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Trumponomics. It will be the economy (again), stupid !

Numéro 8 - 2016 par Olivier Derruine

décembre 2016

Ne nous voi­lons pas la face : la plu­part d’entre nous jugent d’ores et déjà Trump res­pon­sable de tous les maux qui frap­pe­ront la pla­nète à comp­ter du 20 jan­vier, le jour de son arri­vée à la Mai­son Blanche. Son pro­gramme sus­cite de mul­tiples inquié­tudes à cause de son cli­ma­tos­cep­ti­cisme, de sa volon­té de détri­co­ter nombre de mesures emblématiques […]

Le Mois

Ne nous voi­lons pas la face : la plu­part d’entre nous jugent d’ores et déjà Trump res­pon­sable de tous les maux qui frap­pe­ront la pla­nète à comp­ter du 20 jan­vier, le jour de son arri­vée à la Mai­son Blanche. Son pro­gramme sus­cite de mul­tiples inquié­tudes à cause de son cli­ma­tos­cep­ti­cisme, de sa volon­té de détri­co­ter nombre de mesures emblé­ma­tiques de l’ère Oba­ma (comme la pro­tec­tion sociale mini­male), du pro­jet pha­rao­nique de construire un mur avec le Mexique (qui est pour­tant le troi­sième par­te­naire com­mer­cial des États-Unis après le Cana­da et la Chine), de son inten­tion de « bou­ter les étran­gers hors du ter­ri­toire amé­ri­cain », etc.

Pour la pre­mière fois depuis 1922, le Congrès et le Sénat seront majo­ri­tai­re­ment issus du même par­ti que le nou­veau pré­sident. Une telle situa­tion man­qua cruel­le­ment à Barack Oba­ma qui, de ce fait, vit ses prin­ci­paux pro­jets édul­co­rés et reto­qués. À contra­rio, elle rend bien plus cré­dible l’exécution des idées « slo­ga­nesques » de Trump.

De sur­croit, beau­coup de com­men­ta­teurs ont déjà rele­vé que le nou­veau pré­sident devra nom­mer un nou­veau juge à la Cour suprême à la suite du décès de l’un d’entre eux durant l’été. Pour rap­pel, ces juges sont nom­més à vie, ce qui leur donne une influence consi­dé­rable, s’étendant sur une géné­ra­tion. À l’heure actuelle, les juges se répar­tissent pour moi­tié (4 – 4) entre juges proches des Démo­crates et des Répu­bli­cains. Le neu­vième juge nom­mé par Trump fera pen­cher la balance dans le camp des conser­va­teurs. En revanche, l’impact d’une autre nomi­na­tion à venir a été per­du de vue : en jan­vier 2018, le man­dat de Janet Yel­len à la tête de la puis­sante Fede­ral Reserve (l’équivalente de la Banque cen­trale euro­péenne) pren­dra fin. Trump dis­po­se­ra là aus­si d’une oppor­tu­ni­té pour ren­for­cer ses appuis. Par ailleurs, la déci­sion qu’il pren­dra lie­ra son éven­tuel suc­ces­seur en 2020, puisque le man­dat dure­ra quatre années.

Plus géné­ra­le­ment, les com­men­ta­teurs se sont peu attar­dés sur le volet éco­no­mique du pro­gramme de Trump. Tout juste pense-t-on savoir qu’il condui­ra à plus d’inégalités. Les obser­va­teurs un peu plus atten­tifs auront noté l’ambition de Trump de pro­cé­der à du « defi­cit spen­ding », qui est une poli­tique éco­no­mique visant à relan­cer la machine en creu­sant d’abord les défi­cits. Le moyen pri­vi­lé­gié dans ce cas-ci consis­te­rait à réduire les taux d’imposition. Or, consi­dé­rant la taille des États-Unis par rap­port au reste du monde, le niveau déjà très éle­vé de la dette amé­ri­caine, les condi­tions macroé­co­no­miques géné­rales et l’usage du dol­lar comme pre­mière devise mon­diale, cette stra­té­gie pour­rait être la goutte d’eau qui fait débor­der le vase et don­ner lieu à la pro­chaine grande crise éco­no­mique mondiale.

Plu­sieurs esti­ma­tions laissent à pen­ser que la mise en œuvre du plan de Trump alour­di­ra après une période de dix années la dette publique de 5 à 7 tril­lions de dol­lars selon les para­mètres envi­sa­gés. Les « effets retour » seront pro­ba­ble­ment insuf­fi­sants pour ren­trer dans les frais et le pari que le pro­tec­tion­nisme sti­mu­le­ra les entre­prises domes­tiques au point qu’il en résul­te­ra des recettes fis­cales addi­tion­nelles est pour le moins auda­cieux… car il ne s’est jamais véri­fié jusqu’à présent.

Or, la dette publique actuelle des États-Unis est colos­sale : elle culmine à 14.000 mil­liards de dol­lars (108% du PIB). Nul besoin de rap­pe­ler les passes d’armes entre Démo­crates et Répu­bli­cains autour du res­pect du pla­fond de la dette : en 2011 et en 2013, son dépas­se­ment aurait entrai­né — comme lors de la pré­cé­dente crise bud­gé­taire de 1995 – 1996 — une fer­me­ture des ser­vices publics, le rem­bour­se­ment de cer­taines créances, le non-paie­ment des rému­né­ra­tions des fonc­tion­naires, d’un cer­tain nombre d’allocations et des fac­tures aux entre­prises qui satis­font la com­mande publique, etc. La crise fut réso­lue quand les Démo­crates et les Répu­bli­cains plon­gèrent la tête (ou plu­tôt la dette) dans le sable, en rehaus­sant à plu­sieurs reprises le pla­fond de la dette… repor­tant le far­deau sur les géné­ra­tions futures.

Les inves­tis­seurs étran­gers détiennent une créance de 6,2 tril­lions de dol­lars sur les États-Unis. Par­mi eux, la Chine a inves­ti une bonne par­tie de sa mon­tagne de réserves dans la dette publique amé­ri­caine (envi­ron 1,2 tril­lion de dol­lars). Or, l’hostilité mani­fes­tée de manière conti­nue par Trump à l’égard de la Chine pour­rait faire en sorte que, dans les condi­tions actuelles, celle-ci ne se porte pas acqué­reuse de la nou­velle dette amé­ri­caine. Par ailleurs, la Chine doit s’atteler elle-même à la résorp­tion de son niveau d’endettement qui a explo­sé — plus de 280% du PIB, tous sec­teurs confon­dus — au point de repré­sen­ter un risque sérieux pour l’économie mon­diale. À cause des ini­tia­tives prises (comme le « Fonds Jun­cker ») pour gal­va­ni­ser les inves­tis­se­ments en Europe et l’attitude impul­sive et anxio­gène de Trump, il ne fau­dra pas comp­ter non plus sur les Euro­péens pour finan­cer le trou bud­gé­taire américain.

Le dilemme

Deux pos­si­bi­li­tés s’offrent à l’administration Trump. La pre­mière : les États-Unis devront rele­ver les taux d’intérêt afin d’attirer les inves­tis­seurs, avec le risque que cela rende les inves­tis­se­ments pri­vés des entre­prises moins inté­res­sants. Il pour­rait alors en résul­ter une hausse géné­rale des taux, d’abord aux États-Unis et ensuite dans le reste du monde car les autres pays ne veulent pas appa­raitre moins rému­né­ra­teurs. Glo­ba­le­ment, dans un tel scé­na­rio, les couts de finan­ce­ment des États, des ménages et des entre­prises aug­men­te­ront et, par consé­quent, les niveaux d’endettement des sec­teurs publics (sauf aux États-Unis) et pri­vés aug­men­te­ront de concert. Or, dans un récent rap­port, le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal tirait la son­nette d’alarme, en met­tant en avant le niveau cri­tique d’endettement des socié­tés non finan­cières dans le monde : 225% du PIB mon­dial. Il s’agit là d’un niveau bien plus éle­vé que celui atteint au plus fort de la crise de 2008 (voir gra­phique). De quoi nous rap­pe­ler cette fameuse sor­tie de John Connal­ly, secré­taire d’État au Tré­sor sous la pré­si­dence Nixon : « Le dol­lar, c’est notre devise, mais votre problème. »

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Seconde pos­si­bi­li­té : la Fede­ral Reserve pour­rait reprendre son plan de Quan­ti­ta­tive Easing (QE) ou « assou­plis­se­ment moné­taire ». Il s’agit d’une opé­ra­tion qui fut menée entre 2008 et 2014 et dont le but consis­tait à rache­ter des actifs finan­ciers pour sti­mu­ler les mar­chés, finan­cer à bon compte les entre­prises et les pou­voirs publics pour, in fine, relan­cer la crois­sance et éloi­gner l’économie du piège de la défla­tion — piège qui s’était refer­mé sur le Japon dans les années 1990 et qui lui a valu une stag­na­tion depuis lors. Ce scé­na­rio serait d’autant plus plau­sible que Trump pour­rait comp­ter sur un nou­veau gou­ver­neur de la FED. Néan­moins, la FED a amas­sé pour pas moins de 4,5 tril­lions de dol­lars de titres dans ses coffres : on voit mal com­ment elle pour­rait en acqué­rir davan­tage. De plus, si cela résou­drait le pro­blème de l’achat de la nou­velle dette amé­ri­caine, cela crée­rait d’autres pro­blèmes qui retour­ne­raient l’électorat de Trump contre lui. En effet, le QE, comme on l’a vu pré­cé­dem­ment, accroit les inéga­li­tés, aug­mente les prix de l’immobilier et faci­lite le rachat par les entre­prises de leurs propres actions (pour s’émanciper un peu des mar­chés ou pour sti­mu­ler les ren­de­ments aux actionnaires).

Ain­si voit-on se des­si­ner les contours pro­bables de la pro­chaine crise éco­no­mique… sans que les élec­teurs de Trump qui ont voté pour lui ne trouvent satis­fac­tion à ce genre de poli­tiques périlleuses. En effet, elles aggravent les inéga­li­tés et ne sont pas de nature à répondre intrin­sè­que­ment à la demande de meilleurs emplois, offrant de meilleurs salaires et pers­pec­tives de car­rière. Notons d’ailleurs que les États-Unis tournent au qua­si plein emploi, le pro­blème amé­ri­cain tenant en l’occurrence beau­coup moins dans la quan­ti­té d’emplois que dans leur qua­li­té. Entre­temps, les Euro­péens — qui ont l’habitude de faire trop peu trop tard — n’auront vrai­sem­bla­ble­ment pas réfor­mé la zone euro pour la rendre plus robuste, soli­daire et démo­cra­tique — plus per­sonne ne sem­blant inté­res­sé par davan­tage d’intégration, en par­ti­cu­lier dans le contexte des élec­tions fran­çaise et allemande.

N’excluons tou­te­fois pas la pos­si­bi­li­té que Trump fasse marche arrière et ne s’engage fina­le­ment pas dans cette voie éco­no­mique hau­te­ment hasar­deuse. Soit qu’il n’aurait jamais eu l’intention de mener à bien cette pro­messe de cam­pagne, soit qu’un nombre suf­fi­sant de Répu­bli­cains répu­gne­raient à le suivre dans cette poli­tique — à moins de cou­per plus féro­ce­ment que ce qui a été annon­cé dans les pro­grammes sociaux et environnementaux.

Nous voyons donc à quel point la pré­si­dence de Trump pour­rait don­ner lieu à de pro­fondes per­tur­ba­tions mon­diales sur le plan éco­no­mique. Son pro­gramme met­tra à rude épreuve la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale et la forme d’isolationnisme — que l’on retrouve aus­si en Europe — pour­rait pro­duire des effets cata­clys­miques alors que l’économie mon­diale ne s’est tou­jours pas remise de la crise de 2008. Cette pro­ba­bi­li­té est d’autant plus impor­tante que les États-Unis détiennent une mino­ri­té de blo­cage au FMI et que, par tra­di­tion, ils nomment le chef de la Banque mondiale.

Ne per­dons pas espoir pour autant : comme on le voit dans le sec­teur de la défense, cette évo­lu­tion pour­rait consti­tuer l’électrochoc dont les Euro­péens ont besoin pour plus d’intégration mieux conçue. À quelque chose mal­heur est bon : les Trum­po­no­mics pour­raient ain­si per­mettre, par un effet col­la­té­ral, un sur­saut européen…

Olivier Derruine


Auteur

économiste, conseiller au Parlement européen