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La grève dans les prisons et ses conséquences

Numéro 6 - 2016 par Charlotte Maisin Vincent Spronck

octobre 2016

Char­lotte Mai­sin : Vincent Spronck, vous êtes direc­teur de la pri­son de Forest. Com­ment s’est pas­sée la reprise du tra­vail après la grève ? Vincent Spronck : La période est assez par­ti­cu­lière car nous avons appris, le jour de la reprise, que la pri­son de Forest allait par­tiel­le­ment fer­mer. Le 1er octobre, il n’y aura plus que 180 […]

Le Mois

Char­lotte Mai­sin : Vincent Spronck, vous êtes direc­teur de la pri­son de Forest. Com­ment s’est pas­sée la reprise du tra­vail après la grève ?

Vincent Spronck : La période est assez par­ti­cu­lière car nous avons appris, le jour de la reprise, que la pri­son de Forest allait par­tiel­le­ment fer­mer. Le 1er octobre, il n’y aura plus que 180 déte­nus sur les 350. L’aile C va fer­mer, et les ailes A et B, les plus dégra­dées, seront conser­vées parce qu’elles sont les plus acces­sibles par les ser­vices des pompiers.

La reprise a été extrê­me­ment pai­sible, sans acri­mo­nie, ni sen­ti­ment de ven­geance. La décep­tion des gré­vistes d’avoir obte­nu si peu n’a pas pro­vo­qué de pro­blèmes. Puis, la nou­velle de la fer­me­ture par­tielle a créé de l’incertitude et nous a pro­je­tés dans l’avenir. Dans toutes les pri­sons, la reprise s’est bien pas­sée, grâce au per­son­nel qui s’est com­por­té de manière pro­fes­sion­nelle, mais aus­si aux déte­nus qui ont fait preuve d’une patience et d’une com­pré­hen­sion extra­or­di­naires, qui a lais­sé tout le monde pan­tois pen­dant ces deux mois de grève.

C.M.: Com­ment êtes-vous par­ve­nus à main­te­nir le bateau à flot pen­dant ces deux mois d’arrêt de tra­vail des agents ?

V.S.: La loi de Prin­cipes parle de sécu­ri­té pas­sive et de sécu­ri­té dyna­mique. La sécu­ri­té dyna­mique, c’est la nature de la rela­tion créée entre les agents et les déte­nus. Cette sécu­ri­té dyna­mique a per­mis, lors de la grève, d’assurer un cli­mat posi­tif où on se dépan­nait mutuel­le­ment : les déte­nus avaient besoin de ceux qui étaient pré­sents pour tra­ver­ser cette période infer­nale, ceux qui étaient pré­sents avaient besoin des déte­nus. Un dyna­misme posi­tif s’est ins­tal­lé et les rela­tions sont meilleures main­te­nant que la grève est terminée.

On a tous été pris de court par la grève, même les syn­di­cats. Les forces de police ont été d’une dis­po­ni­bi­li­té remar­quable. Nous avons donc rapi­de­ment trou­vé un sys­tème de fonc­tion­ne­ment en col­la­bo­ra­tion parce qu’elles avaient com­pris qu’en cas de crise, ça ne ser­vait à rien de lais­ser les déte­nus des jours entiers en cel­lule. L’armée est venue, et j’ai l’impression que ça a aidé la police à tra­vailler de manière moins stres­sée, ça a créé un cercle ver­tueux, tout le monde fai­sait des efforts pour tout le monde.

C.M.: « Tra­vailler autre­ment », qui est l’intention affi­chée du ministre, est-il réel­le­ment pos­sible ou s’agit-il d’une notion un peu vague sans réel plan ou stra­té­gie ?

V.S.: C’est évi­dem­ment la deuxième option… La manière dont je lis cette affaire est double. L’encadrement est de 10000 agents pour 8000 déte­nus, c’est énorme. La France en compte la moi­tié. Pour­quoi est-on arri­vé à ce nombre impor­tant ? Il y avait une poli­tique déli­bé­rée de la part des gou­ver­ne­ments pré­cé­dents de mettre à l’emploi une série de per­sonnes, mais ce n’est plus une prio­ri­té aujourd’hui. Il y a sans doute moyen de tra­vailler autre­ment, mais pour chan­ger, il faut une struc­ture règle­men­taire qui le per­mette. Les moyens dont dis­posent les agents pour ne pas par­ti­ci­per au chan­ge­ment sont trop impor­tants. Le sta­tut d’agent de l’État est beau­coup trop rigide. Com­ment chan­ger les com­por­te­ments en matière d’absentéisme ? Pour chan­ger le sta­tut des agents, il faut un accord du Comi­té A et du Pre­mier ministre, de l’ensemble des par­te­naires sociaux, autant dire qu’on ne l’aura jamais…

Au prin­temps der­nier, tous les direc­teurs du pays ont été convo­qués et ils apprennent qu’ils doivent faire 10% d’économies bud­gé­taires, qui en deviennent 20 % sur le poste per­son­nel. La situa­tion au nord, en Wal­lo­nie et en Région bruxel­loise est dif­fé­rente. Au nord, ils ont déjà été for­cés de ratio­na­li­ser et de trou­ver une autre manière de tra­vailler. Les pri­sons du sud sont en bien moins bon état parce que les inves­tis­se­ments y ont été moindres et la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale y est plus forte. Autre élé­ment, il y a deux cultures et deux visions de la pri­son au nord et au sud du pays. Cer­tains diront qu’une bonne tech­nique avec camé­ras et infra­rouges, postes de sécu­ri­té, etc., per­met d’assurer la sécu­ri­té, c’est le modèle du nord. D’autres diront que la sécu­ri­té s’assure par un per­son­nel plus impor­tant qui pri­vi­lé­gie le dia­logue, l’accompagnement des déte­nus, etc., c’est ce qui se pra­tique au sud qui a refu­sé de par­ti­ci­per à la mise en place d’un autre modèle. C’est évi­dem­ment pro­blé­ma­tique. L’administration péni­ten­tiaire donne une consigne règle­men­taire, une par­tie du pays joue le jeu et l’autre pas. Le sud s’est sen­ti stig­ma­ti­sé, et ce conflit latent n’a pas été tra­vaillé. Le modèle de ratio­na­li­sa­tion a néan­moins été tes­té. Les syn­di­cats ont remar­qué qu’il y avait davan­tage d’efforts à faire au sud qu’au nord, ce qui a ras­su­ré le nord quand ils ont vu qu’ils étaient très proches du chiffre à atteindre, tan­dis qu’au sud, ce chiffre a inquié­té. Ils n’ont donc plus repris le tra­vail, non plus pour des motifs de pro­cé­dures dis­ci­pli­naires ou de jours de mala­die qui étaient à l’origine du mou­ve­ment, mais en posant cette ques­tion, par ailleurs légi­time, « com­ment allons-nous tra­vailler avec si peu d’agents ? ».

C.M.: La loi de Prin­cipes n’est pas encore entiè­re­ment entrée en vigueur, est-il réa­liste de pen­ser qu’il sera pos­sible de l’appliquer, notam­ment en ce qui concerne les plans de déten­tion, avec moins d’agents ?

V.S.: Je pense que oui. L’application de la loi de Prin­cipes ne dépend pas du nombre d’agents, mais plu­tôt de la poli­tique d’établissement. Une série de tâches, qui ne sont pas en vigueur pour l’instant, ne dépend pas du per­son­nel péni­ten­tiaire, mais du per­son­nel admi­nis­tra­tif. Par exemple, les plans de déten­tion sont à charge du ser­vice psy­cho­so­cial. La loi de Prin­cipes est avant tout une ques­tion de culture et d’atmosphère dans les éta­blis­se­ments. Mais si nous ne connais­sions pas un tel absen­téisme, il serait pos­sible de tra­vailler autre­ment, donc de ratio­na­li­ser, en garan­tis­sant la loi de Prin­cipes. Mais avec 15 % d’absentéisme et ampu­tés des 10 % de per­son­nel deman­dés par le gou­ver­ne­ment, nous arri­vons à moins de 25 % d’agents, ce qui devient dif­fi­ci­le­ment tenable.

C.M.: Les syn­di­cats seraient prêts à dis­cu­ter de cela ?

V.S.: Les syn­di­cats ont tou­jours dit qu’en échange d’un sta­tut propre aux pri­sons, ils étaient prêts à des conces­sions. On parle tou­jours des pri­sons quand c’est la bagarre. Mais, fon­da­men­ta­le­ment, les rela­tions sont construc­tives. Pour ce qui est de la concer­ta­tion sociale, notam­ment à Forest, géné­ra­le­ment, on trouve des accords. Il y a éga­le­ment le pro­blème majeur lié à l’absence de ser­vice mini­mum. Enta­mer des réformes pareilles sans impo­ser un ser­vice mini­mum est un scan­dale. Cela fait vingt-cinq ans qu’on en parle. Dans les hôpi­taux, les besoins fon­da­men­taux des malades ne sont pas ren­con­trés si le per­son­nel infir­mier n’est pas là. Pour les déte­nus et les agents, la situa­tion est tout à fait comparable.

C.M.: On a par­lé de la patience extra­or­di­naire des déte­nus. Com­ment ont-ils vécu cette grève ?

V.S.: Extra­or­di­naire, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce sont eux qui m’ont ras­su­ré. Au début, les moments les plus chauds, c’étaient les heures des jour­naux télé­vi­sés. Quand ils appre­naient que la grève conti­nuait, le cham­bard mon­tait, ça tapait sur les portes… Puis, un déte­nu m’a dit un jour, « on a com­pris, on n’attend plus la reprise puisqu’on est chaque fois déçu ». Et j’ai chan­gé d’attitude. J’ai com­pris qu’il fal­lait s’organiser, arrê­ter d’attendre et apprendre à vivre ensemble. Il y a eu des moments clés. Après quatre jours, on voit qu’on n’en sort pas, on a com­men­cé à don­ner les préaux avec l’aide de la police. Ça s’est très bien pas­sé. Mais pour que ce soit pos­sible, on don­nait le préau pen­dant trente minutes à quinze déte­nus à la fois sur quatre-cents. Ça se passe bien. On décide alors de mettre qua­rante-cinq déte­nus ensemble pour un préau d’une heure. La pre­mière fois, ils refusent de ren­trer en cel­lule. Ça a été l’occasion de dia­lo­guer avec eux, ils m’ont expli­qué qu’ils vou­laient les visites. Je leur ai pro­mis qu’on allait faire un test. Ils m’ont fait confiance. On a don­né les visites à deux déte­nus, ça a pris un temps fou. Ils ont vu que c’était trop lourd à orga­ni­ser, mais mal­gré tout, un enga­ge­ment mutuel a été tenu.

Un autre moment a été impor­tant. Le 4 ou 5 mai, au début de la grève, un cham­bard monstre se lève dans les ailes A et B, les plus dégra­dées où il n’y a pas de toi­lettes ni de robi­net dans les cel­lules, où les portes sont en bois. Si un déte­nu frappe très fort, il passe à tra­vers. Je suis allé voir seul ce qui se pas­sait. Ils vou­laient le chan­ge­ment du linge. Avec les ser­vants1, en trois ou quatre heures, le chan­ge­ment était fait. Mal­gré le cham­bard, on a ouvert les portes pour per­mettre les douches. C’est évi­dem­ment ça qu’il fal­lait faire. Ça a per­mis de faire bais­ser la ten­sion, parce qu’ils avaient des draps frais, qu’ils ont pu prendre une douche et que, mal­gré la crise, on a main­te­nu le lien. Ça m’a éga­le­ment per­mis de com­prendre à quel point la ques­tion des draps, de l’hygiène étaient impor­tantes, ce que je ne mesu­rais pas au début de la grève. Les draps ont donc été chan­gés régu­liè­re­ment. Les douches ont été assu­rées petit à petit, les préaux et les can­tines aus­si. Puis, petit à petit, les télé­phones. On a pu orga­ni­ser les visites à la fin, avec l’aide de Méde­cins du Monde. On a éga­le­ment main­te­nu ce sys­tème la pre­mière semaine de reprise parce qu’on allait encore man­quer de per­son­nel. On doit une fière chan­delle à Méde­cins du Monde.

C.M.: En même temps, vous évo­quiez la ratio­na­li­sa­tion sous l’angle de la sécu­ri­té par la tech­no­lo­gie. Ce que vous évo­quez fait état d’un tout autre état d’esprit…

V.S.: Tant mieux si ça rééqui­libre les deux types de sécu­ri­té. La sécu­ri­té van­tée par le modèle de ratio­na­li­sa­tion a ses rai­sons d’être. Ce qu’on entend dans le dis­cours, qui est selon moi une erreur d’analyse, mais qui ne peut pas être taxé de mau­vaise foi, consiste à concen­trer beau­coup plus d’agents entre 9 et 17 heures de manière à mieux assu­rer l’ensemble des acti­vi­tés. Mais, avec les consignes de sécu­ri­té qui impliquent de ne faire qu’un mou­ve­ment à la fois et de fouiller régu­liè­re­ment les déte­nus — des mesures qui res­te­ront tou­jours prio­ri­taires pour des rai­sons sécu­ri­taires —, je ne com­prends pas dans quelle mesure on pour­rait être capable de réa­li­ser les mêmes acti­vi­tés en un temps plus court. Mettre plus d’agents ne chan­ge­ra rien si on ne change pas les règles de cir­cu­la­tion au sein des prisons.

C.M.: Dif­fé­rents modèles de pri­sons émergent : Forest ferme, du moins en par­tie, on construit la méga pri­son de Haren, les mai­sons de déten­tion comme pro­jets pilotes émergent, la pri­son ultra­mo­derne de Leuze est en acti­vi­té. Quel est le guide de l’action publique en matière de pri­son ?

V.S.: La pri­son de Haren, qui attend 1.100 déte­nus, sera com­po­sée de cinq petites pri­sons accueillant cha­cune deux-cents déte­nus. On parle d’un vil­lage péni­ten­tiaire. Marche et Leuze ont été construites en même temps, mais les modèles sont dif­fé­rents, ça n’a pas été coor­don­né. Elles reposent sur des ini­tia­tives locales. On peut le voir posi­ti­ve­ment : on échappe à une cen­tra­li­sa­tion trop forte. Ou au contraire, le régime de déten­tion n’est pas une prio­ri­té. Les deux lec­tures sont pos­sibles. Selon moi, l’administration péni­ten­tiaire dans son ensemble ne met pas le régime de déten­tion au cœur de ses actions et déci­sions. Mais il faut pro­fi­ter de cette liber­té pour faire des choses inté­res­santes. Si cette liber­té n’existait pas, la pri­son de Marche n’aurait jamais connu ce régime que tout le monde salue. Pour l’avenir, ce que je vois de Haren est inté­res­sant, le modèle de déten­tion est rela­ti­ve­ment ouvert.

C.M.: Quel est l’avenir réser­vé à Forest ? Pré­voit-on des inves­tis­se­ments pour les ailes A et B ?

V.S.: Pas du tout. On va repeindre. J’ai deman­dé des toi­lettes, mais c’est trop dif­fi­cile à mettre en place. Au vu de l’état des ailes A et B, Forest adop­te­ra donc un régime ouvert. En met­tant en place un régime ouvert dans les ailes A et B et un régime semi-ouvert dans l’aile psy­chia­trique, on pré­fi­gure Haren, en fusion­nant les trois pri­sons Forest-Ber­­ken­dael-Saint Gilles, on crée la pri­son de Bruxelles ici. Ceux qui sont ici iront à Haren. Donc, si on s’habitue à des régimes ouverts, ça donne des idées inté­res­santes pour Haren. Que le ministre décide de faire de Haren une pri­son avec un régime ouvert est encou­ra­geant pour l’avenir. Qui aurait pu ima­gi­ner, il y a un an, que Forest aurait pu deve­nir une pri­son avec un tel régime de déten­tion ? C’est une révo­lu­tion péni­ten­tiaire ! Tout comme le fait de créer une mai­son de peines à Bruxelles. Jusqu’ici, tous les condam­nés bruxel­lois devaient par­tir en pro­vince. C’est vrai, ça ne tou­che­ra que 180 déte­nus, mais c’est déjà ça. À Forest, on a vécu avec des trios pen­dant des années, c’est-à-dire trois déte­nus dans neuf mètres car­rés. Quand je suis arri­vé à Forest, il y avait 150 cel­lules de trios, 450 déte­nus vivaient dans ces condi­tions. Il n’y a plus de trios actuel­le­ment et il n’y en aura plus. Par ailleurs, pour les familles et pour le per­son­nel qui viennent de loin, c’est plus facile de venir ici, c’est à côté de la gare du Midi.

C.M.: Ce mes­sage des direc­teurs de pri­son s’exprimant dans la presse a‑t-il été enten­du ?

V.S.: Le 26 avril, si les direc­teurs sont sor­tis du bois, c’est que la grève s’installait et que per­sonne n’en par­lait. Au début, les chefs d’établissement ont écrit à l’ensemble des ins­tances offi­cielles, pré­si­dents de par­tis, ministres, Pre­mier ministre, vices-Pre­miers, pré­si­dents des cours et tri­bu­naux, pro­cu­reurs géné­raux, etc. pour dire « atten­tion, il y a une catas­trophe en vue ». Mais on ne s’est pas concer­té pour contac­ter la presse. Il y a eu ensuite une réunion chez le ministre et à la sor­tie nous avons été cueillis par la presse. Il a fal­lu du temps pour que la chaine hié­rar­chique prenne la situa­tion en main, mais une fois fait, c’était ras­su­rant. Au départ, c’était l’union sacrée de tous. Ensuite, il y a eu des conflits impor­tants. La ligne hié­rar­chique est aus­si une fic­tion. Que les direc­teurs de pri­son soient d’accord entre eux n’est pas une évi­dence, même chose au sein de l’administration. Par ailleurs, le cabi­net n’est pas tou­jours d’accord avec l’administration, la coopé­ra­tion est conflic­tuelle ou, disons plu­tôt, des conflits sont coopé­rants. Les direc­teurs ont énor­mé­ment com­mu­ni­qué entre eux pour décrire la situa­tion dans leur éta­blis­se­ment. Il y a éga­le­ment eu un décès dans une pri­son et c’est stu­pé­fiant de voir à quel point on en a par­lé vingt-quatre heures avant de clas­ser l’affaire. Il faut savoir que ce gars est mort tailla­dé à coups de four­chette par son codé­te­nu, un psy­cho­tique qui a com­plè­te­ment déli­ré. Qu’il ait déli­ré, c’est peut-être dû à la grève, mais on ne peut pas le prou­ver. En atten­dant, per­sonne n’a pu inter­ve­nir parce que tout le monde était au quar­tier des femmes en train d’éteindre un incen­die. Et si tout le monde était par­ti, c’est parce qu’il man­quait de per­son­nel. Et s’il y a eu un incen­die, c’est parce qu’il avait la grève. Les jour­na­listes ne sont pas au cou­rant de tout, mais ils n’ont, selon moi, pas posé suf­fi­sam­ment de ques­tions pour com­prendre com­ment on a pu en arri­ver là.

C.M.: Que peut-on reti­rer de posi­tif de la grève ?

V.S.: Les médias ont chan­gé de dis­cours sur les déte­nus. Ce n’est plus « bande de salauds, vous avez ce que vous méri­tez ». Dans l’ensemble, les pro­blé­ma­tiques pré­sentes en pri­son ont été bien bros­sées. Un chef de quar­tier de Lan­tin a écrit une superbe carte blanche dans Le Soir qui a don­né une image posi­tive des agents, ce qui est très rare dans les médias. Ensuite, une série d’acteurs de la socié­té civile s’est mobi­li­sée, avec la Croix Rouge, l’armée.

En interne, les ser­vants ont éga­le­ment été extra­or­di­naires, un contact très posi­tif a été noué avec eux. L’un d’entre eux a même, à sa libé­ra­tion, fait un don de plu­sieurs cen­taines d’euros à la caisse d’entraide des déte­nus, pour remer­cier de tout ce qui a été fait pen­dant la grève.

Un autre fruit de la grève, ce sont les nou­veaux fonc­tion­ne­ments qui ont été inven­tés. À la pri­son de Namur, ils n’ont pas eu d’autre choix que d’ouvrir les portes d’une sec­tion et de tra­vailler dans un régime beau­coup plus ouvert. Et ils ont main­te­nu ce fonc­tion­ne­ment. Ici, à Forest, on a vu qu’on pou­vait fonc­tion­ner en confiance dans un sys­tème rela­ti­ve­ment ouvert, sans trop d’agents. Étant don­né qu’aujourd’hui il faut fer­mer Forest, cela peut nous ins­pi­rer pour pen­ser d’autres régimes de déten­tion et d’autres modes de fonc­tion­ne­ment. On a don­né des congés péni­ten­tiaires pro­lon­gés de trois semaines à des déte­nus qui en avaient déjà béné­fi­cié, il n’y a eu qu’un seul pro­blème, pour un déte­nu, ce n’était pas dû au congé, mais bien au déte­nu. Ça donne des idées sur la pos­si­bi­li­té de don­ner davan­tage de congés et, mani­fes­te­ment, l’administration veut prendre au sérieux ce qui s’est pas­sé pour trou­ver de nou­veaux modes de fonc­tion­ne­ment. On va voir com­ment ça va être mis en œuvre, mais il y a une volon­té sin­cère. Tra­vailler autre­ment, c’est deve­nu autre chose que sim­ple­ment rationaliser.

  1. Les ser­vants sont des déte­nus qui tra­vaillent pour la pri­son, par exemple en assu­rant des tâches d’intendance et de net­toyage (NDLR).

Charlotte Maisin


Auteur

Charlotte Maisin est membre de la cellule recherch’action de la Fédération des services sociaux

Vincent Spronck


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