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Pilotage des écoles, comment atterrir ?
Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, l’élaboration de plans de pilotage par les écoles de la Communauté française et leur contractualisation en contrats d’objectifs sur six ans visent l’atteinte d’une série d’objectifs que les pouvoirs publics assignent au système éducatif : amélioration des savoirs et compétences des élèves, réduction des inégalités de résultats […]
Dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, l’élaboration de plans de pilotage par les écoles de la Communauté française et leur contractualisation en contrats d’objectifs sur six ans visent l’atteinte d’une série d’objectifs que les pouvoirs publics assignent au système éducatif : amélioration des savoirs et compétences des élèves, réduction des inégalités de résultats en fonction de leur situation socioéconomique, réduction du redoublement et du décrochage, etc.
La conception de ces plans s’est faite en plusieurs vagues, et les derniers établissements scolaires concernés s’attèlent actuellement à leur bouclage.
La mise en œuvre de ce dispositif s’inscrit dans un tournant des politiques publiques en matière de régulation du système scolaire. Désormais, il ne s’agit plus seulement de récolter des données globales (à travers des enquêtes comme Pisa) ou locales (au travers des résultats de chaque école aux évaluations externes). Les pouvoirs publics entendent également s’appuyer sur cet ensemble de données (en bonne partie quantitatives) pour orienter les actions des acteurs au niveau local, y compris par la contrainte de sanctions éventuelles.
De la sorte, ils entendent non seulement imposer progressivement une logique d’obligation de moyens, mais aussi une obligation de résultat dans une certaine mesure.
Les enjeux sont importants : après plus de vingt-cinq ans de tentatives de réforme peu concluantes (école de la réussite, décret « Missions », contrat pour l’école, etc.) afin d’améliorer les apprentissages scolaires et réduire les inégalités sociales, un changement de méthode était inévitable. L’idée sous-jacente : plutôt que se limiter à des réformes structurelles qui visent à modifier le cadre prescriptif global dans lequel les acteurs scolaires agissent1, il s’agirait aussi d’orienter plus directement leurs actions concrètes désormais.
En effet, les écoles remplissant des missions de service public, leur conduite est censée contribuer aux objectifs globaux fixés par les autorités politiques. Autrement dit, elles doivent rendre des comptes sur ce qu’elles font. Or, ce qui semble sous-entendu est que tous les acteurs scolaires ne parviennent pas d’eux-mêmes à mener les actions adéquates (sans d’ailleurs que les raisons qui expliquent cette inadéquation ne soient questionnées en profondeur). Par conséquent, il faudrait les pousser (si ce n’est les contraindre) à mettre en œuvre des pratiques donnant des résultats plus probants. À cette fin, le pouvoir régulateur (la Communauté française2) — et pouvoir subsidiant au passage — a décidé de contractualiser une partie de sa relation avec chacun des établissements scolaires reconnus. En plus de devoir élaborer des plans d’actions spécifiques allant dans le sens des objectifs globaux visés, l’effectivité de leur mise en œuvre sera donc aussi évaluée dans chaque école.
C’est dans ce contexte que s’inscrit ce dossier de La Revue nouvelle qui entend expliciter les contours et les enjeux de cette réforme, mais aussi les questionner. Sont concernées en particulier la capacité de ces mesures à favoriser de meilleures conditions d’apprentissage et d’enseignement pour les élèves et les enseignant·e·s, ainsi que leur propension à réduire significativement la ségrégation entre établissements et les inégalités sociales entre élèves. Par ailleurs, quels effets cette politique de reddition des comptes est-elle susceptible de provoquer sur l’autonomie des équipes pédagogiques ? Quant au rôle des pouvoirs publics, quel est-il dans cette dynamique ? Peut-il se limiter à une fonction purement régulatrice alors que les acteurs locaux ne maitrisent pas entièrement tous les facteurs de leur environnement ? Le pouvoir régulateur n’est-il pas aussi partie prenante à travers l’obligation de fournir aux établissements les moyens (matériels, cognitifs, humains, organisationnels, etc.) ad hoc pour répondre au défi posé par les objectifs qu’il impose ? Autrement dit, n’y aurait-il pas un risque de faire endosser aux acteurs locaux l’entière responsabilité des résultats obtenus ?
Dans un premier temps, pour tenter de répondre à certaines de ces interrogations, Miguel Souto Lopez trace un état des lieux historique de la régulation du système scolaire par les pouvoirs publics en Belgique francophone. On voit alors à quel point une meilleure compréhension des mesures actuelles doit les inscrire dans le temps long, et notamment dans le passage d’un pilotage par les objectifs à un pilotage par les résultats.
Ensuite, Christian Maroy s’attache à décrire les origines, notamment internationales, de ce mode particulier de gouvernance du système scolaire. Il brosse ensuite un portrait de sa mise en œuvre au Québec et nous invite à tirer les leçons de vingt années d’expérience en la matière au sein de cette région, tout en prenant en compte les spécificités de chaque contexte.
Marie Goransson et Alain Eraly soulignent pour leur part les limites des réformes du système scolaire qui s’appuient exclusivement sur des dispositions législatives et soutiennent la nécessité d’agir sur ce que font concrètement les acteurs. Tout en s’attaquant à un certain nombre d’idées reçues à propos des plans de pilotage et des contrats d’objectifs, iels indiquent comment ces dispositifs sont nécessaires (bien qu’insuffisants) pour attirer l’attention des acteurs scolaires sur les objectifs légitimes d’efficacité et d’équité (entre autres) et pour orienter leurs actions en ce sens, sans entraver leur autonomie pour autant.
Cécile Gorré, pour sa part, passe au crible les conséquences négatives du pilotage par objectifs/résultats sur les conditions d’apprentissage des élèves et sur les conditions de travail des enseignant·e·s. Relevant la dimension essentiellement managériale de cette réforme, elle montre le renforcement des inégalités sociales et l’exacerbation du marché scolaire qu’elle peut induire, notamment du fait du conformisme à des objectifs réducteurs.
Sandrine Grosjean et Thomas Michiels poursuivent la discussion en s’interrogeant sur la capacité de ce pilotage des écoles à réduire les inégalités dans le champ scolaire. Si les intentions qui y président sont légitimes, leur analyse — qui s’appuie sur une vaste enquête de terrain — met en évidence l’appropriation (et même la compréhension) très difficile de ce dispositif par les équipes pédagogiques, voire son détournement par des acteurs qui n’en partagent pas forcément toutes les finalités. Leur texte se ponctue par une série de recommandations pour que la mise en œuvre de la réforme ait de plus grandes chances de produire les effets attendus.
Quant à Pierre Waaub, sa réflexion met en exergue le rôle très problématique des structures intermédiaires (les réseaux et les pouvoirs organisateurs en l’occurrence) dans la mise en œuvre de la réforme. S’il estime, en effet, qu’elle peut réellement apporter un surcroit d’autonomie aux équipes pédagogiques, son analyse fait craindre une confiscation de cette liberté par les diverses structures hiérarchiques au sein des organisations scolaires. Il promeut dès lors un meilleur partage du pouvoir en leur sein, notamment pour faciliter un authentique travail collaboratif parmi les équipes, gage indispensable à l’atteinte des objectifs d’équité et d’efficacité.
Enfin, Martine De Keukeleire conclut ce dossier par un texte qui fait la part belle à la parole des enseignant·e·s qui vivent la mise en œuvre des plans de pilotage. Tout en nuances, elle nous montre à quel point ce travail suscite chez elleux des réactions mitigées, les un·e·s éprouvant de la crainte tandis que d’autres y placent beaucoup d’espoir. À cet égard, le contexte qu’iels vivent ainsi que leur vécu personnel semblent jouer un rôle important.
À travers ce dossier qui donne la parole à des chercheur·e·s, des enseignant·e·s, des militant·e·s pédagogiques et des syndicalistes, nous entendons donner un aperçu de la complexité de la problématique du pilotage du système éducatif. Même si les prises de position peuvent être tranchées, la diversité des contributions montre que les réalités qui l’entourent sont multiples. Elle donne à voir aussi des acteurs et actrices, certes relativement proches quant aux finalités que doit poursuivre le système éducatif, mais qui peuvent être en désaccord sur les moyens d’y parvenir.
Finalement, quels que soient les résultats réels que ces mesures produiront, la poursuite de la réflexion — notamment sur leurs effets concrets, au-delà des bonnes intentions — reste indispensable. Soit, le cas échéant, pour améliorer le dispositif, soit alors pour en tirer les leçons afin de penser des alternatives plus porteuses.
- Ce type de mesures reste d’actualité dans le cadre du Pacte, notamment à travers la réforme du tronc commun, l’actualisation des référentiels de compétences dont la création d’un nouveau référentiel des compétences « initiales » pour l’enseignement préscolaire, etc.
- D’ailleurs, pour éviter de se retrouver en position de juge (pouvoir régulateur) et partie (pouvoir organisateur, PO), la Communauté française — qui jusqu’à il y a peu organisait le réseau de l’enseignement officiel — a créé une nouvelle entité juridique, le WBE (Wallonie-Bruxelles Enseignement), pour lui transférer l’organisation de ses établissements.