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Le gouvernement belge, complice de Poutine ?
Le gouvernement russe, dirigé par Vladimir Poutine, mène en Ukraine une guerre qui s’inspire des stratégies déjà expérimentées dans d’autres conflits (notamment en Syrie). Deux éléments au moins sont à pointer ici : d’abord un discours de propagande interne inversant les rôles de victimes et de bourreaux ; ensuite des exactions particulièrement atroces visant à traumatiser durablement les populations […]
Le gouvernement russe, dirigé par Vladimir Poutine, mène en Ukraine une guerre qui s’inspire des stratégies déjà expérimentées dans d’autres conflits (notamment en Syrie). Deux éléments au moins sont à pointer ici : d’abord un discours de propagande interne inversant les rôles de victimes et de bourreaux ; ensuite des exactions particulièrement atroces visant à traumatiser durablement les populations ukrainiennes, afin de les démobiliser et d’éviter toute tentative ultérieure de soulèvement.
La première dimension est absolument transparente dans plusieurs interventions de Poutine, qui n’hésite pas à présenter les manœuvres en Ukraine comme une « dénazification », prenant appui sur l’activité de quelques groupuscules néonazis et des célèbres « bataillons Azov » pour généraliser la problématique à l’ensemble du monde politique et de la société ukrainienne. Il faut noter que la presse officielle russe regorge d’analyses qui corroborent cette vision et tentent de la fonder, au prix de mensonges historiques parfois grotesques1. De manière remarquable, Poutine inscrit cette « dénazification » de l’Ukraine à l’intérieur d’une entreprise plus large de « guerre civilisationnelle » : il s’agit de défendre un modèle « authentiquement russe » face à l’Occident corrompu, où triompheraient la « théorie du genre » et la « cancel culture »2.
Le second aspect, la politique de terreur, devient de plus en plus évident à mesure que sont révélées des atteintes graves aux populations civiles, comme dans le cas du massacre de Boutcha, attesté tant par des témoins directs, que par plusieurs organes de presse présents sur place et des ONG indépendantes — au premier rang desquelles Human Right Watch.
Face à ces deux éléments stratégiques, la réponse européenne et belge en particulier est d’une faiblesse déconcertante. Et ce n’est pas forcément au niveau des sanctions internationales ou du soutien militaire que cette faiblesse est patente : c’est de l’accueil des populations victimes de cette guerre que nous parlerons ici.
Bien sûr, le Conseil de l’Union européenne a mis en place un statut de protection temporaire dès le 4 mars. Mais que permet ce statut ? Un accueil le temps du conflit. Or qui peut dire, à l’heure actuelle, combien de temps ce conflit va durer et quelle en sera l’issue ? On se souviendra des expulsions forcées des réfugié·es de la guerre des Balkans lorsque le gouvernement belge, à l’issue de celle-ci, avait décidé unilatéralement de retirer la protection temporaire de milliers de personnes, jugeant la situation stabilisée. Si le gouvernement belge a rapidement adopté (dès le Conseil des ministres du 11 mars) des dispositions facilitant l’accès au marché du travail pour les réfugié·es sous statut de protection temporaire, il n’a en revanche donné aucun gage sur la durée du séjour légal sur le territoire.
Pourtant, rien n’empêche en réalité de reconnaitre un véritable statut de réfugié·es, au-delà de la protection temporaire. Et la chose pourrait tout à fait être très générale : en effet, la Belgique pourrait considérer qu’au vu de ce que l’on sait de cette guerre et notamment des exactions (que par ailleurs le gouvernement belge condamne en usant d’un lexique des plus virulents), il n’y a pas besoin de démontrer l’existence d’une menace individuelle pesant sur chacune des personnes fuyant ce conflit. Il existe un outil simple pour ce faire : la protection subsidiaire, qui implique pour le.la candidat·e réfugié·e de prouver qu’un climat général de violence existe dans son pays d’origine. Ce qui, en l’occurrence, n’est pas très compliqué — il suffit d’allumer n’importe quelle chaine d’information en continu pour s’en rendre compte.
L’avantage d’un véritable statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, c’est que les personnes concernées décideront elles-mêmes si elles veulent repartir de Belgique et le cas échéant, quand elles le feront. C’est la seule voie qui permette, en réalité, aux réfugié·es d’avoir une véritable chance de se reconstruire après avoir dû tout quitter. Ce n’est pas le choix posé aujourd’hui par notre gouvernement, ce qui démontre déjà à l’envi la faiblesse de l’accueil belge.
Mais il y a pire : comme le confirmait le secrétaire d’État Sammy Mahdi le 7 avril, la protection temporaire n’est accordée qu’aux seul·es ressortissant·es ukrainien·nes. Toutes les personnes qui résidaient sur le territoire sans avoir la nationalité ukrainienne subissent un « traitement au cas par cas » par l’Office des étrangers. Notons que des pays européens comme l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, etc., ont refusé d’opérer un tel tri. La politique de la Belgique est ici délibérément restrictive.
Parmi celleux-ci, de nombreux·euses étudiant·es qui étudiaient dans les universités ukrainiennes sont aujourd’hui soit sous la menace d’un renvoi dans leur pays d’origine soit d’ores et déjà expulsé·es. La Belgique a les moyens de les accueillir dans ses universités, mais elle ne bougera donc pas… même si le renvoi dans leur pays d’origine signifie pour elleux la fin de leurs projets d’études. Le seul critère qui préside au renvoi est en effet : la situation du pays d’origine est-elle jugée stable par les autorités belges ? Si, pour les autorités belges, aucun risque mortel ne guette, ce renvoi est donc automatique, sans autre forme de procès.
Comme le soulève le Mrax, plusieurs résident·es permanent.es témoignent de difficultés avec l’Office des étrangers, qui différencie leur traitement de celui de leurs proches de nationalité ukrainienne avec qui ils sont parfois arrivés en Belgique. La différenciation, en pratique, consiste en l’isolement de certain·es (il y a d’ailleurs une file « ad hoc » au centre du Heysel) et la séparation de toutes les personnes qui n’ont pas officialisé leurs liens. Autrement dit, la Belgique est en train de séparer des couples et des familles. Il faut le répéter, car la chose est énorme : la Belgique est en train de séparer des couples et des familles qui fuient l’horreur des combats, qui ont parfois tout perdu, qui cherchent un refuge sur notre territoire.
Mais tout cela, « c’est logique », assurait Sammy Mahdi à la Chambre le 7 avril, qui notait d’ailleurs qu’en matière d’accueil de ces ressortissant·es de pays tiers « beaucoup de pays européens vont trop loin, à mon avis ».
Précisons un élément de contexte : pour les personnes racisées, le voyage a été, on le sait, extrêmement éprouvant. Au passage de la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, elles ont été victimes de nombreuses violences verbales et physiques, dont la presse européenne s’est d’ailleurs émue. Ce sont des personnes particulièrement fragilisées qui arrivent sur le territoire belge où elles sont confrontées à une administration particulièrement tatillonne à leur égard, sans doute histoire « de ne pas aller trop loin » en matière d’accueil.
Évidemment — faut-il le préciser ? — la Belgique n’a, contrairement à d’autres pays comme la Suède ou l’Allemagne, pris aucune mesure proactive pour accueillir les réfugié.es politiques russes, notamment les universitaires, journalistes et artistes qui ont fui la Russie par milliers, craignant les « purges » dont Vladimir Poutine ne fait plus secret.
Revenons sur les deux éléments clés de la stratégie russe dans cette guerre. D’une part l’inversion des rôles, dans une dynamique parfaitement orwellienne, servant de base à la promotion d’un nationalisme autoritaire rejetant les modèles démocratiques et les avancées sociales. D’autre part, une politique de démoralisation des Ukrainien·nes par la terreur. Sur ces deux points, la politique d’asile de la Belgique fait parfaitement le jeu du Kremlin.
Non seulement elle renforce et aiguise les traumatismes, n’offre aucune garantie de stabilité et de reconstruction à long terme, mais pire encore, elle se présente comme étant particulièrement empathique et ouverte, le secrétaire d’État ne manquant d’ailleurs pas de s’auto-congratuler devant les parlementaires, dans une logique là aussi parfaitement orwellienne.
Plusieurs de nos collègues ukrainien.nes le soulignaient dès les premiers temps du conflit3 : l’objectif du Kremlin n’est pas uniquement une conquête territoriale. Il vise aussi au triomphe d’un modèle de société illibérale, construit sur le rejet de tout ce qui fait le progrès social et fonde le projet démocratique, de la reconnaissance des minorités à la liberté d’expression, de la liberté politique à l’égalité entre les humain·es. Sur ce point au moins, on ne peut laisser Poutine gagner.
- Voir, par exemple, le texte de Youri Jdanov, « Pourquoi le nazisme a ressuscité en Ukraine, et pas en Allemagne ».
- Notons que si ces deux derniers éléments de langage résonnent avec le discours d’organisations politiques de droite radicale et d’extrême droite européenne, ce n’est pas un hasard, les liens entre celles-ci et le Kremlin étant déjà connus et documentés. Par exemple Vaissié C., Les Réseaux du Kremlin en France, Les Petits Matins, 2016.
- Voir en particulier : Bilous T., « A letter to the western Left from Kyiv », Eurozine.