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Le migrant : le suspect idéal

Numéro 2 - 2015 par Martin Lamand StevensJean-Charles

mars 2015

Le droit à l’aide sociale : le stress test Jean-Charles Ste­vens Le droit à l’aide sociale est un droit fon­da­men­tal qui se retrouve tant dans notre Consti­tu­tion que dans de nom­breux textes inter­na­tio­naux tels que la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’Homme, le Pacte inter­na­tio­nal des droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels, la Charte sociale euro­péenne ou la Charte […]

Dossier

Le droit à l’aide sociale : le stress test

Jean-Charles Ste­vens

Le droit à l’aide sociale est un droit fon­da­men­tal qui se retrouve tant dans notre Consti­tu­tion que dans de nom­breux textes inter­na­tio­naux tels que la Décla­ra­tion uni­ver­selle des droits de l’Homme, le Pacte inter­na­tio­nal des droits éco­no­miques, sociaux et cultu­rels, la Charte sociale euro­péenne ou la Charte des droits fon­da­men­taux de l’Union euro­péenne. Ce droit est des­ti­né à garan­tir une vie conforme à la digni­té humaine à toute per­sonne. Il doit per­mettre d’assurer les besoins en ali­men­ta­tion, en loge­ment, en habille­ment et en soins de san­té à ceux pour qui cela s’avère néces­saire. Ce droit est gou­ver­né par trois grands prin­cipes : l’universalité, la digni­té et l’inconditionnalité.

L’universalité : c’est par ce prin­cipe que l’aide sociale est consi­dé­rée comme un droit fon­da­men­tal, inalié­nable à tout être humain, quelles que soient les carac­té­ris­tiques qui lui sont éven­tuel­le­ment atta­chées. Le droit à l’aide sociale est recon­nu à tout membre de la com­mu­nau­té humaine, cha­cun peut le revendiquer.

La digni­té : ce prin­cipe fixe l’étendue de ce droit. Il ne faut pas uni­que­ment assu­rer la vie : il est impé­ra­tif d’assurer une vie digne. Il y a dans le prin­cipe de digni­té une réelle plus-value, un aspect qua­li­ta­tif qui impose des obli­ga­tions aux États qui vont au-delà de la simple sur­vie ani­male et qui fonde une vie réel­le­ment humaine.

L’inconditionnalité : le droit à l’aide sociale comme tout droit fon­da­men­tal n’a pas d’autre objet que de pro­té­ger ceux qui en sont les des­ti­na­taires. De même que les droits de l’enfant ne pro­tègent que les mineurs d’âge, que les droits de la défense ne pro­tègent que les accu­sés, le droit à l’aide sociale ne pro­tège que ceux qui sont en état de besoin. Il s’agit d’un droit des­ti­né à ceux qui ne peuvent par leurs propres moyens s’assurer cette vie digne.

Coup d’arrêt à l’universalité

Ces prin­cipes sup­portent-ils un test de résis­tance ? Exa­mi­nons si, dans des condi­tions inha­bi­tuelles, ils res­tent valables. En 1994, la Cour consti­tu­tion­nelle a été char­gée d’examiner si la réduc­tion de l’aide sociale à la seule aide médi­cale urgente pour les étran­gers en séjour illé­gal était conforme à la Consti­tu­tion et aux normes inter­na­tio­nales pertinentes.

Par un arrêt de prin­cipe, la cour a vali­dé la loi contes­tée. Ce fai­sant, elle a admis que le droit à l’aide sociale peut être dif­fé­rent selon la natio­na­li­té et la régu­la­ri­té du séjour. En ren­dant cette déci­sion, la cour a consi­dé­ré que la digni­té humaine pou­vait être assu­rée au tra­vers de la déli­vrance de la seule aide médi­cale urgente. Elle a éga­le­ment accep­té que l’aide sociale puisse être uti­li­sée afin de rendre effec­tif l’arrêt de la migration.

Cette déci­sion a véri­ta­ble­ment ébran­lé les fon­de­ments de l’aide sociale. Ce sont les prin­cipes d’universalité, de digni­té humaine et d’inconditionnalité qui ont à cette époque volé en éclats. En accep­tant de créer un régime par­ti­cu­lier pour les étran­gers en séjour illé­gal, la cour a fait dis­pa­raitre le carac­tère uni­ver­sel du droit à l’aide sociale. En effet, cer­taines caté­go­ries de la popu­la­tion peuvent être pri­vées de cer­tains pans essen­tiels de cette aide. En rédui­sant l’aide sociale à la seule aide médi­cale urgente, c’est le prin­cipe de digni­té qui a dis­pa­ru. Nous sommes ain­si pas­sés d’une aide des­ti­née à assu­rer la digni­té humaine à une aide devant per­mettre de ne pas subir des trai­te­ments inhu­mains. Pour finir, en sou­met­tant l’aide sociale aux impé­ra­tifs migra­toires, c’est l’inconditionnalité de cette aide qui a été rayée.

Cette faille ini­tiale n’a tou­jours pas été com­blée, au contraire. En 2014, il est consi­dé­ré comme nor­mal que des citoyens euro­péens ou des deman­deurs d’asile en séjour légal n’aient droit qu’à l’aide médi­cale urgente ou que des familles avec enfants mineurs en séjour illé­gal ne puissent béné­fi­cier d’une aide sociale que dans un centre de retour, pour une durée limi­tée et pour autant qu’elles col­la­borent à leur retour.

La faute à l’étranger

Ceux qui pensent que les étran­gers sont res­pon­sables du déman­tè­le­ment de l’aide sociale des natio­naux ne se trompent pas tout à fait. En effet, c’est en uti­li­sant la caté­go­rie juri­dique « étran­gers » comme un bélier qu’ont été défon­cés les prin­cipes du droit à l’aide sociale. Par contre, ceux qui, par­mi eux, pensent que la réduc­tion des droits des étran­gers va sau­ve­gar­der leurs acquis sociaux se trompent lour­de­ment. Les res­tric­tions de l’aide aux étran­gers ne garan­tissent nul­le­ment que les droits des natio­naux seront pré­ser­vés. Au contraire.

La voie est toute tra­cée pour qu’à l’avenir, le citoyen belge ne béné­fi­cie plus que d’une aide médi­cale urgente éven­tuel­le­ment condi­tion­née à sa col­la­bo­ra­tion à la réa­li­sa­tion d’un objec­tif poli­tique quel­conque. Les attaques por­tées aux droits fon­da­men­taux des étran­gers sont des atteintes aux droits de tous. En défen­dant les droits fon­da­men­taux des étran­gers, ce sont les droits de tous les citoyens que l’on protège.


Migrations : les objectifs dévoyés de l’information

Mar­tin Lamand

Les atteintes au droit à la vie pri­vée sont déci­dé­ment de moins en moins excep­tion­nelles en droit belge. La sur­veillance, le fichage, etc. forment désor­mais une constante pour bon nombre d’entre nous, et en par­ti­cu­lier pour tous ceux qui, pour une rai­son quel­conque, finissent cata­lo­gués comme citoyens de seconde zone.

Les migrants appar­tiennent dans ce cadre à l’un des publics les plus fra­gi­li­sés et les plus sur­veillés. Ils souffrent, au nom de l’omniprésente « lutte contre les abus », mais aus­si de la « lutte contre le ter­ro­risme », de mesures de contrôle et de fichage par­ti­cu­liè­re­ment dras­tiques et attentatoires.

Le début du XXIe siècle a ain­si vu la créa­tion de plu­sieurs banques de don­nées euro­péennes les visant tout spé­ci­fi­que­ment. Dans le cadre de la mise en place du régime d’asile euro­péen com­mun et du sys­tème dit « Dublin » sont appa­rus des sys­tèmes de col­lectes d’information (SIS, SIS II), des banques de don­nées bio­mé­triques, tel le sys­tème VIS, qui recueille les don­nées bio­mé­triques de tout qui pos­tule pour un visa de court séjour pour l’espace Schen­gen, ou encore le sys­tème Euro­dac. Ces fichiers contiennent, ensemble, des dizaines de mil­lions de références.

Euro­dac ? Pas vrai­ment d’ac’!

Le sys­tème Euro­dac, en par­ti­cu­lier, est la banque de don­nées la plus impor­tante en ce qui concerne les deman­deurs d’asile et les migrants sans titre de séjour au sein de l’Union.

Il s’agit d’un sys­tème de récolte, de conser­va­tion et de par­tage de don­nées bio­mé­triques des migrants, inté­gré au droit de l’UE et opé­ra­tion­nel depuis jan­vier 2003. Son objec­tif ori­gi­nel était offi­ciel­le­ment de faci­li­ter l’identification des migrants dans le cadre des pro­cé­dures « Dublin » qui per­mettent de déter­mi­ner l’État membre res­pon­sable d’une demande d’asile et de trans­fé­rer, si néces­saire, le deman­deur vers cet État.

Euro­dac se pré­sente sous la forme d’une base de don­nées infor­ma­ti­sée, d’une enti­té cen­trale en charge de la ges­tion de cette base de don­nées et de moyens de trans­mis­sion de don­nées entre l’entité cen­trale et les enti­tés en charge de ces infor­ma­tions. L’ensemble a fait l’objet, en 2013, d’une refonte com­plète dont la mesure essen­tielle est tout à fait symp­to­ma­tique de l’air du temps.

Adop­tée contre l’avis du contrô­leur euro­péen de la pro­tec­tion des don­nées, cette modi­fi­ca­tion a ouvert les portes du fichier aux ser­vices d’Europol et à cer­taines auto­ri­tés répres­sives issues des États membres, au mépris de l’objectif ori­gi­nel d’Eurodac.

Depuis long­temps déjà, divers acteurs de la socié­té civile dénoncent eux aus­si avec force le risque de dévoie­ment des sys­tèmes de fichage, soi-disant non répres­sifs, et la pos­si­bi­li­té dan­ge­reuse de leur exten­sion future. Il ne s’agit donc que d’une confir­ma­tion, mais elle ne laisse pas d’inquiéter.

Bien évi­dem­ment, le prin­cipe même du fichage, et donc l’existence d’Eurodac, est hau­te­ment contes­table en soi, puisqu’il est par nature consti­tu­tif d’une vio­la­tion du droit des migrants au res­pect de leur vie pri­vée. C’est d’autant plus exact que la confron­ta­tion de don­nées bio­mé­triques est aujourd’hui loin d’être abso­lu­ment fiable. En effet, d’après les chiffres de l’Union euro­péenne elle-même, le taux de trans­mis­sions reje­tées au sein d’Eurodac est supé­rieur à 7%.

Mais au-delà du fichage en géné­ral, celui du migrant pose des ques­tions plus spé­ci­fiques, sur­tout lorsque l’on étend les pos­si­bi­li­tés de consul­ta­tion de la banque de données.

Le migrant, ce cri­mi­nel en puissance

En pre­mier lieu, le risque de voir ses don­nées trans­mises aux auto­ri­tés de son pays d’origine peut effrayer plus d’un migrant et faire renon­cer des per­sé­cu­tés à une demande d’asile légi­time. Dans cer­tains pays d’Afrique, effec­ti­ve­ment, les auto­ri­tés consi­dèrent que les deman­deurs d’asile jettent le dis­cré­dit sur leur pays. Elles punissent donc sévè­re­ment ceux qui, une fois débou­tés, sont ren­voyés d’où ils étaient par­tis. Or, le risque de trans­mis­sion d’informations est d’autant plus grand que le nombre de per­sonnes habi­li­tées à consul­ter le fichier est élevé.

D’autre part, le fichage, en par­ti­cu­lier s’il est mis en lien avec les ins­tances répres­sives, stig­ma­tise les migrants et entraine une hausse des dis­cri­mi­na­tions qu’ils subissent en les met­tant sur pied d’égalité avec les « pires cri­mi­nels ». De plus, l’existence d’une banque de don­nées est de nature à créer un appel d’air et donc à mul­ti­plier les contrôles en vue de récol­ter plus d’informations. Ce qui entrai­ne­ra une stig­ma­ti­sa­tion de ceux dont l’apparence laisse à pen­ser que peut-être…

Par ailleurs, l’obligation d’introduction des don­nées bio­mé­triques dans la base de don­nées Euro­dac peut entrai­ner de fâcheuses consé­quences pour celui qui se défend légi­ti­me­ment contre ces pro­cé­dures de fichage ou pour celui qui, par exemple, ne dis­pose plus d’empreintes lisibles.

Sur­veiller pour punir

Bref, l’élargissement des pos­si­bi­li­tés de consul­ta­tion d’Eurodac s’inscrit dans une double pers­pec­tive de cri­mi­na­li­sa­tion tou­jours accrue des migrants et d’approfondissement per­pé­tuel des mesures de sur­veillance à l’égard de tous.

Ces deux dimen­sions d’une même poli­tique sécu­ri­taire sys­té­ma­ti­que­ment plus radi­cale nous semblent de nature à mettre en dan­ger le res­pect des droits humains dans notre pays, alors que les dérives y sont déjà nombreuses.

Il semble qu’il s’agisse plus que jamais, à la suite du nou­vel accord de gou­ver­ne­ment, de sur­veiller et de punir. De sur­veiller pour punir.

Et dans le cas des migrants, la puni­tion prend sou­vent la forme d’un retour dans le pays d’origine, un retour de plus en plus auto­ma­tique et indé­pen­dant des situa­tions par­ti­cu­lières et de l’état des droits dans ce pays…

Il ne s’agit pas d’un pro­jet de socié­té qui puisse empor­ter notre adhésion.

Martin Lamand


Auteur

StevensJean-Charles


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