endettement qui a explosé — plus de 280% du PIB, tous secteurs confondus — au point de représenter un risque sérieux pour l’économie mondiale. À cause des initiatives prises (comme le « Fonds Juncker ») pour galvaniser les investissements en Europe et l’attitude impulsive et anxiogène de Trump, il ne faudra pas compter non plus sur les Européens pour financer le trou budgétaire américain.
Le dilemme
Deux possibilités s’offrent à l’administration Trump. La première : les États-Unis devront relever les taux d’intérêt afin d’attirer les investisseurs, avec le risque que cela rende les investissements privés des entreprises moins intéressants. Il pourrait alors en résulter une hausse générale des taux, d’abord aux États-Unis et ensuite dans le reste du monde car les autres pays ne veulent pas apparaitre moins rémunérateurs. Globalement, dans un tel scénario, les couts de financement des États, des ménages et des entreprises augmenteront et, par conséquent, les niveaux d’endettement des secteurs publics (sauf aux États-Unis) et privés augmenteront de concert. Or, dans un récent rapport, le Fonds monétaire international tirait la sonnette d’alarme, en mettant en avant le niveau critique d’endettement des sociétés non financières dans le monde : 225% du PIB mondial. Il s’agit là d’un niveau bien plus élevé que celui atteint au plus fort de la crise de 2008 (voir graphique). De quoi nous rappeler cette fameuse sortie de John Connally, secrétaire d’État au Trésor sous la présidence Nixon : « Le dollar, c’est notre devise, mais votre problème. »
Seconde possibilité : la Federal Reserve pourrait reprendre son plan de Quantitative Easing (QE) ou « assouplissement monétaire ». Il s’agit d’une opération qui fut menée entre 2008 et 2014 et dont le but consistait à racheter des actifs financiers pour stimuler les marchés, financer à bon compte les entreprises et les pouvoirs publics pour, in fine, relancer la croissance et éloigner l’économie du piège de la déflation — piège qui s’était refermé sur le Japon dans les années 1990 et qui lui a valu une stagnation depuis lors. Ce scénario serait d’autant plus plausible que Trump pourrait compter sur un nouveau gouverneur de la FED. Néanmoins, la FED a amassé pour pas moins de 4,5 trillions de dollars de titres dans ses coffres : on voit mal comment elle pourrait en acquérir davantage. De plus, si cela résoudrait le problème de l’achat de la nouvelle dette américaine, cela créerait d’autres problèmes qui retourneraient l’électorat de Trump contre lui. En effet, le QE, comme on l’a vu précédemment, accroit les inégalités, augmente les prix de l’immobilier et facilite le rachat par les entreprises de leurs propres actions (pour s’émanciper un peu des marchés ou pour stimuler les rendements aux actionnaires).
Ainsi voit-on se dessiner les contours probables de la prochaine crise économique… sans que les électeurs de Trump qui ont voté pour lui ne trouvent satisfaction à ce genre de politiques périlleuses. En effet, elles aggravent les inégalités et ne sont pas de nature à répondre intrinsèquement à la demande de meilleurs emplois, offrant de meilleurs salaires et perspectives de carrière. Notons d’ailleurs que les États-Unis tournent au quasi plein emploi, le problème américain tenant en l’occurrence beaucoup moins dans la quantité d’emplois que dans leur qualité. Entretemps, les Européens — qui ont l’habitude de faire trop peu trop tard — n’auront vraisemblablement pas réformé la zone euro pour la rendre plus robuste, solidaire et démocratique — plus personne ne semblant intéressé par davantage d’intégration, en particulier dans le contexte des élections française et allemande.
N’excluons toutefois pas la possibilité que Trump fasse marche arrière et ne s’engage finalement pas dans cette voie économique hautement hasardeuse. Soit qu’il n’aurait jamais eu l’intention de mener à bien cette promesse de campagne, soit qu’un nombre suffisant de Républicains répugneraient à le suivre dans cette politique — à moins de couper plus férocement que ce qui a été annoncé dans les programmes sociaux et environnementaux.
Nous voyons donc à quel point la présidence de Trump pourrait donner lieu à de profondes perturbations mondiales sur le plan économique. Son programme mettra à rude épreuve la coopération internationale et la forme d’isolationnisme — que l’on retrouve aussi en Europe — pourrait produire des effets cataclysmiques alors que l’économie mondiale ne s’est toujours pas remise de la crise de 2008. Cette probabilité est d’autant plus importante que les États-Unis détiennent une minorité de blocage au FMI et que, par tradition, ils nomment le chef de la Banque mondiale.
Ne perdons pas espoir pour autant : comme on le voit dans le secteur de la défense, cette évolution pourrait constituer l’électrochoc dont les Européens ont besoin pour plus d’intégration mieux conçue. À quelque chose malheur est bon : les Trumponomics pourraient ainsi permettre, par un effet collatéral, un sursaut européen…