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Services publics, un levier pour les droits de tous ?
L’État belge, en signant et ratifiant les textes consacrant les droits de l’homme, s’est engagé à réaliser tous les droits qui y sont contenus. Pour répondre à ses engagements, il a doté les services publics de missions visant à garantir l’effectivité des droits pour tous. La pauvreté est caractérisée par la violation de multiples droits fondamentaux. À force de voir leurs […]
L’État belge, en signant et ratifiant les textes consacrant les droits de l’homme, s’est engagé à réaliser tous les droits qui y sont contenus. Pour répondre à ses engagements, il a doté les services publics de missions visant à garantir l’effectivité des droits pour tous. La pauvreté est caractérisée par la violation de multiples droits fondamentaux. À force de voir leurs droits bafoués, les personnes pauvres finissent par penser qu’elles n’en ont pas. C’est parce que les liens entre la pauvreté et les violations des droits fondamentaux sont extrêmement étroits que les services publics ont un rôle particulièrement important à assumer. Le Service de lutte contre la pauvreté s’est penché sur cette question pour son dernier rapport bisannuel. Il rend compte du dialogue qui s’est organisé autour de six thématiques (la justice, la culture, l’accueil de la petite enfance, la santé, l’emploi, l’énergie et l’eau) entre les personnes qui vivent dans la pauvreté, des services publics, des acteurs de terrain… Par une analyse transversale de ces thématiques, le Service a mis en lumière différentes difficultés que les services publics rencontrent pour assurer leurs missions et a émis des recommandations s’appliquant à l’ensemble des services publics.
Fragilisation des droits fondamentaux
Les droits fondamentaux sont fragilisés par une tendance à la conditionnalisation des droits. Elle a pour conséquence qu’ils sont de moins en moins perçus comme des droits. Des conditions de plus en plus strictes ont été intégrées, par exemple, dans la législation relative aux allocations d’insertion (entretiens d’évaluation, limitation d’âge, limitation dans le temps…). L’imposition de ces conditions a des conséquences graves pour les personnes qui vivent dans la pauvreté. Les exigences des contrats de recherche d’emploi sont souvent difficiles à comprendre ou à remplir. On constate que les chômeurs sanctionnés sont souvent les personnes les plus fragilisées : les sanctionner ne fait qu’aggraver leur situation. En outre, une partie des personnes exclues des allocations de chômage ne s’est pas présentée aux CPAS. Non seulement ces personnes n’ont pas pu ou ne pourront pas activer leurs droits (allocations, remboursement des soins de santé…), mais, de plus, elles se retrouvent en marge de la société, hors de portée de l’action de certains services publics (CPAS, mutuelles…) qui essaient généralement de reprendre contact avec elles pour pouvoir assurer l’effectivité de leurs droits.
Une autre tendance participe à la fragilisation des droits fondamentaux, leur instrumentalisation. Par exemple, le droit à la culture est pour les usagers des CPAS souvent associé à leur parcours d’activation. Ils sont obligés de participer à des activités culturelles qui sont prévues dans leur parcours d’activation et inversement, ils ne peuvent accéder à la culture que lorsque ces obligations sont remplies. La culture n’est, dans cette logique, plus un droit, mais une obligation ou une récompense.
Certains droits ne sont, enfin, pas reconnus dans les textes internationaux ou nationaux comme le droit à l’énergie, le droit à l’eau et à l’assainissement ainsi que le droit à la mobilité. Inscrire des droits dans un texte n’est pas suffisant pour qu’ils soient respectés, c’est cependant une étape indispensable.
Le Service recommande de prendre explicitement les droits de l’homme comme point de référence lors de l’élaboration d’une législation : il s’agit de poser systématiquement la question de l’effet de la mesure envisagée sur le respect des droits fondamentaux, en particulier des personnes en situation de pauvreté.
Fragilisation des missions des services publics
Les missions des services publics liées à l’effectivité des droits sont de plus en plus fragilisées, notamment, par le transfert de responsabilité vers les individus, la confusion des rôles et la fragmentation des compétences.
La responsabilité est de plus en plus imputée individuellement. Le cas du compteur à budget est exemplatif de cette tendance : si aucun approvisionnement minimum n’est prévu dans le compteur à budget, disposer ou non de gaz ou d’électricité dépend des moyens dont le ménage concerné dispose pour le charger. Or, en Wallonie par exemple, 87% des compteurs à budget sont sans livraison minimum. Si les individus n’ont pas les moyens suffisants, ils n’ont donc pas accès au droit à l’énergie.
La tendance à une prédominance de la responsabilité des individus dans notre société entraine un déséquilibre des missions exercées par les services publics. Dans le cadre de l’accompagnement que les services publics assurent auprès des demandeurs d’emploi, par exemple, l’accroissement de la contractualisation et de la conditionnalité déplace progressivement le curseur vers la mission de contrôle. Ce déplacement amène une confusion des missions des travailleurs sociaux et a un effet sur la relation de confiance entre le travailleur et l’individu. Cette relation est un élément indispensable pour assurer un accompagnement de qualité. Or, cette confiance, comme condition de base du travail d’accompagnement, est particulièrement mise à mal par le rôle de contrôle exercé par les travailleurs sociaux. Des projets actuels, remettant en cause le secret professionnel auxquels ils sont soumis (la lutte contre la fraude sociale, le rapport social électronique, lutte contre le terrorisme…), amplifient cette évolution.
La fragmentation des services publics, influencée par le morcèlement des compétences, limite très fortement la cohérence de leurs missions ainsi que la portée de leurs actions. La politique de la santé à Bruxelles en est un bon exemple avec sept ministres compétents sur le même territoire.
Le Service recommande de clarifier les missions des services publics et de les recentrer sur la garantie de l’effectivité des droits fondamentaux pour tous.
Mise sous pression des services publics
Les services publics sont de plus en plus mis sous pression, entre autres à cause des économies réalisées ces dernières années. La réduction des budgets, entrainant une limitation des engagements de personnel, alourdit la charge de travail pour les travailleurs des services publics. Le nombre de dossiers à traiter s’accroit, ce qui les contraint à accorder moins d’attention et de temps aux usagers. Alors que le temps est un élément clé pour permettre aux personnes qui vivent dans la pauvreté d’accéder à leurs droits, le personnel des services publics en dispose de moins en moins. L’élément « temps » est, par exemple, une condition sine qua non de réussite de la mission d’accompagnement des services publics de l’emploi : les personnes qui sont très éloignées du marché de l’emploi ont besoin de passer par différentes étapes avant de pouvoir y accéder. Il leur faut résoudre prioritairement d’autres problèmes, logement, santé… Il est de plus en plus difficile pour les services publics, dans les conditions actuelles, de pouvoir consacrer ce temps nécessaire.
Les économies qui sont réalisées dans les services publics peuvent aller jusqu’à empêcher les personnes vivant dans la pauvreté d’accéder à leurs droits. Par exemple, en matière de justice, différentes dispositions adoptées ces dernières années (répétibilité des frais et honoraires des avocats, augmentation des frais de greffe, TVA de 21%) ainsi que certaines mesures prévues dans le plan Justice poursuivent indubitablement un objectif d’économie, mais ont pour conséquence de réduire fortement l’accès à la justice.
Le Service recommande de renforcer l’investissement dans les services publics.
Inégalités d’accès aux services publics
Les personnes qui vivent dans la pauvreté sont souvent confrontées à différents obstacles dans l’accès à leurs droits. Un élément de l’inégalité d’accès aux services publics est le transfert de charges vers les autorités publiques plus locales. Ce transfert crée, en effet, des inégalités au sein de la population en fonction du lieu de résidence. L’accès aux droits est dès lors fortement tributaire du contexte politique local et de la capacité financière des communes. Le transfert vers les CPAS des conséquences des mesures du chômage adoptées au niveau du fédéral est souvent montré du doigt, notamment pour la question de l’inégalité d’accès aux droits.
Un autre élément est l’usage du numérique. Beaucoup de personnes rencontrent des difficultés face à la numérisation des informations et des documents permettant de faire valoir leurs droits. En Flandre, par exemple, les familles qui font appel à une structure d’accueil de la petite enfance doivent, pour avoir droit à un tarif lié à leurs revenus, introduire une demande auprès de Kind en Gezin par voie électronique. Pour les personnes qui vivent dans la pauvreté, la digitalisation des procédures peut représenter un véritable obstacle. Pour assurer leur accessibilité à tous, les services publics devraient vérifier systématiquement si tout le monde peut y recourir de manière égale et prévoir, si nécessaire, des initiatives complémentaires, notamment par une attention supplémentaire accordée aux personnes qui ont des difficultés de lecture et d’écriture et par une offre d’accompagnement.
Le Service recommande de renforcer les services publics et d’évaluer leur offre sur le plan de l’effectivité des droits, dans une approche d’accès égal aux droits.
Le Service a formulé différentes recommandations par thématique en vue de renforcer le rôle des services publics pour une meilleure effectivité des droits de tous, dont les personnes vivant dans la pauvreté. Le Service plaide de manière globale pour la confirmation des droits de l’homme comme socle de la lutte contre la pauvreté ; la confirmation de l’effectivité des droits comme mission des services publics ; l’investissement dans les services publics ; la garantie d’accès égal aux droits.
Nous pensons que c’est en suivant ces recommandations, que les services publics seront en mesure d’assumer vraiment leur rôle particulièrement important dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités.