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Pour une libre circulation des prisonniers ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2009 par

juillet 2009

Le débat sur la ques­tion péni­ten­tiaire est loin d’être neuf. Depuis plus d’un siècle, les constats d’échec se mul­ti­plient, sans pour autant venir à bout de l’institution. Dans le numé­ro de mai-juin de La Revue nou­velle, Joëlle Kwa­schin publiait un billet d’humeur à ce sujet. Qu’il nous soit per­mis de nous joindre à elle, d’apporter quelques élé­ments supplémentaires […]

Le Mois

Le débat sur la ques­tion péni­ten­tiaire est loin d’être neuf. Depuis plus d’un siècle, les constats d’échec se mul­ti­plient, sans pour autant venir à bout de l’institution. Dans le numé­ro de mai-juin de La Revue nou­velle, Joëlle Kwa­schin publiait un billet d’humeur à ce sujet. Qu’il nous soit per­mis de nous joindre à elle, d’apporter quelques élé­ments sup­plé­men­taires au débat et de nous faire l’écho de nou­velles pro­po­si­tions de notre déci­dé­ment très actif ministre pré­élec­to­ral de la Justice.

Plu­sieurs réformes remar­quables ont, ces der­nières années, mar­qué la ques­tion car­cé­rale en Bel­gique. Sur le plan légis­la­tif, un évé­ne­ment consi­dé­rable a eu lieu : l’adoption d’une loi de prin­cipes du 12 jan­vier 2005 concer­nant l’administration péni­ten­tiaire ain­si que le sta­tut juri­dique des déte­nus, en clair, une loi péni­ten­tiaire. La pre­mière dans l’histoire de la Bel­gique, pays qui a tou­jours navi­gué à vue en matière car­cé­rale, à coup de direc­tives plus ou moins contra­dic­toires et de pra­tiques « locales » plus ou moins défen­dables. Cela étant, comme cha­cun devrait le savoir, en matière légis­la­tive, il y a loin de la coupe aux lèvres. Éla­bo­rée sur la base d’une réflexion scien­ti­fique menée au sein de la « com­mis­sion Dupont1 » et pavée de bonnes inten­tions, cette légis­la­tion n’est que très par­tiel­le­ment entrée en vigueur. Ses dis­po­si­tions les plus pro­gres­sistes sont pour l’instant lettre morte et ren­contrent une forte oppo­si­tion par­mi le per­son­nel de l’administration pénitentiaire.

Autre évo­lu­tion remar­quable : celle des chiffres d’incarcération et de sur­po­pu­la­tion. Au cours des douze der­nières années, plus de mille places ont été créées, sans aucune modi­fi­ca­tion du taux de sur­po­pu­la­tion. Nous avons donc aug­men­té les places dis­po­nibles, créant par là un appel d’air et une hausse de la popu­la­tion. Fait remar­quable, le taux de sur­po­pu­la­tion n’a pas bais­sé d’un iota. Nulle sur­prise ici, ces consé­quences étaient pré­vi­sibles et pré­vues. Plus inquié­tant encore, en 2008 les pré­ve­nus (les per­sonnes en déten­tion pré­ven­tive) repré­sen­taient 35% des déte­nus. Notons encore que l’accroissement du nombre de places s’est dou­blé d’une ten­ta­tive de déve­lop­pe­ment d’une nou­velle forme d’exécution de la peine hors les murs : la sur­veillance élec­tro­nique à domi­cile… sans effet sur la surpopulation.

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Les condam­nés sont incar­cé­rés à la suite d’une condam­na­tion par une juri­dic­tion de fond qui a jugé les faits. Les pré­ve­nus sont les per­sonnes pla­cées en déten­tion pré­ven­tive. Les écrous sont les entrées en prison.

Troi­sième évo­lu­tion remar­quable, la créa­tion en 2002 d’une peine auto­nome de tra­vail cen­sée, entre autres miracles, consti­tuer une alter­na­tive cré­dible à la pri­son et, par­tant, une solu­tion à la sur­po­pu­la­tion. Cette peine a connu un suc­cès consi­dé­rable auprès des tri­bu­naux cor­rec­tion­nels, grands pour­voyeurs des pri­sons. Pour autant, aucun effet ne s’est fait sen­tir ni en ce qui concerne le nombre de condam­na­tions à des peines de pri­son ni celui des admis­sions en pri­son, et pas davan­tage, on l’aura com­pris, celui de la popu­la­tion car­cé­rale. Le seul effet envi­sa­geable est celui d’une dimi­nu­tion des sur­sis simples (qui n’entraînent donc aucune exé­cu­tion de la peine).

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Une loi péni­ten­tiaire en attente d’application et une inca­pa­ci­té à maî­tri­ser la sur­po­pu­la­tion, que ce soit par une action sur l’infrastructure ou par une modi­fi­ca­tion des pro­cé­dures répres­sives, le sys­tème car­cé­ral résiste remar­qua­ble­ment à toute ten­ta­tive de peser sur son fonc­tion­ne­ment. Le constat est cruel : le poli­tique est prêt à pro­cla­mer de beaux prin­cipes, mais reste impuis­sant face à la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale, soit qu’il en est inca­pable, soit qu’il ne veut pas prendre les mesures nécessaires.

Ce qui semble par ailleurs une nou­velle fois éta­bli est que la solu­tion à la sur­po­pu­la­tion ne réside pas dans des mesures linéaires. Ce n’est pas que la pri­son est trop petite qu’il n’y a qu’à l’agrandir. Ce n’est pas davan­tage que les pri­son­niers sont trop nom­breux et qu’il suf­fit d’en faire sor­tir ou de don­ner la pos­si­bi­li­té aux magis­trats d’en faire ren­trer moins. La situa­tion est de toute évi­dence infi­ni­ment plus complexe.

Face à ces constats, qu’envisage Ste­faan De Clerck, notre récent ministre de la Justice ?

En pre­mier lieu, il compte aggra­ver la situa­tion actuelle en réno­vant d’anciens éta­blis­se­ments et en en construi­sant de nou­veaux, créant par là plus de deux mille places à l’ombre sup­plé­men­taires (à 150.000 euros par pièce). Il orga­ni­sait, ce 13 mai un col­loque « Pri­son Make » pour s’en réjouir.

En deuxième lieu, il veut dou­bler l’emplâtre appli­qué sur la jambe de bois car­cé­rale en pro­mou­vant un recours plus inten­sif à la peine de tra­vail afin, selon lui, de remé­dier à la surpopulation.

En troi­sième lieu, il se pro­pose d’étendre le sys­tème de la sur­veillance élec­tro­nique. Aujourd’hui moda­li­té d’exécution de la peine d’emprisonnement (par le biais de la libé­ra­tion condi­tion­nelle), elle devien­drait aus­si une alter­na­tive à la déten­tion pré­ven­tive. Il est bien enten­du que le résul­tat sera la mise sous sur­veillance d’individus que l’on n’osait pas envoyer en pri­son ou la libé­ra­tion de pré­ve­nus… aus­si­tôt rem­pla­cés par d’autres.

Enfin, il a l’intention de sous-trai­ter l’incarcération de cinq cents de nos condam­nés sur­nu­mé­raires aux Pays-Bas2. Il a en effet appris que notre voi­sin était par­ve­nu à faire bais­ser de manière impor­tante sa popu­la­tion car­cé­rale et dis­pose donc de places libres. En bon entre­pre­neur, il compte expor­ter les exter­na­li­tés pro­duites par la SA Bel­gique. Comme s’il ache­tait des droits d’émission de CO2, l’État belge compte donc pro­fi­ter d’infrastructures étran­gères plu­tôt que d’apprendre de l’exemple des Pays-Bas pour mettre en œuvre des solu­tions à même de dimi­nuer le recours à la pri­son. Comme s’il s’agissait de sto­cker des déchets, il cherche des solu­tions pra­tiques au moindre coût éco­no­mique et symbolique.

1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 205 2006 2007 2008
Capa­ci­té 7.333 7.333 7.679 7.462 7.436 7.436 7.866 8.092 8.133 8.311 8.311
Nombre de détenus 8.156 8.176 7.889 8.688 8.544 8.605 9.308 9.245 9.375 9.635 10.008 9.858
Condam­nés 4.485 4.615 4.580 4.900 4.776 4.497 4.807 4.713 4.830 5.082 5.407 5.193
Pré­ve­nus 2.862 2.773 2.554 3.023 2.951 3.238 3.680 3.614 3.550 3.530 3.473 3.527
1697 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
Condamnés 4.485 4.615 4.580 4.900 4.776 4.497 4.807 4.713 4.830 5.082 5.407 5.193
Pré­ve­nus 2.862 2.773 2.554 3.023 2.951 3.238 3.680 3.614 3.550 3.530 3.473 3.527
Ecrous condam­nés 2.798 3.821 3.956 3.689 3.587 4.130 4.015 3.736 3.460 3.703 4.287
Ecrous pré­ve­nus 10.469 8.997 9.212 9.992 9.608 10.865 10.805 11.053 11.194 11.954 11.916

Dans un contexte où la pri­son est extrê­me­ment popu­laire, le choix est visi­ble­ment fait de pri­vi­lé­gier la pro­duc­tion d’un signe (fon­dé sur un ima­gi­naire entre­pre­neu­rial), plu­tôt que l’élaboration d’une solu­tion. Celle-ci devrait en effet se baser sur une recon­si­dé­ra­tion de la pri­son comme peine modèle, de la répres­sion comme solu­tion à la délin­quance, de la repré­sen­ta­tion pénale de la déviance comme natu­relle. Le contexte s’y prête peu, il faut le recon­naître. Pour­quoi donc chan­ger une équipe qui perd dans les faits, mais qui gagne dans les médias ? On ne sau­rait mieux dire que l’objectif n’est pas de dimi­nuer les injus­tices et les souf­frances inutiles — délé­tères, même — cau­sées par notre sys­tème pénitentiaire.

Reste une ques­tion : ce mana­ge­ment éta­tique nous condui­ra-t-il vers une spé­cia­li­sa­tion de pays euro­péens se recen­trant sur leur « core busi­ness », comme on dit élé­gam­ment ? La Bel­gique, ses bières, son accueil cha­leu­reux, ses hautes écoles ouvertes à tous ? Le Royaume-Uni, son flegme, sa City, son acces­si­bi­li­té aux sans-papiers ? Les Pays-Bas, leur gou­da, leurs bar­rages et leurs pri­sons ? Dans notre monde sans fron­tières et hyper­mo­bile, « aller se faire pendre ailleurs » pour­rait prendre un sens nouveau.

  1. Du nom de son pré­sident, Lie­ven Dupont, de la KUL.
  2. Le Soir du 19 mai.