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Les tentations de l’impuissance

Numéro 4/5 avril-mai 2014 par Lechat Benoît

mai 2014

Le 25 mai, les Belges votent pour renou­ve­ler leurs par­le­ments régio­naux et fédé­raux. Ils sont aus­si appe­lés à par­ti­ci­per au scru­tin euro­péen. Comme à chaque fois, les qua­li­fi­ca­tifs ne manquent pas pour dépeindre l’importance de ces ren­­dez-vous et les ana­lyses qui sont don­nées se concentrent sou­vent sur les coa­li­tions pos­sibles, la pers­pec­tive d’une nou­velle période d’instabilité pour […]

Le 25 mai, les Belges votent pour renou­ve­ler leurs par­le­ments régio­naux et fédé­raux. Ils sont aus­si appe­lés à par­ti­ci­per au scru­tin euro­péen. Comme à chaque fois, les qua­li­fi­ca­tifs ne manquent pas pour dépeindre l’importance de ces ren­dez-vous et les ana­lyses qui sont don­nées se concentrent sou­vent sur les coa­li­tions pos­sibles, la pers­pec­tive d’une nou­velle période d’instabilité pour le pays, les figures de Pre­mier ministre.

L’optique que pour­suit ce dos­sier est dif­fé­rente. Il se pro­pose de resi­tuer l’enjeu belge dans le cadre plus large du débat euro­péen. Nous sommes per­sua­dés que la crise sys­té­mique dans laquelle se trouve l’Europe condi­tionne en grande par­tie le cadre démo­cra­tique belge. Nous sommes aus­si inquiets du manque de place que l’Europe trouve dans l’espace public belge. Ce dos­sier se pro­pose dès lors de bien iden­ti­fier la spé­ci­fi­ci­té du moment his­to­rique où nous nous trou­vons. Nous sommes en effet par­ve­nus à la fin d’un cycle his­to­rique de la construc­tion euro­péenne et, plus glo­ba­le­ment, de l’histoire du cadre à la fois socioé­co­no­mique, cultu­rel et éco­lo­gique de nos socié­tés. Bien com­prendre les grandes carac­té­ris­tiques de ce cycle est essen­tiel pour poser le débat au niveau appro­prié et construire les stra­té­gies col­lec­tives pour avan­cer. Nous n’avons guère le choix. Comme le montre Pierre Defraigne, sans un ren­for­ce­ment de l’intégration, à com­men­cer par celle de la zone euro, nous ne sommes pas à l’abri d’une répé­ti­tion des crises de la dette telles que nous les avons vécues autour de 2010. Sans ren­for­ce­ment des soli­da­ri­tés intra-euro­péennes, nous accep­tons que l’Europe pour­suive son che­min en sacri­fiant des dizaines de mil­lions de ses habi­tants. Ce serait mora­le­ment inad­mis­sible et poli­ti­que­ment suicidaire.

On ne l’a pas assez dit, le manque de démo­cra­tie euro­péenne est aus­si un pro­blème éco­no­mique. L’inter-gouvernementalisme qui a pré­si­dé à la ges­tion de la crise a non seule­ment ren­for­cé un sen­ti­ment d’illégitimité, il a aus­si empê­ché la construc­tion d’un consen­sus par­ta­gé sur les causes de la crise et sur les remèdes à y appor­ter. John Pit­seys explore ici les facettes mul­tiples de cette crise démo­cra­tique qu’il fau­dra bien finir par prendre en compte. Celle-ci est aus­si une crise idéo­lo­gique, mar­quée par l’exténuation des pro­jets des prin­ci­pales familles poli­tiques euro­péennes. Le temps est sans doute venu de faire explo­ser le couple infer­nal de la rai­son ins­tru­men­tale et du néo­li­bé­ra­lisme qui ont ban­ni du débat public la dis­cus­sion idéologique.

À La Revue nou­velle, nous récu­sons la dic­ta­ture du « prag­ma­tisme » et du « il faut être concret » qui cache de plus en plus mal la répé­ti­tion des mêmes poli­tiques qui ont échoué. Nous pen­sons au contraire que l’idéologie est cru­ciale pour com­prendre la conduite des acteurs et construire leurs pro­jets col­lec­tifs. A nos yeux, ce tra­vail cultu­rel est indis­pen­sable pour refon­der une soli­da­ri­té sociale qui n’aura sans doute plus grand-chose à voir avec ce qu’elle était dans les décen­nies de l’immédiat après-guerre. Il sera long et dif­fi­cile, et sur­tout il devra rompre avec la nos­tal­gie des luttes pas­sées qui nous conduit à la répé­ti­tion des mêmes impasses et au ren­for­ce­ment des logiques domi­nantes. L’ampleur de la tâche attise les ten­ta­tions de l’impuissance. Elles sont mul­tiples : du sinistre « il n’y a pas d’alternative » néo­li­bé­ral à l’espoir d’un « grand soir », pré­pa­ré par une avant-garde éclai­rée de nos­tal­giques hon­teux des régimes tota­li­taires, ce qui se répète, inter­mi­na­ble­ment, c’est la domi­na­tion de l’économisme. C’est aus­si l’impression que la réforme n’est plus pos­sible, parce qu’elle n’a plus d’acteurs pour la por­ter et que le temps long du pro­jet a été écra­sé. Nous n’avons pas la pré­ten­tion de défi­nir ce pro­jet, ce que nous vou­lons c’est ten­ter, à notre tout petit niveau de La Revue nou­velle, de mettre en réso­nance les évo­lu­tions et les acteurs, les signaux faibles de nou­veaux mou­ve­ments et les chan­ge­ments struc­tu­rels, les mesures poli­tiques pos­sibles et les forces pour les por­ter. Le che­min est long et nous igno­rons où il mène. Mais nous savons qu’il n’y a pas d’autre voie que celle du chan­ge­ment négo­cié et construit col­lec­ti­ve­ment. Vive la réforme !

Lechat Benoît


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