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Podemos, une nouvelle manière de concevoir la politique

Numéro 7 - 2015 - élections Espagne par César Aguado Renedo

novembre 2015

Sur fond d’une longue et éprou­vante crise éco­no­mique, d’un crois­sant mécon­ten­te­ment popu­laire et d’un dyna­misme poli­tique renou­ve­lé de la socié­té civile est né un nou­veau par­ti. Pode­mos se nour­rit d’une radi­ca­li­sa­tion de la gauche et du sou­tien d’intellectuels pro­gres­sistes du monde entier. Son pre­mier suc­cès élec­to­ral aux euro­péennes a ébran­lé le vieux bipar­tisme espa­gnol. La pers­pec­tive de nou­velles élec­tions, la mise en place de pro­ces­sus pro­gram­ma­tiques et de listes élec­to­rales ain­si que la tenue d’innombrables débats ont mar­qué l’Espagne. Ce n’est pas une fic­tion poli­tique, c’est la réa­li­té de l’année écoulée.

Dossier

En un peu plus d’un an, le sys­tème poli­tique et élec­to­ral espa­gnol a subi une trans­for­ma­tion que ni les poli­to­logues ni les obser­va­teurs de la socié­té n’auraient pu ima­gi­ner, eux qui inter­viennent sans comp­ter aux quatre coins du pays. Ne par­lons bien enten­du pas des poli­tiques ; s’ils avaient pré­vu cette trans­for­ma­tion, ils auraient essayé de lui faire bar­rage puisqu’elle a fini par cau­ser leur évic­tion. Elle prend pour forme essen­tielle l’émergence de deux nou­veaux par­tis poli­tiques : Pode­mos et Ciu­da­da­nos. Si, pour des rai­sons qui ne peuvent être abor­dées ici, il semble pro­bable que ce soit le deuxième qui finisse par avoir le plus grand effet sur l’exercice effec­tif du pou­voir, en tant que phé­no­mène poli­tique, et plus spé­ci­fi­que­ment du point de vue de la théo­rie démo­cra­tique, c’est le pre­mier, Pode­mos, qui retient l’attention.

Une pre­mière preuve remar­quable de cet inté­rêt fut la sym­pa­thie évi­dente que Pode­mos a sus­ci­tée au sein de l’intelligentsia inter­na­tio­nale pro­gres­siste ou de gauche. Une deuxième fut, après un écla­tant et sur­pre­nant pre­mier ver­dict des urnes (aux euro­péennes de 2014), la signa­ture par une tren­taine d’intellectuels d’un mani­feste de sou­tien au jeune par­ti. Par­mi les signa­taires figurent, entre autres, Noam Chom­sky, Sla­voj Žižek, Anto­nio Negri, Eduar­do Galea­no (décé­dé peu de temps après), Owen Jones, Ken Loach, Nao­mi Klein ou encore Chan­tal Mouffe (veuve d’Ernesto Laclau, per­son­nage clé de la fon­da­tion de Pode­mos et mort récem­ment). Et, bien qu’ils ne figurent pas sur la liste, Boa­ven­tu­ra dos San­tos, Krug­man, Flores d’Arcais et d’autres intel­lec­tuels impor­tants dont les ensei­gne­ments ins­pi­rèrent Pode­mos ont, au tra­vers de leurs articles, ren­du compte du phé­no­mène et, le cas échéant, indi­qué leur affi­ni­té avec ses prises de position.

Le sou­tien de ces intel­lec­tuels à Pode­mos n’est pas qu’une ques­tion de proxi­mi­té idéo­lo­gique, même si elle tombe sous le sens. Elle a éga­le­ment beau­coup à voir avec la veine popu­laire de ce par­ti, per­cep­tible dans sa créa­tion, son fonc­tion­ne­ment et dans ses enga­ge­ments concrets : mar­qué par un impor­tant mou­ve­ment popu­laire, ses posi­tions internes et ses listes élec­to­rales sont choi­sies par le biais de pri­maires ouvertes ; son agen­da poli­tique est façon­né au contact des opi­nions popu­laires expri­mées au sein de « cercles» ; il refuse tout recours à des prêts ban­caires pour son finan­ce­ment et s’engage par ailleurs à publier sa comp­ta­bi­li­té en ligne. Il pré­voit la pos­si­bi­li­té de révo­quer les nomi­na­tions et la limi­ta­tion des man­dats, des pri­vi­lèges et des salaires. On le voit, des inno­va­tions concrètes dis­tinguent Pode­mos des par­tis traditionnels.

La naissance de Podemos

Pode­mos nait d’un mou­ve­ment popu­laire spon­ta­né qui s’organise en réponse à la grave crise éco­no­mique qui frappe l’Espagne de plein fouet, ébran­lant ses classes moyennes, sans oublier bien sûr les sec­teurs les plus défa­vo­ri­sés ; un véri­table trem­ble­ment de terre dont la puis­sance pro­voque des répliques dans le monde entier (voyez le mou­ve­ment Occu­py Wall Street1). L’articulation de ce mou­ve­ment est menée par de jeunes pro­fes­seurs d’université de la gauche radi­cale, poli­to­logues et éco­no­mistes. À la tête de ce groupe, on trouve Pablo Igle­sias, né en 1978 au sein d’une famille madri­lène de gauche. Jeune mili­tant du Par­ti com­mu­niste d’Espagne (PCE), il obtient, après de brillantes études de droit et de sciences poli­tiques, son doc­to­rat grâce à une thèse qui explique l’influence qu’a exer­cée sur sa pen­sée la doc­trine de Gram­sci. Fort d’une esthé­tique pro­gres­siste carac­té­ris­tique (il n’est pas rare que cer­tains com­men­ta­teurs fassent réfé­rence à sa queue-de-che­val), il pos­sède des com­pé­tences média­tiques (tran­quilli­té du dis­cours, mes­sage docu­men­té, réac­ti­vi­té, qua­li­tés ora­toires) plus que remar­quables2.

Pode­mos (« Nous pou­vons »), nom choi­si pour le par­ti, est un terme hau­te­ment évo­ca­teur en poli­tique, comme l’a mon­tré l’élection du pré­sident Oba­ma (Yes, we can). Outre la par­ti­cu­la­ri­té de son ori­gine, la nou­velle for­ma­tion se dis­tingue par un modus ope­ran­di ouvert et hau­te­ment par­ti­ci­pa­tif. Ain­si, les déli­bé­ra­tions et les dis­cus­sions sur les posi­tions du par­ti se tiennent dans des cercles (repris dans son logo), à savoir des assem­blées volon­taires de per­sonnes, dont on n’exige pas d’affiliation au par­ti, moti­vées par la pers­pec­tive de la modi­fi­ca­tion démo­cra­tique de la socié­té. Pode­mos se struc­ture autour d’une assem­blée citoyenne qui réunit tous ses membres3 et où sont adop­tées les « grandes déci­sions », tan­dis que ses organes de direc­tion (signi­fi­ca­ti­ve­ment dénom­més : Conseil citoyen, Com­mis­sion des garan­ties démo­cra­tiques, Secré­ta­riat géné­ral) sont élus lors d’élections pri­maires sur des listes ouvertes.

Les élections européennes, un succès stratégique

C’est donc ce type de par­ti poli­tique qui a été consti­tué en jan­vier 2014, avec les élec­tions euro­péennes du 25 mai de la même année en ligne de mire. Il y a obte­nu un résul­tat sur­pre­nant : pra­ti­que­ment 8% des suf­frages (1,25 mil­lion) et cinq dépu­tés euro­péens, ce qui en fit la qua­trième des dix for­ma­tions poli­tique ayant obte­nu une repré­sen­ta­tion. C’est un évè­ne­ment qua­si inédit dans un pano­ra­ma poli­tique comme celui de l’Espagne3. En effet, il avait mon­tré durant près de trois décen­nies une sta­bi­li­té extra­or­di­naire des par­ti­ci­pants au pou­voir. Ce n’est qu’au prix d’intenses efforts et de beau­coup de patience que l’une ou l’autre for­ma­tion nou­velle avait réus­si à s’y faire une place.

Pablo Igle­sias lui-même, après avoir recon­nu que les aspi­ra­tions ini­tiales de sa for­ma­tion « étaient modestes » et qu’il n’avait jamais été envi­sa­gé d’«arriver si loin », explique, pour­tant, que ce résul­tat ne fut celui ni du hasard ni d’une réac­tion popu­laire spon­ta­née face aux forces poli­tiques tra­di­tion­nelles. Dans une revue de gauche anglo­phone, Pablo Igle­sias affirme que son action s’est fon­dée sur deux élé­ments4. Le pre­mier est l’expérience lati­no-amé­ri­caine de la « décen­nie gagnée5 » (élé­ment très impor­tant au regard de ce qui se dira plus loin). En effet, dès 2011, les futurs fon­da­teurs de Pode­mos évo­quaient une « lati­no-amé­ri­ca­ni­sa­tion » de la péri­phé­rie de l’Eurozone, poin­tant le fait que « l’analyse de l’évolution de l’Amérique latine […] offrait des outils théo­riques pour ana­ly­ser la réa­li­té de la crise espa­gnole ». Ils se réfé­raient éga­le­ment à la « voie popu­liste » comme « nou­velle struc­ture d’opportunité poli­tique », telle que théo­ri­sée par Ernes­to Laclau, poli­to­logue argen­tin et pro­fes­seur à l’université d’Essex, mort l’an dernier.

Le second élé­ment est un impor­tant recours à la télé­vi­sion qu’il consi­dère comme le « ter­rain de pro­duc­tion idéo­lo­gique le plus fon­da­men­tal », ses pla­teaux étant deve­nus les « véri­tables par­le­ments ». Ain­si, les pro­grammes de télé­vi­sion locale qu’il a diri­gés (La Tuer­ka pour com­men­cer, puis Fort Apache) ont été conçus comme un ter­rain d’entrainement au manie­ment des médias natio­naux : « Depuis mai 2013 […], j’étais en per­ma­nence pré­sent dans les médias », raconte Pablo Iglesias.

Outre ce qui pré­cède, la direc­tion de Pode­mos a déve­lop­pé une stra­té­gie visant à obte­nir les meilleurs résul­tats élec­to­raux par la mai­trise du dis­cours poli­tique. Pour Pablo Igle­sias : « En poli­tique, celui qui déter­mine le lexique, déter­mine en bonne par­tie les résul­tats. » Le plus célèbre des termes uti­li­sés par la nou­velle for­ma­tion est celui de « caste ». Il désigne l’ensemble de la classe poli­tique et éco­no­mique qui, depuis la Tran­si­tion espa­gnole (du régime de Fran­co au régime consti­tu­tion­nel), pos­sède le pou­voir effec­tif et l’utilise à son seul pro­fit. Une classe qui, selon eux, s’est main­te­nue jusqu’à aujourd’hui ; c’est elle qu’il faut pri­ver de ses pri­vi­lèges et de son accès pri­vi­lé­gié aux res­sources publiques.

Ce qui est sur­tout nova­teur, c’est l’usage du terme « caste » pour fon­der un nou­veau récit poli­tique dans lequel le cli­vage gauche-droite est obso­lète. En effet, ce cli­vage classe Pode­mos dans la gauche radi­cale, posi­tion­ne­ment trop lourd de sens pour gagner les faveurs de la majo­ri­té de l’électorat espa­gnol, lequel est majo­ri­tai­re­ment cen­triste, selon les son­dages. C’est pour­quoi Pablo Igle­sias a ten­té de redé­fi­nir le centre comme une cen­tra­li­té poli­tique, « La cen­tra­li­té n’est pas le centre » est le titre d’un de ses plus fameux billets de blog. Il y exhorte à rem­pla­cer l’ancienne dicho­to­mie idéo­lo­gique par l’opposition entre démo­cra­ti­sa­tion et absence de démo­cra­ti­sa­tion de l’économie. Il y tente de rem­pla­cer les termes gauche et droite par de nou­velles oppo­si­tions, telles que nou­veau-ancien, du haut-du bas, caste-gens, qui contri­buent à appro­fon­dir l’idée de nou­veau­té, de dif­fé­rence par rap­port aux recettes poli­tiques habituelles.

C’est à par­tir de cette idée que le lea­deur de Pode­mos dédui­ra l’obsolescence et, par­tant, l’inefficacité de la social-démo­cra­tie, illus­trée par l’impuissance des gou­ver­ne­ments espa­gnols anté­rieurs face à la crise. Le dépas­se­ment de la social-démo­cra­tie est, selon les pro­mo­teurs de Pode­mos, une des rai­sons de la néces­si­té du nou­veau parti.

Enfin, un der­nier aspect de la stra­té­gie de Pode­mos consiste à évi­ter déli­bé­ré­ment les grands thèmes (monar­chie ou Répu­blique, ques­tions mémo­rielles, etc.) faute d’un « appa­reil ins­ti­tu­tion­nel ». En son absence, pour Pablo Igle­sias, cela n’a aucun sens de perdre du temps et de s’aliéner la majo­ri­té des élec­teurs qui n’est pas « de gauche ».

Aux municipales sans sa propre marque

L’aspect nova­teur de Pode­mos, au regard des par­tis tra­di­tion­nels, ne se limite pas à l’énumération reprise ci-des­sus. En effet, il faut par­ler ici d’une inno­va­tion pra­tique encore plus impor­tante : les moda­li­tés de leur par­ti­ci­pa­tion aux élec­tions muni­ci­pales du 24 mai der­nier. Si, aux élec­tions euro­péennes de 2014 ain­si qu’aux régio­nales (conco­mi­tantes aux muni­ci­pales), Pode­mos s’est pré­sen­té sous sa marque, en revanche, aux muni­ci­pales, il s’est dilué dans des listes com­po­sées de can­di­dats issus d’horizons poli­tiques variés : mou­ve­ments sociaux, comi­tés de quar­tier, éco­lo­gistes et petites for­ma­tions de gauche.

La rai­son qui pré­si­da ce choix fut le manque d’ancrage d’un si jeune par­ti dans plus de 8.000 com­munes espa­gnoles, l’empêchant de se pré­sen­ter dans nombre d’entre elles. Les fruits de cette stra­té­gie varièrent selon les muni­ci­pa­li­tés et ne furent peut-être pas à la hau­teur des attentes, mais les listes élec­to­rales com­pre­nant des membres de Pode­mos obtinrent rien moins que les villes de Madrid, de Bar­ce­lone, de Valence et de Sara­gosse. De la sorte, même si les bourg­mestres de ces deux villes n’appartiennent pas à Pode­mos, on ne peut pas consi­dé­rer la stra­té­gie de ce par­ti comme un échec.

C’est sur­ement la rai­son pour laquelle elle a été répé­tée pour les élec­tions régio­nales cata­lanes de sep­tembre der­nier où les listes aux­quelles par­ti­ci­pait Pode­mos ont obte­nu des résul­tats plus faibles que prévu.

Un panorama loin d’être idyllique

Mais cette brève suc­cess sto­ry poli­tique, pra­ti­que­ment inexo­rable, prête le flanc à la cri­tique. Lors des élec­tions muni­ci­pales et régio­nales anti­ci­pées en Anda­lou­sie (mars 2015), les résul­tats engran­gés, sans être mau­vais, ne com­blèrent pas les attentes ini­tiales. Et, à l’heure d’écrire ces lignes, les son­dages, notam­ment ceux du pres­ti­gieux Centre de recherches socio­lo­giques (CIS), révèlent que Pode­mos accuse une baisse notable dans les inten­tions de vote, comme si le bipar­tisme, tant décrié et si intrin­sè­que­ment lié au sys­tème élec­to­ral espa­gnol, se refu­sait à mourir.

Certes, il faut prendre en compte cer­tains fac­teurs, comme les réti­cences d’une grande par­tie de la socié­té espa­gnole vis-à-vis du juge­ment néga­tif qu’a Pode­mos sur la Tran­si­tion6, ou comme son impos­si­bi­li­té, faute d’appareil ins­ti­tu­tion­nel, à se pro­non­cer sur de grandes ques­tions7 alors qu’il a déjà conquis des com­munes et des par­le­ments régio­naux. Mais il n’en demeure pas moins que se fait jour des dif­fi­cul­tés internes et une usure du pouvoir.

Ain­si, d’une part, des dis­sen­sions internes impor­tantes ont vu le jour. Elles concernent en pre­mier lieu la défi­ni­tion des stra­té­gies à adop­ter, notam­ment en termes de radi­ca­li­té du pro­gramme élec­to­ral. Cet écueil a conduit à l’exclusion de la direc­tion du par­ti, d’un de ses fon­da­teurs les plus impor­tants8. En deuxième lieu, ces dis­sen­sions ont trait à la défi­ni­tion du rôle du lea­deur et de son hégé­mo­nie idéo­lo­gique. Troi­siè­me­ment, elles ont por­té sur l’alternative entre une par­ti­ci­pa­tion aux scru­tins en soli­taire ou en car­tel avec d’autres force ou mou­ve­ments. D’autre part, quelques inco­hé­rences frap­pantes dans le pro­gramme du par­ti ont été mises au jour, comme la trans­for­ma­tion de la reven­di­ca­tion ini­tiale d’un reve­nu de base en une plus modeste — mais plus réa­liste — pro­po­si­tion d’un reve­nu garan­ti aux foyers pré­caires ou sans revenus.

Cepen­dant, la réti­cence la plus per­ti­nente, émise non seule­ment par les adver­saires poli­tiques et les médias conser­va­teurs, mais aus­si par de pres­ti­gieux confrères uni­ver­si­taires qu’on ne sau­rait sus­pec­ter de conser­va­tisme9, concerne la rela­tion qu’entretiennent les diri­geants de Pode­mos avec les régimes dits « boli­va­riens » d’Amérique latine, qui ne sont pas pré­ci­sé­ment des modèles de liber­tés, au pre­mier rang des­quels, le Vene­zue­la. La cré­di­bi­li­té de Pode­mos et de ses diri­geants a for­te­ment pâti du redres­se­ment fis­cal impo­sé à l’un d’eux à la suite de sa rétri­bu­tion comme conseiller de ces régimes, ain­si que de l’embarras face aux ques­tions por­tant sur les poli­tiques menées par ces pays, tout par­ti­cu­liè­re­ment celles du pré­sident véné­zué­lien en matière de liber­tés et de sécu­ri­té10. En cette matière, le PP et les médias ont beau jeu d’agiter l’épouvantail de la situa­tion cala­mi­teuse du Vene­zue­la pour effrayer les entre­prises natio­nales et étran­gères et, de manière plus géné­rale, pour faire appa­raitre Pode­mos comme un danger.

Pode­mos, phé­no­mène poli­tique d’importance ?

Mal­gré ces cri­tiques, il faut recon­naitre que l’électrochoc cau­sé par Pode­mos a contraint les autres par­tis à renou­ve­ler leur mes­sage et à agir en interne contre la cor­rup­tion. Il les a éga­le­ment ame­nés à accor­der un inté­rêt sen­si­ble­ment accru aux reven­di­ca­tions sociales.

Mais l’influence sin­gu­lière du phé­no­mène Pode­mos pour­rait s’avérer éga­le­ment consi­dé­rable hors des fron­tières espa­gnoles. Actuel­le­ment, il semble bien impro­bable que ce par­ti finisse par rem­por­ter la majo­ri­té au Par­le­ment et que son lea­deur accède à la pré­si­dence, comme ce fut le cas de Siry­za et de Tsi­pras en Grèce. Mais il n’est nul besoin qu’il accède au som­met de l’État pour cré­di­ter Pode­mos de ses suc­cès et de son impor­tance. En effet, les consé­quences de la crise éco­no­mique euro­péenne demeurent désas­treuses, et les débats autour des inéga­li­tés et de la néces­si­té d’une meilleure redis­tri­bu­tion des richesses sont plus actuels que jamais. Ce contexte fait émer­ger des forces qui défendent des poli­tiques éco­no­miques à mille lieues de l’orthodoxie, connues sous le nom d’austéricides et qui dénoncent comme injustes les sys­tèmes actuels en ce qu’ils béné­fi­cient aux classes favo­ri­sées et lèsent le reste de la population.

Ces forces poli­tiques peuvent être d’extrême droite et xéno­phobes (le cas le plus connu est celui du FN fran­çais, mais il existe des équi­va­lents en Alle­magne, en Ita­lie, au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas). Mais elles peuvent aus­si se pla­cer dans la ligne de Pode­mos. Outre l’exemple grec de Siry­za, on peut citer Cinque Stelle en Ita­lie ou le Meilleur par­ti islan­dais qui empor­ta la muni­ci­pa­li­té de Reyk­ja­vik en 2010. D’une impor­tance toute par­ti­cu­lière est éga­le­ment l’élection récente à la tête du Labour Par­ty, d’un Jere­my Cor­bin bien connu pour ses posi­tions radi­cales de gauche.

Certes des for­ma­tions par­ta­geant la même idéo­lo­gie peuvent s’influencer mutuel­le­ment. Si Pode­mos obtient un résul­tat suf­fi­sam­ment bon aux pro­chaines élec­tions géné­rales, il pour­rait acqué­rir un poids non négli­geable dans ces jeux d’influences réci­proques. Mais, si tel n’était pas le cas, tout laisse à pen­ser que cette expé­rience nova­trice devien­drait insignifiante.

  1. Voir à ce pro­pos l’article Antón Fernán­dez de Rota dans ce dossier.
  2. De fait, il a sui­vi un mas­ter en com­mu­ni­ca­tion, lors duquel il a eu pour ensei­gnants Žižek et Agam­ben, comme il le raconte dans son ouvrage Dis­pu­tar la demo­cra­cia. Polí­ti­ca para tiem­pos de cri­sis, publié aux édi­tions Akal (Madrid, 2014), pré­fa­cé par Alexis Tsipras.
  3. Actuel­le­ment selon son site web, le par­ti compte envi­ron 50.000 membres. C’est un chiffre impor­tant pour un mou­ve­ment aus­si jeune et pour un pays où l’affiliation poli­tique et syn­di­cale est tra­di­tion­nel­le­ment peu élevée.
  4. P. Igle­sias, « Unders­tan­ding Pode­mos », New Left Review, mai-juin 2015, n° 93, p. 7 – 22. C’est de cet article que sont tirées les cita­tions qui suivent.
  5. La décen­nie gagnée, par oppo­si­tion à la « décen­nie per­due » des années 1980, fait réfé­rence aux dix pre­mières années du XXIe siècle qui ont vu l’Amérique latine faire des pro­grès sociaux impor­tants et jouir d’une forte crois­sance éco­no­mique (NDT).
  6. Pode­mos fait remon­ter les ori­gines de la « caste » à la Tran­si­tion, tan­dis que la majo­ri­té de la socié­té espa­gnole conti­nue de per­ce­voir cette der­nière et le consen­sus qu’elle a ins­tau­ré comme le socle de la démo­cra­tie, jalon his­to­rique mal­gré tous ses défauts.
  7. En par­ti­cu­lier, l’épineux pro­blème du sépa­ra­tisme catalan.
  8. Juan Car­los Mone­de­ro, cofon­da­teur et numé­ro trois de Pode­mos a démis­sion­né le 30 avril 2015 (NDT).
  9. Dans divers articles publiés dans El País, sur­tout A. Elor­za, mais aus­si E. Gil Cal­vo ou San­tos Juliá.
  10. Cela appa­rait au grand jour lors du vote de réso­lu­tions par­le­men­taires appe­lant à la libé­ra­tion des déte­nus poli­tiques véné­zue­liens, Pode­mos s’abstient.

César Aguado Renedo


Auteur

docteur en droit constitutionnel, professeur à l’université autonome de Madrid