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La radio, soluble dans la pub ?

Numéro 10 Octobre 2010 par Frédéric Antoine

octobre 2010

De tous les médias, la radio est peut-être celui qui est le mieux adap­té à l’in­jec­tion de publi­ci­tés à forte dose. Sans que cela soit mor­tel pour le dif­fu­seur ou pour son audi­teur ? Pas sûr. À force d’être mar­quée par la pub, la pro­gram­ma­tion radio­pho­nique perd de plus en plus de son conte­nu au pro­fit d’une forme : celle d’une coquille des­ti­née à héber­ger des mes­sages com­mer­ciaux entre­cou­pés de conte­nus musi­caux ou, par­fois, culturels…

Dossier

C’est deve­nu une évi­dence depuis les célèbres décla­ra­tions de l’ex-PDG de TF1 Patrick Le Lay dans l’ouvrage Les diri­geants face au chan­ge­ment (édi­tions du Hui­tième Jour): dans une pers­pec­tive busi­ness, le métier de la télé­vi­sion pri­vée est d’aider les entre­prises à vendre leur pro­duit. Et cela s’accomplit via les choix de la pro­gram­ma­tion, comme l’expliquait alors le patron de la chaine pri­vée : « Pour qu’un mes­sage publi­ci­taire soit per­çu, il faut que le cer­veau du télé­spec­ta­teur soit dis­po­nible. Nos émis­sions ont pour voca­tion de le rendre dis­po­nible : c’est-à-dire de le diver­tir, de le détendre pour le pré­pa­rer entre deux mes­sages. Ce que nous ven­dons à Coca-Cola, c’est du temps de cer­veau humain disponible. »

Au-delà de la télé­vi­sion pri­vée, on peut esti­mer que toute pro­gram­ma­tion télé­vi­sée inté­grant des écrans publi­ci­taires est, tota­le­ment ou en par­tie, pré­dé­ter­mi­née par la fonc­tion qui lui est confé­rée dans le cadre d’un pro­ces­sus éco­no­mique. S’il y a pub, que la chaine soit publique ou pri­vée, il lui incombe à chaque fois de veiller à ce que le type de télé­spec­ta­teur vou­lu par l’annonceur soit pré­sent au moment de la dif­fu­sion de ses spots. Et de faire en sorte que ce spec­ta­teur se trouve dans un état de récep­ti­vi­té adé­quat pour par­ve­nir à assi­mi­ler le mes­sage consu­mé­riste por­té par la publicité.

Dans cette pers­pec­tive, le rôle des pro­grammes et de leurs conte­nus subit une sérieuse remise en cause. Et l’on com­prend dès lors mieux pour­quoi ce ne sont pas les pro­grammes les plus signi­fiants (ou les plus déran­geants) qui sont dif­fu­sés aux heures de grande audience, mais bien ceux qui per­mettent de réunir le plus grand nombre de consom­ma­teurs adé­quats et de les mettre dans les condi­tions opti­males évo­quées ci-dessus.

En télé­vi­sion, dès que l’économie de la publi­ci­té entre en scène, la pro­gram­ma­tion ne s’en sort pas indemne. L’une a tou­jours une infé­rence sur l’autre. La télé­vi­sion consti­tue à ce pro­pos l’exemple le plus com­mu­né­ment admis. Mais, média­ti­que­ment par­lant, il est loin d’être le seul. Et n’est peut-être pas le plus prégnant.

Marquée au fer rouge

Pro­grammes et pro­gram­ma­tion radio­pho­niques sont eux aus­si influen­cés par les mes­sages com­mer­ciaux insé­rés en leur sein. En rai­son de leur redon­dance de forme et de conte­nu, mais aus­si à la suite de la fré­quence de leur dif­fu­sion et à cause du haut degré d’émiettement des écrans publi­ci­taires radio­pho­niques au sein des pro­grammes, on peut esti­mer que les publi­ci­tés radio­pho­niques marquent davan­tage les esprits et les mémoires que les spots télé­vi­sés. Madame Laurent de Télé-Secours, Devos et Lem­mens autour de leur bar­be­cue ou les répa­ra­teurs de chez Car­glass, par exemple, sont tel­le­ment ancrés dans l’inconscient de l’auditeur qu’ils font aujourd’hui par­tie inté­grante de l’imaginaire radio­pho­nique des Belges fran­co­phones. Et ce alors que ces publi­ci­tés, et les per­son­nages qui les animent, n’ont pas d’équivalents télé­vi­sés. Et on pour­rait en dire de même des jingles et ritour­nelles qui accom­pagnent cer­tains spots : leur briè­ve­té et leur redif­fu­sion ren­gai­nique marquent aujourd’hui davan­tage les oreilles que bon nombre de mes­sages dif­fu­sés par la télévision.

On a cou­tume de qua­li­fier la radio du titre de média « mul­ti­fonc­tions », car elle per­met de mener des acti­vi­tés de pair avec l’usage du média, alors que la plu­part des autres pra­tiques média­tiques (lec­ture, vision…) imposent la mono-fonc­tion. Sauf excep­tion, on ne peut en effet lire son jour­nal ou suivre un pro­gramme de télé­vi­sion en menant, de front, d’autres occupations.

Cette situa­tion rend, en pra­tique, l’usager de la radio davan­tage dépen­dant de la source à laquelle il est expo­sé. Le télé­spec­ta­teur zappe, le lec­teur saute de page en page au gré de ses inté­rêts… ou de la pré­sence de publi­ci­tés. Parce qu’il écoute la radio en déve­lop­pant d’autres pra­tiques, l’auditeur ne passe pas aisé­ment de sta­tion en sta­tion. Il conserve, en toile de fond, la même dif­fu­sion sonore. Davan­tage cap­tif du pro­gramme sur lequel il s’est bran­ché que le télé­spec­ta­teur, il n’en devient que plus dépen­dant de la pré­sence d’une publi­ci­té, au carac­tère inva­sif marqué.

De la réclame partout

On aurait tort en effet d’imaginer que la com­mu­ni­ca­tion publi­ci­taire radio­pho­nique se limite à la dif­fu­sion, à un moment pré­cis toutes les heures, d’une longue et unique séquence com­pre­nant tous les mes­sages com­mer­ciaux à dif­fu­ser. S’il en fut ain­si au début de la trans­mis­sion de la pub à la radio, et si c’est encore le cas sur des sta­tions publiques comme Radio 1 (VRT), sur la plu­part des autres émet­teurs, la publi­ci­té est désor­mais omni­pré­sente. Le nombre d’écrans dif­fé­rents dif­fu­sés par tranche horaire ne cesse de croitre, pou­vant atteindre six voire plus par heure. Et, au-delà des moments où la publi­ci­té est émise de manière iden­ti­fiable, dans des espaces pré­vus à cet effet, des mes­sages com­mer­ciaux plus sub­tils, de très brève durée (cinq à dix secondes), encadrent désor­mais de plus en plus de séquences, à com­men­cer par celles qui contiennent les infor­ma­tions-ser­vice les plus récur­rentes en radio : la météo et l’info-trafic. Mais on peut aus­si trou­ver ce type d’annonce (dite « bill­boards ») avant ou après les news, autour d’un jeu, d’une séquence sati­rique ou d’un pro­gramme de ser­vices, par exemple. Il n’est d’ailleurs pas rare que les régies publi­ci­taires pro­posent des tarifs cumu­lés très avan­ta­geux pour l’occupation de ces cases stra­té­giques. Car tout est bon pour que le « par­rai­nage » d’un conte­nu radio­dif­fu­sé per­mette à un annon­ceur de glis­ser son mes­sage dans l’encadrement de la séquence.

Les régies publi­ci­taires elles-mêmes le disent : il n’y a sans doute pas meilleur sup­port pour la dif­fu­sion publi­ci­taire que la radio. Patrick Le Lay aurait d’ailleurs eu inté­rêt à dédier au sup­port radio­pho­nique l’aveu sur le « temps de cer­veau dis­po­nible » qu’il fit à pro­pos de la télé­vi­sion. Les com­mer­ciaux ont même inven­té à cette occa­sion un terme : l’«audiobranding ». Une notion très bien expli­quée dans la revue de la régie IP Bel­gique (Backs­tage, Bruxelles, IP, n° 28, novembre 2009): « Tout le monde connait le double rôle de la radio : son aspect fonc­tion­nel sous la forme des actua­li­tés, des infos rou­tières et de la météo, et son aspect émo­tion­nel au tra­vers du lien avec un présentateur/un pro­gramme et des sen­ti­ments qu’éveille en nous tel ou tel choix musi­cal. La radio joue donc sur les états d’âmes et est consi­dé­rée par les audi­teurs comme le meilleur média pour les égayer. La rela­tion intime entre la radio et ses audi­teurs lui confère une posi­tion pri­vi­lé­giée pour véhi­cu­ler cer­tains mes­sages de type émo­tion­nel dans leur esprit. »

Récit déstructuré

Cet épar­pille­ment du temps radio­pho­nique attri­bué au com­mer­cial n’est pas sans inci­dence sur la cohé­rence de la pro­gram­ma­tion. En règle géné­rale (mais nous ver­rons ci-des­sous qu’il existe des excep­tions), une grille de pro­gram­ma­tion se com­pose de dif­fé­rentes cases dans les­quelles se situe, à chaque fois, un pro­gramme par­ti­cu­lier. Celui-ci dis­pose d’une cohé­rence interne impor­tante. Un pro­gramme n’est en effet pas un amas informe et illo­gique de conte­nus, que ceux-ci soient ver­baux, musi­caux ou sonores. L’agencement entre les conte­nus et la cohé­rence interne à chaque conte­nu mani­festent le conti­nuum du pro­gramme, son dérou­lé au sein de la pro­gram­ma­tion. On pour­rait dire que chaque pro­gramme est une his­toire, un récit, celui-ci étant lui-même com­po­sé de plu­sieurs sous-récits, et le tout étant enchâs­sé dans une struc­ture plus large, la pro­gram­ma­tion. Chaque uni­té nar­ra­tive sup­pose la pré­sence d’une logique de construc­tion, qui per­met à l’auditeur de pro­gres­ser dans l’évolution du récit. L’ensemble des conte­nus cultu­rels ain­si dif­fu­sés est dès lors homogène.

L’irruption publi­ci­taire rompt évi­dem­ment cette homo­gé­néi­té. En fai­sant sur­gir du com­mer­cial, à nature injonc­tive, dans une struc­ture his­to­riée, elle remet en cause le contrat nar­ra­tif qui lie l’auditeur et le pro­gram­ma­teur ou l’animateur de l’émission. Elle casse l’immersion de l’auditeur dans la conti­nui­té de l’histoire (ou des his­toires, à l’échelon « macro » ou « micro »).

Le méca­nisme est connu en télé­vi­sion lorsque l’écran publi­ci­taire sur­git et inter­rompt le récit por­té par le pro­gramme. Mais, sur ce média, même si elle s’avère très déran­geante, cette irrup­tion est — toutes pro­por­tions gar­dées — peu fré­quente. En radio, elle est par contre for­te­ment pré­sente. Et elle est com­plé­tée, à lon­gueur d’heures, par le sur­gis­se­ment des mes­sages de « par­rai­nage » de séquences qui inondent l’antenne.

Dans bien des cas, la dif­fu­sion déstruc­ture donc la pro­duc­tion émise, fai­sant peu de cas de l’intérêt de l’auditeur. Mais, celui-ci étant qua­si­ment pri­son­nier de sa chaine, qui s’en priverait ?

Musique restructurée

Tout comme en télé­vi­sion, en radio, l’annonce publi­ci­taire ne consti­tue pas un simple décor, un « détail » dans la pro­gram­ma­tion. Au contraire, on peut esti­mer qu’elle en est deve­nue un élé­ment essentiel.

On ne peut dès lors réflé­chir sur l’état de l’offre radio­pho­nique de ce début de siècle sans prendre la com­po­sante publi­ci­taire en compte. Tout regard sur la radio ne peut faire l’économie d’une inter­ro­ga­tion sur l’ampleur de l’invasion publi­ci­taire sur les ondes, et sur son véri­table rôle dans l’orchestration de l’offre dif­fu­sée. En rele­vant que, dans cer­tains cas, la publi­ci­té s’avère être un élé­ment inhé­rent du pro­gramme d’une sta­tion, c’est-à-dire que celui-ci ne pour­rait qua­si­ment pas exis­ter sans elle. Alors que, dans d’autres, elle est un élé­ment rap­por­té, impo­sé, qui infère sur la mor­pho­lo­gie de l’offre et la confi­gu­ra­tion de la programmation.

Dans le sec­teur de la radio dite d’«accompagnement », c’est-à-dire à com­po­sante essen­tiel­le­ment musi­cale, la publi­ci­té rem­plit ain­si un rôle moteur. La pro­gram­ma­tion musi­cale veille ici à affi­cher le ton géné­ral de la sta­tion, ce que l’on dénomme sa « cou­leur d’antenne ». Le rôle de l’animation y est minime. Il se limite essen­tiel­le­ment à insé­rer une touche d’humanité dans la méca­nique impla­cable de l’enchainement des « plaques » — ou plus exac­te­ment des fichiers infor­ma­tiques — pré­pro­gram­mé par ordi­na­teur. L’animateur, ou le DJ, est dès lors rare­ment à l’antenne. Ses appa­ri­tions sonores sont brèves, cherchent à ras­su­rer l’auditeur et veillent à s’assurer qu’il reste bien à l’écoute par tous les moyens, notam­ment en le fai­sant par­ti­ci­per à des jeux de fidé­li­sa­tion. Hor­mis ces rares appa­ri­tions vocales, un seul élé­ment rythme réel­le­ment le pro­gramme : la dif­fu­sion régu­lière des écrans publi­ci­taires, dont l’insertion dans des cré­neaux extrê­me­ment pré­cis est impé­ra­tive. Repo­sant sur le prin­cipe amé­ri­cain de la « clock radio » (une pro­gram­ma­tion-type conçue sur le cane­vas d’un modèle d’une heure), la conduite de ces radios est orga­ni­sée en fonc­tion des moments où les spots doivent être pro­po­sés. Le rôle du com­mer­cial est donc ici essen­tiel, voire exis­ten­tiel, la cou­leur d’antenne com­plé­tant cette démarche publi­ci­taire afin de veiller à agir posi­ti­ve­ment sur l’humeur de l’auditeur quand il s’agira qu’il endosse son rôle de consommateur.

Thématiques chapitrées

À côté des radios musi­cales, il n’existe pas en Bel­gique d’autre grand type de radios thé­ma­tiques, qu’il s’agisse de pro­grammes des­ti­nés aux ama­teurs d’informations, de sport ou de talk, par exemple. Il est donc dif­fi­cile d’apprécier le rôle que la publi­ci­té pour­rait jouer sur pareil sup­port en fonc­tion du cas natio­nal. Les exemples étran­gers, et notam­ment nord-amé­ri­cains dont s’inspirent le plus sou­vent des « créa­teurs » de radios en Europe, tendent tou­te­fois à indi­quer que ces autres radios thé­ma­tiques fonc­tionnent elles aus­si, pour la plu­part, sur le for­mat « clock radio ». Mais, cette fois, c’est la parole, et non la musique, qui y occupe la pre­mière place. Aus­si le rôle struc­tu­rant de la publi­ci­té doit-il être envi­sa­gé ici de manière dif­fé­rente. Il ne lui incombe plus de ryth­mer un flux musi­cal, mais d’organiser l’ordonnancement des conte­nus dif­fu­sés. D’une cer­taine manière, c’est à la publi­ci­té que l’on délègue le rôle de cha­pi­tra­tion de l’antenne. D’une thé­ma­tique à l’autre, d’un type d’actualité à l’autre, la tran­si­tion s’opère par la dif­fu­sion d’écrans publi­ci­taires. Ceux-ci construisent donc la varié­té de l’offre, mais se pré­sentent aus­si comme de salu­taires moments de res­pi­ra­tion dans le flux thématique.

Dans la conti­nui­té de l’antenne, ils consti­tuent donc des moments de pause, assez sem­blables à ceux qu’incarnent les écrans publi­ci­taires télé­vi­sés. À ce titre, on pour­rait les consi­dé­rer comme moins influents sur le conte­nu dif­fu­sé que dans des radios thé­ma­tiques musi­cales, par exemple. Mais ce serait perdre de vue que, pour une radio, rem­plir la fonc­tion de struc­tu­ra­tion de l’offre n’est pas un rôle ano­din. Les conte­nus pro­po­sés dans cha­cun des cha­pitres mis à l’antenne par la pro­gram­ma­tion seront lar­ge­ment déter­mi­nés par l’existence des inter­mèdes publi­ci­taires et par le rôle orga­ni­sa­teur qui leur est confé­ré. Cer­tains thèmes por­teurs, cer­tains conte­nus accro­cheurs, seront pré­fé­rés à d’autres. Une « news radio » com­mer­ciale ordon­nan­ce­ra la hié­rar­chie de ses infor­ma­tions en fonc­tion de la pré­sence des publi­ci­tés. À l’approche de la dif­fu­sion d’un écran, elle appli­que­ra par exemple le prin­cipe du « coming next », bien connu sur les télé­vi­sions com­mer­ciales, qui donne de manière appé­tis­sante le menu de ce qui sera pré­sen­té après la pub afin de créer un effet de tea­sing des­ti­né à main­te­nir l’audience sur la sta­tion pen­dant et après l’écran.

Ici aus­si, la nature de l’offre pro­gram­ma­tique sera influen­cée par la nature du mode de finan­ce­ment de la chaine.

Généralistes contaminées

Peut-on en dire de même de la publi­ci­té insé­rée dans la pro­gram­ma­tion des radios géné­ra­listes, qui ne fonc­tionnent pas selon une modu­la­tion horaire et ne se limitent pas à une dif­fu­sion mono­thé­ma­tique ? La réponse doit être nuan­cée. Non tant selon qu’il s’agisse à l’origine de radio de type « pri­vé » ou « public », mais en fonc­tion de l’identité exacte de la radio et par­tant (car les choses sont sou­vent liées) de l’importance que le rôle de « pro­duc­trice de richesses » revêt pour la sta­tion. En clair, plus une radio, publique ou pri­vée, est char­gée d’être un impor­tant pour­voyeur de reve­nus pour l’entreprise qui l’a mise en œuvre, plus le rôle de la publi­ci­té dans son orga­ni­sa­tion pro­gram­ma­tique sera déve­lop­pé. Par contre, si la radio n’est pas des­ti­née à récol­ter de fortes sommes d’argent, l’inférence du com­mer­cial sur les conte­nus sera plus réduite. Mais jamais inexis­tante, et le plus sou­vent variable en fonc­tion des tranches horaires.

Ain­si, qu’il s’agisse de Bel RTL ou de Viva­Ci­té (radio « popu­laire » de la RTBF), le rôle atten­du de la radio est clair. Elles doivent ras­sem­bler, aus­si lar­ge­ment que pos­sible, un public varié, en majo­ri­té com­po­sé de classes moyennes et popu­laires. L’ampleur quan­ti­ta­tive de la cible et la lar­geur du spectre visé doivent per­mettre à ces sta­tions de pro­duire des reve­nus impor­tants grâce à l’insertion dans leur pro­gram­ma­tion d’un nombre éle­vé de mes­sages publi­ci­taires grand public. Un objec­tif aisé­ment com­pré­hen­sible pour Bel RTL, puisque les recettes de la sta­tion per­mettent non seule­ment le fonc­tion­ne­ment de la chaine, mais aus­si celui de RTL Bel­gique et doivent assu­rer une rému­né­ra­tion aux action­naires du réseau. Mais un objec­tif presque aus­si légi­time pour Viva­Ci­té, puisque, dans le plan finan­cier de la RTBF, cette chaine — lar­ge­ment la plus écou­tée des sta­tions publiques selon les son­dages — doit aus­si être celle qui pro­cure le plus de recettes com­mer­ciales à l’opérateur public.

Les mêmes méthodes devant abou­tir aux mêmes résul­tats, on ne s’étonnera pas du fait que la mor­pho­lo­gie pro­gram­ma­tique de Viva­Ci­té ait été conçue par l’ancien direc­teur de Bel RTL. Les paral­lèles entre les types de pro­grammes pro­po­sés par les deux chaines sont nom­breux. La nature de ces pro­grammes cor­res­pond par­fai­te­ment au cœur de cible visé. Quant à l’émiettement des mes­sages publi­ci­taires au fil de la dif­fu­sion, il tend à confir­mer l’impression de pré­émi­nence du com­mer­cial sur les conte­nus que peut, par­fois, res­sen­tir l’auditeur avisé.

Un seul exemple : l’émission de mati­née (9 heures à 11 heures) pro­po­sée par les deux sta­tions. En moyenne, sur Bel RTL, chaque heure du jeu-diver­tis­se­ment Beau Fixe est ponc­tuée de six écrans publi­ci­taires, soit un toutes les dix minutes. Au même moment, sur Viva­Ci­té, chaque heure du talk C’est vous qui le dites est inter­rom­pue trois à quatre fois par des annonces pub, sans comp­ter les rup­tures dues au radio­gui­dage, enca­drées elles aus­si d’un mes­sage de nature commerciale.

À l’heure des pro­grammes mati­naux, qui consti­tuent le « pri­me­time » de la dif­fu­sion radio­pho­nique, c’est-à-dire qui repré­sentent le moment de la jour­née pen­dant lequel le plus grand nombre d’auditeurs est à l’écoute, ce constat peut être éten­du à toutes les radios géné­ra­listes. L’émiettement pro­gram­ma­tique revêt alors une fré­quence inéga­lée, y com­pris sur une radio peu com­mer­ciale comme La Pre­mière (RTBF). Dans cette tranche 7 heures à 9 heures, hors mes­sages de « spon­so­ring » de séquences, le pro­gramme mati­nal de Bel RTL est inter­rom­pu de cinq à sept fois par heure par des écrans de pub, et celui de La Pre­mière de cinq à six fois.

Il en est à peu près de même sur Viva­Ci­té. Ce qui signi­fie que, sans tenir compte des mes­sages de spon­so­ring, la durée d’une plage d’émission sans publi­ci­té ne dépasse pas les dix minutes…

Fondu enchainé

À la manière dont, sur les sta­tions tant publiques que pri­vées, les pro­grammes se voient ain­si mor­ce­lés par la publi­ci­té, il appa­rait clai­re­ment que, au moins à cer­taines heures clés, l’essentiel de l’intention pro­duc­tion­nelle n’est pas de dif­fu­ser un flux cohé­rent de conte­nus, un récit, c’est-à-dire un « pro­gramme » au sens plein du terme, mais bien, comme dans le cas des radios musi­cales « easy lis­te­ning » évo­quées plus haut, de pro­po­ser à l’auditeur une trame d’accompagnement ponc­tuée par la dif­fu­sion des spots com­mer­ciaux. Les tarifs deman­dés par les régies publi­ci­taires sont là pour le confir­mer : dans le cas de la RTBF (voir gra­phique), les sommes les plus éle­vées pour la dif­fu­sion d’un spot sont deman­dées le matin, sur Viva­Ci­té celles-ci attei­gnant des mon­tants beau­coup plus éle­vés que sur Clas­sic 21, et ces der­niers étant encore lar­ge­ment supé­rieurs à ceux de La Première.

[*Tarifs publi­ci­taires radio*]
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Il n’existe pas de comp­ta­bi­li­sa­tion exacte du temps d’antenne consa­cré à la publi­ci­té sur les grands réseaux de radio de la Bel­gique fran­co­phone. Tou­te­fois, une étude, dénom­mée Radio Obser­ver, est menée par la régie IPB afin d’analyser le conte­nu de l’offre pro­gram­ma­tique radio­pho­nique glo­bale. Réa­li­sée sur un jour de pro­gram­ma­tion de 6 à 22 heures, celle-ci ter­mine sa typo­lo­gie par une caté­go­rie « Autres pro­grammes » où l’on retrouve la publi­ci­té, l’autopromotion, le spon­so­ring, les jingles, les tops horaires, les géné­riques et le « rem­plis­sage d’antenne ». En 2007 (étude faite le 17 octobre 2006), sur la moyenne des seize heures d’antenne, la pro­por­tion de temps très majo­ri­tai­re­ment occu­pé par la pub variait de douze à six minutes par heure selon les radios. Cer­tains réseaux musi­caux dépas­saient les dix minutes par heure, mais d’autres étaient plu­tôt à six minutes. Les géné­ra­listes, pour leur part, se situaient en milieu de clas­se­ment, avec entre 16 et 12 % de leur temps d’antenne occu­pés par « autre chose » que de la pro­gram­ma­tion de conte­nus. Quand on rap­pelle qu’il s’agit de chiffres moyens, ces don­nées démontrent que si la pro­gram­ma­tion radio n’est pas entiè­re­ment soluble dans la pub, elle y fond len­te­ment. Mais surement.

Temps occu­pé par les « autres » programmes
% de temps d’antenne (moyenne par heure)
NRJ 20%
Nos­tal­gie 18%
Bel RTL 16%
Viva­Ci­té 14%
Contact 13%
La pre­mière 12%
Clas­sic 21 11%
Pure FM 11%
Fun 10%

Source : Radio Obser­ver 2007

Frédéric Antoine


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