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La prison-monde

Numéro 05/6 Mai-Juin 2009 par Joëlle Kwaschin

avril 2015

Le 1er avril est un jour magni­fique. Une déli­cieuse cou­tume veut que l’on raconte des bobards dans les médias. Ce passe-temps est moins ano­din qu’il n’y paraît et une enquête his­to­rique sur les pois­sons d’avril, au reste peut-être déjà réa­li­sée, révé­le­rait pro­ba­ble­ment, fil­trée par cette écume fri­vole, l’évolution des médias. Mais au-delà de sérieux travaux, […]

Le 1er avril est un jour magni­fique. Une déli­cieuse cou­tume veut que l’on raconte des bobards dans les médias. Ce passe-temps est moins ano­din qu’il n’y paraît et une enquête his­to­rique sur les pois­sons d’avril, au reste peut-être déjà réa­li­sée, révé­le­rait pro­ba­ble­ment, fil­trée par cette écume fri­vole, l’évolution des médias. Mais au-delà de sérieux tra­vaux, le plai­sant de l’affaire est que ce jour-là rince l’œil et l’oreille. Le monde vacille, sa réa­li­té n’est pas assu­rée, chaque nou­velle doit être pas­sée au crible de la cri­tique puisqu’elle est sus­cep­tible d’être fausse ; tout prend un relief inat­ten­du. Le 1er avril est un jour où l’on est incré­dule. Mais son charme tient en ce qu’il est unique ; on ne peut rai­son­na­ble­ment pas, jour après jour, remettre en ques­tion la véra­ci­té de l’information.

Ste­faan De Clerck a annon­cé qu’il man­quait quatre mille places dans les pri­sons belges et que les Hol­lan­dais en avaient quatre mille de trop. Comme les bâti­ments ne se télé­trans­portent pas encore, ce sont donc quelques cen­taines de déte­nus qui pour­raient pur­ger leur peine aux Pays-Bas. La qua­li­té des farces média­tiques est sou­vent très grande, des per­son­na­li­tés poli­tiques se prê­tant com­plai­sam­ment au jeu, mais rien à faire, le 21 avril, le jour du pois­son était déjà loin. La nou­velle n’était pas pour rire, le ministre venait de décou­vrir le prin­cipe des vases communicants.

Puisque c’est donc pour du vrai, il convient de réflé­chir et de démon­ter les argu­ments de l’Observatoire inter­na­tio­nal des pri­sons (OIP), qui, natu­rel­le­ment, est en désac­cord avec Ste­faan De Clerck. Celui-ci admet que son plan pré­sente des dif­fi­cul­tés, juri­diques notam­ment puisqu’en prin­cipe la peine doit être exé­cu­tée dans le pays où la condam­na­tion a été pro­non­cée, mais il a bon espoir d’aplanir les dif­fi­cul­tés car les négo­cia­tions sont bien en train avec les auto­ri­tés néer­lan­daises. À la fin de l’entretien retrans­mis par la RTBF, le ministre finit par admettre qu’il fau­dra l’avis des déte­nus avant tout trans­fert. Com­ment ceux-ci pour­raient-ils res­ter insen­sibles aux mul­tiples avan­tages du système ?

Pour Del­phine Paci de l’OIP, le plan de reclas­se­ment et la reso­cia­li­sa­tion seraient com­pro­mis, alors qu’ils seront au contraire favo­ri­sés. Les déte­nus seront incar­cé­rés dans un pays dont ils ne parlent pas la langue ? C’est vrai, mais quelle superbe for­ma­tion gra­tuite, d’autant qu’il s’agirait d’apprendre l’une de nos trois langues natio­nales et que l’on déplore assez que les fran­co­phones snobent le néer­lan­dais ; quant aux Fla­mands, un recy­clage d’alge­meen neder­lands ne pour­rait leur être que favo­rable. Il n’y a pas de rai­son que le pro­gramme Eras­mus d’échanges d’étudiants entre les uni­ver­si­tés soit réser­vé aux fils de bour­geois qui ont les moyens finan­ciers de s’offrir un séjour à l’étranger. C’est cela la réelle démo­cra­ti­sa­tion des études. Comme Phi­lippe Clay le chan­tait naguère, « mes uni­ver­si­tés, c’était le pavé de Paris », tous les lieux peuvent être pro­pices à l’étude pour peu qu’on le désire vraiment.

Cette expa­tria­tion sera aus­si por­teuse de contacts humains, d’échanges mul­ti­cul­tu­rels qui favo­ri­se­ront la réin­ser­tion. En réa­li­té, il y a tant de déra­ci­nés sociaux en pri­son, de gens qui n’ont jamais été insé­rés dans la socié­té belge que le mot « réin­ser­tion » est mal choi­si. C’est plu­tôt d’insertion qu’il convien­drait de par­ler, alors qu’ils s’insèrent ici ou en Hol­lande… Tant qu’à faire autant que ce soit là-bas puisque nul n’ignore que la pri­son est l’école du crime, autant qu’ils réci­divent loin d’ici. De plus, le haschisch y étant en vente libre, une par­tie des tra­fics de drogue, qui désole les auto­ri­tés, se sup­pri­me­ra pour ain­si dire natu­rel­le­ment et les déte­nus béné­fi­cie­ront à tarif réduit de cette came qui allège le quo­ti­dien de l’incarcération.

La ques­tion des familles est peut-être un rien plus déli­cate, mais il n’est pas sûr qu’avec de bonnes com­mu­ni­ca­tions fer­ro­viaires, il soit pire d’aller de Bruxelles à Sche­ve­nin­gen que de Bruxelles à Lan­tin. et nul doute que le ministre de la Jus­tice sera atten­tif à l’aspect humain des trans­ferts, d’autant que cette pri­son, située en lisière du quar­tier bal­néaire de La Haye, est, selon le pre­mier pro­cu­reur en chef du tri­bu­nal de La Haye, un centre de déten­tion aux « condi­tions de confort extra­or­di­naires » loué en par­tie par l’ONU à l’État néer­lan­dais pour accueillir des cri­mi­nels de guerre. Dans le trai­té qui va être pas­sé avec les Pays-Bas, il faut s’inquiéter éga­le­ment du sort des petits com­pa­gnons des pri­son­niers : les rats pul­lulent à Lan­tin et il serait regret­table de ne pas les expor­ter dans la fou­lée, his­toire que les déte­nus ne soient pas trop dépay­sés. Ce sont de petits riens qui font la gran­deur d’une politique.

Il va fal­loir trou­ver une nou­velle affec­ta­tion à Guan­ta­na­mo puisque Barack Oba­ma a pro­mis de le fer­mer alors qu’Anne-Marie Lizin, grande spé­cia­liste de la ques­tion, a dit à son retour d’une visite tout le bien qu’elle en pen­sait. Pour­quoi, en pro­lon­geant l’initiative du ministre, ne pas envi­sa­ger d’y envoyer les étran­gers du Sud qui peuplent nos pri­sons ? Ces mal­heu­reux seraient tout de même mieux au soleil, cela leur rap­pel­le­rait le pays et ils appren­draient plu­tôt l’anglais.

Évi­dem­ment, les incon­vé­nients d’une ini­tia­tive sont tou­jours à la mesure de son audace et le pro­jet du ministre ne va pas sans poser de ques­tions. Que les Hol­lan­dais soient ennuyés d’avoir fer­mé déjà quatre pri­sons et songent à ren­ta­bi­li­ser leurs éta­blis­se­ments péni­ten­tiaires à moi­tié vides, c’est, ma foi, leur pro­blème. On pour­rait certes les dépan­ner en leur sug­gé­rant d’accueillir un musée de la pri­son puisque celui de Tongres1 vient d’être fer­mé pour être ren­du à sa voca­tion pre­mière : enfer­mer de jeunes déte­nus, mais enfin ces solu­tions res­semblent un peu à du bri­co­lage et ne sau­raient résoudre leur pro­blème de surcapacité.

Mais on ne peut pas leur faire pleine confiance à ces Hol­lan­dais, un soup­çon vient : pour­quoi leurs pri­sons sont-elles vides ? Parce qu’il y a moins de déten­tions pré­ven­tives, davan­tage de libé­ra­tions condi­tion­nelles, de peines alter­na­tives et un tri­bu­nal d’application des peines actif. Il n’en reste pas moins que la vigi­lance est de rigueur ; que ces pri­sons bataves ne déteignent pas sur les déte­nus belges et ne leur donnent pas de mau­vaises idées. Le sys­tème ne sera que tran­si­toire, d’ici 2012, quelque deux mille nou­velles places seront construites en Bel­gique et il ne fau­drait pas que la poli­tique péni­ten­tiaire batave nous bou­sille la nôtre et que l’on se retrouve avec des pri­sons flam­bant neuves et vides, bri­sant une règle immuable qui veut que les pri­sons sont comme les par­kings : elles servent à la même chose et se rem­plissent au fur et à mesure qu’elles sont construites. Ce type de bâti­ments répond à des impé­ra­tifs tech­niques très par­ti­cu­liers et est assez dif­fi­ci­le­ment recy­clable. Un musée de la pri­son ? Ces murs tout propres sans pas­sé ne feraient pas un musée très convaincant.

Enfin si la Bel­gique, elle aus­si, déve­lop­pait une poli­tique d’alternatives à la pri­son, elle pour­rait tou­jours louer ses cel­lules neuves à la France dont le pré­sident annonce un ren­for­ce­ment de la lutte répres­sive contre la cri­mi­na­li­té. Ain­si se construit l’Europe dans le monde.

« Le monde est un vil­lage » est une belle émis­sion musi­cale de la RTBF dans laquelle, avec talent, Didier Mélon pré­sente un visage heu­reux de la mon­dia­li­sa­tion. Ste­faan De Clerck vient, quant à lui, de faire entrer l’univers péni­ten­tiaire dans la moder­ni­té en le fai­sant par­ti­ci­per à la dyna­mique de la mon­dia­li­sa­tion. On s’est suf­fi­sam­ment plaint de ce que la libre cir­cu­la­tion ne concer­nait que les capi­taux et les mar­chan­dises. Doré­na­vant, et les tulipes et les pri­son­niers circuleront.

  1. « Je ne suis plus seule­ment un ex-déte­nu », Jean-Marc Mahy, La Revue nou­velle, juillet-août 2008.

Joëlle Kwaschin


Auteur

Licenciée en philosophie