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Le MR est-il libéral ?

Numéro 10 Octobre 2005 par Théo Hachez

octobre 2005

Avec le Mou­ve­ment réfor­ma­teur, La Revue nou­velle ter­mine son tour des par­tis fran­co­phones enta­mé avec le P.S. et pour­sui­vi avec le P.S.C. et Éco­lo. Le hasard veut qu’une fois encore la for­ma­tion qui est sou­mise à notre enquête soit à un moment clé de son exis­tence. De nom­breux indices laissent, en effet, pen­ser que le M.R. risque […]

Avec le Mou­ve­ment réfor­ma­teur, La Revue nou­velle ter­mine son tour des par­tis fran­co­phones enta­mé avec le P.S. et pour­sui­vi avec le P.S.C. et Éco­lo. Le hasard veut qu’une fois encore la for­ma­tion qui est sou­mise à notre enquête soit à un moment clé de son exis­tence. De nom­breux indices laissent, en effet, pen­ser que le M.R. risque pro­chai­ne­ment d’a­che­ver le mou­ve­ment de retour dans l’op­po­si­tion qu’il a enta­mé aux élec­tions régio­nales de 2004 en quit­tant à son tour le niveau fédé­ral. Ain­si s’a­chè­ve­rait un cycle qui de l’op­po­si­tion tout au long des années nonante, l’a­vait vu reve­nir au pou­voir avec les socia­listes en 1999, en contour­nant les sociaux-chré­tiens, c’est-à-dire au mépris d’une géo­gra­phie poli­tique cou­ram­ment admise qui le situait à droite. L’o­pé­ra­tion, qui étonne moins aujourd’­hui, avait été dou­ble­ment auda­cieuse, puisque conclue entre par­tis fran­co­phones avant les élec­tions, elle s’é­tait impo­sée fina­le­ment à des par­te­naires fla­mands cen­sés don­ner le « la » du fédé­ral. Ce cycle qui s’a­chève cir­cons­crit aus­si assez étroi­te­ment le règne de Louis Michel à la tête du P.R.L. puis du M.R. : d’a­bord en pleine lumière comme pré­sident de par­ti, puis comme « chef de file gou­ver­ne­men­tal » délé­guant à un subal­terne son admi­nis­tra­tion tout en gar­dant la haute main. C’est du reste, homme de paille en moins, le même cumul qu’en­dosse Didier Reyn­ders, tout à la fois vice-Pre­mier ministre et, offi­ciel­le­ment cette fois, pré­sident du parti.

Un cer­tain flottement

Une impres­sion se dégage que n’ex­pliquent pas seuls le tas­se­ment élec­to­ral récent et les démê­lés fis­caux de cer­tains de ses barons : le M.R. a per­du de sa superbe. Est-ce dû au départ pour l’Eu­rope du ruti­lant, encom­brant et contes­té Louis Michel ? Au pla­fon­ne­ment d’une poli­tique d’é­lar­gis­se­ments suc­ces­sifs que décrit Paul Wynants ? En dehors d’une réforme fis­cale deve­nue emblème par défaut, un doute plane sur l’i­den­ti­té d’un par­ti qui a aban­don­né son éti­quette tra­di­tion­nelle (libé­rale) et qui, du côté fran­co­phone, a assu­mé, au même titre que le C.D.H., le rôle d’ap­point pour un P.S. domi­nant, et ne serait encore, pour ce der­nier, qu’un second choix. On est loin de l’al­ter­nance reven­di­quée au milieu des années nonante et dont le P.R.L. de l’é­poque se vou­lait le pivot. Qu’aux cha­rismes som­maires de Ducarme et de Michel ait suc­cé­dé l’ef­fi­ca­ci­té intel­lec­tuelle de conseiller finan­cier cau­te­leux de Reyn­ders ne fait qu’a­jou­ter du gris à ce tableau en demi-teinte. De temps à autre, on épingle fur­ti­ve­ment à un com­mu­ni­qué ou à une petite phrase pro­non­cée devant les camé­ras une réfé­rence à Sar­ko­zy comme autre­fois à Chi­rac, mais dans cette ten­ta­tive d’emprunt d’au­ra le cœur n’y est pas vraiment.

Pour autant, fal­lait-il déca­per le M.R. jus­qu’à envi­sa­ger la ques­tion radi­cale qui nous sert de point de départ ? Nul ne conteste en effet que ce par­ti, en tant qu’or­ga­ni­sa­tion, est assu­ré­ment le digne et légi­time héri­tier des libé­raux qui ont ani­mé la vie poli­tique dès avant l’exis­tence de la Bel­gique comme État et qui se sont orga­ni­sés en par­ti poli­tique peu après l’in­dé­pen­dance. Cepen­dant, il n’est pas insi­gni­fiant que l’af­fi­chage de cette iden­ti­té ait été aban­don­né dans le nou­veau nom que s’est don­né la for­ma­tion et qu’à la dif­fé­rence du C.D.H., cette mue ver­bale n’ait pas été aus­si clai­re­ment reven­di­quée comme une sorte d’abandon.

Com­ment l’ex­pli­quer ? Il y a certes une ten­dance com­mune aux par­tis clas­siques à reven­di­quer une posi­tion cen­trale, ten­dance qui les pousse à se confor­mer à un modèle contem­po­rain où la volon­té d’at­trac­tion élec­to­rale « fédé­ra­trice » prend le des­sus sur une pro­po­si­tion d’en­ga­ge­ment ou l’af­fir­ma­tion d’une iden­ti­té idéo­lo­gique. Mais dans le cas du M.R., il appa­rait clai­re­ment que les accep­tions du mot libé­ral, mis en ten­sion par un débat deve­nu pla­né­taire, sou­met­taient son éti­quette à des inter­pré­ta­tions évo­lu­tives et dont la radi­ca­li­té crois­sante for­çait un posi­tion­ne­ment encom­brant, tant il est vrai que le libé­ra­lisme est deve­nu trop sou­vent — contre tout res­pect dû à la véri­té his­to­rique — syno­nyme d’é­goïsme, d’i­né­ga­li­té et de remise en ques­tion du pro­grès social. Sur ce point, la contri­bu­tion de Pierre Reman est assu­ré­ment une pièce à ver­ser au dos­sier, tan­tôt à charge, tan­tôt à décharge : les rap­ports de nos libé­raux avec la sécu­ri­té sociale ont été fluc­tuants. De même, l’é­va­lua­tion de la réforme fis­cale que pro­pose Didier Lebeau abou­tit à des conclu­sions moins mas­sives que pré­vues. Est-ce dû au fait que les par­te­naires gou­ver­ne­men­taux du par­ti qui a fait de cette réforme son che­val de bataille l’ont for­cé à tem­pé­rer son venin anti­so­cial ? En tout cas, la réforme fis­cale de la fin des années quatre-vingt et qui por­tait la cocarde socia­liste-sociale-chré­tienne du « retour du cœur » n’a­vait pas été moins cou­teuse et sans doute pas plus juste socia­le­ment non plus.

À défaut de doc­trine, un patron

Cepen­dant pour encore s’af­fir­mer libé­ral envers et contre tous, il eût fal­lu que ce par­ti (mou­ve­ment n’est qu’un euphé­misme qui inté­rio­rise un anti­po­li­tisme per­çu) s’ap­pro­prie col­lec­ti­ve­ment une réflexion généa­lo­gique comme celle que pro­pose ici Her­vé Pour­tois. Pour ne pas être sou­mis seule­ment à ce que les autres pensent du libé­ra­lisme, pour ne pas se lais­ser ins­crire dans des limites défi­nies par les adver­saires, il fal­lait être capable de se situer dans ce grand mou­ve­ment moderne et de s’en reven­di­quer. Il fal­lait contes­ter le détour­ne­ment du mot plu­tôt que de l’a­va­li­ser impli­ci­te­ment. Or, comme le signale Paul Wynants, le M.R. et, avant lui, le P.R.L., quoique com­por­tant dans ses rangs quelques indi­vi­dua­li­tés brillantes, ne concède vir­tuel­le­ment rien à la doc­trine, domaine où il se dis­tingue par son indif­fé­rence et son sous-équi­pe­ment intel­lec­tuel. Cette incon­sis­tance rela­tive est-elle la cause ou la consé­quence de l’a­dop­tion d’un modèle de « crois­sance par acqui­si­tion » de petits par­tis divers (autre carac­té­ris­tique que signale Paul Wynants) ?
En effet, qu’on lise Paul Wynants, Pierre Reman ou Didier Lebeau, on est frap­pé par la faible pré­gnance de l’i­déo­lo­gie dans l’his­toire du M.R. et de ses pré­dé­ces­seurs. Le fonds pres­ti­gieux du libé­ra­lisme des pères fon­da­teurs des xviiie et xixe siècle, n’est plus pré­sent que comme une sorte de vague réfé­rence iden­ti­taire ras­su­rante (« ah oui, oui, on est bien des libé­raux ») réser­vée à quelques-unes des têtes pen­santes de l’an­cien P.R.L.

Au-delà de ce fond de sauce, le M.R. appa­rait en effet aujourd’­hui comme un patch­work peu struc­tu­ré des dif­fé­rentes enti­tés qui y ont été jux­ta­po­sées et dont les liens avec le libé­ra­lisme his­to­rique sont pour le moins indé­chif­frables. L’his­toire du par­ti libé­ral fran­co­phone, c’est beau­coup, comme le montre bien Paul Wynants, l’his­toire de ses ral­lie­ments, tan­tôt indi­vi­duels, tan­tôt col­lec­tifs. Un mou­ve­ment qui ne devrait par défi­ni­tion jamais s’ar­rê­ter et qui ne semble trou­ver une cohé­rence que lors­qu’il est diri­gé d’une main de fer par un lea­der tout-puissant.

Car de Jean Gol à Louis Michel, la vie du par­ti, c’est aus­si celle de l’om­ni­po­tence d’un patron dont l’au­to­ri­té vacille aus­si­tôt qu’il n’as­sure plus les débou­chés de l’é­quipe. Ce qui est plus ou moins vrai dans tous les par­tis, tourne chez les libé­raux à la cari­ca­ture : celui qui était jusque-là un objet d’a­du­la­tion devient un tyran dont il faut se débar­ras­ser sans tar­der. Point de dis­ci­pline de classe ou de fac­tion au par­ti libé­ral comme dans les par­tis sociaux-démo­crates où la tra­di­tion des luttes ouvrières a conso­li­dé l’o­béis­sance au « patron » qui garde son lea­der­ship, même à tra­vers les pires vicis­si­tudes. Serait-ce parce que le libé­ra­lisme se confond par défi­ni­tion avec l’in­di­vi­dua­lisme et que celui-ci ne tient que dans un cadre auto­ri­taire fort ? Ou à un prag­ma­tisme auquel l’ab­sence de colonne ver­té­brale laisse une pleine lati­tude d’expression ?

Un prag­ma­tisme per­méable aux intérêts

La fai­blesse de l’i­déo­lo­gie et par­tant d’un « liant » sou­dant les dif­fé­rentes com­po­santes semble l’élé­ment plus convain­cant. Cette fai­blesse s’illustre déjà dans le fait que le libé­ra­lisme à la belge fran­co­phone a fina­le­ment été moins pro­fon­dé­ment affec­té par le mou­ve­ment néo­li­bé­ral déclen­ché à la fin des années sep­tante, à la dif­fé­rence des par­tis libé­raux du monde anglo-saxon et ger­ma­nique, en com­men­çant par la Flandre et le V.L.D. de Guy Verhof­stadt. Plu­tôt qu’une volon­té de réformes en pro­fon­deur de l’é­co­no­mie et de réduc­tions du rôle de l’É­tat, l’ac­cent a conti­nuel­le­ment été mis sur l’an­ti­fis­ca­lisme et la dénon­cia­tion du poids des orga­ni­sa­tions de tra­vailleurs dans la ges­tion de l’É­tat-pro­vi­dence. Dans les récits ici contés, on découvre un par­ti plus sou­cieux de défendre ses clien­tèles contre « la rage taxa­toire » ou de relayer tel ou tel lob­by, fût-il déten­teur d’un mono­pole abu­sif, que de garan­tir la mise en œuvre de poli­tiques ins­tau­rant de vraies condi­tions de concur­rence pour un fonc­tion­ne­ment plus effi­cace du mar­ché. La libé­ra­li­sa­tion de l’éner­gie ou celle des écoles de conduite méri­te­raient assu­ré­ment une démarche com­pa­rable à celle sui­vie par Pierre Reman et Didier Lebeau pour la sécu­ri­té sociale et la réforme fis­cale. On y ver­rait un M.R. par­fois plus pres­sé de reprendre sans les modi­fier les posi­tions des inté­rêts des puis­sants en place (comme Elec­tra­bel ou les repré­sen­tants des grosses auto-écoles) que d’as­su­rer une réelle ouver­ture des mar­chés dont les consom­ma­teurs seraient les égaux bénéficiaires.

Il reste qu’on aurait aus­si bien pu choi­sir pour titre de ce dos­sier « Le M.R. est-il réfor­ma­teur ? ». Il faut en effet guet­ter atten­ti­ve­ment les réformes autres que fis­cales (et donc de réduc­tion de la pres­sion fis­cale) qui ont été por­tées par le M.R. pour les débus­quer. C’est sans doute dans son pas­sage au gou­ver­ne­ment wal­lon qu’il faut les cher­cher, notam­ment dans son inten­tion plus ou moins ouverte de réduire le poids des inter­com­mu­nales et plus géné­ra­le­ment le poids de l’ap­pa­reil socia­liste sur les ins­ti­tu­tions publiques et para­pu­bliques wal­lonnes. Le para­doxe est qu’il aura fal­lu que le M.R. soit sor­ti du gou­ver­ne­ment wal­lon pour voir abou­tir une avan­cée dans ce sens, comme il a fal­lu qu’il soit dans l’op­po­si­tion régio­nale pour que le « plan Mar­shall » voie le jour et que Didier Reyn­ders soit contraint de concé­der qu’une petite brise libé­rale souf­flait désor­mais sur Namur. Voi­là un drôle de des­tin (pro­vi­soire ?) pour le rêve un jour for­gé par Gérard Deprez et Louis Michel de mon­ter une machine de guerre poli­tique suf­fi­sam­ment puis­sante et capable de reje­ter le P.S. dans l’op­po­si­tion en Wal­lo­nie — condi­tion à leurs yeux néces­saire mais pas suf­fi­sante d’un réel redres­se­ment wallon.

De la liber­té à l’autonomie

Mais les confi­gu­ra­tions poli­tiques et les rap­ports de forces entre par­tis ne sont pas le pur reflet des cal­culs stra­té­giques des uns et des autres. Ils sont éga­le­ment tri­bu­taires de l’é­vo­lu­tion socioé­co­no­mique. À cet égard, on peut se deman­der quels sont acteurs sur les­quels le M.R. compte construire son déve­lop­pe­ment dans les années qui viennent ? S’il est comme tout l’in­dique, relé­gué dans l’op­po­si­tion au fédé­ral comme en Wal­lo­nie et à Bruxelles, quelle pièce de l’é­chi­quier pour­ra-t-il déplacer ?
Jus­qu’à pré­sent, les publics ont été comme les idées, rela­ti­ve­ment diver­si­fiées, avec bien sûr un ancrage pri­vi­lé­gié auprès des pro­fes­sions libé­rales et des indé­pen­dants, mais sans exclure des milieux plus popu­laires. À l’a­ve­nir, le M.R. sera-t-il le par­ti de la nou­velle classe d’en­tre­pre­neurs wal­lons que le plan Mar­shall devrait faire émer­ger et que même la F.G.T.B. wal­lonne appelle désor­mais de ses vœux ? Ou bien devra-t-il se trans­for­mer en syn­di­cat d’une classe moyenne de plus en plus fragilisée ?

Le pay­sage poli­tique fran­co­phone reste aujourd’­hui encore lar­ge­ment déten­du par le main­tien d’un sys­tème de pro­tec­tion sociale fédé­ral qui n’est pas seule­ment finan­cé par l’é­co­no­mie wal­lonne ou bruxel­loise. Le ren­for­ce­ment de l’au­to­no­mie fis­cale sans par­ler de la com­mu­nau­ta­ri­sa­tion de tout ou par­tie de la sécu aurait vrai­sem­bla­ble­ment pour résul­tat de dépla­cer et de rai­dir consi­dé­ra­ble­ment les rap­ports de force sur les enjeux de redis­tri­bu­tion. La réfé­rence essen­tiel­le­ment rhé­to­rique à un libé­ra­lisme social cache en effet un dés­équi­libre entre pré­lè­ve­ments et pers­ta­tions sociales par­tiel­le­ment endos­sé de l’ex­té­rieur qui per­met de faire envi­sa­ger une dimi­nu­tion des uns sans tou­cher vrai­ment aux autres. Du moment que le rap­port de force avec la Flandre ne per­met­trait plus de main­te­nir cette confi­gu­ra­tion, le dis­cours anti­fis­cal tenu naguère par les libé­raux fran­co­phones res­sur­gi­rait alors, du moment que la part de la redis­tri­bu­tion assu­rée par les trans­ferts devraient se rap­pro­cher d’un équi­libre interne en Wal­lo­nie et à Bruxelles. Une telle évo­lu­tion ne res­te­rait évi­dem­ment pas sans consé­quence sur l’offre politique.

À défaut d’un regain sans pré­cé­dent de dyna­misme wal­lon (sur lequel ils n’ont plus de prise régio­nale), les libé­raux risquent bien de devoir se faire de plus en plus une spé­cia­li­té de la défense des inté­rêts mena­cés des tranches supé­rieures de reve­nus, sans capa­ci­té à déve­lop­per une alter­na­tive réelle au com­pro­mis social-démo­crate ambiant et pour­tant en pleine éro­sion. Ce qui est pathé­tique pour le M.R., c’est que porte-parole natu­rel des agents éco­no­miques, il est de fait lar­ge­ment délais­sé par ceux-ci qui ne peuvent recon­naitre que le P.S. comme inter­lo­cu­teur, sauf à se sous­traire à l’é­vi­dence que le « par­ti des tra­vailleurs » dis­pose seul de tous les leviers déter­mi­nant les para­mètres de l’en­vi­ron­ne­ment de leur acti­vi­té. Faute d’al­ter­na­tive et appa­rem­ment séduits par la sur­en­chère des rodo­mon­tades entre­pre­neu­riales du nou­veau P.S., l’U­nion wal­lonne des entre­prises ne s’est-elle pas pro­non­cée posi­ti­ve­ment et publi­que­ment en faveur de la dési­gna­tion d’E­lio Di Rupo comme ministre-pré­sident, pié­ti­nant ain­si une réserve qui eût été bien­ve­nue ? Tout cela laisse en effet peu d’es­pace poli­tique au M.R.

Dans l’in­dif­fé­rence, pas de débat

S’il est vain de sou­hai­ter que le débat public se résume au conflit sté­rile entre « une bonne gauche, bien à gauche » et « une bonne droite, bien à droite » comme nous y poussent les par­ti­sans du scru­tin majo­ri­taire, il est vital pour une démo­cra­tie de pou­voir comp­ter sur un débat qui met en valeur les oppo­si­tions idéo­lo­giques de toutes ses com­po­santes démocratiques.

Cela nous ramène à la ques­tion ini­tiale, à savoir celle de l’i­den­ti­té libé­rale du M.R. ou plu­tôt celle de sa capa­ci­té à assu­mer et à faire fruc­ti­fier dans la socié­té belge fran­co­phone sa posi­tion pri­vi­lé­giée d’hé­ri­tier de fait d’un cou­rant dont aucun démo­crate ne peut nier l’ap­port his­to­rique et tou­jours vivace aujourd’­hui, alors que la quête d’é­man­ci­pa­tion des indi­vi­dus a pris un tour plus exis­ten­tiel que jamais. S’il est impos­sible aujourd’­hui de ne pas être libé­ral, comme le sug­gère Her­vé Pour­tois, com­ment peut-on l’être en s’en revendiquant ?

La ligne de frac­ture avec les autres for­ma­tions poli­tiques ne se situe pas même sur l’ob­jec­tif de jus­tice sociale ou celle de l’exer­cice des liber­tés col­lec­tives ou com­mu­nau­taires avec les­quels les libé­raux ont pu réa­li­ser des com­pro­mis doc­tri­naux, mais plu­tôt sur le degré de prio­ri­té qu’on leur accorde, le sens qu’on leur donne, la façon dont on se doit de les orga­ni­ser. Le libé­ra­lisme, que le libé­ra­lisme éco­no­mique ne résume pas, n’est pas ce cou­rant qui nie la soli­da­ri­té entre les hommes, même si sa concep­tion para­doxale de la soli­da­ri­té — une soli­da­ri­té qui vise à rendre super­flue la soli­da­ri­té — conti­nue aujourd’­hui encore de pro­duire des effets néga­tifs, sin­gu­liè­re­ment sur les per­sonnes les moins équi­pées finan­ciè­re­ment et cultu­rel­le­ment. Du reste, exa­mi­nés sous cet aspect pré­cis, les socia­listes fla­mands ne se montrent-ils pas plus libé­raux que les libé­raux francophones ?

Au fond, ce qui dis­tingue la gauche issue du mou­ve­ment ouvrier et l’hé­ri­tage libé­ral, c’est que pour la pre­mière, la jus­tice sociale ne peut être conçue comme le sur­croit natu­rel et spon­ta­né d’une socié­té libé­rale qui ne serait en devoir que de pal­lier ses propres manques, mais qu’elle doit se construire volon­tai­re­ment dans un rap­port de force col­lec­tif et à tra­vers des ins­ti­tu­tions qui en assurent et incarnent la per­ma­nence et les pro­grès. Sur ce point, on ne peut que regret­ter le flot­te­ment de l’i­den­ti­té libé­rale du M.R. qui ne prend pas publi­que­ment la res­pon­sa­bi­li­té des consé­quences sociales de sa pré­fé­rence uni­la­té­rale pour la baisse des prélèvements.

Doit-on doit se rési­gner à ce para­doxe qui veut que le triomphe du libé­ra­lisme soit un puis­sant sol­vant de la conscience sociale et, consé­quem­ment plus encore, de la conscience de soi : un sol­vant qui agi­rait sur le libé­ra­lisme lui-même, le pri­vant de la fin de son his­toire. De ce para­doxe, le M.R., deve­nu indif­fé­rent à lui-même, serait un cas d’é­cole, lui qui n’est plus qu’un récep­tacle creux de toute convic­tion et de toute doc­trine, et donc entiè­re­ment dis­po­nible et plas­tique aux inté­rêts qu’il repré­sente tra­di­tion­nel­le­ment et aux­quels il tente, bon an mal an, d’a­gré­ger un élec­to­rat popu­laire séduit par les trans­ferts qu’il réa­lise sur les ter­rains de foot­ball, dans les médias ou chez les nou­veaux mana­gers sta­ri­fiés par les maga­zines économiques.

Théo Hachez


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