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Pour une libre circulation des prisonniers ?
Le débat sur la question pénitentiaire est loin d’être neuf. Depuis plus d’un siècle, les constats d’échec se multiplient, sans pour autant venir à bout de l’institution. Dans le numéro de mai-juin de La Revue nouvelle, Joëlle Kwaschin publiait un billet d’humeur à ce sujet. Qu’il nous soit permis de nous joindre à elle, d’apporter quelques éléments supplémentaires […]
Le débat sur la question pénitentiaire est loin d’être neuf. Depuis plus d’un siècle, les constats d’échec se multiplient, sans pour autant venir à bout de l’institution. Dans le numéro de mai-juin de La Revue nouvelle, Joëlle Kwaschin publiait un billet d’humeur à ce sujet. Qu’il nous soit permis de nous joindre à elle, d’apporter quelques éléments supplémentaires au débat et de nous faire l’écho de nouvelles propositions de notre décidément très actif ministre préélectoral de la Justice.
Plusieurs réformes remarquables ont, ces dernières années, marqué la question carcérale en Belgique. Sur le plan législatif, un événement considérable a eu lieu : l’adoption d’une loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, en clair, une loi pénitentiaire. La première dans l’histoire de la Belgique, pays qui a toujours navigué à vue en matière carcérale, à coup de directives plus ou moins contradictoires et de pratiques « locales » plus ou moins défendables. Cela étant, comme chacun devrait le savoir, en matière législative, il y a loin de la coupe aux lèvres. Élaborée sur la base d’une réflexion scientifique menée au sein de la « commission Dupont1 » et pavée de bonnes intentions, cette législation n’est que très partiellement entrée en vigueur. Ses dispositions les plus progressistes sont pour l’instant lettre morte et rencontrent une forte opposition parmi le personnel de l’administration pénitentiaire.
Autre évolution remarquable : celle des chiffres d’incarcération et de surpopulation. Au cours des douze dernières années, plus de mille places ont été créées, sans aucune modification du taux de surpopulation. Nous avons donc augmenté les places disponibles, créant par là un appel d’air et une hausse de la population. Fait remarquable, le taux de surpopulation n’a pas baissé d’un iota. Nulle surprise ici, ces conséquences étaient prévisibles et prévues. Plus inquiétant encore, en 2008 les prévenus (les personnes en détention préventive) représentaient 35% des détenus. Notons encore que l’accroissement du nombre de places s’est doublé d’une tentative de développement d’une nouvelle forme d’exécution de la peine hors les murs : la surveillance électronique à domicile… sans effet sur la surpopulation.
Les condamnés sont incarcérés à la suite d’une condamnation par une juridiction de fond qui a jugé les faits. Les prévenus sont les personnes placées en détention préventive. Les écrous sont les entrées en prison.
Troisième évolution remarquable, la création en 2002 d’une peine autonome de travail censée, entre autres miracles, constituer une alternative crédible à la prison et, partant, une solution à la surpopulation. Cette peine a connu un succès considérable auprès des tribunaux correctionnels, grands pourvoyeurs des prisons. Pour autant, aucun effet ne s’est fait sentir ni en ce qui concerne le nombre de condamnations à des peines de prison ni celui des admissions en prison, et pas davantage, on l’aura compris, celui de la population carcérale. Le seul effet envisageable est celui d’une diminution des sursis simples (qui n’entraînent donc aucune exécution de la peine).
Une loi pénitentiaire en attente d’application et une incapacité à maîtriser la surpopulation, que ce soit par une action sur l’infrastructure ou par une modification des procédures répressives, le système carcéral résiste remarquablement à toute tentative de peser sur son fonctionnement. Le constat est cruel : le politique est prêt à proclamer de beaux principes, mais reste impuissant face à la surpopulation carcérale, soit qu’il en est incapable, soit qu’il ne veut pas prendre les mesures nécessaires.
Ce qui semble par ailleurs une nouvelle fois établi est que la solution à la surpopulation ne réside pas dans des mesures linéaires. Ce n’est pas que la prison est trop petite qu’il n’y a qu’à l’agrandir. Ce n’est pas davantage que les prisonniers sont trop nombreux et qu’il suffit d’en faire sortir ou de donner la possibilité aux magistrats d’en faire rentrer moins. La situation est de toute évidence infiniment plus complexe.
Face à ces constats, qu’envisage Stefaan De Clerck, notre récent ministre de la Justice ?
En premier lieu, il compte aggraver la situation actuelle en rénovant d’anciens établissements et en en construisant de nouveaux, créant par là plus de deux mille places à l’ombre supplémentaires (à 150.000 euros par pièce). Il organisait, ce 13 mai un colloque « Prison Make » pour s’en réjouir.
En deuxième lieu, il veut doubler l’emplâtre appliqué sur la jambe de bois carcérale en promouvant un recours plus intensif à la peine de travail afin, selon lui, de remédier à la surpopulation.
En troisième lieu, il se propose d’étendre le système de la surveillance électronique. Aujourd’hui modalité d’exécution de la peine d’emprisonnement (par le biais de la libération conditionnelle), elle deviendrait aussi une alternative à la détention préventive. Il est bien entendu que le résultat sera la mise sous surveillance d’individus que l’on n’osait pas envoyer en prison ou la libération de prévenus… aussitôt remplacés par d’autres.
Enfin, il a l’intention de sous-traiter l’incarcération de cinq cents de nos condamnés surnuméraires aux Pays-Bas2. Il a en effet appris que notre voisin était parvenu à faire baisser de manière importante sa population carcérale et dispose donc de places libres. En bon entrepreneur, il compte exporter les externalités produites par la SA Belgique. Comme s’il achetait des droits d’émission de CO2, l’État belge compte donc profiter d’infrastructures étrangères plutôt que d’apprendre de l’exemple des Pays-Bas pour mettre en œuvre des solutions à même de diminuer le recours à la prison. Comme s’il s’agissait de stocker des déchets, il cherche des solutions pratiques au moindre coût économique et symbolique.
1997 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 205 | 2006 | 2007 | 2008 | |
Capacité | 7.333 | 7.333 | 7.679 | 7.462 | 7.436 | 7.436 | 7.866 | 8.092 | 8.133 | 8.311 | 8.311 | |
Nombre de détenus | 8.156 | 8.176 | 7.889 | 8.688 | 8.544 | 8.605 | 9.308 | 9.245 | 9.375 | 9.635 | 10.008 | 9.858 |
Condamnés | 4.485 | 4.615 | 4.580 | 4.900 | 4.776 | 4.497 | 4.807 | 4.713 | 4.830 | 5.082 | 5.407 | 5.193 |
Prévenus | 2.862 | 2.773 | 2.554 | 3.023 | 2.951 | 3.238 | 3.680 | 3.614 | 3.550 | 3.530 | 3.473 | 3.527 |
1697 | 1998 | 1999 | 2000 | 2001 | 2002 | 2003 | 2004 | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | |
Condamnés | 4.485 | 4.615 | 4.580 | 4.900 | 4.776 | 4.497 | 4.807 | 4.713 | 4.830 | 5.082 | 5.407 | 5.193 |
Prévenus | 2.862 | 2.773 | 2.554 | 3.023 | 2.951 | 3.238 | 3.680 | 3.614 | 3.550 | 3.530 | 3.473 | 3.527 |
Ecrous condamnés | 2.798 | 3.821 | 3.956 | 3.689 | 3.587 | 4.130 | 4.015 | 3.736 | 3.460 | 3.703 | 4.287 | |
Ecrous prévenus | 10.469 | 8.997 | 9.212 | 9.992 | 9.608 | 10.865 | 10.805 | 11.053 | 11.194 | 11.954 | 11.916 |
Dans un contexte où la prison est extrêmement populaire, le choix est visiblement fait de privilégier la production d’un signe (fondé sur un imaginaire entrepreneurial), plutôt que l’élaboration d’une solution. Celle-ci devrait en effet se baser sur une reconsidération de la prison comme peine modèle, de la répression comme solution à la délinquance, de la représentation pénale de la déviance comme naturelle. Le contexte s’y prête peu, il faut le reconnaître. Pourquoi donc changer une équipe qui perd dans les faits, mais qui gagne dans les médias ? On ne saurait mieux dire que l’objectif n’est pas de diminuer les injustices et les souffrances inutiles — délétères, même — causées par notre système pénitentiaire.
Reste une question : ce management étatique nous conduira-t-il vers une spécialisation de pays européens se recentrant sur leur « core business », comme on dit élégamment ? La Belgique, ses bières, son accueil chaleureux, ses hautes écoles ouvertes à tous ? Le Royaume-Uni, son flegme, sa City, son accessibilité aux sans-papiers ? Les Pays-Bas, leur gouda, leurs barrages et leurs prisons ? Dans notre monde sans frontières et hypermobile, « aller se faire pendre ailleurs » pourrait prendre un sens nouveau.
- Du nom de son président, Lieven Dupont, de la KUL.
- Le Soir du 19 mai.