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Nucléaire et centralisme

Numéro 1 - 2015 - par Christophe Mincke -

Le 30 novembre 2014, un incendie s’est déclaré dans une installation périphérique de la centrale de Tihange. […] Les procédures de sécurité ont parfaitement fonctionné.

Tout est-il alors pour le mieux ? Pas vraiment […].

Le 30 novembre 2014, un incendie s’est déclaré dans une installation périphérique de la centrale de Tihange. Un transformateur a pris feu, provoquant la mise hors circuit du réacteur numéro 3… Les procédures de sécurité ont parfaitement fonctionné.

Tout est-il alors pour le mieux ? Pas vraiment, puisque la Belgique fut privée d’un réacteur de 1000 mégawatts. Certes, ce débrayage fut bref, mais il est survenu alors que trois autres réacteurs sont à l’arrêt (à long terme, eux).

Certes, on a maintes fois souligné la vétusté de notre parc électronucléaire ainsi que l’affolante imprévision du monde politique décidant une sortie du nucléaire pour ensuite se garder de l’organiser. Mais, dans le contexte actuel d’intense débat à propos de la stabilité de notre approvisionnement électrique, cet évènement illustre deux autres problèmes liés à l’énergie nucléaire.

Le premier est l’extrême centralisation de la production. On le sait, il n’est pas question de construire des dizaines de microcentrales atomiques. Dans le contexte technologique et sécuritaire actuel, les installations de production sont rares… et gigantesques. S’ensuivent bien entendu des couts liés au transport de l’énergie (installation de lignes à haute tension, pertes dues aux distances, etc.) et, de surcroit, une forte dépendance de notre approvisionnement énergétique au bon fonctionnement de quelques infrastructures. Lorsqu’une éolienne est défectueuse, la Belgique n’est pas privée de 1000 MW en une fois, mais quand le transformateur d’un réacteur nucléaire brule, les conséquences sont bien plus graves.

Le deuxième problème est lié au premier et concerne notre vulnérabilité à des actes malveillants. Certes, tout porte à croire que les installations nucléaires proprement dites sont résistantes à des attaques directes. On ne fait pas sauter le dôme d’un réacteur avec des moyens artisanaux. Il est donc peu probable qu’un accident nucléaire puisse être provoqué. Mais si l’on cherchait à nous priver d’électricité et, partant, à bloquer nos trains, la production industrielle, les télécommunications et la plupart des services, nous serions bien plus vulnérables. Des installations périphériques — non nucléaires — sont susceptibles d’une attaque efficace. Le cas n’est pas théorique puisque le réacteur de Doel 4 a été mis à l’arrêt à la suite d’un sabotage. La simple manipulation d’une vanne a provoqué d’importants dégâts à deux turbines. Le redémarrage avant la fin de l’année a été annoncé par M. Mestralet, l’interruption de production aura donc duré cinq mois.

La question qui se pose, dans le cadre actuel est donc également de savoir si le nucléaire, dans son principe même, ne serait pas un système de production énergétique suranné. Les heurs et malheurs de la construction des centrales de troisième génération (EPR) en France et en Finlande (retards, malfaçons, surcouts gigantesques), les interrogations récurrentes en matière de sureté nucléaire (Fukushima), la permanente problématique de la gestion des déchets et la vulnérabilité des infrastructures centralisées doivent amener à s’interroger sur l’avenir de la filière.

Au-delà des questions traditionnelles liées à l’énergie atomique, il est indispensable de se demander si la décentralisation de la production et la gestion intelligente de la distribution et de la consommation ne sont pas les voies à privilégier… choses que ne peut offrir l’atome. Les réseaux peu centralisés sont connus pour être les plus robustes et, à cet égard, les énergies renouvelables, fondées sur une diversification des modes de production et des sites d’implantation, pourraient se révéler particulièrement avantageuses. Notons que, de ce point de vue, ce ne sont certainement pas les projets pharaoniques et aléatoires de mise au point de centrales à fusion nucléaire qui règleront la question.

L’expérience involontaire de débrayage de quatre réacteurs devrait contraindre le politique à, enfin, prendre ses responsabilités. Il n’est plus temps de commander de nouvelles centrales nucléaires — qui les payerait, du reste ? —, il ne peut être question de sauver notre peau en important massivement l’électricité comme ce fut le cas pour éviter le blackout lors de ce dernier incident, nous n’avons d’autre choix que d’avancer. À coup sûr, voilà une question qu’il serait bon d’aborder avec courage… ça tombe bien, le gouvernement actuel se proclame pourfendeur de tabous. Prenons-le au mot…

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Christophe Mincke


Auteur

Christophe Mincke est codirecteur de La Revue nouvelle, directeur du département de criminologie de l’Institut national de criminalistique et de criminologie et professeur à l’Université Saint-Louis à Bruxelles. Il a étudié le droit et la sociologie et s’est intéressé, à titre scientifique, au ministère public, à la médiation pénale et, aujourd’hui, à la mobilité et à ses rapports avec la prison. Au travers de ses travaux récents, il interroge notre rapport collectif au changement et la frénésie de notre époque.