Le politique a toujours cherché à subjuguer le peuple. Longtemps, ce fut par les pompes entourant le pouvoir, la magnificence écrasante des châteaux, le tonitruant vacarme des trompettes et le port de talons démesurés. L’avènement de la démocratie changea ces codes, obligeant à davantage de sobriété. Certes, l’État continuait d’afficher sa grandeur par des constructions disproportionnées et un décorum renouvelé, mais les hommes d’État, simples primum inter pares, se contentaient de redingotes et de (...)
Le politique a toujours cherché à subjuguer le peuple. Longtemps, ce fut par les pompes entourant le pouvoir, la magnificence écrasante des châteaux, le tonitruant vacarme des trompettes et le port de talons démesurés. L’avènement de la démocratie changea ces codes, obligeant à davantage de sobriété. Certes, l’État continuait d’afficher sa grandeur par des constructions disproportionnées et un décorum renouvelé, mais les hommes d’État, simples primum inter pares, se contentaient de redingotes et de hauts-de-forme.
Les costumes chamarrés furent cependant remplacés par le charisme. Il en fallait pour parler sans microphone à des foules. Et plus la démocratie comptait d’électeurs, plus cette qualité était vitale. Discours enflammés, langue châtiée, envolées lyriques et, surtout, présence !
Bien sûr, le charisme ne pouvait suffire et il devait se doubler d’idées. Les Temps Modernes étaient ceux du progrès, des grandes visées humaines, des lendemains qui chantent. Le politique invitait le citoyen à se projeter dans un futur neuf ou rénové, à imaginer un monde différent ou restauré ; le discours politique était affaire de projection.
Progressivement, cependant, on se rendit compte que, les médias se développant, il devenait de plus en plus aisé de se reposer sur le seul charisme. Quelques discours creux, de vagues promesses, des strass et des confettis, voilà qui faisait parfaitement l’affaire. N’ayant rien annoncé d’autre que la venue au pouvoir de l’homme charismatique, on s’épargnait la gueule de bois des lendemains qui déchantent. Certes, on restait l’apôtre du peuple ou le chantre de la liberté, on incarnait la force tranquille ou le retour du cœur, mais sans plus. L’homme d’État avait fait place au politicien.
Celui-ci restait pourtant un être d’exception, celui dont, on ne sait trop pourquoi, on était enchanté d’avoir serré la main, celui qui imposait le silence et le respect par sa seule présence, celui qui restait si simple en nous faisant sentir combien il n’était pas réellement des nôtres. Ces tribuns sans discours, vendus au peuple à coup de stratégies de com’ et d’interventions télévisuelles de quelques secondes, régnaient sans partage.
Pourtant, nombreux furent ceux à ne pas s’en satisfaire. Ils dénonçaient le règne de la séduction, le miroir aux alouettes d’une politique impuissante capitalisant sur le racolage, la médiocrité intellectuelle de belles gueules incapables de sortir de leurs petites phrases assassines ou encore l’ennui profond d’un paysage politique indistinct, façonné par les stratégies communicationnelles et non par les projets de société.
Avaient-ils tort ? Sans doute pas entièrement. Heureusement, une nouvelle ère s’ouvre. Le retour des idées ? Certes non. Pour quoi faire ? Le pouvoir politique n’a plus du pouvoir que le nom, à quoi des projets et des idéologies pourraient-ils bien servir ? Il est simplement apparu que le charisme était fort peu utile. Ainsi, en France, après un président qui essaya d’imposer son vide intérieur en s’appuyant sur son aisance de nouveau riche, les électeurs se tournèrent-ils vers un homme calculateur et opportuniste, mais d’une platitude désespérante. Cherchaient-ils un écho à leur propre désespoir ? Furent-ils séduits de se reconnaître en cet homme ? Préférèrent-ils rêver un pouvoir à leur image plutôt qu’un avenir où eux seraient à l’image des puissants ? Je ne pourrais dire.
Toujours est-il que, chez nous aussi, cette évolution est en marche. Elle est, il faut bien le reconnaître, largement servie par l’arrivée d’hommes neufs. Ceux-là sont les fils des précédents. Ceux-là, plutôt que de tracer leur propre route et de devenir professeur, boulanger ou garagiste ont mis leurs pas dans ceux de leur père, reprenant son commerce avec l’électeur. N’étant pas contraints d’arriver au sommet à la sueur de leur front, ils purent se satisfaire de leur aura d’employé de bureau et de leur imagination de clerc de notaire. Plus de charisme et certainement pas d’idées, une nouvelle génération est aujourd’hui à pied d’œuvre. Elle n’a d’autre ambition que de gérer la chose publique en bon père de famille et de rester en place, incapable qu’elle est d’imaginer autre chose.
Il faut nous en féliciter, les idéologies sont trop douloureuses, elles nous déçoivent toujours ; les grands hommes sont trop frustrants, ils nous manquent quand ils meurent. Revoyez le reportage d’Henri Storck sur les obsèques d’Émile Vandervelde ; est-ce là ce que nous voulons : cette affliction, ces cortèges, ces discours ? Mille fois non, nous voulons que nos politiciens meurent d’une douce euthanasie dans leur maison de retraite, entourés de nos projets et de nos grandes idées sur l’avenir de l’humanité. Une douce torpeur, voilà tout ce à quoi nous aspirons.
Photo : Chr. Mincke