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Tourisme social

Numéro 2 - 2015 par Joëlle Kwaschin

mars 2015

Deux poi­gnées de sans-papiers et quelques Belges sont ras­sem­blés devant la gare Cen­trale en sou­tien au mou­ve­ment des clan­des­tins. Deux jeunes gens, qui contrastent avec les sym­pa­thi­sants plu­tôt âgés, com­mentent, satis­faits, l’affluence, « tout de même en pleine semaine, je n’attendais pas tant de monde ». On chante, on crie des slo­gans. Nous ne sommes pas dangereux, […]

Billet d’humeur

Deux poi­gnées de sans-papiers et quelques Belges sont ras­sem­blés devant la gare Cen­trale en sou­tien au mou­ve­ment des clan­des­tins. Deux jeunes gens, qui contrastent avec les sym­pa­thi­sants plu­tôt âgés, com­mentent, satis­faits, l’affluence, « tout de même en pleine semaine, je n’attendais pas tant de monde ». On chante, on crie des slo­gans. Nous ne sommes pas dan­ge­reux, nous sommes en dan­ger, So-li-da-ri-té avec les sans-papiers… Une dame, che­veux gris, ano­rak, informe pan­ta­lon de coton à fleu­rettes fanées, mar­tèle avec convic­tion So-li-da-ri-té avec les-sans-papiers. Une Rom, qui a dû se dire que cette petite foule allait lui faire gagner quelques sous, men­die. Tenant une enfant de six ou sept ans par la main — la sienne ou celle d’une autre, allez savoir… —, elle se plante devant la mani­fes­tante, « pour man­ger, pour les enfants ». L’autre imper­tur­bable, le regard fixé sur les cali­cots et sur ses convic­tions so-li-da-ri-té… De part et d’autre, on s’obstine, l’une à qué­man­der avec insis­tance, l’autre à scan­der sa solidarité.

Soli­da­ri­té oui, mais pas avec n’importe qui, pas avec une citoyenne de l’Union, pro­ba­ble­ment rou­maine, en ordre de papiers, mais sans res­sources et qui fait sur­ement du « tou­risme social ».

À chacun son pauvre

C’est deve­nu une bana­li­té qui ins­pire la poli­tique gou­ver­ne­men­tale, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde d’autant que celle des uns enri­chit gras­se­ment et frau­du­leu­se­ment les autres. Theo Fran­cken qui dénonce « ces bureaux d’avocats, autant dire l’industrie de la migra­tion, [qui] peuvent se rem­plir les poches en essayant de trou­ver toutes sortes de sub­ter­fuges légaux » l’a bien com­pris. Par­mi ces astuces répré­hen­sibles, il compte les régu­la­ri­sa­tions pour des rai­sons médi­cales. La Bel­gique, pour­suit-il, risque de deve­nir « La Mecque de chaque étran­ger gra­ve­ment malade ou l’hôpital du monde entier ». Allez vous soi­gner dans votre pays quel qu’il soit et dont il est de noto­rié­té publique que ses hôpi­taux pra­tiquent une méde­cine de pointe inno­vante qui est un exemple pour l’Occident.

La dépu­tée N‑VA Sarah Smeyers, elle, ne « pense pas que l’héroïsme soit un motif de régu­la­ri­sa­tion huma­ni­taire ». En octobre 2011, Ly Kha­li, un Séné­ga­lais de vingt-cinq ans avait, dans le métro, sau­vé un pas­sa­ger coin­cé par la porte de la rame et trai­né sur les rails en met­tant à pro­fit la minute qui sépa­rait l’arrivée de la rame sui­vante. Débou­té de sa demande d’asile, il avait per­du son tra­vail et fai­sait l’objet d’un arrê­té d’expulsion. Mel­chior Wathe­let avait régu­la­ri­sé pro­vi­soi­re­ment sa situa­tion pour cir­cons­tances excep­tion­nelles à condi­tion que, dans l’année, il trouve du tra­vail. L’élue N‑VA, quant à elle, crai­gnait un « effet d’aspiration ». Exac­te­ment comme ces migrants qui embar­rassent les auto­ri­tés euro­péennes : d’un point de vue huma­ni­taire, on ne peut pas les lais­ser se noyer sur leur coque de noix en Médi­ter­ra­née, mais ce fai­sant ne va-t-on pas encou­ra­ger les autres, ces si innom­brables autres, à s’embarquer sur n’importe quel bout de planche qui flotte ?

Le radeau de la méduse

Essayez donc de ne pas fré­mir devant cet effrayant tableau : tous ces étran­gers qui tombent malades exprès, uni­que­ment pour être soi­gnés dans nos hôpi­taux, qui hantent les cou­loirs du métro à la recherche d’un qui­dam à sau­ver, quitte à dis­crè­te­ment le pousser…

Et quand ces étranges étran­gers auront fini de mou­rir chez nous, ils seront rem­pla­cés par d’autres inac­tifs qui vien­dront se livrer à du « tou­risme social », ten­tant de grap­piller quelque avan­tage social, un reve­nu d’intégration, une allo­ca­tion de per­sonne han­di­ca­pée en cas de chute héroïque.

Misé­rables dont la mal­hon­nê­te­té et la ruse sont par­ve­nues à cor­rompre notre belle langue et les médias en trans­for­mant une conquête de la classe ouvrière — les congés payés pour tous — en un délit : voya­ger à la manière de ban­dits et de frau­deurs et qui nous empêchent d’être cha­ri­tables, d’aider ceux qui le méritent vraiment.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie