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Pilotage des écoles, comment atterrir ?

Numéro 1 – 2022 - Pacte d'excellence réformes par Azzedine Hajji

février 2022

Dans le cadre du Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence, l’élaboration de plans de pilo­tage par les écoles de la Com­mu­nau­té fran­çaise et leur contrac­tua­li­sa­tion en contrats d’objectifs sur six ans visent l’atteinte d’une série d’objectifs que les pou­voirs publics assignent au sys­tème édu­ca­tif : amé­lio­ra­tion des savoirs et com­pé­tences des élèves, réduc­tion des inéga­li­tés de résultats […]

Dossier

Dans le cadre du Pacte pour un ensei­gne­ment d’excellence, l’élaboration de plans de pilo­tage par les écoles de la Com­mu­nau­té fran­çaise et leur contrac­tua­li­sa­tion en contrats d’objectifs sur six ans visent l’atteinte d’une série d’objectifs que les pou­voirs publics assignent au sys­tème édu­ca­tif : amé­lio­ra­tion des savoirs et com­pé­tences des élèves, réduc­tion des inéga­li­tés de résul­tats en fonc­tion de leur situa­tion socioé­co­no­mique, réduc­tion du redou­ble­ment et du décro­chage, etc.

La concep­tion de ces plans s’est faite en plu­sieurs vagues, et les der­niers éta­blis­se­ments sco­laires concer­nés s’attèlent actuel­le­ment à leur bouclage.

La mise en œuvre de ce dis­po­si­tif s’inscrit dans un tour­nant des poli­tiques publiques en matière de régu­la­tion du sys­tème sco­laire. Désor­mais, il ne s’agit plus seule­ment de récol­ter des don­nées glo­bales (à tra­vers des enquêtes comme Pisa) ou locales (au tra­vers des résul­tats de chaque école aux éva­lua­tions externes). Les pou­voirs publics entendent éga­le­ment s’appuyer sur cet ensemble de don­nées (en bonne par­tie quan­ti­ta­tives) pour orien­ter les actions des acteurs au niveau local, y com­pris par la contrainte de sanc­tions éventuelles.

De la sorte, ils entendent non seule­ment impo­ser pro­gres­si­ve­ment une logique d’obligation de moyens, mais aus­si une obli­ga­tion de résul­tat dans une cer­taine mesure.

Les enjeux sont impor­tants : après plus de vingt-cinq ans de ten­ta­tives de réforme peu concluantes (école de la réus­site, décret « Mis­sions », contrat pour l’école, etc.) afin d’améliorer les appren­tis­sages sco­laires et réduire les inéga­li­tés sociales, un chan­ge­ment de méthode était inévi­table. L’idée sous-jacente : plu­tôt que se limi­ter à des réformes struc­tu­relles qui visent à modi­fier le cadre pres­crip­tif glo­bal dans lequel les acteurs sco­laires agissent1, il s’agirait aus­si d’orienter plus direc­te­ment leurs actions concrètes désormais.

En effet, les écoles rem­plis­sant des mis­sions de ser­vice public, leur conduite est cen­sée contri­buer aux objec­tifs glo­baux fixés par les auto­ri­tés poli­tiques. Autre­ment dit, elles doivent rendre des comptes sur ce qu’elles font. Or, ce qui semble sous-enten­du est que tous les acteurs sco­laires ne par­viennent pas d’eux-mêmes à mener les actions adé­quates (sans d’ailleurs que les rai­sons qui expliquent cette inadé­qua­tion ne soient ques­tion­nées en pro­fon­deur). Par consé­quent, il fau­drait les pous­ser (si ce n’est les contraindre) à mettre en œuvre des pra­tiques don­nant des résul­tats plus pro­bants. À cette fin, le pou­voir régu­la­teur (la Com­mu­nau­té fran­çaise2) — et pou­voir sub­si­diant au pas­sage — a déci­dé de contrac­tua­li­ser une par­tie de sa rela­tion avec cha­cun des éta­blis­se­ments sco­laires recon­nus. En plus de devoir éla­bo­rer des plans d’actions spé­ci­fiques allant dans le sens des objec­tifs glo­baux visés, l’effectivité de leur mise en œuvre sera donc aus­si éva­luée dans chaque école.

C’est dans ce contexte que s’inscrit ce dos­sier de La Revue nou­velle qui entend expli­ci­ter les contours et les enjeux de cette réforme, mais aus­si les ques­tion­ner. Sont concer­nées en par­ti­cu­lier la capa­ci­té de ces mesures à favo­ri­ser de meilleures condi­tions d’apprentissage et d’enseignement pour les élèves et les enseignant·e·s, ain­si que leur pro­pen­sion à réduire signi­fi­ca­ti­ve­ment la ségré­ga­tion entre éta­blis­se­ments et les inéga­li­tés sociales entre élèves. Par ailleurs, quels effets cette poli­tique de red­di­tion des comptes est-elle sus­cep­tible de pro­vo­quer sur l’autonomie des équipes péda­go­giques ? Quant au rôle des pou­voirs publics, quel est-il dans cette dyna­mique ? Peut-il se limi­ter à une fonc­tion pure­ment régu­la­trice alors que les acteurs locaux ne mai­trisent pas entiè­re­ment tous les fac­teurs de leur envi­ron­ne­ment ? Le pou­voir régu­la­teur n’est-il pas aus­si par­tie pre­nante à tra­vers l’obligation de four­nir aux éta­blis­se­ments les moyens (maté­riels, cog­ni­tifs, humains, orga­ni­sa­tion­nels, etc.) ad hoc pour répondre au défi posé par les objec­tifs qu’il impose ? Autre­ment dit, n’y aurait-il pas un risque de faire endos­ser aux acteurs locaux l’entière res­pon­sa­bi­li­té des résul­tats obtenus ?

Dans un pre­mier temps, pour ten­ter de répondre à cer­taines de ces inter­ro­ga­tions, Miguel Sou­to Lopez trace un état des lieux his­to­rique de la régu­la­tion du sys­tème sco­laire par les pou­voirs publics en Bel­gique fran­co­phone. On voit alors à quel point une meilleure com­pré­hen­sion des mesures actuelles doit les ins­crire dans le temps long, et notam­ment dans le pas­sage d’un pilo­tage par les objec­tifs à un pilo­tage par les résultats.

Ensuite, Chris­tian Maroy s’attache à décrire les ori­gines, notam­ment inter­na­tio­nales, de ce mode par­ti­cu­lier de gou­ver­nance du sys­tème sco­laire. Il brosse ensuite un por­trait de sa mise en œuvre au Qué­bec et nous invite à tirer les leçons de vingt années d’expérience en la matière au sein de cette région, tout en pre­nant en compte les spé­ci­fi­ci­tés de chaque contexte.

Marie Gorans­son et Alain Era­ly sou­lignent pour leur part les limites des réformes du sys­tème sco­laire qui s’appuient exclu­si­ve­ment sur des dis­po­si­tions légis­la­tives et sou­tiennent la néces­si­té d’agir sur ce que font concrè­te­ment les acteurs. Tout en s’attaquant à un cer­tain nombre d’idées reçues à pro­pos des plans de pilo­tage et des contrats d’objectifs, iels indiquent com­ment ces dis­po­si­tifs sont néces­saires (bien qu’insuffisants) pour atti­rer l’attention des acteurs sco­laires sur les objec­tifs légi­times d’efficacité et d’équité (entre autres) et pour orien­ter leurs actions en ce sens, sans entra­ver leur auto­no­mie pour autant.

Cécile Gor­ré, pour sa part, passe au crible les consé­quences néga­tives du pilo­tage par objectifs/résultats sur les condi­tions d’apprentissage des élèves et sur les condi­tions de tra­vail des enseignant·e·s. Rele­vant la dimen­sion essen­tiel­le­ment mana­gé­riale de cette réforme, elle montre le ren­for­ce­ment des inéga­li­tés sociales et l’exacerbation du mar­ché sco­laire qu’elle peut induire, notam­ment du fait du confor­misme à des objec­tifs réducteurs.

San­drine Gros­jean et Tho­mas Michiels pour­suivent la dis­cus­sion en s’interrogeant sur la capa­ci­té de ce pilo­tage des écoles à réduire les inéga­li­tés dans le champ sco­laire. Si les inten­tions qui y pré­sident sont légi­times, leur ana­lyse — qui s’appuie sur une vaste enquête de ter­rain — met en évi­dence l’appropriation (et même la com­pré­hen­sion) très dif­fi­cile de ce dis­po­si­tif par les équipes péda­go­giques, voire son détour­ne­ment par des acteurs qui n’en par­tagent pas for­cé­ment toutes les fina­li­tés. Leur texte se ponc­tue par une série de recom­man­da­tions pour que la mise en œuvre de la réforme ait de plus grandes chances de pro­duire les effets attendus.

Quant à Pierre Waaub, sa réflexion met en exergue le rôle très pro­blé­ma­tique des struc­tures inter­mé­diaires (les réseaux et les pou­voirs orga­ni­sa­teurs en l’occurrence) dans la mise en œuvre de la réforme. S’il estime, en effet, qu’elle peut réel­le­ment appor­ter un sur­croit d’autonomie aux équipes péda­go­giques, son ana­lyse fait craindre une confis­ca­tion de cette liber­té par les diverses struc­tures hié­rar­chiques au sein des orga­ni­sa­tions sco­laires. Il pro­meut dès lors un meilleur par­tage du pou­voir en leur sein, notam­ment pour faci­li­ter un authen­tique tra­vail col­la­bo­ra­tif par­mi les équipes, gage indis­pen­sable à l’atteinte des objec­tifs d’équité et d’efficacité.

Enfin, Mar­tine De Keu­ke­leire conclut ce dos­sier par un texte qui fait la part belle à la parole des enseignant·e·s qui vivent la mise en œuvre des plans de pilo­tage. Tout en nuances, elle nous montre à quel point ce tra­vail sus­cite chez elleux des réac­tions miti­gées, les un·e·s éprou­vant de la crainte tan­dis que d’autres y placent beau­coup d’espoir. À cet égard, le contexte qu’iels vivent ain­si que leur vécu per­son­nel semblent jouer un rôle important.

À tra­vers ce dos­sier qui donne la parole à des chercheur·e·s, des enseignant·e·s, des militant·e·s péda­go­giques et des syn­di­ca­listes, nous enten­dons don­ner un aper­çu de la com­plexi­té de la pro­blé­ma­tique du pilo­tage du sys­tème édu­ca­tif. Même si les prises de posi­tion peuvent être tran­chées, la diver­si­té des contri­bu­tions montre que les réa­li­tés qui l’entourent sont mul­tiples. Elle donne à voir aus­si des acteurs et actrices, certes rela­ti­ve­ment proches quant aux fina­li­tés que doit pour­suivre le sys­tème édu­ca­tif, mais qui peuvent être en désac­cord sur les moyens d’y parvenir.

Fina­le­ment, quels que soient les résul­tats réels que ces mesures pro­dui­ront, la pour­suite de la réflexion — notam­ment sur leurs effets concrets, au-delà des bonnes inten­tions — reste indis­pen­sable. Soit, le cas échéant, pour amé­lio­rer le dis­po­si­tif, soit alors pour en tirer les leçons afin de pen­ser des alter­na­tives plus porteuses.

  1. Ce type de mesures reste d’actualité dans le cadre du Pacte, notam­ment à tra­vers la réforme du tronc com­mun, l’actualisation des réfé­ren­tiels de com­pé­tences dont la créa­tion d’un nou­veau réfé­ren­tiel des com­pé­tences « ini­tiales » pour l’enseignement pré­sco­laire, etc.
  2. D’ailleurs, pour évi­ter de se retrou­ver en posi­tion de juge (pou­voir régu­la­teur) et par­tie (pou­voir orga­ni­sa­teur, PO), la Com­mu­nau­té fran­çaise — qui jusqu’à il y a peu orga­ni­sait le réseau de l’enseignement offi­ciel — a créé une nou­velle enti­té juri­dique, le WBE (Wal­lo­nie-Bruxelles Ensei­gne­ment), pour lui trans­fé­rer l’organisation de ses établissements.

Azzedine Hajji


Auteur

Azzedine Hajji est codirecteur de {La Revue nouvelle}, assistant-doctorant en sciences psychologiques et de l’éducation à l’université libre de Bruxelles. Il a été auparavant professeur de mathématiques dans l’enseignement secondaire, et psychopédagogue en Haute École dans le cadre de la formation initiale d’enseignant·e·s du secondaire. Ses sujets de recherche portent principalement sur les questions d’éducation et de formation, en particulier les inégalités socio-scolaires dans leurs dimensions pédagogiques, didactiques et structurelles. Les questions de racialité et de colonialité constituent également un objet de réflexion et d’action qui le préoccupent depuis plus de quinze ans.