Le débat sur la prolongation des centrales nucléaires fait rage. Même à l’intérieur du monde libéral, des voix se font entendre pour critiquer la position du Premier ministre de mettre un terme à l’exploitation de nos réacteurs pourtant si performants. Tout le monde s’enflamme autour d’arguments comme le coût de maintien des centrales, les engagements en matière de réduction des émissions de CO2, le risque que les microfissures deviennent des macrochampignons, bref… on reste dans le cadre d’un débat (...)
Le débat sur la prolongation des centrales nucléaires fait rage. Même à l’intérieur du monde libéral, des voix se font entendre pour critiquer la position du Premier ministre de mettre un terme à l’exploitation de nos réacteurs pourtant si performants. Tout le monde s’enflamme autour d’arguments comme le coût de maintien des centrales, les engagements en matière de réduction des émissions de CO2, le risque que les microfissures deviennent des macrochampignons, bref… on reste dans le cadre d’un débat étriqué, qui manque donc forcément de rationalité économique.
J’étais récemment à Monaco – ville idéale de l’économiste que je suis, car s’il est un lieu où l’on rencontre des agents rationnels, c’est bien celui-là – et, entre deux coupes d’un excellent champagne, je devisais avec un très sympathique entrepreneur russe, au visage botoxé, aussi lisse que les courbes d’équilibre dans les articles du Nobel d’économie Gary Stanley Becker. Il me faisait part de ses récents investissements dans la société Space X, qui prépare le voyage de l’humanité vers Mars. De son doigt orné d’une chevalière en or représentant un panda miniature dégustant un cornet de glace, symbole de son amour érudit de la faune, il désigna sa Lamborghini garée sur le parking en contrebas de l’hôtel 5 étoiles : « Jamais je n’y renoncerai, car c’est mon droit de polluer. Mais lorsqu’ici ce sera l’enfer pour respirer, il faudra bien qu’on aille salir une autre planète ! »
Cette anecdote illustre parfaitement la variable manquante du débat sur les centrales nucléaires : certes, prolonger leur durée de vie indéfiniment implique forcément des risques accrus d’accident radioactif. Mais c’est justement là qu’est toute la beauté de l’exercice. En pleine application du principe fondamental du progrès humain, qui veut que l’intérêt égoïste et la lutte de tous contre tous pour la survie soient les moteurs de l’innovation, nous pouvons sans problème poser que plus le risque d’explosion accidentelle des centrales augmentera, plus le réchauffement climatique sera fort, plus des zones entières du globe seront ravagées par la pollution, plus les solutions pour nous échapper de notre planète chaque jour plus pauvre se multiplieront !
Évidemment, tous ne pourront pas être de la partie. Mais, honnêtement, pourquoi sauver les pauvres ? Ils n’ont de toute façon pas réussi dans la course sur Terre, peut-on imaginer un instant qu’ils puissent survivre sur Mars ?
Bien sûr, on entend déjà les pleureuses totalitaires écolos-bobos : « mais c’est inhumain ». Nous pourrions nous moquer de ceux-là, mais nous n’en ferons rien. L’économiste pragmatique connait leur poids dans l’opinion publique. Non, nous leur répondrons, comme nous l’avons toujours fait, en les faisant participer au jeu du marché dont nous sommes légitimement les arbitres et les gagnants, par exemple en organisant un concours pour les plus méritants : « Viva for life on Mars ». On pourra même, en utilisant quelque animateur populaire, les pousser à cotiser pour payer le ticket pour ces quelques élus : « sauvez Maryse, une petite fille de cinq ans déjà virtuose, qui ne mérite pas de mourir sur Terre », et voilà toutes les Madames Michu d’ouvrir leur petit porte-monnaie pour donner à Maryse une chance de survie, oublieuses du fait qu’elles-mêmes ne tiendront pas longtemps sans eau ni pétrole, dans un bunker souterrain alors que l’hiver nucléaire règnera sur le globe. Cela marche déjà aujourd’hui : voyez-les donner une part de leur pécule de vacances alors qu’elles n’auront plus accès à la pension lorsqu’elles arriveront, percluses de rhumatismes, à l’âge de la retraite.
Mais revenons-en au cœur forcément atomique du sujet nucléaire : nous l’avons dit, il faut assumer le risque, car c’est du risque que jaillit le génie humain. Tant que la planète semblera un endroit douillet, les humains auront tendance à ne pas tenter l’aventure qui les mènera à devenir une espèce interplanétaire. Or, comme les quelques milliardaires rassemblés autour d’Elon Musk l’ont déjà compris, le profit ne peut se maintenir dans le carcan limité de la planète bleue. Comme des criquets volant de champs en champs, profitant de tout ce que la nature leur offre, les riches ne peuvent imaginer continuer à jouir comme ils le font sans passer de planète en planète. Et, on le sait depuis Voltaire au moins : puisque le marché comme les inégalités sont irrémédiablement inscrites au plus profond de l’ontologie humaine, ce seront toujours les riches qui dicteront la marche du monde.
Heureusement, il est des ministres fédéraux qui ont compris cela, et emboitent le pas à la voie tracée par le VOKA, dirigé comme tout le monde fait mine de l’ignorer en le sachant parfaitement par des grands patrons de multinationales. Notons que c’est sans doute cette caractéristique qui explique que le VOKA fasse si peu de cas du « V » de son nom, puisqu’il œuvre activement à faire disparaitre la Flandre sous les eaux. À moins bien sûr qu’il trouve par là un biais efficace pour stimuler la construction des villes de demain, dont il est fort à parier qu’elles seront flottantes. On le voit ici encore : qu’elle est grande, leur intelligence politique, à eux qui ont compris le sens de l’histoire et la nécessité de foncer tout droit dans le mur de catastrophes sans cesse plus imminentes.
Autrefois roi des rats, puis citoyen ordinaire du Bosquet Joyeux, Anathème s’est vite lassé de la campagne. Revenu à la ville, il pose aujourd’hui le regard lucide d’un monarque sans royaume sur un Royaume sans… enfin, sur le monde des hommes.
Son expérience du pouvoir l’incite à la sympathie pour les dirigeants et les puissants, lesquels ont bien de la peine à maintenir un semblant d’ordre dans ce monde qui va à vau-l’eau.