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Santé mentale : à prendre avec soin

Numéro 6 – 2021 - Politique de santé mentale santé mentale par Mathieu De Backer

septembre 2021

San­té men­tale. Voi­là un syn­tagme que l’on retrouve sur (presque) toutes les lèvres depuis le début de la pan­dé­mie de Covid-19. Si l’on en croit les dis­cours poli­­ti­­co-média­­tiques, le bie­nêtre psy­cho­lo­gique pré­oc­cupe désor­mais toute la popu­la­tion. Cha­cune, cha­cun semble main­te­nant prendre conscience de la cen­tra­li­té de ce champ dans nos vies, et notam­ment de la […]

Dossier

San­té men­tale. Voi­là un syn­tagme que l’on retrouve sur (presque) toutes les lèvres depuis le début de la pan­dé­mie de Covid-19. Si l’on en croit les dis­cours poli­ti­co-média­tiques, le bie­nêtre psy­cho­lo­gique pré­oc­cupe désor­mais toute la population.

Cha­cune, cha­cun semble main­te­nant prendre conscience de la cen­tra­li­té de ce champ dans nos vies, et notam­ment de la manière dont notre san­té men­tale est influen­cée, en amont, par un nombre consi­dé­rable de fac­teurs. Pour­tant, lorsque l’on parle de san­té, men­tale ou phy­sique, et sin­gu­liè­re­ment des poli­tiques publiques dans ce domaine, ce n’est la plu­part du temps que sous l’angle des soins, en aval. Comme si, plus de sep­tante ans après la créa­tion de l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS), dont la Consti­tu­tion défi­nit la san­té comme « un état de com­plet bien-être phy­sique, men­tal et social et […] pas seule­ment [comme] une absence de mala­die ou d’infirmité », nous en étions tou­jours réduits à confondre san­té et médecine.

Les épi­sodes suc­ces­sifs de confi­ne­ment-décon­fi­ne­ment que nous vivons depuis plus d’un an, et les dis­cours véhé­ments sur l’importance de l’école, de l’emploi, ou des liens sociaux quant à notre équi­libre psy­cho­lo­gique auront-ils per­mis un chan­ge­ment de para­digme ? On l’espère, tout comme on peut for­mu­ler le sou­hait que ces der­niers mois aient pu réduire (un peu) les stig­mates qui marquent tout le champ de la san­té mentale.

Car c’est sans doute là un des traits qui dis­tinguent la san­té men­tale de la san­té géné­rale : aujourd’hui encore, consul­ter « un psy » reste bien sou­vent une démarche taboue, tue, de crainte d’être mar­qué du sceau infa­mant de la folie. « Fou » : le mot lui-même est mobi­li­sé dans notre lan­gage quo­ti­dien pour fus­ti­ger tout com­por­te­ment jugé non conforme à ce que nous esti­mons être l’attitude atten­due d’un être humain « normal ».

C’est pour­quoi un des axes cen­traux des poli­tiques publiques menées ces der­nières années en matière de san­té men­tale est la déstig­ma­ti­sa­tion. C’est notam­ment un des cinq objec­tifs de la réforme des soins en san­té men­tale menée depuis dix ans en Bel­gique, la « réforme 107 », dont Sophie Thu­nus et Carole Wal­ker nous retracent la nais­sance et l’évolution en intro­duc­tion de ce dos­sier. Au-delà de la dimen­sion his­to­rique, leur récit sou­ligne la dif­fi­cul­té, et en même temps l’absolue néces­si­té, d’un consen­sus entre acteurs poli­tiques et soi­gnants au sens large1 sur ce que recouvre la notion même de san­té men­tale, et sur les dis­po­si­tifs les plus per­ti­nents à déployer. Elles mettent éga­le­ment en lumière de nou­velles formes de « soins », cocons­truites avec les usa­gers, dans des struc­tures qu’elles appellent les « lieux du lien ».

De lien, il en est ques­tion aus­si dans la contri­bu­tion que nous pro­po­sons avec Hülya Çakir et Manu Gon­çalves sur l’accès aux soins pour les publics pré­ca­ri­sés. Puisque la condi­tion sociale d’un indi­vi­du se réper­cute sur son état de san­té, il convien­drait de faci­li­ter sa prise en charge. Or, celle-ci est sou­vent com­pli­quée à offrir pour des soi­gnants habi­tués à ce qu’on leur adresse une « demande », rare­ment for­mu­lée par une popu­la­tion plus habi­tuée au rejet et à l’exclusion qu’au sou­tien et à l’accompagnement. C’est pour­quoi un chan­ge­ment de pos­ture est néces­saire : entrer en rela­tion et créer la confiance doivent être consi­dé­rés comme aus­si impor­tants qu’offrir des soins.

Le « pro­fes­sion­nel » et « l’usager » doivent donc faire alliance. C’est sur ce prin­cipe que se fonde l’idée de réta­blis­se­ment, que nous décrivent Fran­çois Wyn­gaer­den et Muriel Allart. Le mou­ve­ment du réta­blis­se­ment, entre­pris par les usa­gers des ser­vices psy­chia­triques, ren­verse la pers­pec­tive sur les soins de san­té men­tale en pla­çant les choix de l’usager au centre et en pro­mou­vant l’espoir qu’une vie satis­fai­sante soit pos­sible, mal­gré les troubles. Ce fai­sant, le réta­blis­se­ment induit éga­le­ment un chan­ge­ment d’attitude chez les pro­fes­sion­nels de la santé.

Cer­taines per­sonnes suf­fi­sam­ment réta­blies mettent leur expé­rience au ser­vice d’autres. Ce sont les pairs-aidants. Sté­phane Waha clô­ture ce dos­sier en met­tant en exergue les apports de la pair-aidance et les résis­tances qui sub­sistent à son égard en Bel­gique fran­co­phone. Des résis­tances qui ne sont pas étran­gères aux repré­sen­ta­tions de la san­té men­tale, de la mala­die men­tale, et du patient, et dont les soi­gnants eux-mêmes (ou une part d’entre eux à tout le moins) ne sont pas exempts.

Mais puisque la san­té men­tale a doré­na­vant fait irrup­tion dans le débat public, il nous faut prendre appui sur cet inté­rêt sou­dain, sai­sir l’opportunité pour en faire une notion posi­tive, qui prenne en compte ses inter­ac­tions avec toutes les dimen­sions de la vie en socié­té. En bref : prendre soin de la san­té mentale.

  1. C’est-à-dire tous les inter­ve­nants qui, à un moment don­né, « font soin » pour une per­sonne : du tra­vailleur social au méde­cin géné­ra­liste, en pas­sant par le com­mer­çant de quartier.

Mathieu De Backer


Auteur

collaborateur parlementaire et journaliste de formation