Trois éléments sont au cœur d’une citoyenneté à part entière pour les femmes : l’autonomie socioéconomique (par l’éducation, l’égalité professionnelle, le partage des temps professionnels et familiaux, la lutte contre les stéréotypes de genre), l’autonomie politique (par l’application de la parité et la lutte contre le sexisme) et l’autonomie corporelle (par l’accès au planning familial, à l’IVG, à la contraception, la lutte contre les violences de genre, contre la marchandisation du corps des femmes). C’est à la lumière de ces trois éléments que j’examinerai les programmes des principaux candidats aux présidentielles françaises et, en particulier, ceux des gagnants du premier tour.
Trois éléments sont au cœur d’une citoyenneté à part entière pour les femmes : l’autonomie socioéconomique (par l’éducation, l’égalité professionnelle, le partage des temps professionnels et familiaux, la lutte contre les stéréotypes de genre), l’autonomie politique (par l’application de la parité et la lutte contre le sexisme) et l’autonomie corporelle (par l’accès au planning familial, à l’IVG, à la contraception, la lutte contre les violences de genre, contre la marchandisation du corps des femmes). C’est à la lumière de ces trois éléments que j’examinerai les programmes des principaux candidats aux présidentielles françaises et, en particulier, ceux des gagnants du premier tour.
En ce qui concerne Emmanuel Macron qui se dit féministe, on peut vraiment se demander où donc, dans son programme, est passé le féminisme ? Pour Marine Le Pen, il s’agit de faire d’une pierre deux coups : s’adresser aux femmes, de manière maternaliste, pour attaquer les musulmans. Du côté des perdants, les femmes ne sont pas vraiment mises en évidence dans le programme du candidat de droite, François Fillon ; à gauche, le programme de Jean-Luc Mélenchon en la matière est sans doute plus fouillé que celui de Benoît Hamon, mais, dans l’un comme dans l’autre, le féminisme est loin d’être au rendez-vous !
Emmanuel Macron affirme que l’égalité entre les femmes et les hommes est au cœur de son projet présidentiel. Et de fait, une série de mesures concernant l’autonomie des femmes sont présentes dans son programme, mais, le plus souvent, en l’absence de traduction et d’évaluation réelles, elles restent floues ou bien ne sont pas contraignantes. Ainsi en est-il, pour le socioéconomique, de ses propositions sur la création et l’attribution par les communes des places en crèches. Pas de précisions, pas de chiffrage ! Mêmes remarques sur les propositions portant sur une politique familiale et fiscale plus incitative pour les femmes qui souhaitent travailler. Pourquoi ne pas mettre en avant un congé parental égalitaire, pourquoi pas des mesures contraignantes en matière d’impôt ou de défense des droits ? Rien non plus sur la lutte contre les stéréotypes de genre ! Par contre, la volonté de maintenir la loi El Khomri ne peut que renforcer la précarisation économique des femmes. En ce qui concerne la représentation des femmes en politique, proposer d’instaurer le non-cumul des mandats dans le temps et la parité dans les nominations des grands postes de l’État, c’est bien. Encore faut-il que la parité soit de règle dans les exécutifs et qu’elle soit réellement appliquée aux législatives ! En matière de lutte contre les violences de genre, une campagne nationale de communication et de sensibilisation est prévue. Très bien, mais avec quels moyens et quelle formation pour les personnels médicaux judiciaires, policiers et éducatifs ? Une formation nécessaire quand on voit que le programme réduit le harcèlement de rue à une simple « incivilité », passible d’amende en oubliant que le harcèlement ouvre la voie aux agressions sexuelles et aux viols ! Par ailleurs, défendre le droit à l’IVG contre les attaques des associations anti-choix sans annoncer des mesures précises n’est guère convaincant.
Devant le flou de telles propositions on peut se demander si elles sont portées par une volonté féministe ou si elles ne font qu’alimenter la bonne conscience d’un discours politique dominant selon lequel l’égalité des femmes et des hommes est une valeur fondamentale de nos sociétés démocratiques. Est-ce ainsi qu’en européen convaincu, Macron poursuivra l’objectif d’égalité repris dans le Traité de l’Union alors que les discriminations de tous ordres le contredisent constamment ? Cela dit, Macron/Le Pen ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet.
De ses cent-quarante-quatre propositions, Marine Le Pen n’en envisage qu’une qui concerne le droit des femmes : « mettre en place un plan national pour l’égalité salariale femme/homme et lutter contre la précarité professionnelle », dont les moyens ne sont pas précisés. Mais avant tout, les droits des femmes servent de prétexte pour attaquer la religion musulmane dans un registre nationaliste, xénophobe, recourant à l’amalgame « défendre les droits des femmes : lutter contre l’islamisme qui fait reculer leurs libertés fondamentales ». Par ailleurs, il faut avoir à l’esprit qu’en tant que parlementaire européenne, sur les cinquante-neuf propositions visant l’égalité des femmes et des hommes, Marine Le Pen a voté pour trois fois, contre dix-sept, elle s’est abstenue sept fois et était absente trente-deux fois lors des votes au Parlement européen. Un seul exemple : le rapport initial d’Édite Estrella au Parlement européen qui prévoyait de reconnaitre le droit à la contraception et à l’avortement, mais dont la portée a été considérablement altérée par les partis conservateurs sous la pression des mouvements anti-choix et catholiques intégristes. Non seulement son programme ne fait aucune mention du droit des femmes à disposer de leur corps, mais, ce qui est plus grave encore c’est que Marine Le Pen a indiqué vouloir revenir sur le délit d’entrave à l’IVG, récemment voté. Dans la perspective réactionnaire des anti-choix, le planning familial est régulièrement visé par le FN et pourrait bien être une des cibles majeures de son engagement à « promouvoir la laïcité et lutter contre le communautarisme ». Par ailleurs, la lutte contre les stéréotypes sexistes n’est nullement envisagée. Il s’agit, au contraire, de « rétablir une véritable égalité des chances en retrouvant la voie de la méritocratie républicaine », notamment « en refusant le principe de la discrimination positive ». En jouant ainsi la liberté contre l’égalité, c’est l’un des acquis de la Convention sur l’élimination de toutes les discriminations envers les femmes, signée en 1979 à l’Assemblée générale des Nations unies, ratifiée par la France, qui risque d’être remis en cause par le FN. Enfin, notons que Marine Le Pen prévoit de « mettre en œuvre une vraie politique nataliste réservée aux familles françaises, en rétablissant l’universalité des allocations familiales […] Rétablir la libre répartition du congé parental ». Dans cette optique nataliste et maternaliste, les femmes auront la « liberté » de continuer à assumer une double journée de travail. Même si la proposition explicite de « salaire maternel » a disparu de son programme, il reste que l’extrême droite s’adresse aux femmes dans un cadre maternaliste, antiféministe et xénophobe qui rappelle l’héritage du pétainisme.
Peut-on considérer que les perdants du premier tour des présidentielles pourraient faire barrage à une telle perspective, lors des législatives de juin ? Rien n’est moins sûr. Mais les réponses ne sont pas du même ordre selon que l’on prend en compte le programme conservateur et libéral de François Fillon ou ceux de gauche, de Benoît Hamon et de Jean-Luc Mélenchon.
François Fillon consacre un chapitre de son programme aux libertés des femmes et fait des propositions que l’on ne trouve traditionnellement pas à droite, concernant les violences faites aux femmes, les places dans les crèches et l’accès prioritaire des femmes cheffes de familles monoparentales aux logements sociaux et aux crèches, ainsi que la possibilité qui leur serait donnée de déduire de leurs impôts une partie des frais de garde. Mais à l’instar de Marine Le Pen, François Fillon fait référence aux droits des femmes en instrumentalisant la laïcité comme seul moyen de les faire valoir face à l’islam. Curieuse référence à la laïcité pour un conservateur lié à l’association politique Sens Commun issue de La Manif pour tous ! Sans surprise donc, rien n’est dit dans son programme sur le renforcement d’un accès aisé à l’avortement et à la contraception. Sans surprise non plus, sa proposition « d’effectuer dès l’école primaire un travail de pédagogie sur le respect des femmes » : le respect n’est pas l’égalité ! En matière de lutte contre le sexisme en politique, son programme propose d’appliquer la tolérance zéro, sans pour autant préciser les mesures à prendre, sauf à mettre en place des mesures contre « tout élu ou membre de l’exécutif dans les cas de harcèlement sexiste ou d’agressions sexuelles avérées ». Enfin, en matière de représentation politique des femmes, proposer d’augmenter les amendes en cas de non-respect des obligations paritaires, laisse sceptique quand on sait qu’en France les partis préfèrent payer des amendes que d’appliquer la parité !
Les mesures les plus sérieuses en matière d’égalité entre femmes et hommes se retrouvent dans les programmes de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon qui souhaitent respectivement inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution ou dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Sur le plan économique, les deux candidats proposent l’abrogation de la loi El Khomri, une mesure importante quand on sait à quel point la libéralisation du marché du travail précarise celles qui assurent l’essentiel des tâches domestiques. Cela dit, la proposition de Benoît Hamon en faveur de l’allocation universelle ne peut que précariser davantage les femmes au travail et laisse la porte ouverte à ce qui ressemble à un « salaire maternel ». Contrairement à ses opposants aux présidentielles, Jean-Luc Mélenchon précise la manière dont il compte s’y prendre pour arriver à l’égalité salariale (répression des inégalités de genre dans l’entreprise, lutte contre les temps partiels contraints, fin du quotient conjugal, notamment). Il entend également renforcer la loi contre les violences faites aux femmes et instaurer une loi contre le sexisme. Enfin, il propose plusieurs mesures contre l’instrumentalisation et la marchandisation du corps des femmes, refusant la gestation pour autrui et prônant l’abolition de la prostitution. Même si un relevé exhaustif des mesures ainsi proposées reste à faire, cette première comparaison suffit à distinguer clairement le programme de Mélenchon comme le plus déterminé en matière d’égalité entre femmes et hommes.