Récemment, Alexander De Croo, notre premier ministre, a fait une sortie remarquée en réclamant une pause dans l’adoption de législations européennes visant à répondre aux défis environnementaux. Que l’on se préoccupe prioritairement du réchauffement climatique, voilà qui lui semble raisonnable, mais point trop n’en faut, qui trop embrasse, mal étreint, en je moet niet te veel hooi op je vork nemen. Dès lors, laissons de côté les questions de pollution, de biodiversité ou d’épuisement des ressources… on verra ça plus tard, il n’y a pas le feu au lac, au fond. Et justement, à propos, se permettait un autre libéral, Pierre Wunsch, gouverneur de la banque nationale belge, il ne faudrait pas non plus mettre les bouchées doubles en ce qui concerne la lutte contre le réchauffement, sous peine de plomber un processus si bien engagé et qui autorise tous les optimismes. Dans le même temps, Zuhal Demir, ministre flamande de l’environnement proposait que l’Union européenne se préoccupe davantage de s’adapter au réchauffement, plutôt que de toujours chercher à réduire nos émissions. Ce faisant, elle emboitait le pas à Emmanuel Macron qui appelait à une pause dans l’adoption de réglementations environnementales pour s’atteler à l’application effective des textes existants, tout en appelant néanmoins à poursuivre la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Tout ceci prend du reste place alors que continue de se faire entendre la ritournelle selon laquelle il ne sert à rien de se presser, puisqu’il suffit d’attendre la mise au point de technologies qui nous sauveront la mise…
Récemment, Alexander De Croo, notre premier ministre, a fait une sortie remarquée en réclamant une pause dans l’adoption de législations européennes visant à répondre aux défis environnementaux. Que l’on se préoccupe prioritairement du réchauffement climatique, voilà qui lui semble raisonnable, mais point trop n’en faut, qui trop embrasse, mal étreint, en je moet niet te veel hooi op je vork nemen. Dès lors, laissons de côté les questions de pollution, de biodiversité ou d’épuisement des ressources… on verra ça plus tard, il n’y a pas le feu au lac, au fond. Et justement, à propos, se permettait un autre libéral, Pierre Wunsch, gouverneur de la banque nationale belge, il ne faudrait pas non plus mettre les bouchées doubles en ce qui concerne la lutte contre le réchauffement, sous peine de plomber un processus si bien engagé et qui autorise tous les optimismes. Dans le même temps, Zuhal Demir, ministre flamande de l’environnement proposait que l’Union européenne se préoccupe davantage de s’adapter au réchauffement, plutôt que de toujours chercher à réduire nos émissions. Ce faisant, elle emboitait le pas à Emmanuel Macron qui appelait à une pause dans l’adoption de réglementations environnementales pour s’atteler à l’application effective des textes existants, tout en appelant néanmoins à poursuivre la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Tout ceci prend du reste place alors que continue de se faire entendre la ritournelle selon laquelle il ne sert à rien de se presser, puisqu’il suffit d’attendre la mise au point de technologies qui nous sauveront la mise…
Ce faisant, ces politiques respectent une longue tradition : la temporisation environnementale. Quand les premiers scientifiques et écologistes ont tiré la sonnette d’alarme climatique, dans les années 1970, l’ensemble des responsables politiques a levé les yeux au ciel… 30 ans de manœuvres dilatoires plus tard, nous avons timidement commencé à prendre des mesures dérisoires… 50 ans après, notre action n’est toujours pas à la hauteur des défis, mais on nous promet que c’est pour demain, tout en nous assurant que le danger, avant tout, c’est d’agir dans la précipitation et, ce faisant, de déstabiliser l’ordre socioéconomique en place. La situation est similaire dans une foule d’autres dossiers. La chute de biodiversité est documentée depuis bien longtemps, de même que l’accumulation de polluants et leur combinaison dans de délétères effets cocktails, ainsi que les effets sur la santé de la combustion de carburants fossiles, ou encore le déséquilibre entre notre consommation de ressources naturelles et leurs capacités de régénération.
Mille sonnettes d’alarme ont été tirées, retirées et re-retirées. Avons-nous réussi à enrayer ne serait-ce qu’un seul de ces problèmes ? Non. Avons-nous mis en œuvre, à un moment quelconque, des moyens à la hauteur de ce que nous indiquait la science, afin de résoudre le moindre de ces problèmes ? Encore non. Pour ne prendre que cet exemple, le 26 mars 2022, notre pays a atteint le « jour du dépassement », auquel il avait épuisé les ressources naturelles renouvelables annuelle et il commençait à manger son capital environnemental. Nous sommes donc dument avertis du fait que, si chaque humain sur Terre avait l’impact du Belge moyen, il nous faudrait plus de quatre planètes pour que notre train de vie soit soutenable. Il est frappant de voir que ceux qui, aujourd’hui, appellent à lever le pied en matière de politiques environnementale et considèrent que nous pouvons continuer de vivre à crédit, sont aussi ceux qui crient haut et fort qu’il n’y a pas d’argent magique, que les États ne peuvent s’endetter sans retenue, voire devraient être contraints de ne présenter que des budgets à l’équilibre. On ne saurait mieux indiquer la hiérarchie des priorités d’une (large) partie du personnel politique.
Force est dès lors de constater que la position de notre premier ministre, de Mme Demir ou encore du président français ne peut raisonnablement être interprétée comme une volonté de tempérer un dangereux empressement collectif à prendre en compte les questions environnementales, mais doit être comprise comme la perpétuation d’un attentisme fondé sur le souci de paraitre se préoccuper de l’environnement plutôt que sur l’ambition de mettre en place des solutions à la mesure du problème. Alors que point la revendication – d’une minorité, pas de panique ! – de rattraper notre retard en mettant les bouchées doubles, resurgit le vieux réflexe : surtout pas trop vite, mesurons les conséquences de nos actes (ceux qui visent à protéger l’environnement, pas ceux qui cherchent à assurer la croissance économique), ne brusquons pas les choses. Il ne s’agit pourtant que de revenir sur des années d’une incurie largement volontaire.
Le paradoxe est que, plus nous attendons, plus la catastrophe est certaine, et plus les mesures à prendre pour l’éviter seront radicales, brutales et potentiellement dangereuses pour nos systèmes économiques et sociaux. Un autre paradoxe est que les inquiétudes d’un personnel politique attentiste semblent fondées sur la crainte de voir notre modèle socioéconomique radicalement modifié par la transition écologique, lors même que tout indique que seul un changement de cap fondamental pourrait nous permettre d’éviter une catastrophe totale.
Ce qui n’est pas pour rassurer, c’est que ce mode de fonctionnement n’est pas propre aux questions environnementales, or, plus large est l’ornière, plus il est difficile de s’en extraire. Par exemple, si on y songe bien, en matière énergétique, la pantalonnade de la sortie du nucléaire se joua sur la même partition. À force de ne pas vouloir brusquer les choses, de refuser de prendre des mesures couteuses ou impopulaires (ou les deux), d’hésiter à mettre les acteurs économiques et les citoyens devant leurs responsabilités, nous avons consciencieusement attendu qu’il soit trop tard, pour enfin gérer le dossier, dans la panique et la confusion. S’accusant mutuellement de tous les maux, les responsables politiques ont pris des décisions relevant du pis-aller, ont tenté de négocier avec un secteur privé peu enthousiaste et en position de force et ont (mal) géré une situation qu’ils avaient contribué à faire pourrir.
Ce mélange d’amateurisme, d’aveuglement, de bêtise (il n’y a pas d’autre mot) et d’incurie a créé un mélange explosif dans un dossier, certes important, mais absolument ridicule au regard de celui des crises environnementales multiples (et enchevêtrées) auxquelles nous sommes confrontés. La question cruciale (depuis des décennies) reste de savoir si nous serons à même de prendre la mesure de ce qui nous menace, de cesser de détourner les yeux, de renoncer à nos fétiches technologiques et d’accepter que la seule solution raisonnable est de compter sur les solutions déjà disponibles et nous coutera cher, notamment en termes de bouleversements socioéconomiques. Mettre la pédale douce ne fera que nous rapprocher du chaos et nous imposer des mesures encore plus problématiques.