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Soins de santé aux États-Unis. Une réforme insuffisante
Voilà un peu plus de dix ans que j’ai déménagé aux États-Unis, juste après avoir reçu mon diplôme en médecine de l’université catholique de Louvain. Ma femme est de nationalité américaine et nous avions décidé qu’après quatre ans de vie commune en Belgique, c’était mon tour de jouer les expatriés. J’avoue aussi qu’à l’époque, on […]
Voilà un peu plus de dix ans que j’ai déménagé aux États-Unis, juste après avoir reçu mon diplôme en médecine de l’université catholique de Louvain. Ma femme est de nationalité américaine et nous avions décidé qu’après quatre ans de vie commune en Belgique, c’était mon tour de jouer les expatriés. J’avoue aussi qu’à l’époque, on parlait beaucoup de surplus de médecins en Belgique et je me suis dit qu’il valait mieux tenter ma chance là-bas. En outre, la pratique de la médecine générale est plus excitante aux États-Unis, car elle inclut aussi bien le travail au cabinet médical que le travail à l’hôpital.
Dix ans plus tard, je ne regrette pas mon choix. J’ai beaucoup de satisfaction à pratiquer la médecine dans un petit hôpital du nord de l’État de New York. Cependant il est impossible d’ignorer que le système de santé américain est en crise.
Des indicateurs semblables à ceux d’un pays du tiers-monde
L’Amérique, comme toujours, est capable du meilleur et du pire. Les cinq meilleurs hôpitaux américains produisent plus de recherche médicale de haut niveau que l’ensemble des hôpitaux de n’importe quel autre pays de l’OCDE. Et pourtant, d’après les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé, les États-Unis arrivent en trente-septième position pour ce qui est de la qualité globale des soins, entre la Slovénie et le Costa Rica. La France arrive première. L’analyse de l’OMS démontre, par exemple, que dans la statistique des « décès évitables » (voulant dire décès évitables par des soins de santé), le dernier chiffre américain est 110/100.000, ce qui place les États-Unis en dernière position des dix-neuf pays les plus développés. Les chercheurs ont démontré que la détérioration de la position américaine durant la dernière décennie coïncide avec l’augmentation du nombre des sans-assurances.
En ce qui concerne la durée moyenne de vie, les États-Unis arrivent en vingt-quatrième position avec 67,5 années pour les hommes et 72,6 années pour les femmes. Le Japon est le champion avec respectivement 71,9 et 77,2 années. Autres exemples : les enfants américains ont deux fois plus de chance de mourir avant l’âge de cinq ans que les enfants du Portugal ou de l’Espagne. Les Américaines ont trois fois plus de chance de mourir en couches, que les Grecques et les Espagnoles.
Et les dépenses de santé ? Là, aucun doute, les Américains sont les champions absolus. Les États-Unis consacrent une beaucoup plus grande part de leur économie aux soins de santé que n’importe quel autre pays développé. Les dépenses de santé en pourcentage du produit national brut en 2006 étaient de 15,3% aux États-Unis, 10% au Canada, 11% en France, 10,6% en Allemagne, 8,1% au Japon, 8,4% en Grande-Bretagne, 9,6% en Belgique…
Si on tient compte du fait que le PNB par tête d’habitant est plus élevé aux États-Unis que dans la moyenne des pays européens, le résultat est que les Américains dépensent près du double (en dollars par tête d’habitant) de ce que dépensent les Européens.
Il est prévu que le pourcentage du PNB consacré à la santé va atteindre 17,6% en 2009, ou 2,4 trillions de dollars (2.400.000.000.000 dollars).
Comment cela est-il possible ? Comment se fait-il que les États-Unis, malgré le fait qu’ils dépensent deux fois plus que les autres pays développés pour la santé, se classent à peine mieux que les pays du tiers-monde en termes de qualité des soins ? La réponse est simple : « 50 millions de sans-assurance ».
La dérégulation des soins de santé
Plus que tout autre pays au monde, les États-Unis ont adopté un système capitalistique de distribution des soins de santé. Le capitalisme a certainement démontré sa supériorité sur tout autre système économique dans la création de biens et services de consommation. La question est de savoir si c’est aussi le meilleur système pour les soins de santé ? Comme le décrivait un commentateur américain, c’est un peu comme si les citoyens payaient une prime de 30 dollars par mois à une assurance privée pour couvrir le risque d’avoir à aller chez le coiffeur. Ne serait-il pas plus efficace d’aller chez le coiffeur directement et payer 15 dollars ? La probabilité pour une personne d’avoir à recourir aux soins de santé durant sa vie est proche de cent pour cent. Le seul intermédiaire entre le patient et son médecin qui a du sens, à mon avis, est une assurance qui ne recherche pas le profit.
Le coût des soins de santé par habitant aux États-Unis a pratiquement doublé, de 4.271 dollars par habitant en 2006 à près de 8.000 dollars prévu pour 2009. Cette explosion est en partie le résultat des années Bush de dérégulation de l’industrie de santé. Durant quasiment la même période (les cinq dernières années), les profits des assurances de santé privées ont augmenté de 600%. Et là se trouve la racine du problème à mon avis : un système de santé capitalistique est presque par définition, monstrueusement inefficace et un colossal gaspillage !
Quand j’ai terminé mes trois ans de spécialisation en médecine familiale près de New York en 2002, je me suis mis à chercher du travail et j’ai rencontré un médecin de famille dans une petite ville du Vermont. Sa pratique s’était développée et il recherchait à embaucher un collègue pour pouvoir mieux répondre aux besoins de la petite ville. Ce qui m’a frappé immédiatement en découvrant son cabinet médical était le fait qu’il avait cinq employées qui travaillaient pour lui : une infirmière, une téléphoniste, une employée pour la facturation, une autre spécialisée dans la tâche de demander aux compagnies d’assurance la permission d’envoyer un patient chez un spécialiste et une cinquième personne spécialisée dans d’autres problèmes liés aux relations complexes qu’un cabinet médical a tous les jours avec les vingt ou vingt-cinq compagnies d’assurances avec lesquelles il doit travailler. Cette pratique médicale payait le salaire de six personnes, avec pour résultat que, en dix ans de carrière, le médecin n’avait jamais pris plus que quelques jours de vacances à la fois.
C’est un gros problème pour les médecins : chaque compagnie d’assurances utilise des règles différentes pour le payement des visites, met des obstacles différents pour les références aux spécialistes, a des listes différentes de médicaments qu’elles acceptent de payer, etc.
Cela produit des quantités énormes de paperasserie, et pour permettre à ce système de fonctionner, les visites médicales aux États-Unis sont beaucoup mieux payées (du point de vue du médecin) qu’en Belgique. Une pratique médicale bien gérée génère beaucoup d’argent, mais emploie aussi beaucoup de monde.
La solution à ce problème semble évidente : une seule compagnie d’assurances, une seule série de documents administratifs, une seule série de règles de fonctionnement des relations entre l’assureur et le producteur de soins.
L’influence pernicieuse des lobbies
L’autre problème des assurances privées, à part leur multiplicité, est le fait que les soins aux patients n’arrivent qu’en seconde position dans la liste de leurs priorités. L’objectif principal pour une entreprise capitaliste est bien sûr le profit. Et il ne pourrait en être autrement. Légalement, l’obligation principale d’un PDG d’entreprise privée est de favoriser l’intérêt des actionnaires. Les managers des sociétés d’assurances de santé ne discutent pas ce point : ils ont créé une mesure de l’efficacité des entreprises d’assurances qui s’appelle le « loss ratio » (ratio de perte), bien connu à Wall Street. Le loss ratio est le pourcentage du montant total des primes récoltées par la compagnie d’assurances qui est consacré aux soins de santé (paiement des médecins, hôpitaux, opérations chirurgicales, médicaments…). Une entreprise dont le loss ratio est trop élevé, par exemple 80%, verra la valeur de ses actions chuter en Bourse. Les 20 ou 30% non couverts par le loss ratio servent bien sûr à couvrir les coûts de fonctionnement des entreprises d’assurances, le marketing, le salaire du PDG (les dirigeants des sociétés les plus en vue gagnent facilement 20 millions de dollars par an) et bien sûr les profits.
Les sociétés d’assurances utilisent différentes méthodes pour améliorer leur loss ratio. Elles refusent, par exemple, de payer les soins pour des « pre-exitant conditions », ce qui signifie des problèmes de santé apparus avant que le patient n’ait souscrit à cette assurance. Ou mieux, si à l’époque de sa souscription à une assurance, un patient a oublié de mentionner un problème médical de son passé (du style, la varicelle à l’âge de dix ans), certains assureurs vont utiliser ce prétexte pour refuser de couvrir, par exemple, un pontage coronarien.
Le débat qui fait rage pour le moment aux États-Unis concernant la réforme des soins de santé est complètement empoisonné. Les lobbies de l’industrie de santé dépensent 1,4 million de dollars par jour pour influencer les représentants et sénateurs à Washington. Ils brandissent continuellement l’épouvantail de la « médecine socialiste ». « Regardez, les files d’attente au Canada et en Europe où les gens meurent par milliers sans pouvoir recevoir à temps des soins essentiels. » Ces arguments ridicules et mensongers sont utilisés continuellement par les républicains pour empêcher même les réformes timides proposées par le président Obama.
Pour moi, la solution idéale pour les États-Unis serait précisément un système à la belge ou canadienne où l’assurance maladie est centralisée et sans but lucratif, et où les médecins, hôpitaux et autres pourvoyeurs de soins sont libres de jouir de tous les avantages de la libre entreprise. Les statistiques montrent que dans la plupart des pays européens le pourcentage des primes d’assurances réellement utilisé pour les soins de santé est de 95%, aux États-Unis, c’est 70%.
Un autre problème du système américain est le prix exorbitant des médicaments. Les médicaments, même ceux fabriqués aux États-Unis, coûtent en moyenne 1,5 à 3 fois plus qu’en Europe. Les entreprises pharmaceutiques expliquent que ces prix sont nécessaires pour permettre la recherche et le développement de nouveaux médicaments. La vérité est que ces entreprises font de bons profits en Europe et des profits obscènes aux États-Unis.
Les prix sont plus bas en Europe en raison du fait que les pays utilisent leur force de négociation pour abaisser les prix. L’Allemagne, par exemple, s’est trouvée dans une négociation il y a quelques années avec la société Pfizer pour fixer le prix d’un médicament servant à contrôler le cholestérol. Les autorités allemandes ont refusé de payer 3 dollars par pilule qui est le prix américain. Ils ont offert 1,5 dollar et Pfizer a accepté, sous peine de perdre le marché allemand de 80 millions d’habitants. Le profit réalisé par Pfizer en Allemagne est encore toujours très élevé du fait que le coût de production de ce médicament est seulement de quelques centimes par pilule.
En 2001, George Bush a accepté de créer une extension à Medicare, l’assurance des personnes âgées, pour la couverture des médicaments. Avant ça, les États-Unis étaient le seul pays développé au monde qui ne fournissait pas de couverture pour les médicaments à cette partie de sa population. Au lieu de donner à Medicare la permission de négocier directement avec les entreprises pharmaceutiques (Medicare représente 80 millions de personnes âgées), il décida de forcer Medicare à passer des contrats avec plus de quarante assurances privées, qui mèneraient elles-mêmes la négociation. Résultat, les entreprises pharmaceutiques ne durent pas baisser leurs prix et les sociétés d’assurances privées augmentaient leur chiffre d’affaires.
« Le gouvernement est le problème »
En quoi consiste la réforme proposée par les démocrates de la Chambre des représentants ? Pour commencer, la création d’un système de régulation des sociétés d’assurance santé, visant à limiter les excès mentionnés plus haut. En gros il s’agit de rendre plus difficile aux assureurs de refuser les soins à leurs assurés sur la base de prétextes plus ou moins honnêtes.
Deuxièmement, essayer de réduire significativement le nombre des sans-assurances par la création de primes obligatoires à charge des employeurs, pour une part, et des employés, pour l’autre. L’assurance maladie va devenir obligatoire pour la plupart des Américains qui travaillent.
Enfin créer une « public option » qui serait une nouvelle société d’assurances étatique qui aurait pour but de faire la concurrence aux assurances privées et aussi de couvrir tous les gens qui n’arrivent pas à s’assurer dans le privé.
Ce troisième élément a très peu de chance de passer au Sénat américain.
Je ne pense pas que les timides réformes proposées par Obama vont résoudre les problèmes du système de santé américain. Pendant un temps, cette réforme va provoquer une augmentation des coûts au lieu d’une réduction, mais elle va au moins en partie résoudre le problème moral d’avoir 17% de la population sans assurance maladie dans un des pays les plus riches du monde.
Tous les pays du monde se débattent actuellement avec le problème de l’accroissement du coût des soins de santé. L’Amérique a le problème supplémentaire de croire tellement à la libre entreprise qu’elle en a fait une religion. Plus de la moitié des Américains ont développé depuis les années Reagan une méfiance absurde vis-à-vis de tout ce qui a rapport au gouvernement. Le Grand Communicateur ne disait-il pas : « Le gouvernement n’est pas la solution à nos problèmes, le gouvernement est le problème. »
L’élément central de l’idéologie reaganienne est le soutien aux grandes entreprises et le détricotage des protections sociales créées par Franklin Roosevelt. Aujourd’hui on peut même parler du quasi-controle de l’État par les grandes banques. Goldman Sax aujourd’hui est sans doute aussi puissante que ne l’étaient les banques dans les années vingt avant la grande dépression. Le résultat : en 1980, le 1% des Américains les plus riches possédaient 8% des richesses du pays, aujourd’hui ce nombre est passé à 23%. En 1980, le PDG d’entreprise gagnait en moyenne vingt fois le salaire de l’ouvrier, aujourd’hui c’est quatre cents fois.
Je comprends qu’un peu avant de mourir, le sénateur Kennedy, frère du président, se lamentait d’avoir refusé en 1974 la réforme économique proposée par Richard Nixon. Ce plan était socialement beaucoup plus avancé que ce que le président Obama essaye de proposer. Aux yeux des républicains d’aujourd’hui, Nixon était sans doute un dangereux communiste ?