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Les neurosciences : les neurones expliquent-ils tout ?
Les sciences et les techniques progressent, même si ce progrès ne s’impose pas toujours comme une évidence heureuse. L’émancipation qu’elles permettent va régulièrement de pair avec une nouvelle domination qu’elles rendent possible. Il faudra bien mesurer l’impact des neurosciences cognitives sur notre compréhension des phénomènes culturels, sociaux, moraux et politiques. Aujourd’hui la recherche dans ces […]
Les sciences et les techniques progressent, même si ce progrès ne s’impose pas toujours comme une évidence heureuse. L’émancipation qu’elles permettent va régulièrement de pair avec une nouvelle domination qu’elles rendent possible. Il faudra bien mesurer l’impact des neurosciences cognitives sur notre compréhension des phénomènes culturels, sociaux, moraux et politiques. Aujourd’hui la recherche dans ces disciplines est certes toujours en cours et leurs conclusions provisoires. Elles ne représentent donc encore qu’un enjeu plutôt qu’un acquis. Mais quel enjeu ! L’ambition naturaliste qui habite cette nouvelle ingénierie de l’esprit est sans doute ce qui s’est passé de plus important dans les sciences humaines au cours des cinquante dernières années. Elle nous donne à comprendre comment la matière peut penser et est assurément la forme la plus aboutie de la naturalisation de la conscience. L’une des remises en cause les plus radicales de ce qui était classiquement considéré comme spécifiquement humain.
Certes, les neurosciences ne constituent pas un corps de connaissances réellement unifiées et on y distingue des courants qui rivalisent entre eux par la plus ou moins grande radicalité de leurs ambitions naturalisatrices de l’humain. Mais elles permettent néanmoins déjà des interventions thérapeutiques inespérées. Elles en annoncent d’autres plus importantes encore pour demain et, en même temps, dépassant le cadre initial de leurs investigations et se proposant d’explorer les fondements physiologiques de nos comportements sociaux, elles bouleversent les représentations que nous nous faisions de nos identités individuelles et collectives, de ce que nous considérions comme nos certitudes ou comme nos valeurs.
C’est que nous sommes ici sur le terrain des techniques d’action des êtres humains sur eux-mêmes, celui où ils prennent de plus en plus résolument en charge leur propre évolution par le biais des connaissances et des instruments d’intervention qu’ils se sont forgés. Cela exige que, d’une manière ou d’une autre, on s’interroge sur le genre d’humanisme que l’on entend promouvoir : quel type de connaissance les neurosciences nous offrent-elles, concernent-elles les moyens ou les fins, que peut-on, à partir d’elles, faire ou ne pas faire, quelles questions ces sciences laissent-elles en suspens ?
Le dossier qui suit propose une exploration de ces différentes questions.
Trois spécialistes des neurosciences cognitives — Xavier Seron, Marc Crommelinck et Axel Cleeremans — s’attachent à spécifier les principaux concepts et les méthodologies qui y sont mises en œuvre, les techniques d’intervention sur le système nerveux qu’elles permettent d’entrevoir, la révision de notre conception de la liberté qu’entrainent les connaissances actuelles au sujet des rapports entre le corps et l’esprit, et la notion de « liberté biologique » qui en découle.
Marc Crommelinck et Xavier Seron en viennent ensuite à la question de la réinscription de la culture dans la nature. S’il existe bien des conditions matérielles à l’existence des phénomènes culturels, la compréhension complète de ces derniers exige néanmoins le recours à d’autres concepts que ceux en usage dans les sciences de la nature. C’est alors — et de manière inattendue — à un neurologue, Georges Bauherz, qu’il revient de « cracher dans la soupe » en posant la question du positionnement politique des neurosciences.
Philosophe quant à lui, Bernard Feltz montre en quoi et comment les théories neuroscientifiques les plus récentes en sont venues à relativiser le déterminisme biologique strict qu’elles avaient adopté initialement.
Mais faut-il avoir peur des neurosciences, demande Karin Rondia ? Médecin spécialisée dans la pédagogie des questions de santé, elle questionne la médicalisation pharmaceutique neuronale d’une société où l’idéologie du bonheur immédiat nous pousse à accroitre nos performances.
Il revient ensuite au psychanalyste Francis Martens de s’interroger sur le pourquoi d’un débat qui n’a pas lieu : celui entre les neurosciences limitées dans leur application par une visée technologiquement pragmatique et sa propre discipline engluée dans des controverses théoriques et identitaires.
Enfin, d’un point de vue sociologique, Albert Bastenier cherche à clarifier certaines questions décisives si l’on veut comprendre pourquoi dans la vie sociale les gens font ce qu’ils font, mais que la révolution cognitive des neurosciences laisse en suspens lorsqu’elles envisagent le « cerveau social » au travers des seules lois biologiques de l’organe cérébral.