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Régions à gauche dans France de droite

Numéro 05/6 Mai-Juin 2010 par Erwan Lecoeur

mai 2010

Au soir du 21 mars, les élec­tions régio­nales ont confir­mé et ampli­fié ce qu’annonçaient la décon­fi­ture des muni­ci­pales (2008) et les équi­libres issus des euro­péennes (2009). Le par­ti pré­si­den­tiel (UMP) est en baisse, tan­dis que la gauche et les éco­lo­gistes ont rem­por­té 21 régions de métro­pole sur 22. À chaque scru­tin, comme déjà aux régio­nales de […]

Au soir du 21 mars, les élec­tions régio­nales ont confir­mé et ampli­fié ce qu’annonçaient la décon­fi­ture des muni­ci­pales (2008) et les équi­libres issus des euro­péennes (2009). Le par­ti pré­si­den­tiel (UMP) est en baisse, tan­dis que la gauche et les éco­lo­gistes ont rem­por­té 21 régions de métro­pole sur 22.

À chaque scru­tin, comme déjà aux régio­nales de 2004, puis la pré­si­den­tielle de 2007, la France semble prise dans une « coha­bi­ta­tion par niveaux », avec une gauche « social-éco­lo­giste » majo­ri­taire aux élec­tions locales, mais un pou­voir cen­tral aux mains de la droite sar­ko­ziste… Jusqu’à la pro­chaine pré­si­den­tielle, en 2012.

Il semble que la poli­tique de la France vit au rythme de ses échelles de ter­ri­toires plé­tho­riques et du renou­vè­le­ment des élus qui les dirigent. À chaque année son élec­tion. Depuis la pré­si­den­tielle de mai 2007, il y eut les muni­ci­pales en 2008, puis les euro­péennes (juin 2009); ne man­quaient que les régio­nales, en mars der­nier. Et on attend main­te­nant les can­to­nales (et séna­to­riales) en 2011, avant la pré­si­den­tielle, à nou­veau, en 2012. En cinq ans, pas de répit, pour les élec­teurs. Et la hausse de l’abstention pour­rait trou­ver une forme d’explication un peu rapide dans ces inces­sants appels à l’urne.

Toutes ces élec­tions forment aus­si un ensemble, une suite d’évènements dans la grande com­pé­ti­tion per­ma­nente pour le pou­voir, incar­née en France par l’acmé de la pré­si­den­tielle. La suite de scru­tins à la chaine devient ain­si un baro­mètre indi­ca­tif de l’état des forces en pré­sence ; des son­dages annuels, gran­deur nature, en quelque sorte, avant le grand ren­dez-vous de 2012, qui occupe en per­ma­nence les médias et les états-majors.

Dans ce cir­cuit élec­to­ral, les régio­nales étaient en quelque sorte la troi­sième épreuve pour le pou­voir sar­ko­ziste en place depuis mai 2007. Au soir des résul­tats, elle s’est révé­lée la plus rude, pour l’UMP.

L’UMP, en baisse continue

Les muni­ci­pales de 2008 avaient son­né l’alerte : à gauche les grandes villes, à droite une mino­ri­té de villes moyennes. Puis vinrent les euro­péennes de juin 2009 : scru­tin à un tour, pro­por­tion­nel, qui appor­ta son lot de sur­prise. L’UMP y a gagné son pari d’arriver en tête (29%), après avoir ral­lié tous les alliés de droite à sa cause. Mais arri­ver en tête au pre­mier tour ne per­met pas de l’emporter s’il y a un second tour : cette élec­tion régio­nale s’annonçait donc dif­fi­cile et d’autant plus périlleuse que la pré­cé­dente, en 2004, avait vu le triomphe de la gauche dans les régions (l’emportant dans 20 sur 22, toutes sauf la Corse et l’Alsace).

Fort de son suc­cès à la pré­si­den­tielle de 2007, mais affai­bli par l’usure du pou­voir et les mécon­ten­te­ments en chaine, l’UMP ne pou­vait espé­rer une vic­toire, mais au moins reprendre quelques points à l’adversaire et recon­qué­rir quelques fiefs his­to­riques. Le pré­sident Sar­ko­zy avait d’ailleurs mis­sion­né pas moins de dix-huit membres de son gou­ver­ne­ment pour cette aven­ture : ministres, secré­taires d’État, béné­fi­ciant d’une cou­ver­ture média­tique qui fai­sait défaut à la plu­part des pré­si­dents de région socia­listes (sauf l’exception de Poi­tou-Cha­rentes, avec Ségo­lène Royal).

L’affaire a mal tour­né pour l’Élysée, au début de l’année. L’ambiance géné­rale, la faute à la crise, à quelques mau­vais choix et erreurs de com­mu­ni­ca­tion (l’affaire de l’EPAD avec Jean Sar­ko­zy, le « Casse-toi pauv’ con » du salon de l’agriculture), ou les effets en boo­me­rang d’un débat sur l’«identité natio­nale » plu­tôt mal venu et mal per­çu… À l’approche du scru­tin, nul ne savait plus vrai­ment à l’UMP et au gou­ver­ne­ment, s’il fal­lait « natio­na­li­ser l’enjeu », ou plu­tôt anti­ci­per la défaite et amoin­drir sa por­tée potentielle.

D’autant que le Par­ti socia­liste sem­blait enfin ras­sem­blé der­rière Mar­tine Aubry pour envi­sa­ger un « grand che­lem », si l’Alsace et la Corse venaient à bas­cu­ler. L’ambition affi­chée se vou­lait aus­si un appel à un vote pour conser­ver les élus régio­naux en place (vote « conser­va­teur »), en évi­tant la dis­per­sion et la concur­rence des éco­lo­gistes, en net pro­grès depuis les euro­péennes de juin 2009.

Du côté des sor­tants PS, on a donc joué la séré­ni­té, le sérieux, les dos­siers et la pro­tec­tion des effets de la crise et de la poli­tique du gou­ver­ne­ment conju­gués, au plus proche. À côté, les alliés et adver­saires d’Europe éco­lo­gie avaient choi­si cette fois l’autonomie vis-à-vis du PS pour confir­mer leur posi­tion nou­velle issue du score inédit des euro­péennes (16,2%) et pou­voir espé­rer concou­rir à la pré­si­dence d’une ou deux Régions importantes.

La double défaite de l’UMP

Le résul­tat fut à peu près celui que les récents scru­tins indi­quaient en ten­dances, avec une plus grande clar­té, encore, sur cer­tains points. D’abord, l’abstention, qui dépasse les 53% (contre 34% en 2004, mais près de 60% aux euro­péennes de 2009) et qui semble avoir sur­tout concer­né des élec­teurs de Sar­ko­zy en 2007, déçus ou peu convaincus.

Le PS (et alliés de pre­mier tour) se place en tête, sans convaincre tout à fait (29,5%), en réus­sis­sant à dis­tan­cer l’UMP (26,3%) et sur­tout les éco­lo­gistes (12,5%), qui conso­lident leur troi­sième place et leur rôle incon­tour­nable pour consti­tuer des majo­ri­tés, sans tou­te­fois retrou­ver leur niveau de juin 2009 (16,2%).

Ensuite, le FN vient créer la sur­prise, avec un score de 11,6% des expri­més (mais perd aus­si, par rap­port à 2004 : 14,7%), grâce sur­tout aux bons scores des Le Pen dans leurs fiefs (18% pour Marine et 20% pour Jean-Marie). Le retour d’anciens élec­teurs pas­sés par Sar­ko­zy en 2007 se fait sen­tir. La gauche radi­cale ras­semble autour de 10% au total, avec un avan­tage au Front de gauche (PG et PCF, 6,1%), devant le NPA (3,4%) et LO (1%) et ne peut espé­rer peser dans les exé­cu­tifs que par des accords avec le PS. Enfin, pour le Modem, ces régio­nales marquent un échec (4,3%), qui sera sui­vi par des départs (Corinne Lepage) et des remises en cause de la stra­té­gie « omni-pré­si­den­tielle » de Fran­çois Bayrou.

Au soir du second tour, le bilan est net : 54% pour les listes de gauche et éco­lo­gistes, contre 36% à droite. Le grand per­dant à deux titres de cette opé­ra­tion est le par­ti du pré­sident. Pre­mière défaite, au soir du 14 mars : le PS passe devant l’UMP. Seconde défaite, au soir du 21 mars : la gauche emporte 21 des 22 régions fran­çaises de la métro­pole. Seule l’Alsace résiste à la vague rose et verte qui par­court le pays en ce soir de prin­temps. Maigre conso­la­tion, la Réunion et la Guyane ont voté à droite.

Une cohabitation national-local ?

Après avoir rem­por­té les muni­ci­pales, can­to­nales et régio­nales à nou­veau, la gauche s’installe dura­ble­ment par­tout au local (Régions, dépar­te­ments et villes impor­tantes), quand la droite conserve le pou­voir natio­nal (Par­le­ment et gou­ver­ne­ment). La France est un pays qui semble inven­ter une nou­velle forme de coha­bi­ta­tion droite/gauche, entre le natio­nal et le local. Une « coha­bi­ta­tion par niveaux », en quelque sorte.

Pour l’UMP, ce nou­vel échec ne peut que confor­ter les stra­tèges du gou­ver­ne­ment dans leur volon­té de chan­ger les règles du jeu pour espé­rer reprendre pied dans les Régions et les dépar­te­ments. Un pro­jet de réforme com­plet pro­pose de fondre les Régions et les dépar­te­ments en une seule enti­té « ter­ri­to­riale », pour 2014. Au pas­sage, cette réduc­tion du nombre d’élus ver­rait aus­si une modi­fi­ca­tion impor­tante du mode de scru­tin : majo­ri­taire avec une dose de pro­por­tion­nelle, mais à un seul tour ! Le par­ti pré­si­den­tiel, s’il ras­semble la droite par­le­men­taire, pour­rait ain­si envi­sa­ger de recon­qué­rir plu­sieurs de ces « ter­ri­toires », nou­velle mouture.

Mais entre-temps une autre échéance se pré­sente, majeure, déci­sive : la pré­si­den­tielle de 2012. Gagner cette élec­tion, qui oriente l’ensemble de la vie poli­tique et média­tique du pays, c’est aus­si déci­der de l’ensemble — ou presque — de la vie poli­tique à venir, y com­pris les modes de scru­tin. Le sar­ko­zisme en berne, dans les urnes comme dans les son­dages et baro­mètres d’opinion (stag­nant autour de 30% de favo­rables), pousse cer­tains à se posi­tion­ner même à droite. À gauche l’espoir revient, même si beau­coup rap­pellent que la vic­toire de 2004 n’avait pas été sui­vie d’effet en 2007 ; pour le moment, cha­cun jure que le pro­jet compte plus que les can­di­da­tures, avant la pri­maire pré­vue en 2011.

D’une cer­taine façon, chaque camp four­bit ses armes pour pou­voir sor­tir de cette situa­tion de « coha­bi­ta­tion à la fran­çaise » entre un pré­sident de droite et des élus locaux de plus en plus majo­ri­tai­re­ment de gauche. Les régio­nales pas­sées, tous les regards et toutes les ambi­tions sont tour­nés vers cet objec­tif : empor­ter la pré­si­den­tielle, pour déci­der de la façon de sor­tir de cette coha­bi­ta­tion qui dure, par le fait des urnes.

Erwan Lecoeur


Auteur

Erwan Lecoeur est sociologue, membre de la rédaction de la revue [Ecorev->http://ecorev.org], ancien directeur scientifique de l'Observatoire du débat public.