Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.
Le migrant : le suspect idéal
Le droit à l’aide sociale : le stress test Jean-Charles Stevens Le droit à l’aide sociale est un droit fondamental qui se retrouve tant dans notre Constitution que dans de nombreux textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels, la Charte sociale européenne ou la Charte […]
Le droit à l’aide sociale : le stress test
Jean-Charles Stevens
Le droit à l’aide sociale est un droit fondamental qui se retrouve tant dans notre Constitution que dans de nombreux textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels, la Charte sociale européenne ou la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ce droit est destiné à garantir une vie conforme à la dignité humaine à toute personne. Il doit permettre d’assurer les besoins en alimentation, en logement, en habillement et en soins de santé à ceux pour qui cela s’avère nécessaire. Ce droit est gouverné par trois grands principes : l’universalité, la dignité et l’inconditionnalité.
L’universalité : c’est par ce principe que l’aide sociale est considérée comme un droit fondamental, inaliénable à tout être humain, quelles que soient les caractéristiques qui lui sont éventuellement attachées. Le droit à l’aide sociale est reconnu à tout membre de la communauté humaine, chacun peut le revendiquer.
La dignité : ce principe fixe l’étendue de ce droit. Il ne faut pas uniquement assurer la vie : il est impératif d’assurer une vie digne. Il y a dans le principe de dignité une réelle plus-value, un aspect qualitatif qui impose des obligations aux États qui vont au-delà de la simple survie animale et qui fonde une vie réellement humaine.
L’inconditionnalité : le droit à l’aide sociale comme tout droit fondamental n’a pas d’autre objet que de protéger ceux qui en sont les destinataires. De même que les droits de l’enfant ne protègent que les mineurs d’âge, que les droits de la défense ne protègent que les accusés, le droit à l’aide sociale ne protège que ceux qui sont en état de besoin. Il s’agit d’un droit destiné à ceux qui ne peuvent par leurs propres moyens s’assurer cette vie digne.
Coup d’arrêt à l’universalité
Ces principes supportent-ils un test de résistance ? Examinons si, dans des conditions inhabituelles, ils restent valables. En 1994, la Cour constitutionnelle a été chargée d’examiner si la réduction de l’aide sociale à la seule aide médicale urgente pour les étrangers en séjour illégal était conforme à la Constitution et aux normes internationales pertinentes.
Par un arrêt de principe, la cour a validé la loi contestée. Ce faisant, elle a admis que le droit à l’aide sociale peut être différent selon la nationalité et la régularité du séjour. En rendant cette décision, la cour a considéré que la dignité humaine pouvait être assurée au travers de la délivrance de la seule aide médicale urgente. Elle a également accepté que l’aide sociale puisse être utilisée afin de rendre effectif l’arrêt de la migration.
Cette décision a véritablement ébranlé les fondements de l’aide sociale. Ce sont les principes d’universalité, de dignité humaine et d’inconditionnalité qui ont à cette époque volé en éclats. En acceptant de créer un régime particulier pour les étrangers en séjour illégal, la cour a fait disparaitre le caractère universel du droit à l’aide sociale. En effet, certaines catégories de la population peuvent être privées de certains pans essentiels de cette aide. En réduisant l’aide sociale à la seule aide médicale urgente, c’est le principe de dignité qui a disparu. Nous sommes ainsi passés d’une aide destinée à assurer la dignité humaine à une aide devant permettre de ne pas subir des traitements inhumains. Pour finir, en soumettant l’aide sociale aux impératifs migratoires, c’est l’inconditionnalité de cette aide qui a été rayée.
Cette faille initiale n’a toujours pas été comblée, au contraire. En 2014, il est considéré comme normal que des citoyens européens ou des demandeurs d’asile en séjour légal n’aient droit qu’à l’aide médicale urgente ou que des familles avec enfants mineurs en séjour illégal ne puissent bénéficier d’une aide sociale que dans un centre de retour, pour une durée limitée et pour autant qu’elles collaborent à leur retour.
La faute à l’étranger
Ceux qui pensent que les étrangers sont responsables du démantèlement de l’aide sociale des nationaux ne se trompent pas tout à fait. En effet, c’est en utilisant la catégorie juridique « étrangers » comme un bélier qu’ont été défoncés les principes du droit à l’aide sociale. Par contre, ceux qui, parmi eux, pensent que la réduction des droits des étrangers va sauvegarder leurs acquis sociaux se trompent lourdement. Les restrictions de l’aide aux étrangers ne garantissent nullement que les droits des nationaux seront préservés. Au contraire.
La voie est toute tracée pour qu’à l’avenir, le citoyen belge ne bénéficie plus que d’une aide médicale urgente éventuellement conditionnée à sa collaboration à la réalisation d’un objectif politique quelconque. Les attaques portées aux droits fondamentaux des étrangers sont des atteintes aux droits de tous. En défendant les droits fondamentaux des étrangers, ce sont les droits de tous les citoyens que l’on protège.
Migrations : les objectifs dévoyés de l’information
Martin Lamand
Les atteintes au droit à la vie privée sont décidément de moins en moins exceptionnelles en droit belge. La surveillance, le fichage, etc. forment désormais une constante pour bon nombre d’entre nous, et en particulier pour tous ceux qui, pour une raison quelconque, finissent catalogués comme citoyens de seconde zone.
Les migrants appartiennent dans ce cadre à l’un des publics les plus fragilisés et les plus surveillés. Ils souffrent, au nom de l’omniprésente « lutte contre les abus », mais aussi de la « lutte contre le terrorisme », de mesures de contrôle et de fichage particulièrement drastiques et attentatoires.
Le début du XXIe siècle a ainsi vu la création de plusieurs banques de données européennes les visant tout spécifiquement. Dans le cadre de la mise en place du régime d’asile européen commun et du système dit « Dublin » sont apparus des systèmes de collectes d’information (SIS, SIS II), des banques de données biométriques, tel le système VIS, qui recueille les données biométriques de tout qui postule pour un visa de court séjour pour l’espace Schengen, ou encore le système Eurodac. Ces fichiers contiennent, ensemble, des dizaines de millions de références.
Eurodac ? Pas vraiment d’ac’!
Le système Eurodac, en particulier, est la banque de données la plus importante en ce qui concerne les demandeurs d’asile et les migrants sans titre de séjour au sein de l’Union.
Il s’agit d’un système de récolte, de conservation et de partage de données biométriques des migrants, intégré au droit de l’UE et opérationnel depuis janvier 2003. Son objectif originel était officiellement de faciliter l’identification des migrants dans le cadre des procédures « Dublin » qui permettent de déterminer l’État membre responsable d’une demande d’asile et de transférer, si nécessaire, le demandeur vers cet État.
Eurodac se présente sous la forme d’une base de données informatisée, d’une entité centrale en charge de la gestion de cette base de données et de moyens de transmission de données entre l’entité centrale et les entités en charge de ces informations. L’ensemble a fait l’objet, en 2013, d’une refonte complète dont la mesure essentielle est tout à fait symptomatique de l’air du temps.
Adoptée contre l’avis du contrôleur européen de la protection des données, cette modification a ouvert les portes du fichier aux services d’Europol et à certaines autorités répressives issues des États membres, au mépris de l’objectif originel d’Eurodac.
Depuis longtemps déjà, divers acteurs de la société civile dénoncent eux aussi avec force le risque de dévoiement des systèmes de fichage, soi-disant non répressifs, et la possibilité dangereuse de leur extension future. Il ne s’agit donc que d’une confirmation, mais elle ne laisse pas d’inquiéter.
Bien évidemment, le principe même du fichage, et donc l’existence d’Eurodac, est hautement contestable en soi, puisqu’il est par nature constitutif d’une violation du droit des migrants au respect de leur vie privée. C’est d’autant plus exact que la confrontation de données biométriques est aujourd’hui loin d’être absolument fiable. En effet, d’après les chiffres de l’Union européenne elle-même, le taux de transmissions rejetées au sein d’Eurodac est supérieur à 7%.
Mais au-delà du fichage en général, celui du migrant pose des questions plus spécifiques, surtout lorsque l’on étend les possibilités de consultation de la banque de données.
Le migrant, ce criminel en puissance
En premier lieu, le risque de voir ses données transmises aux autorités de son pays d’origine peut effrayer plus d’un migrant et faire renoncer des persécutés à une demande d’asile légitime. Dans certains pays d’Afrique, effectivement, les autorités considèrent que les demandeurs d’asile jettent le discrédit sur leur pays. Elles punissent donc sévèrement ceux qui, une fois déboutés, sont renvoyés d’où ils étaient partis. Or, le risque de transmission d’informations est d’autant plus grand que le nombre de personnes habilitées à consulter le fichier est élevé.
D’autre part, le fichage, en particulier s’il est mis en lien avec les instances répressives, stigmatise les migrants et entraine une hausse des discriminations qu’ils subissent en les mettant sur pied d’égalité avec les « pires criminels ». De plus, l’existence d’une banque de données est de nature à créer un appel d’air et donc à multiplier les contrôles en vue de récolter plus d’informations. Ce qui entrainera une stigmatisation de ceux dont l’apparence laisse à penser que peut-être…
Par ailleurs, l’obligation d’introduction des données biométriques dans la base de données Eurodac peut entrainer de fâcheuses conséquences pour celui qui se défend légitimement contre ces procédures de fichage ou pour celui qui, par exemple, ne dispose plus d’empreintes lisibles.
Surveiller pour punir
Bref, l’élargissement des possibilités de consultation d’Eurodac s’inscrit dans une double perspective de criminalisation toujours accrue des migrants et d’approfondissement perpétuel des mesures de surveillance à l’égard de tous.
Ces deux dimensions d’une même politique sécuritaire systématiquement plus radicale nous semblent de nature à mettre en danger le respect des droits humains dans notre pays, alors que les dérives y sont déjà nombreuses.
Il semble qu’il s’agisse plus que jamais, à la suite du nouvel accord de gouvernement, de surveiller et de punir. De surveiller pour punir.
Et dans le cas des migrants, la punition prend souvent la forme d’un retour dans le pays d’origine, un retour de plus en plus automatique et indépendant des situations particulières et de l’état des droits dans ce pays…
Il ne s’agit pas d’un projet de société qui puisse emporter notre adhésion.