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Les chemins de traverse

Numéro 10 Octobre 2007 par Joëlle Kwaschin

octobre 2007

Avec son air de tour de Pise, l’i­ta­lique fait entendre la liber­té et le vaga­bon­dage de l’é­cri­ture manus­crite. Pen­ché vers le monde, il entraine la pen­sée dans l’al­lant de la marche et de la décou­verte. Il divague par les che­mins de tra­verse, comme cette chro­nique « Ita­lique » désor­mais pro­po­sée au lec­teur. Écrite d’un cla­vier léger qui […]

Avec son air de tour de Pise, l’i­ta­lique fait entendre la liber­té et le vaga­bon­dage de l’é­cri­ture manus­crite. Pen­ché vers le monde, il entraine la pen­sée dans l’al­lant de la marche et de la décou­verte. Il divague par les che­mins de tra­verse, comme cette chro­nique « Ita­lique » désor­mais pro­po­sée au lec­teur. Écrite d’un cla­vier léger qui n’ex­clut cepen­dant pas la gra­vi­té, elle est un plu­mard, ce petit balai de plumes de l’an­cien fran­çais qui peut ser­vir à balayer les idées reçues, y com­pris sur son propre seuil et dont rien n’in­ter­dit de la lire confor­ta­ble­ment ados­sé à ses oreillers… Mais gare à la boi­te­rie qui pour­rait pré­dire un mau­vais aloi à la rubrique : il a les jambes ita­liques, disent les typo­graphes dans leur argot.

Son oblique s’op­pose au sérieux carac­tère romain bien droit. L’au­teur peut y recou­rir à sa guise pour mettre de la « cou­leur » et atti­rer l’at­ten­tion. Mais en typo­gra­phie comme en toute chose, la mesure s’im­pose et l’ex­cès nuit : trop d’i­ta­liques écrase la per­ti­nence. La redon­dance est à pros­crire : pas de guille­mets et d’i­ta­liques en même temps. L’i­ta­lique est aus­si ri­gueur : le code typo­gra­phique impose son usage à La Revue nou­velle dans cer­tains cas bien pré­cis. Lors­qu’il est employé dans des cita­tions ita­li­quées, il se fait romain.

Incli­né à l’a­van­cée de ce que l’on appel­le­rait aujourd’­hui la « démo­cra­ti­sa­tion du savoir », le libraire-impri­meur véni­tien Alde Manuce dif­fuse l’« écri­ture huma­nis­tique » qui veut retrou­ver le modèle antique, image de la beau­té par­faite. Dési­reux de repro­duire l’é­cri­ture manus­crite cur­sive qui convient mieux à un for­mat plus petit et moins cou­teux que les cou­rants, il invente, au tout début du xvie siècle, les lettres véni­tiennes appe­lées ensuite ita­liques ou aldines. Basé sur la can­cel­la­res­ca, une écri­ture cou­rante à la chan­cel­le­rie pon­ti­fi­cale, elles gardent la trace de la main. D’a­bord carac­tère d’im­pri­me­rie comme un autre, il est aujourd’­hui un attri­but de caractère.

L’« expres­sionnisme typo­gra­phique » voit dans l’é­lé­gance de l’al­dine et sa proxi­mi­té avec l’é­cri­ture manus­crite le rap­pel de la fémi­ni­té. L’in­ven­ti­vi­té gra­phique voi­sine déci­dé­ment avec le sur­place des sté­réo­types conser­va­teurs : « Écrire le mot “fémi­nin” dans un carac­tère cal­li­gra­phique per­met déjà d’illus­trer le sens du mot. » Bigre, voi­là que le genre sourd d’une graisse d’im­pri­me­rie… En 1964, le gra­phiste Mas­sin, de plain-pied avec les inno­va­tions des sur­réa­listes, crée pour les édi­tions Gal­li­mard une « inter­pré­ta­tion typo­gra­phique » de La can­ta­trice chauve, d’Io­nes­co, où le romain est réser­vé à l’homme tan­dis que la femme parle en italiques.

Ce romain biseau­té et en mou­ve­ment évoque cet avant-gout de voyage cher aux bro­chures tou­ris­tiques qui ne sont jamais à un lieu com­mun près. Ita­lique ne désigne‑t‑il pas l’ap­par­te­nance à l’I­ta­lie antique, dont le droit ita­lique s’im­po­sait aux cités romaines hors d’I­ta­lie et à la langue ita­lique, four­re­tout com­mode pour faire la police dans une série de langues par­lées avant l’ar­ri­vée des Romains, l’osque, l’om­brien… et le latin.

Le Nou­veau Tes­ta­ment connait une « ancienne ver­sion ita­lique » ou « ancienne ita­lique », ver­sion latine des Écri­tures, que saint Jérôme cor­ri­ge­ra en retour­nant aux textes hébreu et grec, don­nant nais­sance à la Vulgate.
La phi­lo­so­phie de Pytha­gore est ita­lique, puis­qu’il vivait dans la par­tie de l’I­ta­lie appe­lée Grande Grèce. Le vieux Mon­sieur Lit­tré qui, depuis 1877, n’a plus mis à jour son dic­tion­naire, a donc conser­vé la trace de sens anciens, ce qui per­met d’é­ta­blir sans conteste que Pytha­gore n’a pu inven­ter son théo­rème que pen­dant les heures ita­liques, ces vingt-quatre heures du jour natu­rel comp­tées entre deux cou­chers de soleil consécutifs.

Dans les che­mins de tra­verse déclives du Lara­gnais, au sud du dépar­te­ment des Hautes Alpes croît une plante rare et pro­té­gée, la scille ita­lique (scil­la ita­li­ca), la jacinthe d’Italie.

Fleur d’un bleu vio­let, n’est-elle pas une manière de clin d’œil sou­riant à l’an­cienne chro­nique « Rose des vents » ?

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie