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La gueule de bois pour la communauté internationale

Numéro 5 - 2015 - Burundi par Emmanuel Klimis

juillet 2015

Mal­gré la tra­gé­die qu’elle incarne avec plu­sieurs dizaines de morts dans un pays qui se ver­rouille chaque jour davan­tage, la crise poli­tique et ins­ti­tu­tion­nelle qui frappe le Burun­di aujourd’hui n’a rien de sur­pre­nant. Au contraire, elle a tout d’un drame annon­cé. L’impression de gâchis qu’elle laisse n’en est que plus amère. Un drame annon­cé Drame annon­cé d’abord […]

Le Mois

Mal­gré la tra­gé­die qu’elle incarne avec plu­sieurs dizaines de morts dans un pays qui se ver­rouille chaque jour davan­tage, la crise poli­tique et ins­ti­tu­tion­nelle qui frappe le Burun­di aujourd’hui n’a rien de sur­pre­nant. Au contraire, elle a tout d’un drame annon­cé. L’impression de gâchis qu’elle laisse n’en est que plus amère.

Un drame annoncé

Drame annon­cé d’abord parce que la fer­me­ture de l’espace démo­cra­tique au Burun­di n’a rien de neuf. À tout le moins, elle se per­çoit dès le fias­co des élec­tions de 2010, qui avaient vu, après le scru­tin com­mu­nal, un boy­cott géné­ra­li­sé du pro­ces­sus élec­to­ral par tous les par­tis d’opposition. Mal­adresse ou réac­tion déses­pé­rée, cette stra­té­gie aura eu pour consé­quence leur exclu­sion du débat public et, par­tant, de toute pos­si­bi­li­té de visi­bi­li­té pour les cinq années sui­vantes. Dans le même temps, le par­ti au pou­voir et ses alliés ont eu le loi­sir d’adopter de nom­breuses mesures annon­cia­trices de la crise, et ce en toute léga­li­té vu leur majo­ri­té plus que confor­table dans les organes démo­cra­tiques. Par­mi celles-ci, on retient, entre autres, l’adoption de lois restrei­gnant la liber­té de mani­fes­ta­tion ou obli­geant les jour­na­listes à révé­ler leurs sources ; le ren­voi, en huit ans, de pas moins de cinq hauts fonc­tion­naires des Nations unies1 ; l’arrestation d’opposants poli­tiques (l’ancien pré­sident Nadyi­zeye), d’activistes des droits de l’homme (Pierre Cla­ver Bonim­pa) ou de jour­na­listes (Bob Rugu­ri­ka); les tirs à balles réelles de la police sur les mili­tants d’un par­ti poli­tique d’opposition (le MSD d’Alexis Sin­du­hije); la mul­ti­pli­ca­tion des arres­ta­tions arbi­traires et de cas, docu­men­tés par les ONG inter­na­tio­nales et les Nations unies elles-mêmes, de dis­pa­ri­tions sou­daines, inter­pré­tées comme autant d’exécutions sommaires.

Drame annon­cé éga­le­ment parce que le CNDD-FDD, par­ti au pou­voir depuis les élec­tions de 2005, pre­mier scru­tin orga­ni­sé après la fin du conflit armé, ne fait qu’appliquer à sa ges­tion du pays les tech­niques qu’il a apprises pen­dant ses années de maquis. Inver­sant l’aphorisme bien connu de Clau­se­witz selon laquelle la guerre est la conti­nua­tion de la poli­tique par d’autres moyens, il fait de la poli­tique en appli­quant des tech­niques apprises dans toutes les écoles de gué­rilla, de l’Amérique latine au
Proche Orient : le camou­flage, la diver­sion, la peur.

Une stratégie de guérilla : le camouflage, la diversion et la peur

Ain­si, en dépit de l’idée qui pré­vaut jusqu’ici, selon laquelle les quo­tas ins­tau­rés par l’accord de paix d’Arusha, signé en 2000, ont éra­di­qué les ran­cœurs eth­niques au Burun­di, le gou­ver­ne­ment tente de réveiller les vieux démons. Mais son dis­cours selon lequel les pro­tes­ta­tions contre le troi­sième man­dat pré­si­den­tiel seraient le seul fait des Tut­si n’a pour autre fonc­tion que de mas­quer l’ampleur des pro­tes­ta­tions et la pro­fon­deur des reven­di­ca­tions, qui, comme le rap­pelle André Gui­chaoua, portent davan­tage sur des frus­tra­tions éco­no­miques, sociales et poli­tiques2. Dans la même logique, les Imbo­ne­ra­kure, jeu­nesses du par­ti qua­li­fiées de milices et dont le gou­ver­ne­ment annon­çait tout récem­ment un pro­gramme de désar­me­ment dans un délai record, consti­tuent un épou­van­tail bien com­mode à bran­dir. Il per­met de détour­ner l’attention de ce qu’un jour­na­liste en exil qua­li­fie de mili­ta­ri­sa­tion com­plète de la poli­tique3. Enfin, la ten­ta­tive avor­tée de coup d’État du 13 mai der­nier, qu’elle soit le résul­tat d’une mani­pu­la­tion habile ou d’une mal­adresse des put­schistes, a per­mis au gou­ver­ne­ment de mettre fin aux dis­sen­sions qui exis­taient au sein de l’armée, consi­dé­rée jusque là comme le pilier de l’accord d’Arusha, et d’exclure du jeu média­tique les radios indé­pen­dantes, dont les émet­teurs ont tous été détruits pen­dant les deux jour­nées de com­bat dans la capitale.

Cette stra­té­gie de diver­sion démontre une com­pé­tence poli­tique bien plus grande que celle que l’on prê­tait jusqu’ici au gou­ver­ne­ment burun­dais dans les cou­loirs des chan­cel­le­ries euro­péennes, notam­ment lorsqu’on le com­pa­rait à son voi­sin rwan­dais. C’est pour­tant depuis 2005 déjà que l’on a créé un nou­veau mot au Burun­di : la nya­ku­ri­sa­tion, un terme qui fait réfé­rence au Fro­de­bu-Nya­ku­ri, par­ti poli­tique qui s’est déchi­ré à la suite de l’accession au pou­voir du CNDD-FDD. Depuis lors, il désigne la mani­pu­la­tion d’un par­ti d’opposition par le gou­ver­ne­ment, notam­ment par des nomi­na­tions télé­com­man­dées et d’autres moyens de pres­sion, afin de pro­vo­quer sa divi­sion et son affaiblissement.

Ce jeu de dupes prend encore davan­tage d’ampleur sur la scène inter­na­tio­nale. Car le CNDD-FDD a su habi­le­ment jouer la carte de la léga­li­té et du res­pect des formes. C’est la « com­mu­nau­té inter­na­tio­nale » elle-même qui a posé le cadre dans lequel le gou­ver­ne­ment burun­dais évo­lue aujourd’hui avec autant d’aisance que d’audace. Il fal­lait des élec­tions ? Elles ont eu lieu, et si le score sta­li­nien du par­ti au pou­voir lors des scru­tins de 2010 s’explique par l’absence d’opposants réels sur les bul­le­tins, ce sont les par­tis d’opposition eux-mêmes qui ont quit­té le pro­ces­sus. Il fal­lait des ins­ti­tu­tions pour accom­pa­gner la tran­si­tion et la sor­tie du conflit ? Elles ont été créées : une com­mis­sion Véri­té et récon­ci­lia­tion, une com­mis­sion Terres et autres biens, une com­mis­sion élec­to­rale natio­nale indé­pen­dante, et si leur com­po­si­tion est contes­tée, cela reste du domaine réser­vé du Burun­di, État sou­ve­rain. Il faut réfor­mer la com­po­si­tion du gou­ver­ne­ment pour mon­trer l’ouverture du régime ? Les « géné­raux », com­pa­gnons de maquis du pré­sident dès la pre­mière heure, sont relé­gués à l’arrière-plan, et s’ils res­tent influents en cou­lisses, qui peut le prou­ver ? Les arres­ta­tions arbi­traires ne sont pas démo­cra­tiques ? Toute arres­ta­tion fait l’objet d’une pro­cé­dure judi­ciaire, et si les chefs d’accusation semblent pour le moins exces­sifs, voire sur­réa­listes, ce sera à la jus­tice de déter­mi­ner leur valeur. Avoir accueilli sur son ter­ri­toire une opé­ra­tion de main­tien de la paix nuit à l’image inter­na­tio­nale ? Le Burun­di envoie lui-même des troupes en Soma­lie dans le cadre des Nations unies, et ne perd pas une occa­sion de rap­pe­ler qu’il a ren­ver­sé la vapeur en se posant désor­mais en modèle. L’image pré­vaut, la léga­li­té est res­pec­tée dans toutes ses formes, et la marge qui existe pour mettre en ques­tion la com­po­si­tion, le fonc­tion­ne­ment, en un mot, le détail de ces formes, per­met de détour­ner le débat d’un enjeu bien plus fon­da­men­tal : l’adoption par le gou­ver­ne­ment d’une stra­té­gie de contrôle pro­gres­sif de l’ensemble de la sphère publique.

Or, si la léga­li­té a l’apparence de la légi­ti­mi­té, du moins jusqu’à preuve du contraire, nul ne semble pres­sé de mettre cette preuve sur la table, à l’exception d’une socié­té civile à bout de souffle. Cet aveu­gle­ment, ou cette inac­tion inter­na­tio­nale face à une déli­ques­cence pour­tant enta­mée de longue date, s’explique sans doute par au moins trois facteurs.

Les raisons de l’inaction internationale

Avant tout, parce que le Burun­di est, ou était, le bon élève de ces États qui ont plon­gé dans la vague de conflits qua­li­fiés de régio­naux après la fin de la guerre froide. Un des très rares exemples cou­ron­nés de suc­cès d’un accord de paix résul­tant d’un enga­ge­ment mas­sif de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, de la fin d’une guerre sans vain­queur pour écra­ser le vain­cu. Le modèle idéal d’une réponse franche et auda­cieuse, celle de l’adoption des quo­tas, à la ques­tion posée par des décen­nies de mas­sacres eth­niques. Cet argu­ment de la fin des divi­sions eth­niques a d’ailleurs été répé­té comme une antienne par les diplo­mates occi­den­taux lors de chaque crise poli­tique. Il fal­lait res­ter opti­miste, ména­ger le cas emblé­ma­tique d’un suc­cès de la poli­tique internationale.

Ensuite, parce que la réso­lu­tion espé­rée pérenne du conflit burun­dais a été construite en recou­rant mas­si­ve­ment à l’aide au déve­lop­pe­ment, en adé­qua­tion avec l’idée, qui pré­va­lait à la fin des années 1990, d’une inter­dé­pen­dance entre sécu­ri­té et déve­lop­pe­ment. Or, l’application des pres­crits du déve­lop­pe­ment dans le contexte de la sécu­ri­té inter­na­tio­nale a des consé­quences lourdes. Le rem­pla­ce­ment d’une logique de domi­na­tion colo­niale par une rela­tion de par­te­na­riat, clé de voute du dis­cours de l’aide inter­na­tio­nale, abou­tit inévi­ta­ble­ment à une dilu­tion de la res­pon­sa­bi­li­té assu­mée par les pays du Nord, bailleurs de fonds, au nom du prin­cipe d’appropriation (owner­ship) de l’aide par le pays béné­fi­ciaire. Cette dilu­tion, déjà très pré­sente dans le contexte du déve­lop­pe­ment en géné­ral, se voit encore ren­for­cée dans les ques­tions tou­chant à la sécu­ri­té inter­na­tio­nale. Puisque l’option rete­nue n’a pas été celle d’une admi­nis­tra­tion inter­na­tio­nale auto­ri­taire des pays tou­chés par un conflit violent, l’alternative la plus fré­quente est celle d’une impli­ca­tion en deux temps des par­te­naires inter­na­tio­naux. D’abord, sur un laps de temps assez court (une période de « tran­si­tion » de quatre ou cinq ans), le finan­ce­ment de pro­grammes tou­chant direc­te­ment aux dyna­miques de conflit (désar­me­ment, démo­bi­li­sa­tion et réin­ser­tion des anciens com­bat­tants, réforme du sec­teur de la sécu­ri­té, etc.). Ensuite, le plus rapi­de­ment pos­sible, le retour à une rela­tion de coopé­ra­tion au déve­lop­pe­ment « nor­male », dès les pre­mières élec­tions, et l’abandon du sou­tien direct, jugé trop poli­ti­que­ment déli­cat, aux domaines réga­liens que sont l’armée, la police ou les ser­vices de ren­sei­gne­ment. Comme le dénonce David Chand­ler4, la poli­tique inter­na­tio­nale de recons­truc­tion des États sor­tant de conflit s’apparente en réa­li­té à une antipoli­tique étran­gère, c’est-à-dire une poli­tique moti­vée par des pré­oc­cu­pa­tions d’image domes­tique ou inter­na­tio­nale, davan­tage que par une vision stra­té­gique à long terme por­tant sur un pays ou une région don­née, d’où une fuite de res­pon­sa­bi­li­tés « ici » face aux consé­quences de ce qui se passe « là-bas ».

Enfin, parce que pour les besoins géos­tra­té­giques des grands acteurs inter­na­tio­naux sur place, par­ti­cu­liè­re­ment les États-Unis, le Burun­di était dans une situa­tion de gou­ver­nance accep­table par rap­port à la sta­bi­li­té qui y pré­va­lait (good gover­nance enough). Cette vision géo­po­li­tique est sans lien avec les maigres res­sources natu­relles du pays. Si quelques com­pa­gnies minières nord-amé­ri­caines com­mencent à y pros­pec­ter un peu d’or à ciel ouvert, le Burun­di n’a rien de com­pa­rable avec le « scan­dale géo­lo­gique » du Congo voi­sin. Néan­moins, les inté­rêts occi­den­taux ne sont pas seule­ment à lire à l’aune du volume d’hydrocarbures. Si les États-Unis ont construit une ambas­sade d’une telle ampleur à Bujum­bu­ra (ils l’ont éga­le­ment fait dans les pays voi­sins), c’est que, de l’aveu même d’un atta­ché mili­taire amé­ri­cain sur place il y a quelques années, le Burun­di est l’un des ver­rous du nou­veau contain­ment, celui qui endigue les États faillis d’Afrique de l’Est (Soma­lie, Sud-Sou­dan) et l’intégrisme isla­mique qui leur est asso­cié. Par ailleurs, l’aéroport de Bujum­bu­ra, pour l’utilisation duquel le gou­ver­ne­ment a conclu un accord avec les Nations unies pour le tran­sit de la « bri­gade d’intervention afri­caine » de la Monus­co, est très stra­té­gi­que­ment situé par rap­port à l’est de la RD Congo, une région et un pays dont l’importance inter­na­tio­nale ne semble pas remise en ques­tion. Enfin, le Burun­di contri­bue, par l’envoi de plu­sieurs mil­liers de sol­dats, à l’Amisom, mis­sion de main­tien de la paix des Nations unies en Soma­lie. Dans une gou­ver­nance mon­diale de la paix où l’Occident n’accepte plus que ses sol­dats meurent en opé­ra­tion, les pays qui paient la fac­ture en hommes pèsent presque autant que ceux qui la paient en dol­lars. Le Burun­di a rejoint la famille des pré­cieux pays contri­bu­teurs de troupes, il faut donc le ména­ger. D’autant plus qu’en dépit de son encla­ve­ment, le Burun­di n’est pas iso­lé, et son voi­si­nage est des plus explosifs.

Un enjeu régional

De fait, l’enjeu d’une insta­bi­li­té au Burun­di n’est pas qu’un enjeu natio­nal, c’est aus­si un pro­blème cru­cial à l’échelle régio­nale. Par sa por­tée, d’abord ; par les ques­tions qu’il sou­lève ensuite.

Par sa por­tée, parce que les fron­tières burun­daises n’ont rien d’infranchissable. Incon­trô­lables sur de vastes zones, leur poro­si­té est d’ailleurs l’occasion de juteux tra­fics, notam­ment d’armes, qui ne sont pas sans consé­quences dans le conflit qui conti­nue à embra­ser l’Est congo­lais. Au-delà de ces dérives, la double inté­gra­tion éco­no­mique régio­nale du Burun­di [vers la RD Congo dans le cadre de la Com­mu­nau­té éco­no­mique des pays des Grands Lacs (CEPGL), et vers l’est dans celui de l’East Afri­can Com­mu­ni­ty (EAC)] a faci­li­té la libre cir­cu­la­tion des per­sonnes et des biens. Les échanges entre Bujum­bu­ra et Uvi­ra, en RD Congo, entre Kirun­do, au nord, et le Rwan­da, ou entre le reste du pays et la Tan­za­nie, consti­tuent le quo­ti­dien dont dépendent le bien-être et la sur­vie de mil­liers de foyers. Cette inter­dé­pen­dance régio­nale n’est que peu prise en consi­dé­ra­tion par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, dont les cadres de réflexion, sont sur­tout pen­sés dans le cadre limi­té d’approches pays, et pour qui la prise en compte d’une dimen­sion régio­nale passe presque exclu­si­ve­ment par la pro­mo­tion et le sou­tien d’organisations éco­no­miques de coopé­ra­tion régio­nale dont le poids, les com­pé­tences, ou la volon­té poli­tique sont des plus limi­tées, comme en atteste la tié­deur des décla­ra­tions qui ont sui­vi le som­met des chefs d’État de l’EAC sur la crise burundaise.

Cela, du reste, n’a rien d’étonnant non plus. Au jeu des sept familles qui se déroule dans la région, le Burun­di n’est que le pre­mier de la série à voir son pré­sident bri­guer un troi­sième man­dat suc­ces­sif dans un cadre légal qui exclut une telle option. Or, cette foca­li­sa­tion abso­lue sur le troi­sième man­dat n’est que l’arbre qui cache la forêt, même si, sur place, l’importance sym­bo­lique du chef de l’État et la per­son­ni­fi­ca­tion de sa fonc­tion ne sont pas à négli­ger. Les ques­tions que sou­lève le cas burun­dais se pose­ront bien­tôt dans tous les pays voi­sins, et à l’heure actuelle, peu de réponses se font entendre. Par­ler du seul man­dat pré­si­den­tiel, c’est déjà occul­ter les autres niveaux de pou­voir, en par­ti­cu­lier le légis­la­tif. Or, en refu­sant, à une voix près, une révi­sion consti­tu­tion­nelle en mars 2014, le Par­le­ment burun­dais a mon­tré que, même dans un contexte de majo­ri­té gou­ver­ne­men­tale mas­sive, ses dépu­tés ont encore un sens aigu de leur rôle. Il en va de même pour la Cour consti­tu­tion­nelle, dont le ren­for­ce­ment aurait pro­ba­ble­ment pu inflé­chir le contexte dans un pays qui a com­pris que le res­pect for­mel de la léga­li­té était la clé de sa cré­di­bi­li­té inter­na­tio­nale. L’appui inter­na­tio­nal à des ins­ti­tu­tions sources de légi­ti­mi­té, pas seule­ment d’efficacité, n’est sans doute pas une réponse suf­fi­sante à ce type de situa­tion, mais il n’en est pas moins indispensable.

Quelles stratégies pour l’avenir ?

L’obsession sur la per­sonne du pré­sident occulte aus­si le rôle joué par son entou­rage. Si les cli­vages eth­niques sont rela­ti­ve­ment récents dans la sous-région, les iden­ti­tés de clan, elles, s’ancrent dans l’histoire et n’ont jamais dis­pa­ru. À l’exception des États-Unis, dont les approches, à tra­vers des ini­tia­tives telles que le Burun­di Lea­deur­ship Trai­ning Pro­gramme, ciblent direc­te­ment les déci­deurs de demain dès la fin d’un conflit, peu de par­te­naires inter­na­tio­naux du Burun­di ont cher­ché à regar­der der­rière la palis­sade d’un gou­ver­ne­ment for­mé à la suite d’élections recon­nues. Or, si l’on évoque des stra­té­gies de sor­tie sym­bo­li­que­ment accep­tables pour un pré­sident, notam­ment par des nomi­na­tions dans l’une ou l’autre ins­ti­tu­tion inter­na­tio­nale, on fait mine d’oublier que son entou­rage a tout à perdre à une réelle alter­nance démo­cra­tique. Le géné­ral Adolphe Nshi­mi­ri­ma­na, ancien patron des ser­vices de ren­sei­gne­ment, le rap­pe­lait encore il y a peu : pour faire renon­cer le pré­sident à un nou­veau man­dat, il fau­dra d’abord lui pas­ser sur le corps5.

Les consé­quences de la crise et la façon dont elle sera gérée tant au Burun­di que par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, sont d’une impor­tance cru­ciale. Pour les Burun­dais eux-mêmes, dont la sécu­ri­té phy­sique la plus élé­men­taire est actuel­le­ment mise en dan­ger, mais aus­si pour toute la sous-région. Cette crise doit être réso­lue dans une pers­pec­tive glo­bale. La secré­taire d’État amé­ri­caine disait, au milieu des années 1990, que la moi­tié des États sor­tant de conflit y retom­baient dans les cinq ans. À pré­sent que le der­nier exemple réus­si de recons­truc­tion post-conflit a échoué, on peut se deman­der si l’autre moi­tié n’y retom­be­ra pas dans les cinq ans sui­vants. Mais quel modèle peut-on mettre en avant pour aller au-delà du res­pect des cadres for­mels sans tou­cher à la sou­ve­rai­ne­té natio­nale ? Pour ren­for­cer la légi­ti­mi­té au-delà de la léga­li­té ? Pour accep­ter qu’un État ne sort pas répa­ré d’une guerre civile après seule­ment cinq ans de « tran­si­tion » et l’organisation d’une élection ?

  1. Le gou­ver­ne­ment burun­dais a deman­dé le départ anti­ci­pé, voire par­fois décla­ré per­so­na non gra­ta, de : en 2008, Caro­lyn McAs­kie, repré­sen­tante spé­ciale du secré­taire géné­ral des Nations unies (SGNU); en 2009, Nurel­din Sat­ti, son adjoint, repré­sen­tant spé­cial par inté­rim du SGNU ; en 2010, Yous­sef Mah­moud, repré­sen­tant exé­cu­tif du SGNU à la tête du Bureau inté­gré des Nations unies pour le Burun­di ; en 2014, Paul Deb­bie, conseiller prin­ci­pal char­gé des ques­tions de sécu­ri­té au Bureau de l’ONU au Burun­di ; il y a quelques jours à peine, l’envoyé spé­cial du SGNU pour la région des Grands Lacs, Saïd Djin­nit. La repré­sen­tante de l’ONG Human Rights Watch a éga­le­ment été expul­sée du pays en 2010 et le chef de la diplo­ma­tie euro­péenne, en 2013.
  2. Inter­view réa­li­sée par Flo­rence Morice pour RFI, et publiée en ligne le 11 juin 2015.
  3. Extrait d’une allo­cu­tion don­née dans le cadre d’une confé­rence orga­ni­sée par l’institut Egmont le 18 juin 2015.
  4. « The secu­ri­ty – deve­lop­ment nexus and the rise of “anti-forei­gn poli­cy”», Jour­nal of Inter­na­tio­nal Rela­tions and Deve­lop­ment (2007) 10, p. 362 – 386.
  5. Inter­na­tio­nal Cri­sis Group, rap­port Afrique n° 224, 17 avril 2015, p. 14.

Emmanuel Klimis


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