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Nimby, gérer la surpopulation carcérale par la bande ?

Numéro 07/8 Juillet-Août 2013 par

juillet 2013

Le bourg­mestre de Forest a pris un arrê­té limi­tant la capa­ci­té de la pri­son sise sur le ter­ri­toire de sa com­mune. Sur sa base, il a donc blo­qué toute nou­velle incar­cé­ra­tion dans l’attente que la popu­la­tion car­cé­rale repasse sous un cer­tain seuil ; dans cet éta­blis­se­ment, du moins. Dès lors, les flux entrants doivent être redi­ri­gés vers d’autres implantations. […]

Le bourg­mestre de Forest a pris un arrê­té limi­tant la capa­ci­té de la pri­son sise sur le ter­ri­toire de sa com­mune. Sur sa base, il a donc blo­qué toute nou­velle incar­cé­ra­tion dans l’attente que la popu­la­tion car­cé­rale repasse sous un cer­tain seuil ; dans cet éta­blis­se­ment, du moins.

Dès lors, les flux entrants doivent être redi­ri­gés vers d’autres implan­ta­tions. Mais à Nivelles, lorsqu’arrivent des déte­nus qui auraient dû être écroués à Forest, la ten­sion monte… et le bourg­mestre prend un arrê­té simi­laire. Rien de neuf dans ce petit jeu de la patate chaude : les bourg­mestres sont heu­reux d’accueillir une pri­son et ses impor­tantes retom­bées éco­no­miques, mais pas la sur­po­pu­la­tion et les troubles qui s’ensuivent : éva­sions, prises d’otage, grèves du per­son­nel péni­ten­tiaire néces­si­tant la mobi­li­sa­tion de la police, etc. Nous sommes face à une banale appli­ca­tion du syn­drome Nim­by (not in my back yard, pas dans mon jar­din), un grand clas­sique de la ges­tion locale des pro­blé­ma­tiques globales.

Tout le monde sou­haite une éner­gie bon mar­ché, mais pas de cen­trale nucléaire à proxi­mi­té, cha­cun convient de l’utilité des auto­routes, mais pas au milieu de ses champs, on admet­tra sans peine que la réin­dus­tria­li­sa­tion est une néces­si­té, mais pas à por­tée de nui­sances. Chez moi ? Et pour­quoi chez moi ? Plu­tôt chez le voisin !

Il est peu pro­bable, même si cela ne peut entiè­re­ment être exclu, que les bourg­mestres enga­gés dans ce petit jeu aient en vue d’apporter une solu­tion glo­bale à la pro­blé­ma­tique de la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale. Ce pour­rait cepen­dant bien être le résul­tat des courses, et la Ligue des droits de l’homme qui sou­tient le maïeur fores­tois ne s’y est pas trompée.

Ce n’est pour­tant pas une pro­blé­ma­tique secon­daire. En effet, la sur­po­pu­la­tion est au cœur des débats sur la pri­son depuis plus de vingt ans, dans qua­si­ment l’ensemble des pays euro­péens. À tel point qu’elle est sou­vent consi­dé­rée — à tort ou à rai­son — comme le prin­ci­pal obs­tacle à la capa­ci­té pour la pri­son de rem­plir les mis­sions qui lui sont assi­gnées. Il est à cet égard remar­quable que la Com­mis­sion Dupont — du nom du pro­fes­seur de droit pénal émé­rite de la KUL, Lie­ven Dupont — char­gée d’élaborer un avant-pro­jet de loi péni­ten­tiaire avait poin­té la mai­trise de la popu­la­tion car­cé­rale comme condi­tion sine qua non à la mise en œuvre de la loi. C’était l’objet de l’article 15 de ce texte, lequel enjoi­gnait au roi (le gou­ver­ne­ment, bien enten­du) de défi­nir une capa­ci­té maxi­male pour chaque pri­son1. Un amen­de­ment du même gou­ver­ne­ment sup­pri­ma cet article 15, au motif que, « dans la mesure où la sur­po­pu­la­tion est la résul­tante d’une mul­ti­tude de fac­teurs, [la] sur­po­pu­la­tion doit être com­bat­tue sur plu­sieurs fronts dif­fé­rents2. »

Tout était dès lors en place pour que rien ne puisse réduire la sur­po­pu­la­tion et pour que la loi de prin­cipes reste lettre morte, ou tant s’en faut. C’était sans comp­ter Nim­by et la volon­té de bourg­mestres de mettre un frein à la sur­po­pu­la­tion. Assis­te­ra-t-on, dans les mois à venir, à la géné­ra­li­sa­tion de tels arrê­tés com­mu­naux ? Com­ment tour­ne­ra le bras de fer entre la com­mune et l’État fédé­ral ? Celui-ci sera-t-il contraint de prendre des mesures radi­cales et effi­caces, bien qu’impopulaires ? Met­tra-t-on en place des four­gons cel­lu­laires per­ma­nents, pleins à cra­quer de déte­nus impos­sibles à loger et tour­nant infi­ni­ment sur le ring de Bruxelles ? Car dans une socié­té qui aime tant la mobi­li­té, le noma­disme car­cé­ral pour­rait appa­raitre séduisant.

  1. Rap­port final de la com­mis­sion « loi de prin­cipes concer­nant l’administration péni­ten­tiaire et le sta­tut juri­dique des déte­nus ». Rap­port fait au nom de la com­mis­sion de la Jus­tice par Vincent Decro­ly et Tony Van Parys, Doc. Parl., Chambre des repré­sen­tants, 2000 – 2001, 50 – 1076/001, 123.
  2. Pro­po­si­tion de loi de prin­cipes concer­nant l’administration péni­ten­tiaire et le sta­tut juri­dique des déte­nus. Amen­de­ments, Doc. Parl., Chambre des repré­sen­tants, 2003 – 2004, 51 – 0231/003, 3.