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Les tentations de l’impuissance
Le 25 mai, les Belges votent pour renouveler leurs parlements régionaux et fédéraux. Ils sont aussi appelés à participer au scrutin européen. Comme à chaque fois, les qualificatifs ne manquent pas pour dépeindre l’importance de ces rendez-vous et les analyses qui sont données se concentrent souvent sur les coalitions possibles, la perspective d’une nouvelle période d’instabilité pour […]
Le 25 mai, les Belges votent pour renouveler leurs parlements régionaux et fédéraux. Ils sont aussi appelés à participer au scrutin européen. Comme à chaque fois, les qualificatifs ne manquent pas pour dépeindre l’importance de ces rendez-vous et les analyses qui sont données se concentrent souvent sur les coalitions possibles, la perspective d’une nouvelle période d’instabilité pour le pays, les figures de Premier ministre.
L’optique que poursuit ce dossier est différente. Il se propose de resituer l’enjeu belge dans le cadre plus large du débat européen. Nous sommes persuadés que la crise systémique dans laquelle se trouve l’Europe conditionne en grande partie le cadre démocratique belge. Nous sommes aussi inquiets du manque de place que l’Europe trouve dans l’espace public belge. Ce dossier se propose dès lors de bien identifier la spécificité du moment historique où nous nous trouvons. Nous sommes en effet parvenus à la fin d’un cycle historique de la construction européenne et, plus globalement, de l’histoire du cadre à la fois socioéconomique, culturel et écologique de nos sociétés. Bien comprendre les grandes caractéristiques de ce cycle est essentiel pour poser le débat au niveau approprié et construire les stratégies collectives pour avancer. Nous n’avons guère le choix. Comme le montre Pierre Defraigne, sans un renforcement de l’intégration, à commencer par celle de la zone euro, nous ne sommes pas à l’abri d’une répétition des crises de la dette telles que nous les avons vécues autour de 2010. Sans renforcement des solidarités intra-européennes, nous acceptons que l’Europe poursuive son chemin en sacrifiant des dizaines de millions de ses habitants. Ce serait moralement inadmissible et politiquement suicidaire.
On ne l’a pas assez dit, le manque de démocratie européenne est aussi un problème économique. L’inter-gouvernementalisme qui a présidé à la gestion de la crise a non seulement renforcé un sentiment d’illégitimité, il a aussi empêché la construction d’un consensus partagé sur les causes de la crise et sur les remèdes à y apporter. John Pitseys explore ici les facettes multiples de cette crise démocratique qu’il faudra bien finir par prendre en compte. Celle-ci est aussi une crise idéologique, marquée par l’exténuation des projets des principales familles politiques européennes. Le temps est sans doute venu de faire exploser le couple infernal de la raison instrumentale et du néolibéralisme qui ont banni du débat public la discussion idéologique.
À La Revue nouvelle, nous récusons la dictature du « pragmatisme » et du « il faut être concret » qui cache de plus en plus mal la répétition des mêmes politiques qui ont échoué. Nous pensons au contraire que l’idéologie est cruciale pour comprendre la conduite des acteurs et construire leurs projets collectifs. A nos yeux, ce travail culturel est indispensable pour refonder une solidarité sociale qui n’aura sans doute plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était dans les décennies de l’immédiat après-guerre. Il sera long et difficile, et surtout il devra rompre avec la nostalgie des luttes passées qui nous conduit à la répétition des mêmes impasses et au renforcement des logiques dominantes. L’ampleur de la tâche attise les tentations de l’impuissance. Elles sont multiples : du sinistre « il n’y a pas d’alternative » néolibéral à l’espoir d’un « grand soir », préparé par une avant-garde éclairée de nostalgiques honteux des régimes totalitaires, ce qui se répète, interminablement, c’est la domination de l’économisme. C’est aussi l’impression que la réforme n’est plus possible, parce qu’elle n’a plus d’acteurs pour la porter et que le temps long du projet a été écrasé. Nous n’avons pas la prétention de définir ce projet, ce que nous voulons c’est tenter, à notre tout petit niveau de La Revue nouvelle, de mettre en résonance les évolutions et les acteurs, les signaux faibles de nouveaux mouvements et les changements structurels, les mesures politiques possibles et les forces pour les porter. Le chemin est long et nous ignorons où il mène. Mais nous savons qu’il n’y a pas d’autre voie que celle du changement négocié et construit collectivement. Vive la réforme !