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Le Bolsonarisme après Bolsonaro
Au terme d’un bilan controversé, Jair Bolsonaro a perdu les élections le 30 octobre 2022, alors qu’il briguait un deuxième mandat au poste de Président de la république du Brésil. Pour éviter ce scénario, le candidat défait avait pourtant usé de toutes les stratégies possibles, incluant celles qui auraient pu lui permettre de s’accrocher au pouvoir quelques mois de plus : discours visant à discréditer le système électoral en place, tentative de perturbation du vote dans le Nord-Est du pays (…)
Au terme d’un bilan controversé1, Jair Bolsonaro a perdu les élections le 30 octobre 2022, alors qu’il briguait un deuxième mandat au poste de Président de la république du Brésil. Pour éviter ce scénario, le candidat défait avait pourtant usé de toutes les stratégies possibles, incluant celles qui auraient pu lui permettre de s’accrocher au pouvoir2 quelques mois de plus : discours visant à discréditer le système électoral en place, tentative de perturbation du vote dans le Nord-Est du pays (traditionnellement plus favorable au Parti des Travailleurs), tentative échouée de coup d’État du 8 janvier à Brasilia, etc.
Or, l’ancien président devra assumer les conséquences de ses actes après un premier revers judiciaire. Alors que les juges du Tribunal Supérieur Électoral (TSE) ont rendu publique leur décision portant sur une action judiciaire pour abus de pouvoir3, Bolsonaro a été déclaré inéligible pour une durée de huit ans. Il lui est ainsi interdit de se présenter, durant cette période, aux élections présidentielles brésiliennes.
Inéligible
Trois mois avant les élections, Bolsonaro invitait, par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères et du ministre des Relations extérieures Carlos França, des dizaines de diplomates étrangers à sa résidence officielle (Palácio da Alvorada). Lors de cette réunion du 18 juillet qui avait tout le caractère d’une rencontre diplomatique « officielle » convoquée par l’État brésilien, Bolsonaro a adressé une série d’attaques visant à discréditer le TSE, en charge de la coordination du processus électoral, tout en faisant l’apologie de l’armée dont il rappelait qu’il était le chef suprême tout en répétant les défaillances non fondées du système de vote électronique (TSE, 2023) 4.
Un peu plus d’un mois après la rencontre, soit le 19 août 2022, le Parti démocratique travailliste a déposé une « Action d’enquête de justice électorale » (Ação de Investigação Judicial Eleitoral) contre Bolsonaro sur la base de trois motifs : abus de pouvoir politique, abus de pouvoir dans l’utilisation des médias et comportement interdit aux agents publics lors des campagnes électorales. C’est un an plus tard, après quatre séances (22, 27, 29, 30 juin 2023) dédiées à l’étude de ladite plainte, que le Président de la Cour du TSE, Alexandre de Moraes, annonce l’issue du vote. Adoptée à cinq voix contre deux des sept juges5 votant, le verdict final rend ainsi Bolsonaro inapte à présenter sa candidature jusqu’aux élections présidentielles de 2030 (TSE, 2023).
La position des cinq juges ayant voté en faveur de l’inéligibilité de l’ex-Président trouve son fondement dans la loi 22 qui stipule l’interdiction des « comportements caractérisant un abus ou un détournement de pouvoir ou une utilisation abusive des médias ou des moyens de communication ». Comme le rappelle Benedito Gonçalves, rapporteur de l’action et premier juge à se prononcer, les gestes de Bolsonaro lors de la réunion du 18 juillet enfreignent la loi tant au niveau de son principe que ses potentielles répercussions sur le résultat du vote des élections présidentielles du mois d’octobre suivant (TSE, 2023).
Quant aux juges dissidents, Raul Araújo 6et Nunes Marques, ceux-ci ont évalué que la gravité des gestes tenus par Bolsonaro lors de la rencontre du 18 juillet n’était pas suffisante pour avoir « rompu l’égalité entre les futurs candidats » ni « pour influencer négativement la participation des électeurs aux urnes électroniques ».
Dans la déroute judiciaire
Si cette première décision du TSE rend Bolsonaro inéligible, ce dernier n’a pas fini d’en découdre avec la justice. Le nombre de procès qui pèsent contre l’ancien président ainsi que leur importance méritent qu’on y consacre quelques lignes.
Parmi les plus importants des procès qui se glissent dans le palmarès, notons celui qui incrimine Bolsonaro pour l’organisation du coup d’État s’étant déroulé à Brasilia le 8 janvier 2022. Alors que sa signature se retrouvait sur le brouillon d’un décret visant à déclencher l’état d’urgence, document découvert lors de perquisitions à la résidence de son ex-ministre de la Justice Anderson Torres, Bolsonaro est soupçonné d’avoir été derrière l’organisation de l’invasion des « Trois pouvoirs ». La justification première de l’ouverture de ce procès à l’encontre de Bolsonaro reste la publication, le 10 janvier 2022, d’une vidéo où il dénonce l’irrégularité des élections présidentielles. Parmi les crimes pour lesquels l’ex-Président risque l’emprisonnement, notons ceux de terrorisme, d’association criminelle, d’abolition violente de l’État de droit démocratique, de coup d’État, ainsi que de menace et de persécution.
Bolsonaro est également mis en cause dans un autre procès qui mérite d’être mentionné, celui du génocide indigène des communautés Yanomami au sein desquelles ont été enregistrés 129 morts en date du 7 janvier 2023. Parmi ces morts, la moitié sont des enfants de moins de 4 ans. Depuis des décennies, ces communautés font face à l’exploitation minière illégale avec pour conséquences la dégradation de leur terre et des conditions d’hygiène, l’augmentation des troubles d’alimentation et de la violence dans la population. Les conditions de vie des communautés qui habitent la terre Yanomami se seraient toutefois largement dégradées depuis la fin du mandat de Bolsonaro en décembre 2022, notamment en raison de la désorganisation des organismes de santé qui œuvrent sur le territoire, du démantèlement des politiques publiques visant à soutenir les populations autochtones et évidemment de la mauvaise gestion gouvernementale de la crise du Covid-19 (Estadao, 20237). Alors qu’il est pointé du doigt pour avoir délibérément autorisé l’exploitation minière illégale sur les territoires Yanomami, Bolsonaro est aujourd’hui poursuivi dans le cadre d’un procès d’enquête à la fois au Brésil8 et devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.
Outre ces deux dossiers qui pèsent déjà lourd, Bolsonaro se retrouve au centre d’enquêtes diverses dont on ne nommera ici que les thématiques : attaque cybernétique contre le TSE, relais d’une fausse information liant vaccin contre la Covid-19 et la contraction du SIDA, ingérence dans la Police Fédérale, etc.
La droite après Bolsonaro
Si en moins d’un an, la carrière politique de Bolsonaro semble s’être écroulée tel un château de carte, la question qui concerne maintenant le destin de l’homme n’est probablement pas son avenir politique, mais le temps dont il dispose pour user de ses libertés civiles.
L’autre question qui demeure en suspend est celle de la relève qui occupera l’espace politique délaissé par l’ex-Président. Depuis les élections présidentielles de 2018, la politique brésilienne a atteint un très haut niveau de polarisation. Entre une droite bolsonariste anti-institutionnaliste et une gauche unie, dont une partie malgré elle, derrière Lula, il ne restait que très peu d’espace sur l’échiquier politique pour des partis voulant offrir une vision politique plus centriste. L’hypothèse la plus probable, partagée par Isabela Kalil9, est celle de l’émergence d’une nouvelle droite qui s’inscrirait à la fois dans le sillon idéologique bolsonariste, mais qui de façon plus « modérée », se garderait d’entrer dans le jeu des discours polémiques visant à rassurer la base électorale la plus radicale du pays. Ainsi, sans pour autant s’attendre à une droite qui refuse ou critique ouvertement le fonctionnement des institutions démocratiques, on peut s’attendre à une vague de politiciens à l’image plus modérée, mais qui profite du chemin tracé par le bolsonarisme pour reprendre les thèmes classiques de son agenda (sécurité publique, port des armes, anti-élitisme, politiques anti-genres).
Dans ce scénario, trois leaders politiques semblent avoir la tête de l’emploi. Il y a d’abord le poulin tout indiqué Tarcísio Gomes de Freitas. Membre du Parti Républicain (Republicanos), il fut, aux dernières élections, le premier gouverneur de l’État de São Paulo élu sous une bannière autre que celle du Parti social-démocrate (PSDB). L’homme se décrit ainsi comme un politicien de droite tant au niveau des valeurs sociales que de l’économie, sans pour autant sombrer dans l’extrémisme des critiques des institutions démocratiques qui ont fait la marque de commerce de Bolsonaro.
La deuxième candidate potentielle pour prendre la relève et représenter la droite brésilienne serait Michelle Bolsonaro, l’ex-Première dame du pays. Selon Isabelle Kalil, Michelle Bolsonaro pourrait ainsi bénéficier du transfert de capital politique de l’ex-président en gardant toutefois une forme d’indépendance. Bien qu’elle partage le même socle de valeurs politiques, l’éthos de l’ex-Première dame, défendant des thèmes d’avantage liés à la protection de la famille, des enfants et de la condition féminine, lui permet de s’afficher comme politicienne s’adressant à un électorat plus « modéré ».
Finalement, la troisième possibilité pointée par les médias brésiliens est le gouverneur de l’État du Minas Gerais, Romeu Zema. À l’origine, il était un important homme d’affaire de l’État qu’il gouverne aujourd’hui et est devenu un politicien bien établi. Affilié au Parti Novo, Zema est reconnu pour flirter avec le bolsonarisme sans pour autant projeter une image d’extrémisme. Le gouverneur du Minas Gerais réfute pour l’instant la possibilité de se présenter aux présidentielles, affirmant préférer appuyer un candidat du sud du Brésil représentant bien l’« économie du pays » (Estados de Minas, 2023). L’échéance lointaine des prochaines élections donne au potentiel candidat toute la marge de manœuvre nécessaire pour tester la force de ses appuis.
Comme nous pouvons le constater, quel·le que soit le·la candidat·e, le bolsonarisme et son héritage politique ne sont pas prêts de s’éteindre. Durant ses quatre années au pouvoir, Bolsonaro sera parvenu à faire baisser les standards de la politique brésilienne et à déplacer le curseur de l’échiquier politique vers l’extrême droite. Ce déplacement des lignes de front aura pour effet, du moins pour les prochaines années, de rendre acceptable l’affirmation de positions extrémistes dès lors que la personne qui les prononce projette une image plus raisonnable que celle de l’ex-Président.
Alors qu’aux dernières élections, une partie de la population s’était rangée derrière le candidat Lula qui a été élu faute d’options disponibles pour renverser Bolsonaro, le scénario des élections de 2026 s’annonce bien différent. Devant une droite politique plus sournoise, tout aussi radicale sur le plan des valeurs et ayant appris des erreurs stratégiques de son prédécesseur, la route de la gauche brésilienne qui voudra conserver le pouvoir s’annonce tumultueuse.
- Voir à ce sujet notre dossier « Brésil de Bolsonaro : fin de partie ? » paru en octobre 2022.
- Voir à ce sujet l’éditorial du numéro 2 de La Revue nouvelle : « Carton rouge pour Bolsonaro ».
- Ação de Investigação Judicial Eleitoral (AIJE).
- Référence complète : https://www.tse.jus.br/comunicacao/noticias/2023/Junho/por-maioria-de-votos- tse-declara-bolsonaro-inelegivel-por-8-anos
- Juges en faveur : Benedito Gonçalves, Alexandre de Moraes, Floriano de Azevedo Marques, André Ramos Tavares, Cármen Lúcia. Juges dissidents : Raul Araújo, Nunes Marques.
- En tant que ministre à la Cour supérieure de justice, Raul Araujo a fait notamment interdire les manifestations politiques par les artistes lors de leur concert après que la chanteuse Pabllo Vittar ait brandit un drapeau du candidat Lula lors de son spectalce au festival Lollapalooza (Estado de Minas, 2023). Référence complète : https://www.em.com.br/app/noticia/politica/2023/06/27/interna_politica,1512939/quem-e-raul-araujo-sob-pressao-de-bolsonaro-para-adiar-julgamento.shtml[
- Référence complète : https://www.estadao.com.br/estadao-verifica/crise-humanitaria-terra-indigena- yanomami/
- Sur la demande du ministre Barroso L. R. de la Cour suprême fédérale (STF), du Parquet général de la République, du Parquet militaire, ainsi que ministère de la Justice et la Police fédérale (PF).
- Professeure-chercheure à la Fundação Escola de Sociologia e Política de São Paulo(FESPSP), Kalil I. est anthropologue spécialisée dans l’étude de la droite brésilienne. Pour consulter l’une de ses analyses récentes sur le sujet : Kalil I. (2023). A direita sem Bolsonaro, Fora da Política Não há Salvação, 1 juillet. https://youtu.be/gJyHfr_RPGs