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Le Bolsonarisme après Bolsonaro

Numéro 6 Septembre 2023 - bilan Brésil élections par François Fecteau

septembre 2023

Au terme d’un bilan contro­ver­sé, Jair Bol­so­na­ro a per­du les élec­tions le 30 octobre 2022, alors qu’il bri­guait un deuxième man­dat au poste de Pré­sident de la répu­blique du Bré­sil. Pour évi­ter ce scé­na­rio, le can­di­dat défait avait pour­tant usé de toutes les stra­té­gies pos­sibles, incluant celles qui auraient pu lui per­mettre de s’accrocher au pou­voir quelques mois de plus : dis­cours visant à dis­cré­di­ter le sys­tème élec­to­ral en place, ten­ta­tive de per­tur­ba­tion du vote dans le Nord-Est du pays (…)

Éditorial

Au terme d’un bilan contro­ver­sé1, Jair Bol­so­na­ro a per­du les élec­tions le 30 octobre 2022, alors qu’il bri­guait un deuxième man­dat au poste de Pré­sident de la répu­blique du Bré­sil. Pour évi­ter ce scé­na­rio, le can­di­dat défait avait pour­tant usé de toutes les stra­té­gies pos­sibles, incluant celles qui auraient pu lui per­mettre de s’accrocher au pou­voir2 quelques mois de plus : dis­cours visant à dis­cré­di­ter le sys­tème élec­to­ral en place, ten­ta­tive de per­tur­ba­tion du vote dans le Nord-Est du pays (tra­di­tion­nel­le­ment plus favo­rable au Par­ti des Tra­vailleurs), ten­ta­tive échouée de coup d’État du 8 jan­vier à Bra­si­lia, etc.

Or, l’ancien pré­sident devra assu­mer les consé­quences de ses actes après un pre­mier revers judi­ciaire. Alors que les juges du Tri­bu­nal Supé­rieur Élec­to­ral (TSE) ont ren­du publique leur déci­sion por­tant sur une action judi­ciaire pour abus de pou­voir3, Bol­so­na­ro a été décla­ré inéli­gible pour une durée de huit ans. Il lui est ain­si inter­dit de se pré­sen­ter, durant cette période, aux élec­tions pré­si­den­tielles brésiliennes.

Inéligible

Trois mois avant les élec­tions, Bol­so­na­ro invi­tait, par l’intermédiaire du minis­tère des Affaires étran­gères et du ministre des Rela­tions exté­rieures Car­los Fran­ça, des dizaines de diplo­mates étran­gers à sa rési­dence offi­cielle (Palá­cio da Alvo­ra­da). Lors de cette réunion du 18 juillet qui avait tout le carac­tère d’une ren­contre diplo­ma­tique « offi­cielle » convo­quée par l’État bré­si­lien, Bol­so­na­ro a adres­sé une série d’attaques visant à dis­cré­di­ter le TSE, en charge de la coor­di­na­tion du pro­ces­sus élec­to­ral, tout en fai­sant l’apologie de l’armée dont il rap­pe­lait qu’il était le chef suprême tout en répé­tant les défaillances non fon­dées du sys­tème de vote élec­tro­nique (TSE, 2023) 4.

Un peu plus d’un mois après la ren­contre, soit le 19 août 2022, le Par­ti démo­cra­tique tra­vailliste a dépo­sé une « Action d’enquête de jus­tice élec­to­rale » (Ação de Inves­ti­ga­ção Judi­cial Elei­to­ral) contre Bol­so­na­ro sur la base de trois motifs : abus de pou­voir poli­tique, abus de pou­voir dans l’utilisation des médias et com­por­te­ment inter­dit aux agents publics lors des cam­pagnes élec­to­rales. C’est un an plus tard, après quatre séances (22, 27, 29, 30 juin 2023) dédiées à l’étude de ladite plainte, que le Pré­sident de la Cour du TSE, Alexandre de Moraes, annonce l’issue du vote. Adop­tée à cinq voix contre deux des sept juges5 votant, le ver­dict final rend ain­si Bol­so­na­ro inapte à pré­sen­ter sa can­di­da­ture jusqu’aux élec­tions pré­si­den­tielles de 2030 (TSE, 2023).

La posi­tion des cinq juges ayant voté en faveur de l’inéligibilité de l’ex-Président trouve son fon­de­ment dans la loi 22 qui sti­pule l’interdiction des « com­por­te­ments carac­té­ri­sant un abus ou un détour­ne­ment de pou­voir ou une uti­li­sa­tion abu­sive des médias ou des moyens de com­mu­ni­ca­tion ». Comme le rap­pelle Bene­di­to Gon­çalves, rap­por­teur de l’action et pre­mier juge à se pro­non­cer, les gestes de Bol­so­na­ro lors de la réunion du 18 juillet enfreignent la loi tant au niveau de son prin­cipe que ses poten­tielles réper­cus­sions sur le résul­tat du vote des élec­tions pré­si­den­tielles du mois d’octobre sui­vant (TSE, 2023).

Quant aux juges dis­si­dents, Raul Araú­jo 6et Nunes Marques, ceux-ci ont éva­lué que la gra­vi­té des gestes tenus par Bol­so­na­ro lors de la ren­contre du 18 juillet n’était pas suf­fi­sante pour avoir « rom­pu l’égalité entre les futurs can­di­dats » ni « pour influen­cer néga­ti­ve­ment la par­ti­ci­pa­tion des élec­teurs aux urnes élec­tro­niques ».

Dans la déroute judiciaire

Si cette pre­mière déci­sion du TSE rend Bol­so­na­ro inéli­gible, ce der­nier n’a pas fini d’en découdre avec la jus­tice. Le nombre de pro­cès qui pèsent contre l’ancien pré­sident ain­si que leur impor­tance méritent qu’on y consacre quelques lignes.

Par­mi les plus impor­tants des pro­cès qui se glissent dans le pal­ma­rès, notons celui qui incri­mine Bol­so­na­ro pour l’organisation du coup d’État s’étant dérou­lé à Bra­si­lia le 8 jan­vier 2022. Alors que sa signa­ture se retrou­vait sur le brouillon d’un décret visant à déclen­cher l’état d’urgence, docu­ment décou­vert lors de per­qui­si­tions à la rési­dence de son ex-ministre de la Jus­tice Ander­son Torres, Bol­so­na­ro est soup­çon­né d’avoir été der­rière l’organisation de l’invasion des « Trois pou­voirs ». La jus­ti­fi­ca­tion pre­mière de l’ouverture de ce pro­cès à l’encontre de Bol­so­na­ro reste la publi­ca­tion, le 10 jan­vier 2022, d’une vidéo où il dénonce l’irrégularité des élec­tions pré­si­den­tielles. Par­mi les crimes pour les­quels l’ex-Président risque l’emprisonnement, notons ceux de ter­ro­risme, d’association cri­mi­nelle, d’abolition vio­lente de l’État de droit démo­cra­tique, de coup d’État, ain­si que de menace et de persécution.

Bol­so­na­ro est éga­le­ment mis en cause dans un autre pro­cès qui mérite d’être men­tion­né, celui du géno­cide indi­gène des com­mu­nau­tés Yano­ma­mi au sein des­quelles ont été enre­gis­trés 129 morts en date du 7 jan­vier 2023. Par­mi ces morts, la moi­tié sont des enfants de moins de 4 ans. Depuis des décen­nies, ces com­mu­nau­tés font face à l’exploitation minière illé­gale avec pour consé­quences la dégra­da­tion de leur terre et des condi­tions d’hygiène, l’augmentation des troubles d’alimentation et de la vio­lence dans la popu­la­tion. Les condi­tions de vie des com­mu­nau­tés qui habitent la terre Yano­ma­mi se seraient tou­te­fois lar­ge­ment dégra­dées depuis la fin du man­dat de Bol­so­na­ro en décembre 2022, notam­ment en rai­son de la désor­ga­ni­sa­tion des orga­nismes de san­té qui œuvrent sur le ter­ri­toire, du déman­tè­le­ment des poli­tiques publiques visant à sou­te­nir les popu­la­tions autoch­tones et évi­dem­ment de la mau­vaise ges­tion gou­ver­ne­men­tale de la crise du Covid-19 (Esta­dao, 20237). Alors qu’il est poin­té du doigt pour avoir déli­bé­ré­ment auto­ri­sé l’exploitation minière illé­gale sur les ter­ri­toires Yano­ma­mi, Bol­so­na­ro est aujourd’hui pour­sui­vi dans le cadre d’un pro­cès d’enquête à la fois au Bré­sil8 et devant la Cour pénale inter­na­tio­nale (CPI) de La Haye.

Outre ces deux dos­siers qui pèsent déjà lourd, Bol­so­na­ro se retrouve au centre d’enquêtes diverses dont on ne nom­me­ra ici que les thé­ma­tiques : attaque cyber­né­tique contre le TSE, relais d’une fausse infor­ma­tion liant vac­cin contre la Covid-19 et la contrac­tion du SIDA, ingé­rence dans la Police Fédé­rale, etc.

La droite après Bolsonaro

Si en moins d’un an, la car­rière poli­tique de Bol­so­na­ro semble s’être écrou­lée tel un châ­teau de carte, la ques­tion qui concerne main­te­nant le des­tin de l’homme n’est pro­ba­ble­ment pas son ave­nir poli­tique, mais le temps dont il dis­pose pour user de ses liber­tés civiles.

L’autre ques­tion qui demeure en sus­pend est celle de la relève qui occu­pe­ra l’espace poli­tique délais­sé par l’ex-Président. Depuis les élec­tions pré­si­den­tielles de 2018, la poli­tique bré­si­lienne a atteint un très haut niveau de pola­ri­sa­tion. Entre une droite bol­so­na­riste anti-ins­ti­tu­tion­na­liste et une gauche unie, dont une par­tie mal­gré elle, der­rière Lula, il ne res­tait que très peu d’espace sur l’échiquier poli­tique pour des par­tis vou­lant offrir une vision poli­tique plus cen­triste. L’hypothèse la plus pro­bable, par­ta­gée par Isa­be­la Kalil9, est celle de l’émergence d’une nou­velle droite qui s’inscrirait à la fois dans le sillon idéo­lo­gique bol­so­na­riste, mais qui de façon plus « modé­rée », se gar­de­rait d’entrer dans le jeu des dis­cours polé­miques visant à ras­su­rer la base élec­to­rale la plus radi­cale du pays. Ain­si, sans pour autant s’attendre à une droite qui refuse ou cri­tique ouver­te­ment le fonc­tion­ne­ment des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques, on peut s’attendre à une vague de poli­ti­ciens à l’image plus modé­rée, mais qui pro­fite du che­min tra­cé par le bol­so­na­risme pour reprendre les thèmes clas­siques de son agen­da (sécu­ri­té publique, port des armes, anti-éli­tisme, poli­tiques anti-genres).

Dans ce scé­na­rio, trois lea­ders poli­tiques semblent avoir la tête de l’emploi. Il y a d’abord le pou­lin tout indi­qué Tarcí­sio Gomes de Frei­tas. Membre du Par­ti Répu­bli­cain (Repu­bli­ca­nos), il fut, aux der­nières élec­tions, le pre­mier gou­ver­neur de l’État de São Pau­lo élu sous une ban­nière autre que celle du Par­ti social-démo­crate (PSDB). L’homme se décrit ain­si comme un poli­ti­cien de droite tant au niveau des valeurs sociales que de l’économie, sans pour autant som­brer dans l’extrémisme des cri­tiques des ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques qui ont fait la marque de com­merce de Bol­so­na­ro.
La deuxième can­di­date poten­tielle pour prendre la relève et repré­sen­ter la droite bré­si­lienne serait Michelle Bol­so­na­ro, l’ex-Première dame du pays. Selon Isa­belle Kalil, Michelle Bol­so­na­ro pour­rait ain­si béné­fi­cier du trans­fert de capi­tal poli­tique de l’ex-président en gar­dant tou­te­fois une forme d’indépendance. Bien qu’elle par­tage le même socle de valeurs poli­tiques, l’éthos de l’ex-Première dame, défen­dant des thèmes d’avantage liés à la pro­tec­tion de la famille, des enfants et de la condi­tion fémi­nine, lui per­met de s’afficher comme poli­ti­cienne s’adressant à un élec­to­rat plus « modé­ré ».

Fina­le­ment, la troi­sième pos­si­bi­li­té poin­tée par les médias bré­si­liens est le gou­ver­neur de l’État du Minas Gerais, Romeu Zema. À l’origine, il était un impor­tant homme d’affaire de l’État qu’il gou­verne aujourd’hui et est deve­nu un poli­ti­cien bien éta­bli. Affi­lié au Par­ti Novo, Zema est recon­nu pour flir­ter avec le bol­so­na­risme sans pour autant pro­je­ter une image d’extrémisme. Le gou­ver­neur du Minas Gerais réfute pour l’instant la pos­si­bi­li­té de se pré­sen­ter aux pré­si­den­tielles, affir­mant pré­fé­rer appuyer un can­di­dat du sud du Bré­sil repré­sen­tant bien l’« éco­no­mie du pays » (Esta­dos de Minas, 2023). L’échéance loin­taine des pro­chaines élec­tions donne au poten­tiel can­di­dat toute la marge de manœuvre néces­saire pour tes­ter la force de ses appuis.

Comme nous pou­vons le consta­ter, quel·le que soit le·la candidat·e, le bol­so­na­risme et son héri­tage poli­tique ne sont pas prêts de s’éteindre. Durant ses quatre années au pou­voir, Bol­so­na­ro sera par­ve­nu à faire bais­ser les stan­dards de la poli­tique bré­si­lienne et à dépla­cer le cur­seur de l’échiquier poli­tique vers l’extrême droite. Ce dépla­ce­ment des lignes de front aura pour effet, du moins pour les pro­chaines années, de rendre accep­table l’affirmation de posi­tions extré­mistes dès lors que la per­sonne qui les pro­nonce pro­jette une image plus rai­son­nable que celle de l’ex-Président.

Alors qu’aux der­nières élec­tions, une par­tie de la popu­la­tion s’était ran­gée der­rière le can­di­dat Lula qui a été élu faute d’options dis­po­nibles pour ren­ver­ser Bol­so­na­ro, le scé­na­rio des élec­tions de 2026 s’annonce bien dif­fé­rent. Devant une droite poli­tique plus sour­noise, tout aus­si radi­cale sur le plan des valeurs et ayant appris des erreurs stra­té­giques de son pré­dé­ces­seur, la route de la gauche bré­si­lienne qui vou­dra conser­ver le pou­voir s’annonce tumultueuse.

  1. Voir à ce sujet notre dos­sier « Bré­sil de Bol­so­na­ro : fin de par­tie ? » paru en octobre 2022.
  2. Voir à ce sujet l’éditorial du numé­ro 2 de La Revue nou­velle : « Car­ton rouge pour Bol­so­na­ro ».
  3. Ação de Inves­ti­ga­ção Judi­cial Elei­to­ral (AIJE).
  4. Réfé­rence com­plète : https://www.tse.jus.br/comunicacao/noticias/2023/Junho/por-maioria-de-votos- tse-declara-bolsonaro-inelegivel-por-8-anos
  5. Juges en faveur : Bene­di­to Gon­çalves, Alexandre de Moraes, Flo­ria­no de Aze­ve­do Marques, André Ramos Tavares, Cár­men Lúcia. Juges dis­si­dents : Raul Araú­jo, Nunes Marques.
  6. En tant que ministre à la Cour supé­rieure de jus­tice, Raul Arau­jo a fait notam­ment inter­dire les mani­fes­ta­tions poli­tiques par les artistes lors de leur concert après que la chan­teuse Pabl­lo Vit­tar ait bran­dit un dra­peau du can­di­dat Lula lors de son spec­talce au fes­ti­val Lol­la­pa­loo­za (Esta­do de Minas, 2023). Réfé­rence com­plète : https://www.em.com.br/app/noticia/politica/2023/06/27/interna_politica,1512939/quem-e-raul-araujo-sob-pressao-de-bolsonaro-para-adiar-julgamento.shtml[
  7. Réfé­rence com­plète : https://www.estadao.com.br/estadao-verifica/crise-humanitaria-terra-indigena- yanomami/
  8. Sur la demande du ministre Bar­ro­so L. R. de la Cour suprême fédé­rale (STF), du Par­quet géné­ral de la Répu­blique, du Par­quet mili­taire, ain­si que minis­tère de la Jus­tice et la Police fédé­rale (PF).
  9. Pro­fes­seure-cher­cheure à la Fun­da­ção Esco­la de Socio­lo­gia e Polí­ti­ca de São Pau­lo(FESPSP), Kalil I. est anthro­po­logue spé­cia­li­sée dans l’étude de la droite bré­si­lienne. Pour consul­ter l’une de ses ana­lyses récentes sur le sujet : Kalil I. (2023). A direi­ta sem Bol­so­na­ro, Fora da Polí­ti­ca Não há Sal­va­ção, 1 juillet. https://youtu.be/gJyHfr_RPGs

François Fecteau


Auteur

Québécois d'origine, François Fecteau a emménagé à Bruxelles pour y faire un Doctorat en sciences politiques et sociales à l'Université libre de Bruxelles. Ses travaux de recherches portent principalement sur l'institution néolibérale de l'imaginaire dans le champ de l'enseignement supérieur. Au fil de ses recherches, F. Fecteau a mobilisé les méthodes d'analyse critique du discours permettant de rendre compte des transformations longues des représentations du rôle des institutions d'enseignement supérieur dans la société. Depuis mars 2020, il est chercheur postdoctorant à l'UCLouvain (IACS) grâce à la bourse du Fonds de recherche Québec/Société et Culture. Ce projet de recherche vise à éclaircir le rôle des agences européennes d'assurance-qualité dans la régulation du champ de l'enseignement supérieur et leur contribution au rapprochement entre les institutions et les acteurs socioéconomiques.