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Le capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty
La répartition des richesses est l’une des questions les plus débattues du moment. D’ailleurs, se passe-t-il un jour sans que l’actualité ne vienne nous rappeler les écarts grandissants de revenus et de patrimoines et ne nous fasse prendre conscience de ce lien social qui s’effiloche ? Nous apprenons ainsi qu’aux États-Unis, le pourcentage le plus riche […]
La répartition des richesses est l’une des questions les plus débattues du moment. D’ailleurs, se passe-t-il un jour sans que l’actualité ne vienne nous rappeler les écarts grandissants de revenus et de patrimoines et ne nous fasse prendre conscience de ce lien social qui s’effiloche ? Nous apprenons ainsi qu’aux États-Unis, le pourcentage le plus riche a capté 95 % des gains de la reprise économique. Pour les autres 99 % de la population, le revenu a plongé de 12 % et ne s’est amélioré que de 0,4 % depuis le retour de la croissance. Dans l’Hexagone, ce sont 10 % des Français qui possèdent 60 à 65 % du patrimoine national alors que 50 % d’entre eux ne possèdent rien. S’affrontent ainsi « retraites chapeaux » et plans de restructuration, paradis fiscaux et minimas sociaux.
Pour tenter d’expliquer ce phénomène à l’ampleur croissante et offrir quelques perspectives pour y apporter des solutions, plusieurs ouvrages éclairants ont été publiés récemment.
La Revue nouvelle avait en avril 2012 rendu compte du livre de Pierre Rosanvallon, La société des égaux, sous la plume de Paul Géradin, ouvrage dans lequel l’historien français soulevait le fait que nos sociétés démocratiques se trouvaient démantelées par la démission face à l’inégalité, après cet âge d’or consistant en une « révolution de la redistribution » et cela après les deux conflits mondiaux.
En 2012 paraissait également La mondialisation de l’inégalité, de François Bourguignon. L’ancien économiste en chef de la Banque mondiale y analyse ce paradoxe selon lequel la mondialisation substitue un surcroit d’inégalité au sein des nations à l’inégalité internationale, les écarts entre pays n’ayant cessé de se réduire tout au long du XXe siècle.
Face aux soubresauts du monde, de l’Égypte du Printemps arabe au mouvement Occupy Wall Street, Joseph Stiglitz fera paraitre Le prix de l’inégalité. Son ouvrage traite néanmoins essentiellement des causes des inégalités aux États-Unis, notamment la mondialisation, qui favorise le capital au détriment du travail. J. Stiglitz analyse le cout économique, mais aussi politique de ces inégalités, par la baisse de la participation électorale, entre autres.
L’année passée, le philosophe Ruwen Ogien publiait, quant à lui, un petit livre stimulant titré L’État nous rend-il meilleurs ? dans lequel il s’interrogeait sur le fait de savoir s’il existait des justifications morales aux inégalités économiques, et le philosophe d’affirmer qu’« aujourd’hui, la tentative de justifier les inégalités économiques par des raisons dites “morales” comme la récompense du mérite ou la sanction des mauvais choix individuels s’exprime sans complexe dans le débat public, à droite comme à gauche ».
Autre livre important dont la traduction en français est parue fin de l’année dernière, Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous, de Kate Pickett et Richard Wilkinson aborde la question sous l’angle du bien-être. Il faut dire que Richard Wilkinson est médecin épidémiologiste et qu’il s’est depuis vingt ans interrogé sur les liens entre inégalités de revenus et santé, mettant en lumière que moins d’inégalités allait de pair avec une meilleure santé, un meilleur parcours scolaire, de meilleures relations sociales, et cela quel que soit le niveau de revenus.
Néanmoins, le « livre évènement » de la rentrée passée est sans nul doute la somme rédigée par l’économiste français Thomas Piketty et intitulée Le capital au XXIe siècle.
Parcours d’un économiste engagé
Avant d’entrer dans le vif du sujet, brossons un rapide portrait de l’auteur. À n’en point douter, Thomas Piketty est un pur produit de la méritocratie « à la française ». Alors que ses parents n’ont pas fait d’études et parcourent la province française, son éducation politique et intellectuelle passe par la chute du rideau de fer qui l’incite, à dix-huit ans, à partir faire un tour de l’Europe de l’Est en Inter-Rail. Marqué par cette expérience, il optera pour l’économie, discipline qu’il appréhendera de manière pragmatique, et non sous l’angle de spéculations théoriques, et en tissant des liens avec d’autres domaines des sciences sociales. Il sortira diplômé de l’École normale supérieure et de la London School of Economics.
S’ensuivent plusieurs marques de reconnaissances académiques : il obtient à l’âge de vingt-deux ans le prix de la meilleure thèse, de meilleur économiste de France à un peu plus de trente ans pour publier à quarante-deux ans ce que d’aucuns qualifient déjà de « mine » en matière d’analyse économique des inégalités, un ouvrage de près de mille pages dans lequel il étudie sur la longue période l’évolution des inégalités dans les principaux pays développés (Royaume-Uni, États-Unis, Allemagne et France), sans négliger cependant d’autres catégories de pays, les émergents entre autres. Soit dit en passant, ce parcours académique sans pli ne l’empêche pas de critiquer les inégalités d’accès dont souffre le système éducatif français, lequel reproduit ses « castes étroites » tout en limitant la mobilité sociale (p. 777), réservant les amphis bondés et mal financés au commun.
Notons que, politiquement, Thomas Piketty se définit comme social-démocrate et est compagnon de route du Parti socialiste en France. Néanmoins, s’il a été le conseiller de la candidate Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle de 2007, il est un observateur critique de son camp, comme dernièrement à propos de la politique fiscale du gouvernement Hollande.
Économiste engagé, il ne manque donc pas non plus de détracteurs, son livre ayant par exemple été qualifié par Nicolas Baverez, éditorialiste au Point, de « marxisme de sous-préfecture ».
Voilà le décor planté et l’auteur situé, pénétrons maintenant dans cet ouvrage massif.
Celui-ci s’ouvre sur un exergue qui attire l’œil, dont on devine qu’il doit servir de fil à plomb à l’auteur pour faire tenir l’ensemble. Il s’agit de l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » Il faudra au lecteur patienter près de 800 pages pour que l’interprétation que fait l’auteur de cette citation lui soit donnée. Ainsi, selon Piketty, « les inégalités sociales ne sont acceptables que si elles sont dans l’intérêt de tous, et en particulier des groupes sociaux les plus désavantagés » (p. 767). Son enquête se révèle donc un fer porté dans une plaie ouverte : les inégalités sociales atteignent de nouveau aujourd’hui des niveaux inacceptables et Piketty de faire part en introduction de ses inquiétudes pour l’avenir : « Le monde de 2050 ou de 2100 sera-t-il possédé par les traders, les super-cadres et les détenteurs de patrimoines importants, ou bien par les pays pétroliers, ou encore par la Banque de Chine, à moins que ce ne soit par des paradis fiscaux abritant d’une façon ou d’une autre l’ensemble de ces acteurs ? Il serait absurde de ne pas se poser la question et de supposer par principe, que la croissance est naturellement “équilibrée” à long terme » (p. 38). Combattre les inégalités requiert donc du citoyen qu’il s’investisse dans la compréhension de leurs ressorts et s’engage résolument.
Retour sur les fondamentaux
L’auteur revisite tout d’abord son domaine d’expertise, l’économie, et son histoire, à l’aune du thème des inégalités et de leur analyse. Il passe ainsi en revue la pensée de Ricardo, de Malthus, de Marx et de Kuznets, entre autres.
Piketty se distingue d’entrée de jeu de ses célèbres prédécesseurs en signalant que ceux-ci, mis à part Kuznets, parlaient de cette problématique des inégalités sans source. Il est vrai qu’à contrario, l’appareil statistique sans précédent mis en place par l’auteur impressionne et s’appuie sur deux sources essentielles : tout d’abord les revenus et l’inégalité de leur répartition et, ensuite, les patrimoines, leur répartition et le rapport qu’ils entretiennent avec les revenus.
« L’évocation charnelle de l’argent dans le roman classique »
Thomas Piketty ne se contente pas de puiser dans les séries statistiques pour assoir son argumentation et faire ainsi l’histoire des patrimoines et des inégalités, mais recourt également à la littérature et au roman classique pour frapper durablement les esprits. Comme il le soutient, aucune analyse statistique ne saurait d’ailleurs concurrencer certaines œuvres littéraires en termes de puissance évocatrice. Et c’est ainsi qu’il introduit la troisième partie de son ouvrage consacrée à la structure des inégalités.
Ainsi, comment ne pas être fasciné par l’actualité que Thomas Piketty fait surgir du discours que tient Vautrin à Rastignac dans Le Père Goriot, de Balzac, roman qu’il juge comme étant l’« expression littéraire la plus aboutie de la structure des inégalités dans la société du XIXe siècle et du rôle central joué par l’héritage et le patrimoine » (p. 377) ? Piketty décrit la trame de ce roman, lointain souvenir de nos humanités, Le Père Goriot étant le miroir d’une société corrompue par l’argent, où un père, ayant fait fortune dans les pâtes et les grains, sacrifie tout pour marier ses filles, Delphine et Anastasie, dans la meilleure société parisienne du début du siècle, s’en allant vivre dans une pension modeste, la « maison Vauquer ». Au cours de l’éducation sentimentale et surtout sociale d’Eugène de Rastignac, Vautrin, ex-bagnard, lui fait prendre conscience, chiffres à l’appui, que ce qu’il pourra atteindre comme dignité par le mérite, au travers de ses études de droit et cela même s’il fait une carrière proprement fulgurante, n’est rien par rapport à l’aisance à laquelle il peut prétendre en épousant Melle Victorine, à condition, petit bémol, d’en tuer le frère. Cette histoire évoque de manière limpide la force structurante du patrimoine dans la société du XIXe siècle et son poids par rapport aux revenus du travail. Ce déséquilibre, Piketty le note également à la Belle Époque et le voit poindre inexorablement à la fin du XXe siècle.
Au-delà du Père Goriot, Piketty fait remarquer au passage combien la référence au patrimoine était présente dans le roman classique (ainsi cite-t-il Mansfield Park, de Jane Austen, dans lequel seul compte le patrimoine dans cette histoire de grands propriétaires terriens du tout début du XIXe siècle ou bien encore Le cœur et la raison — p. 656) ainsi que la connaissance intime des structures profondes des inégalités, ce qui n’apparait pour ainsi dire plus dans le roman contemporain. Entre autres références littéraires, Thomas Piketty évoque également Autant en emporte le vent de Margaret Mitchell, et le poids de l’héritage dans les sociétés du sud des États-Unis, où la richesse se mesure par la taille des plantations et l’importance du capital négrier. Piketty cite également Naguib Mahfouz (dont les romans se déroulant au Caire décrivent, au travers de l’argent et des revenus, les angoisses des personnages) ou bien encore Orhan Pamuk (p. 179). Il illustre son propos également en recourant à des références cinématographiques : L’héritière, de Wyler ou La splendeur des Amberson, de Welles, tragique histoire d’un déclassement.
Se fondant sur ces représentations littéraires de l’argent, Piketty forge l’interrogation qui sera à l’origine de son travail de chercheur : l’importance du patrimoine dans la société a‑t-elle fondamentalement changé depuis le XIXe siècle ? Les réponses auxquelles il aboutit sont de plusieurs ordres, les principales, que nous analysons ci-dessous, étant d’une part que les périodes les plus égalitaires du XXe siècle sont le fruit des conflits mondiaux, et d’autre part, que, si l’on se donne la peine, comme Piketty, d’observer les flux successoraux, une sorte de pli apparait qui nous fait revenir à une société proche de celle que nous décrivait Balzac dans Le Père Goriot en termes de concentration des patrimoines, et d’un rôle sans cesse accru de l’héritage sur le mérite (p. 599 – 682) et cela comme conséquence d’une contradiction centrale au capitalisme que nous évoquons plus bas. De ces faits qu’il analyse avec clarté, Piketty tire, dans une quatrième partie intitulée « Réguler le Capital au XXIe siècle », une série de conclusions de nature à constituer pour le citoyen un programme d’action.
Le nivèlement par la guerre
Le livre de Thomas Piketty, qui analyse en profondeur, comme nous l’avons vu, l’évolution de la répartition des richesses et de la structure des inégalités depuis le XVIIIe siècle, distingue un premier fait frappant. S’il a semblé pendant les Trente Glorieuses, que les inégalités passaient par le travail et que le capital humain et les qualifications jouaient un rôle prépondérant dans une structure des inégalités somme toute acceptable, tout cela n’était qu’une illusion passagère. « Ce sont les guerres, dans une large mesure, qui ont fait table rase du passé et qui ont conduit à une transformation de la structure des inégalités au XXe siècle » (p. 751) Les fortes inégalités patrimoniales observées au début du XIXe siècle ou bien encore à la Belle Époque (Piketty constate le degré de concentration des richesses à la veille de 1914, avec, par exemple à Paris, 70 % des successions qui se transmettent à 1 % de la population), ont été nivelées de manière dramatique par les destructions massives intervenues lors des conflits mondiaux. Toujours à la Belle Époque, il faut noter que le rapport capital/revenu était de l’ordre de six à sept années de revenu national, estimation qui va dans le même sens en Belgique ou aux Pays-Bas à la même époque (p. 233). Ce rapport chutera à deux années et demie de revenu national en 1950. Mais les destructions physiques de capital n’expliquent pas tout, comme le montre Piketty, puisqu’en Angleterre, où les destructions ont été moins importantes que sur le continent, la chute de ce rapport capital/revenu a été tout aussi importante.
« En vérité, les chocs budgétaires et politiques entrainés par les guerres ont eu un effet encore plus destructeur pour le capital que les combats eux-mêmes » (p. 234). Les principaux facteurs expliquant la chute vertigineuse de ce ratio entre 1913 et 1950 sont pour l’économiste français : l’effondrement des portefeuilles étrangers et la faible épargne durant la période.
Après s’être suicidé entre 1914 et 1945, le continent européen se reconstruit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale avec une période de croissance sans précédent et une situation d’égalisation des fortunes. S’ensuit par conséquent une période de bouleversements politiques avec la mise en place d’impôts fortement progressifs ou l’essor de la sécurité sociale, le tout ayant été le fruit d’une période de violence sans précédent.
Une contradiction fondamentale du capitalisme
La période égalitaire connue entre 1950 et 1970 n’est aux yeux de Thomas Piketty qu’une illusion et aujourd’hui, en Europe, ce rapport capital/revenu est remonté à peu près à son niveau de la Belle Époque. Ainsi, en France, mais aussi en Angleterre, en Italie ou au Japon, ce rapport correspond à environ six fois le revenu national (un peu moins aux États-Unis et en Allemagne). Le revenu national est en moyenne dans les pays riches des années 2010 de 30 000 euros par habitant et par an. Il va sans dire que cette moyenne cache des disparités énormes (p. 92).
Piketty y décèle une des puissantes forces de divergence au sein de nos sociétés et qui en menace la stabilité est liée au fait que le taux de rendement privé du capital peut être fortement et durablement plus élevé que le taux de croissance du revenu et de la production. Cela implique que les patrimoines issus du passé se recapitalisent plus vite que le rythme de progression de la production et des salaires. Dès lors, Piketty en vient à cette contradiction logique fondamentale selon laquelle, dans un tel contexte, l’entrepreneur tend inévitablement à se transformer en rentier, et à dominer de plus en plus fortement ceux qui ne possèdent que leur travail. Les conséquences d’une telle dynamique peuvent être redoutables, comme l’analyse l’économiste, pour l’évolution à long terme de la répartition de la richesse.
Une utopie utile
Dans la quatrième partie de son ouvrage, Thomas Piketty tente de tirer des leçons pour l’avenir et appelle de ses vœux un « État social pour le XXIe siècle ».
Comme l’économiste français l’analyse : « En ce début de XXIe siècle, certaines inégalités patrimoniales que l’on croyait révolues semblent en passe de retrouver leurs sommets historiques, voire de les dépasser, dans le cadre de la nouvelle économie-monde, porteuse d’immenses espoirs (la fin de la pauvreté) et de déséquilibres qui le sont tout autant (des individus aussi riches que des pays) » (p. 751).
Si d’aucuns (Emmanuel Todd en tête et pour n’en citer qu’un) pensent, en conclusion des analyses de Piketty, qu’il nous faut attendre la prochaine guerre mondiale pour que ces déséquilibres observés trouvent leur solution (la crise financière planétaire de 2007 – 2008 n’en étant qu’un signe avant-coureur), Piketty, sans manquer de ponctuer son discours de quelques accents pessimistes, s’interroge tout de même sur les institutions et politiques publiques qui pourraient réguler de manière juste et efficace le capitalisme patrimonial mondialisé.
Piketty propose pour solution un impôt mondial et progressif sur le capital (p. 835 – 882), qui à ses yeux a l’avantage « de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts privés, tout en préservant l’ouverture économique et les forces de la concurrence » (p. 752).
Pour justifier cette solution d’un « ISF mondial », Piketty entreprend d’analyser le développement de l’État social au XXe siècle, institution fondamentale selon lui, ainsi que l’évolution et l’efficacité des prélèvements et des dépenses publiques.
Il se penche ainsi l’évolution de la part du revenu national consacrée aux impôts et aux dépenses publiques, de 10 % en moyenne au XIXe siècle (ce qui limitait l’État à l’exercice des fonctions régaliennes) à une part oscillant entre 30 % (États-Unis) à 55 % (Suède) aujourd’hui, le poids de la puissance publique n’ayant jamais été aussi élevé, et l’État, du point de vue de son poids fiscal et budgétaire, n’a jamais joué un rôle économique aussi important, et cela même si Piketty relève que les marchés financiers ont été beaucoup moins régulés dans les années 1980 – 1990 que dans les années 1950 – 1970. Ce poids de l’État lui a permis, « immense progrès historique » (p. 769), d’étendre, sur la base d’un principe de redistribution, les droits fondamentaux (à l’éducation, à la santé, à la retraite) et les avantages accessibles à tous. La position de Piketty dans ce débat est donc qu’il faut moderniser l’État social plutôt que de penser à la démanteler, et même si l’économiste reconnait que son poids actuel pose de sérieux problèmes d’organisation. Cette modernisation est donc selon lui une condition préalable à la mise en place d’une solution telle qu’un impôt progressif mondial.
« Pour que la démocratie puisse reprendre le contrôle du capitalisme financier globalisé de ce nouveau siècle, il faut également inventer des outils nouveaux, adaptés aux défis du jour » (p. 835). L’impôt progressif mondial sur le capital proposé par Piketty représente à ses yeux l’outil idéal, à condition qu’il soit accompagné d’une transparence financière au niveau mondial. S’il reconnait la part d’utopie que revêt cette proposition, Piketty en distingue néanmoins différents avantages qui éviteraient des formes de repli national (p. 848). Elle permet de favoriser la transparence démocratique et financière, mais aussi, en régulant le capitalisme (et non en servant à financer l’État social), de mettre un terme à une « spirale inégalitaire » et, enfin, de dompter efficacement les crises financières mondiales.
Pour ce faire, Piketty décrit l’instrument dont il appelle la création de ses vœux, qui serait un impôt touchant progressivement les patrimoines supérieurs à un million d’euros, en prenant en compte l’ensemble des actifs (immobiliers, financiers et professionnels) à la différence des mesures existantes (le property tax dans les pays anglos-saxons ou la taxe foncière, par exemple) qui n’intègre dans son calcul que les biens immobiliers.
Cette solution exige néanmoins un degré très élevé de coopération internationale et d’intégration politique régionale, ce qui peut, dans le contexte actuel, relever de l’utopie.
Pour conclure, disons que cette masse d’information, de sources historiques et d’analyses mise à notre disposition par Thomas Piketty en des termes compréhensibles pour le non-économiste, doit permettre selon lui au citoyen de se réapproprier ces questions fondamentales et concrètes de nature économique, mais aussi politique, sociale et culturelle que sont la fiscalité, l’éducation, les retraites. Selon ses mots, il serait trop facile de se contenter de l’indignation ou de l’atterrement. Et cela pour que la démocratie reprenne le contrôle du capitalisme, sans passer par les phases de violence du passé.