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Physique nucléaire « Iter », une affaire de gros sous ou de gros cous ?

Numéro 11 Novembre 2010 par

novembre 2010

La phy­sique a pas­sion­né le XXe siècle. La théo­rie de la rela­ti­vi­té, la phy­sique quan­tique, la matière noire, le boson de Higgs ont fait rêver des mil­lions de gens ou du moins, si l’on en croit les bud­gets alloués, les poli­tiques qui les repré­sen­taient. Ein­stein, Planck, Curie ou Lemaître sont deve­nus des figures de la geste […]

La phy­sique a pas­sion­né le XXe siècle. La théo­rie de la rela­ti­vi­té, la phy­sique quan­tique, la matière noire, le boson de Higgs ont fait rêver des mil­lions de gens ou du moins, si l’on en croit les bud­gets alloués, les poli­tiques qui les repré­sen­taient. Ein­stein, Planck, Curie ou Lemaître sont deve­nus des figures de la geste scien­ti­fique occi­den­tale. Les col­li­sion­neurs, accé­lé­ra­teurs, Super Kamio­kande, VLT et LHC de toutes sortes ont englou­ti des bud­gets consi­dé­rables. Les réac­teurs nucléaires, l’imagerie médi­cale, la télé­pho­nie mobile, le posi­tion­ne­ment par satel­lite sont issus des décou­vertes faites en phy­sique fon­da­men­tale et ont chan­gé le des­tin de l’humanité. Enfin, n’oublions pas ce que leur doit notre vision de la réa­li­té, de notre Terre, de l’Univers (ou des mul­ti­vers comme disent cer­tains). Un monde dans lequel une par­ti­cule peut être à deux endroits à la fois n’est plus tout à fait celui de nos grands-parents.

Dans ce cadre, la phy­sique des par­ti­cules est par­ti­cu­liè­re­ment emblé­ma­tique. Et par­mi ses retom­bées (si l’on peut s’exprimer ain­si), ses appli­ca­tions nucléaires (civiles et mili­taires) ont consi­dé­ra­ble­ment pesé sur nos socié­tés. La Bombe comme arme abso­lue, l’Atome comme source inépui­sable d’énergie ont bou­le­ver­sé des socié­tés pro­fon­dé­ment mar­quées par la pré­do­mi­nance des États nations et des blocs, et péné­trées d’une vision pro­mé­théenne et hié­rar­chique du monde. La mai­trise de la toute-puis­sance ato­mique s’est bien enten­du incar­née dans l’armement nucléaire (bombes A et H), sous la forme d’un asser­vis­se­ment du mau­vais génie ato­mique ; elle a aus­si débou­ché sur les cen­trales élec­triques nucléaires et la domes­ti­ca­tion d’un bon génie nucléaire adou­ci et deve­nu inof­fen­sif1.

Mais le suc­cès de l’homme est incom­plet. Nous n’avons pas encore réus­si à faire man­ger le Soleil dans notre main. En effet, si la fusion nucléaire per­met bien de faire explo­ser la pla­nète, nous ne sommes tou­jours pas capables de l’entretenir et de la conte­nir de manière à en cap­ter l’énergie. La ques­tion nous résiste, contrai­re­ment à celle de la fission.

Pour­tant, il y a cin­quante ans, cer­tains nous pro­met­taient que l’on y par­vien­drait en cin­quante ans. Aujourd’hui, on nous pro­met que c’est pour dans cin­quante ans et un consor­tium mon­dial2 finance le pro­jet inter­na­tio­nal Inter­na­tio­nal Ther­mo­nu­clear Expe­ri­men­tal Reac­tor (Iter). Car la tech­no­lo­gie à mettre en place est tel­le­ment com­plexe et cou­teuse que l’on n’est pas trop des prin­ci­pales puis­sances éco­no­miques du globe pour ins­tal­ler, à Cada­rache (France, Bouches-du-Rhône), un toka­mak expé­ri­men­tal sus­cep­tible de rele­ver le défi du moment : res­ti­tuer plus d’énergie qu’il n’en consomme et per­mettre le main­tien d’une réac­tion de fusion nucléaire pen­dant plus que les deux minutes actuel­le­ment atteintes.

Le sou­ci, car sou­ci il y a, est que le bud­get explose. Pré­vu en 2001 à la modeste hau­teur de 6 mil­liards d’euros (G euros pour par­ler comme un phy­si­cien), les pro­jec­tions sont pas­sées à 16 G euros alors que la pre­mière pierre n’est pas encore posée3.

La ques­tion est pour quoi, et non pour­quoi. Il n’est pas tel­le­ment ques­tion de savoir si les esti­ma­teurs ini­tiaux étaient ceux qui dres­sèrent les plans bud­gé­taires du désa­mian­tage du Ber­lay­mont4, mais bien de savoir quel pro­jet éner­gé­tique se cache der­rière cette entre­prise scien­ti­fique : la pro­duc­tion cen­tra­li­sée d’électricité alors que plus per­sonne ne veut de ligne à haute ten­sion dans le fond de son jar­din ; la concen­tra­tion des ins­tal­la­tions pour pro­duire l’électricité de tout un conti­nent en un même point, bou­le­vard pour la jalou­sie inter­éta­tique et le rejet des citoyens ; l’investissement mas­sif dans un pro­jet pha­rao­nique et hasar­deux quand des solu­tions éner­gé­tiques existent pour nous tirer à coup sûr d’une (par­tie de notre) dépen­dance aux com­bus­tibles fos­siles, à com­men­cer par les néga­watts5.

Car l’ampoule éco­no­mique, la laine (de verre, de chanvre, de bois…), la ver­mi­cu­lite, le double vitrage et le flo­con de cel­lu­lose ne doivent plus être inven­tés. Pas davan­tage que la mai­son bio­cli­ma­tique. L’instauration d’une dépen­dance tech­no­lo­gique et la créa­tion d’un point névral­gique conti­nen­tal sup­plé­men­taire confinent au pas­séisme quand on plaide de toutes parts pour la décen­tra­li­sa­tion, la pro­duc­tion locale, la récu­pé­ra­tion tous azi­muts et quand on montre en exemple la robus­tesse des struc­tures réti­cu­laires. C’est un peu comme si l’on conti­nuait de cher­cher à mettre au point le Concorde dans le pay­sage aérien actuel. Il faut pou­voir renon­cer à ses rêves quand ils sont irréa­listes, cela s’appelle être adulte, et se rendre au prin­cipe de réa­li­té. Un jour, l’homme rêva de domi­ner inté­gra­le­ment la nature. Un retour de bâton plus tard, il en est reve­nu. Il doit donc renon­cer à ses chi­mères. On peut être un homme digne sans être astro­naute, chef étoi­lé, pilote de For­mule 1 ou pré­sident de la Répu­blique, sans se pous­ser du col. Il doit être pos­sible de faire le même constat collectivement.

Et que pen­ser, dans ce contexte, des bud­gets englou­tis dans un tel pro­jet de phy­sique nucléaire, alors que nous res­tons plus qu’ignorants de la plu­part des res­sorts de notre socié­té ? L’enseignement, la san­té publique, la sécu­ri­té, le chô­mage, la connais­sance de notre his­toire ou l’étude des sys­tèmes poli­tiques ne pour­raient-ils, entre autres, pro­fi­ter d’une manne se chif­frant en mil­liards d’euros ? Car l’Union euro­péenne finance 45% d’Iter et devrait donc débour­ser 5 G euros de plus qu’initialement pré­vu. Sommes-nous sûrs que ce soit la prio­ri­té ? En fin de compte, émerge une ques­tion : où se tient le débat sur la recherche scien­ti­fique et quels sont les cri­tères qui y sont pris en compte ? Sommes-nous bien cer­tains qu’Iter doive être le pro­jet car­di­nal de notre conti­nent ? Que nous pro­met-il réellement ?

  1. Du moins nous en assure-t-on.
  2. Union euro­péenne, États-Unis, Rus­sie, Chine, Japon, Corée du Sud, Inde.
  3. Denis Del­becq, « La fac­ture qui menace Iter », La Recherche, octobre 2010, n° 445, p. 8 – 10.
  4. Le célèbre bâti­ment du Ber­lay­mont, construit à Bruxelles en 1965, été désa­mian­té de 1995 à 1999. Les couts ont été pris en charge par l’État belge, sur la base d’une esti­ma­tion ini­tiale de 30 mil­lions d’euros. À l’issue du chan­tier, la fac­ture était de 95 mil­lions, aux­quels il faut ajou­ter des inté­rêts. Dont cout total : 124 mil­lions d’euros. La baga­telle de quatre fois l’estimation initiale.
  5. Les néga­watts sont les watts que nous ne consom­mons pas ou, pour être exact, que nous ne consom­mons plus.