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Le MR est-il libéral ?
Avec le Mouvement réformateur, La Revue nouvelle termine son tour des partis francophones entamé avec le P.S. et poursuivi avec le P.S.C. et Écolo. Le hasard veut qu’une fois encore la formation qui est soumise à notre enquête soit à un moment clé de son existence. De nombreux indices laissent, en effet, penser que le M.R. risque […]
Avec le Mouvement réformateur, La Revue nouvelle termine son tour des partis francophones entamé avec le P.S. et poursuivi avec le P.S.C. et Écolo. Le hasard veut qu’une fois encore la formation qui est soumise à notre enquête soit à un moment clé de son existence. De nombreux indices laissent, en effet, penser que le M.R. risque prochainement d’achever le mouvement de retour dans l’opposition qu’il a entamé aux élections régionales de 2004 en quittant à son tour le niveau fédéral. Ainsi s’achèverait un cycle qui de l’opposition tout au long des années nonante, l’avait vu revenir au pouvoir avec les socialistes en 1999, en contournant les sociaux-chrétiens, c’est-à-dire au mépris d’une géographie politique couramment admise qui le situait à droite. L’opération, qui étonne moins aujourd’hui, avait été doublement audacieuse, puisque conclue entre partis francophones avant les élections, elle s’était imposée finalement à des partenaires flamands censés donner le « la » du fédéral. Ce cycle qui s’achève circonscrit aussi assez étroitement le règne de Louis Michel à la tête du P.R.L. puis du M.R. : d’abord en pleine lumière comme président de parti, puis comme « chef de file gouvernemental » déléguant à un subalterne son administration tout en gardant la haute main. C’est du reste, homme de paille en moins, le même cumul qu’endosse Didier Reynders, tout à la fois vice-Premier ministre et, officiellement cette fois, président du parti.
Un certain flottement
Une impression se dégage que n’expliquent pas seuls le tassement électoral récent et les démêlés fiscaux de certains de ses barons : le M.R. a perdu de sa superbe. Est-ce dû au départ pour l’Europe du rutilant, encombrant et contesté Louis Michel ? Au plafonnement d’une politique d’élargissements successifs que décrit Paul Wynants ? En dehors d’une réforme fiscale devenue emblème par défaut, un doute plane sur l’identité d’un parti qui a abandonné son étiquette traditionnelle (libérale) et qui, du côté francophone, a assumé, au même titre que le C.D.H., le rôle d’appoint pour un P.S. dominant, et ne serait encore, pour ce dernier, qu’un second choix. On est loin de l’alternance revendiquée au milieu des années nonante et dont le P.R.L. de l’époque se voulait le pivot. Qu’aux charismes sommaires de Ducarme et de Michel ait succédé l’efficacité intellectuelle de conseiller financier cauteleux de Reynders ne fait qu’ajouter du gris à ce tableau en demi-teinte. De temps à autre, on épingle furtivement à un communiqué ou à une petite phrase prononcée devant les caméras une référence à Sarkozy comme autrefois à Chirac, mais dans cette tentative d’emprunt d’aura le cœur n’y est pas vraiment.
Pour autant, fallait-il décaper le M.R. jusqu’à envisager la question radicale qui nous sert de point de départ ? Nul ne conteste en effet que ce parti, en tant qu’organisation, est assurément le digne et légitime héritier des libéraux qui ont animé la vie politique dès avant l’existence de la Belgique comme État et qui se sont organisés en parti politique peu après l’indépendance. Cependant, il n’est pas insignifiant que l’affichage de cette identité ait été abandonné dans le nouveau nom que s’est donné la formation et qu’à la différence du C.D.H., cette mue verbale n’ait pas été aussi clairement revendiquée comme une sorte d’abandon.
Comment l’expliquer ? Il y a certes une tendance commune aux partis classiques à revendiquer une position centrale, tendance qui les pousse à se conformer à un modèle contemporain où la volonté d’attraction électorale « fédératrice » prend le dessus sur une proposition d’engagement ou l’affirmation d’une identité idéologique. Mais dans le cas du M.R., il apparait clairement que les acceptions du mot libéral, mis en tension par un débat devenu planétaire, soumettaient son étiquette à des interprétations évolutives et dont la radicalité croissante forçait un positionnement encombrant, tant il est vrai que le libéralisme est devenu trop souvent — contre tout respect dû à la vérité historique — synonyme d’égoïsme, d’inégalité et de remise en question du progrès social. Sur ce point, la contribution de Pierre Reman est assurément une pièce à verser au dossier, tantôt à charge, tantôt à décharge : les rapports de nos libéraux avec la sécurité sociale ont été fluctuants. De même, l’évaluation de la réforme fiscale que propose Didier Lebeau aboutit à des conclusions moins massives que prévues. Est-ce dû au fait que les partenaires gouvernementaux du parti qui a fait de cette réforme son cheval de bataille l’ont forcé à tempérer son venin antisocial ? En tout cas, la réforme fiscale de la fin des années quatre-vingt et qui portait la cocarde socialiste-sociale-chrétienne du « retour du cœur » n’avait pas été moins couteuse et sans doute pas plus juste socialement non plus.
À défaut de doctrine, un patron
Cependant pour encore s’affirmer libéral envers et contre tous, il eût fallu que ce parti (mouvement n’est qu’un euphémisme qui intériorise un antipolitisme perçu) s’approprie collectivement une réflexion généalogique comme celle que propose ici Hervé Pourtois. Pour ne pas être soumis seulement à ce que les autres pensent du libéralisme, pour ne pas se laisser inscrire dans des limites définies par les adversaires, il fallait être capable de se situer dans ce grand mouvement moderne et de s’en revendiquer. Il fallait contester le détournement du mot plutôt que de l’avaliser implicitement. Or, comme le signale Paul Wynants, le M.R. et, avant lui, le P.R.L., quoique comportant dans ses rangs quelques individualités brillantes, ne concède virtuellement rien à la doctrine, domaine où il se distingue par son indifférence et son sous-équipement intellectuel. Cette inconsistance relative est-elle la cause ou la conséquence de l’adoption d’un modèle de « croissance par acquisition » de petits partis divers (autre caractéristique que signale Paul Wynants) ?
En effet, qu’on lise Paul Wynants, Pierre Reman ou Didier Lebeau, on est frappé par la faible prégnance de l’idéologie dans l’histoire du M.R. et de ses prédécesseurs. Le fonds prestigieux du libéralisme des pères fondateurs des xviiie et xixe siècle, n’est plus présent que comme une sorte de vague référence identitaire rassurante (« ah oui, oui, on est bien des libéraux ») réservée à quelques-unes des têtes pensantes de l’ancien P.R.L.
Au-delà de ce fond de sauce, le M.R. apparait en effet aujourd’hui comme un patchwork peu structuré des différentes entités qui y ont été juxtaposées et dont les liens avec le libéralisme historique sont pour le moins indéchiffrables. L’histoire du parti libéral francophone, c’est beaucoup, comme le montre bien Paul Wynants, l’histoire de ses ralliements, tantôt individuels, tantôt collectifs. Un mouvement qui ne devrait par définition jamais s’arrêter et qui ne semble trouver une cohérence que lorsqu’il est dirigé d’une main de fer par un leader tout-puissant.
Car de Jean Gol à Louis Michel, la vie du parti, c’est aussi celle de l’omnipotence d’un patron dont l’autorité vacille aussitôt qu’il n’assure plus les débouchés de l’équipe. Ce qui est plus ou moins vrai dans tous les partis, tourne chez les libéraux à la caricature : celui qui était jusque-là un objet d’adulation devient un tyran dont il faut se débarrasser sans tarder. Point de discipline de classe ou de faction au parti libéral comme dans les partis sociaux-démocrates où la tradition des luttes ouvrières a consolidé l’obéissance au « patron » qui garde son leadership, même à travers les pires vicissitudes. Serait-ce parce que le libéralisme se confond par définition avec l’individualisme et que celui-ci ne tient que dans un cadre autoritaire fort ? Ou à un pragmatisme auquel l’absence de colonne vertébrale laisse une pleine latitude d’expression ?
Un pragmatisme perméable aux intérêts
La faiblesse de l’idéologie et partant d’un « liant » soudant les différentes composantes semble l’élément plus convaincant. Cette faiblesse s’illustre déjà dans le fait que le libéralisme à la belge francophone a finalement été moins profondément affecté par le mouvement néolibéral déclenché à la fin des années septante, à la différence des partis libéraux du monde anglo-saxon et germanique, en commençant par la Flandre et le V.L.D. de Guy Verhofstadt. Plutôt qu’une volonté de réformes en profondeur de l’économie et de réductions du rôle de l’État, l’accent a continuellement été mis sur l’antifiscalisme et la dénonciation du poids des organisations de travailleurs dans la gestion de l’État-providence. Dans les récits ici contés, on découvre un parti plus soucieux de défendre ses clientèles contre « la rage taxatoire » ou de relayer tel ou tel lobby, fût-il détenteur d’un monopole abusif, que de garantir la mise en œuvre de politiques instaurant de vraies conditions de concurrence pour un fonctionnement plus efficace du marché. La libéralisation de l’énergie ou celle des écoles de conduite mériteraient assurément une démarche comparable à celle suivie par Pierre Reman et Didier Lebeau pour la sécurité sociale et la réforme fiscale. On y verrait un M.R. parfois plus pressé de reprendre sans les modifier les positions des intérêts des puissants en place (comme Electrabel ou les représentants des grosses auto-écoles) que d’assurer une réelle ouverture des marchés dont les consommateurs seraient les égaux bénéficiaires.
Il reste qu’on aurait aussi bien pu choisir pour titre de ce dossier « Le M.R. est-il réformateur ? ». Il faut en effet guetter attentivement les réformes autres que fiscales (et donc de réduction de la pression fiscale) qui ont été portées par le M.R. pour les débusquer. C’est sans doute dans son passage au gouvernement wallon qu’il faut les chercher, notamment dans son intention plus ou moins ouverte de réduire le poids des intercommunales et plus généralement le poids de l’appareil socialiste sur les institutions publiques et parapubliques wallonnes. Le paradoxe est qu’il aura fallu que le M.R. soit sorti du gouvernement wallon pour voir aboutir une avancée dans ce sens, comme il a fallu qu’il soit dans l’opposition régionale pour que le « plan Marshall » voie le jour et que Didier Reynders soit contraint de concéder qu’une petite brise libérale soufflait désormais sur Namur. Voilà un drôle de destin (provisoire ?) pour le rêve un jour forgé par Gérard Deprez et Louis Michel de monter une machine de guerre politique suffisamment puissante et capable de rejeter le P.S. dans l’opposition en Wallonie — condition à leurs yeux nécessaire mais pas suffisante d’un réel redressement wallon.
De la liberté à l’autonomie
Mais les configurations politiques et les rapports de forces entre partis ne sont pas le pur reflet des calculs stratégiques des uns et des autres. Ils sont également tributaires de l’évolution socioéconomique. À cet égard, on peut se demander quels sont acteurs sur lesquels le M.R. compte construire son développement dans les années qui viennent ? S’il est comme tout l’indique, relégué dans l’opposition au fédéral comme en Wallonie et à Bruxelles, quelle pièce de l’échiquier pourra-t-il déplacer ?
Jusqu’à présent, les publics ont été comme les idées, relativement diversifiées, avec bien sûr un ancrage privilégié auprès des professions libérales et des indépendants, mais sans exclure des milieux plus populaires. À l’avenir, le M.R. sera-t-il le parti de la nouvelle classe d’entrepreneurs wallons que le plan Marshall devrait faire émerger et que même la F.G.T.B. wallonne appelle désormais de ses vœux ? Ou bien devra-t-il se transformer en syndicat d’une classe moyenne de plus en plus fragilisée ?
Le paysage politique francophone reste aujourd’hui encore largement détendu par le maintien d’un système de protection sociale fédéral qui n’est pas seulement financé par l’économie wallonne ou bruxelloise. Le renforcement de l’autonomie fiscale sans parler de la communautarisation de tout ou partie de la sécu aurait vraisemblablement pour résultat de déplacer et de raidir considérablement les rapports de force sur les enjeux de redistribution. La référence essentiellement rhétorique à un libéralisme social cache en effet un déséquilibre entre prélèvements et perstations sociales partiellement endossé de l’extérieur qui permet de faire envisager une diminution des uns sans toucher vraiment aux autres. Du moment que le rapport de force avec la Flandre ne permettrait plus de maintenir cette configuration, le discours antifiscal tenu naguère par les libéraux francophones ressurgirait alors, du moment que la part de la redistribution assurée par les transferts devraient se rapprocher d’un équilibre interne en Wallonie et à Bruxelles. Une telle évolution ne resterait évidemment pas sans conséquence sur l’offre politique.
À défaut d’un regain sans précédent de dynamisme wallon (sur lequel ils n’ont plus de prise régionale), les libéraux risquent bien de devoir se faire de plus en plus une spécialité de la défense des intérêts menacés des tranches supérieures de revenus, sans capacité à développer une alternative réelle au compromis social-démocrate ambiant et pourtant en pleine érosion. Ce qui est pathétique pour le M.R., c’est que porte-parole naturel des agents économiques, il est de fait largement délaissé par ceux-ci qui ne peuvent reconnaitre que le P.S. comme interlocuteur, sauf à se soustraire à l’évidence que le « parti des travailleurs » dispose seul de tous les leviers déterminant les paramètres de l’environnement de leur activité. Faute d’alternative et apparemment séduits par la surenchère des rodomontades entrepreneuriales du nouveau P.S., l’Union wallonne des entreprises ne s’est-elle pas prononcée positivement et publiquement en faveur de la désignation d’Elio Di Rupo comme ministre-président, piétinant ainsi une réserve qui eût été bienvenue ? Tout cela laisse en effet peu d’espace politique au M.R.
Dans l’indifférence, pas de débat
S’il est vain de souhaiter que le débat public se résume au conflit stérile entre « une bonne gauche, bien à gauche » et « une bonne droite, bien à droite » comme nous y poussent les partisans du scrutin majoritaire, il est vital pour une démocratie de pouvoir compter sur un débat qui met en valeur les oppositions idéologiques de toutes ses composantes démocratiques.
Cela nous ramène à la question initiale, à savoir celle de l’identité libérale du M.R. ou plutôt celle de sa capacité à assumer et à faire fructifier dans la société belge francophone sa position privilégiée d’héritier de fait d’un courant dont aucun démocrate ne peut nier l’apport historique et toujours vivace aujourd’hui, alors que la quête d’émancipation des individus a pris un tour plus existentiel que jamais. S’il est impossible aujourd’hui de ne pas être libéral, comme le suggère Hervé Pourtois, comment peut-on l’être en s’en revendiquant ?
La ligne de fracture avec les autres formations politiques ne se situe pas même sur l’objectif de justice sociale ou celle de l’exercice des libertés collectives ou communautaires avec lesquels les libéraux ont pu réaliser des compromis doctrinaux, mais plutôt sur le degré de priorité qu’on leur accorde, le sens qu’on leur donne, la façon dont on se doit de les organiser. Le libéralisme, que le libéralisme économique ne résume pas, n’est pas ce courant qui nie la solidarité entre les hommes, même si sa conception paradoxale de la solidarité — une solidarité qui vise à rendre superflue la solidarité — continue aujourd’hui encore de produire des effets négatifs, singulièrement sur les personnes les moins équipées financièrement et culturellement. Du reste, examinés sous cet aspect précis, les socialistes flamands ne se montrent-ils pas plus libéraux que les libéraux francophones ?
Au fond, ce qui distingue la gauche issue du mouvement ouvrier et l’héritage libéral, c’est que pour la première, la justice sociale ne peut être conçue comme le surcroit naturel et spontané d’une société libérale qui ne serait en devoir que de pallier ses propres manques, mais qu’elle doit se construire volontairement dans un rapport de force collectif et à travers des institutions qui en assurent et incarnent la permanence et les progrès. Sur ce point, on ne peut que regretter le flottement de l’identité libérale du M.R. qui ne prend pas publiquement la responsabilité des conséquences sociales de sa préférence unilatérale pour la baisse des prélèvements.
Doit-on doit se résigner à ce paradoxe qui veut que le triomphe du libéralisme soit un puissant solvant de la conscience sociale et, conséquemment plus encore, de la conscience de soi : un solvant qui agirait sur le libéralisme lui-même, le privant de la fin de son histoire. De ce paradoxe, le M.R., devenu indifférent à lui-même, serait un cas d’école, lui qui n’est plus qu’un réceptacle creux de toute conviction et de toute doctrine, et donc entièrement disponible et plastique aux intérêts qu’il représente traditionnellement et auxquels il tente, bon an mal an, d’agréger un électorat populaire séduit par les transferts qu’il réalise sur les terrains de football, dans les médias ou chez les nouveaux managers starifiés par les magazines économiques.