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La famille royale et le paparazzi

Numéro 01/2 Janvier-Février 2013 par Simon Tourol

février 2013

Voi­là un feuille­ton à rebon­dis­se­ments comme la scène média­tique en raf­fole. Il est vrai que le scé­na­rio ne man­quait d’aucune grosse ficelle : une enquête de l’autre côté du décor de la famille royale ; des révé­la­tions pré­ma­tu­rées qui émous­tillent le public ; la confé­rence de presse à suc­cès pour pré­sen­ter l’ouvrage ; le lâcher de bombes qui s’ensuit sur l’auteur, […]

Voi­là un feuille­ton à rebon­dis­se­ments comme la scène média­tique en raf­fole. Il est vrai que le scé­na­rio ne man­quait d’aucune grosse ficelle : une enquête de l’autre côté du décor de la famille royale ; des révé­la­tions pré­ma­tu­rées qui émous­tillent le public ; la confé­rence de presse à suc­cès pour pré­sen­ter l’ouvrage ; le lâcher de bombes qui s’ensuit sur l’auteur, le jour­na­liste Fré­dé­ric Debor­su ; la prise de dis­tance de la RTBF qui l’emploie depuis vingt ans et qui le range au pla­card du ser­vice docu­men­ta­tion pour un mois ; les huées du quo­ti­dien qui avait orches­tré les révé­la­tions ; la contre-huée des jour­na­listes de la RTBF très indis­po­sés par leur col­lègue et les com­men­taires qu’il sus­cite ; le palais royal qui réagit. Le tout sur fond de révé­la­tions sca­breuses où l’on ren­contre l’argent, le sexe, la reli­gion, les mésal­liances, les tri­che­ries et les passe-droits.

Mises bout à bout, les révé­la­tions de Ques­tions royales ne doivent pas dépas­ser cinq des trois-cents pages de l’ouvrage. Mais le scan­dale n’est pas soluble dans la masse et dix mots, même pas tou­jours pro­non­cés, comme homo­sexua­li­té, pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée, mariage for­cé, abdi­ca­tion, dis­pute, ava­rice et bigo­te­rie suf­fisent à lever la tem­pête. Et de vrais débats. De ceux que sus­ci­ta l’entreprise ico­no­claste de Debor­su, on retien­dra notam­ment la ques­tion des méthodes journalistiques.

La crédibilité surjouée

Sur la méthode, on ne peut repro­cher à l’enquêteur d’avoir man­qué de sources. Non seule­ment la biblio­gra­phie est large et les réfé­rences de presse, copieuses, mais il affirme lui-même avoir appro­ché une cin­quan­taine de témoins clés, ce qu’il n’y a pas lieu de mettre en doute à prio­ri. Plu­sieurs de ces témoins sont iden­ti­fiés et beau­coup d’autres ont choi­si l’anonymat, ce qui ne sur­prend pas sur un ter­rain aus­si miné que l’institution monar­chique côté cou­lisses. Ces sources-là sont-elles bien diverses, indé­pen­dantes les unes des autres, sin­cères et dés­in­té­res­sées ? Le lec­teur ne peut qu’en for­mu­ler l’espoir ou se rési­gner à prendre les infor­ma­tions avec de solides pincettes.

Infor­ma­tions ou ragots ? D’une part, Debor­su par­sème son récit de ces traces redon­dantes d’authenticité — je l’ai vu moi-même, plu­sieurs témoins me l’ont dit, j’y étais, per­sonne ne l’avait encore dit, etc. — dont cer­tains jour­na­listes font lar­ge­ment usage pour sur­jouer la cré­di­bi­li­té du pro­pos, mais d’autre part il sème lui-même le doute sur ses infor­ma­tions en pra­ti­quant ce que l’Association des jour­na­listes pro­fes­sion­nels (AJP) appe­lait sur son site inter­net le « jour­na­lisme sug­ges­tif, qui pro­cède par allu­sion ». Ain­si en va-t-il de l’homosexualité sug­gé­rée du prince Phi­lippe. En évo­quant d’abord son « ami­tié intense » pour un homme avec qui il vit une « rela­tion hors norme », puis, plus loin, en rap­por­tant la plai­san­te­rie lâchée en Conseil des ministres sur « le petit ami de Phi­lippe », le récit désigne au lec­teur une situa­tion pré­cise. Mais il ne la nomme jamais, et dans les inter­views, l’auteur s’en tient stric­te­ment à ce qu’il a écrit, sou­li­gnant qu’il ne peut « pas dire autre chose ». Le même pro­cé­dé sera notam­ment mis en œuvre concer­nant la pro­créa­tion médi­ca­le­ment assis­tée dont Fré­dé­ric Debor­su n’affirme nulle part que le couple prin­cier y eut recours. Mais il pro­pose assez de liens entre plu­sieurs infor­ma­tions pour que le lec­teur l’envisage sérieusement…

La rhétorique du net et du flou

Trans­po­sée à l’image, cette double rhé­to­rique du net et du flou, du mon­tré et du sug­gé­ré, de l’indéniable et de l’hypothèse, est typi­que­ment celle des papa­raz­zis. La pho­to d’une star au bras d’un homme qui n’est pas son mari, sur un trot­toir le long d’un petit hôtel dis­cret per­met au lec­teur une mise en récit qui a tout d’une évi­dence et rien d’une cer­ti­tude. Le léger flou du cli­ché sera un gage d’authenticité. Puisque la scène est volée grâce à un puis­sant télé­ob­jec­tif, elle n’est pas jouée, mais réelle. Mais il ne suf­fit pas, dans une enquête jour­na­lis­tique, que des infor­ma­tions soient véri­fiées. Il faut aus­si que leur publi­ca­tion soit pertinente.

Debor­su en fut-il conscient ? Il se com­porte exac­te­ment comme ces papa­raz­zis de la presse people à scan­dale. L’incursion dans la chambre à cou­cher, l’absence de scru­pules quant aux éven­tuelles bles­sures infli­gées à l’entourage (ce qui valut début novembre la cin­glante lettre ouverte du psy­chiatre infan­to-juvé­nile Jean-Yves Hayez et de la psy­cho­logue Fran­çoise Leur­quin), le flou des sous-enten­dus ou, à l’inverse, l’interprétation péremp­toire de cer­tains faits (« Pas ques­tion d’amour, mais seule­ment le sens du devoir » à pro­pos de Mathilde): toute la pano­plie du pré­da­teur média­tique s’y retrouve. Il ne faut pas obli­ga­toi­re­ment être monar­chiste convain­cu pour éprou­ver un malaise comme peu de livres consa­crés à la famille royale belge l’avaient pro­vo­qué jusqu’ici.

Le dédoua­ne­ment que l’auteur s’administre en intro­duc­tion comme en conclu­sion de l’ouvrage ne change rien à ce malaise. « Je suis roya­liste », pro­clame-t-il, pré­ci­sant de manière pué­rile qu’il a fré­quen­té l’école chré­tienne où il a appris la Bra­ban­çonne. Curieuse pré­cau­tion ora­toire, vrai­ment, où le tireur qui vise sous la cein­ture pense atté­nuer sa res­pon­sa­bi­li­té en décla­rant sa sym­pa­thie pour la victime…

Simon Tourol


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